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Albanais 1900

Albanais 1900 est un livre épuisé, paru en avril 1991 (dépôt légal, ISBN 2-9505656).

Cet ouvrage avait été un travail conjoint de Bernard Fleuret, de Kronos, de La Biolle Loisirs, avec la participation gracieuse de Jean-Louis Hebrard pour le texte.

Vous retrouvez ici la mise en ligne de ce livre, découpé par chapitres.

Avant-propos

L’Albanais dans l’espace et le temps

Nos villages :

Dans l’Albanais à la Belle Époque :

  • L’agriculteur Albanais
  • Le train et le tourisme
  • Les tuileries, l’industrie fromagère et les écoles
  • Vivre à la Belle Époque et les nuées de la guerre

Bibliographie de l’époque (Articles parus dans des revues locales)

Louis Perroud raconte la « Grande Guerre », Kronos n° 1
Fides et Spes, deux cloches centenaires, Kronos n° 1
La Tuilerie Poncini, Kronos n° 2
L’huilerie Tournier à Saint-Girod, Kronos n° 2
Le rattachement du canton d’Albens au département de la Savoie, Kronos n° 3
Philibert Mollard, Kronos n° 3
La Chambotte, une signature de la Belle Époque, Kronos n° 4
Un chemin de fer historique : celui d’Aix à Annecy, Kronos n° 4
A Vélocipède dans l’Albanais au début du siècle, Kronos n° 5
La fanfare « La Gaîté » de La Biolle, Kronos n° 5
La batteuse, Les Amis du vieux Rumilly n° 8
Les clochers de l’Albanais, Les Amis du vieux Rumilly n° 7
À Albens, autrefois…, Les Amis du vieux Rumilly n° 5
Vacances d’autrefois en Albanais, Les Amis du vieux Rumilly n° 7
Les deux forges de Saint-Félix, Les Amis des Moulins savoyards n° 4
Vivre à Saint-Ours, Bulletin municipal

La composition et la photogravure d’origine : A.P.P. Grenoble.

Maquette et couverture : Philip Astorg et Bernard Fleuret. Imprimerie du Marais, Albens.

Kronos, le nouveau numéro 38 de la revue est arrivé

L’association a le plaisir de vous présenter le numéro 38 de sa revue, tout en couleur et fort de huit articles). Les adhérents ont déjà reçu leur exemplaire, la cotisation annuelle donnant droit au nouveau numéro. Tous nos fidèles lecteurs pourront aussi se le procurer dans les points de vente habituels.

L'équipe de Kronos avec la revue 38
Dans les locaux de l’association, on découvre la nouvelle revue (cliché B. Fleuret)

Au sommaire :

  • Le vicus d’Albinnum, bilan de recherche universitaire
  • Le loup tue à Ruffieux au XVIIe siècle
  • Mgr Félix Dupanloup, de Saint-Félix à Orléans
  • Une famille de l’Albanais : les Emonet de Cessens – 3e partie
  • Les Quay, de La Biolle à l’Uruguay
  • Marie Pétellat de Cessens, refuser d’obéir à l’ennemi (23 juin 1940)
  • Les Balouriens de Chainaz
  • Challière, grange monastique d’Hautecombe et coteau viticole (Saint-Germain-la-Chambotte)

Les points de vente sont :

  • Maison de la presse à Albens (Entrelacs)
  • Maison de la presse à La Biolle
  • Maison de la presse à Saint-Félix
  • Boulangerie Challe à Bloye
  • Musée de Rumilly
  • Carrefour Market de Grésy-sur-Aix
  • Hyper U de Rumilly
  • Espace Leclerc de Drumettaz
  • Maison de la presse du pont neuf à Rumilly
Couverture de la 38ème revue

L’énorme chantier du dessèchement des marais d’Albens

Lorsqu’aujourd’hui promeneurs et sportifs empruntent à la sortie d’Albens le parcours de santé et les chemins de la forêt domaniale de la Deisse, ils sont loin de savoir que ces aménagements ont été rendus possibles grâce aux travaux entrepris conjointement dès 1941 par l’État Français et un syndical intercommunal nouvellement créé.
Une construction conserve le souvenir de cette période : la « maison forestière » implantée au bord de la D1201 à la sortie d’Albens en direction de Saint-Félix. Rien n’attire particulièrement l’attention, si ce n’est qu’elle est isolée, à la bordure de la forêt des « Grandes Reisses ». La construction s’inspire du style des chalets de montagne avec son toit large et débordant, ses poutres travaillées et son balcon entouré d’une rambarde imposante. C’est de là que furent lancés en 1941 les grands travaux de dessèchement des marais d’Albens.

La « maison forestière » aujourd'hui
La « maison forestière » aujourd’hui

Dans une étude parue dans la Revue de Géographie Alpine en 1944 (consultable en ligne sur le site Persée), la géographe Josette Reynaud explique : « Il a fallu la guerre de 1940 et ses conséquences pour qu’on se tournât vers l’exécution de grands travaux[…] ils ont été entrepris en 1941 avec le chantier de chômage qui comprit jusqu’à 200 personnes ; c’est ce chantier qui a creusé la dérivation de l’Albenche et effectué le travail dans la zone au nord de Braille ».
Ces travaux sont à replacer dans le contexte interventionniste de la France de Vichy et de l’État Français qui lance alors plus de cent chantiers ruraux dans la Zone sud dont ceux des marais du bas Chablais, des digues de l’Arc et de l’Albanais. Un état qui légifère et par la loi du 16 février 1941 permet l’exécution des travaux en autorisant les communes à se substituer aux propriétaires pour l’assèchement des marais. Un syndicat intercommunal est créé regroupant six communes : Bloye, Rumilly, Saint-Félix, Albens, Saint-Girod et Mognard. L’État financera à hauteur de 60%, les 40% restants étant avancés par les communes.

Le périmètre du syndicat intercommunal (archive privée)
Le périmètre du syndicat intercommunal (archive privée)

À la fin du mois de février 1941, un article du Journal du Commerce avertit les propriétaires des marais qu’ils devront rapidement prendre les dispositions suivantes : « Les travaux d’assainissement des marais de la région d’Albens vont commencer incessamment, un plan sera affiché à la Mairie donnant toutes indications utiles. Les propriétaires dont les arbres seront abattus devront les débiter et les enlever du chantier dans les quinze jours suivant l’abatage, faute de quoi l’arbre deviendra la propriété du Syndicat intercommunal qui en disposera ». Les lecteurs sont en outre informés de l’ouverture en mairie d’un « Bureau du chantier » auprès duquel ils peuvent s’adresser pour « tous renseignements complémentaires ». Les différents propriétaires ne firent pas de difficultés, à l’exception, nous indique Josette Reynaud « de quelques habitants de Brison-Saint-Innocent qui possédaient des terres seulement pour en tirer de la blache ».
Le chantier d’Albens n’est pas le seul à s’ouvrir, en effet l’État français voit dans la politique de grands travaux le moyen de résorber le chômage. C’est ainsi que dès 1941, une centaine de chantier ruraux sont ouverts dans la Zone sud par le « Commissariat à la lutte contre le chômage ».

Cérémonie au drapeau (archive privée)
Cérémonie au drapeau (archive privée)

L’ouverture du chantier d’Albens s’effectue au mois d’avril 1941. Elle donne lieu à une très officielle cérémonie de présentation dont le Journal du Commerce donne le compte-rendu suivant : « Lundi matin a eu lieu au Chantier de l’assainissement des marais en présence de nombreuses personnalités la première cérémonie de la présentation du Chantier au pavillon national. M. Arlin, ingénieur, directeur du Chantier qui présidait la cérémonie expliqua le but de cette réunion. Puis le drapeau national fut hissé par M. Bouvier, croix de guerre 39-40. Un vin d’honneur offert par le Syndicat réunit ensuite les invités et le personnel du Chantier ».

Les ouvriers au travail dans le marais d'Albens (cliché P. Buffet)
Les ouvriers au travail dans le marais d’Albens (cliché P. Buffet)

M. Arlin qui dirige le chantier est un ingénieur sorti de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures. Il coordonne le travail des 200 travailleurs non qualifiés dont 175 manœuvres venus de toute la zone sud qui vont être employés au creusement de la Deisse, au recoupement de ses méandres, à la rectification générale de son cours. Ils vont aussi travailler dans le marais, divisé en une dizaine de zones dans lesquelles des collecteurs et des fossés vont être creusés transversalement à la pente. Sur une photographie on peut voir une de ces équipes travaillant avec des pelles et des scies pour couper la blache. Le directeur peut aussi compter sur l’appui de vingt-cinq spécialistes, de cinq chefs d’équipe auxquels se rajoutent cinq personnes pour la direction et le secrétariat.
Si la mise en activité de ce chantier donne lieu à quelques plaintes dont certaines pour vol, elle offre aussi de nombreuses opportunités comme la possibilité d’employer un ouvrier pour les travaux de l’agriculture. Le Journal du Commerce dans son édition du 27 avril détaille les conditions auxquelles une telle embauche est possible (durée de la journée de travail, prime de travail, rémunération des heures supplémentaires). Il est précisé que « l’ouvrier demandé sera détaché du chantier qui continuera à le conserver sur ses contrôles et à assurer les charges diverses[…] Les demandes écrites seront adressées au bureau du chantier rural à la Mairie d’Albens ou aux Mairies ».
Comment devait être logée cette masse de travailleurs ? Seules pour l’instant quelques lignes trouvées dans un article du Journal du Commerce permettent de s’en faire une idée. On y parle d’une « cité rurale » avec un « foyer » pour les travailleurs. Ces derniers peuvent se rassembler sur une place avec un mât pour la cérémonie des couleurs. Peut-être existe-t-il dans des archives familiales des documents sur cette cité rurale ? Dans ce cas leurs propriétaires, s’ils le souhaitent, peuvent nous contacter sur le site de Kronos. On ignore également tout de sa localisation.
Le 1er mai 1941, le chantier rural organise une importante cérémonie à l’occasion de la Fête du Travail au sujet de laquelle le Journal du Commerce consacre la semaine suivante un brève mais très informative description.
Ce texte permet en effet de se faire une idée du rôle que joue alors l’une des quatre fêtes majeures du pétainisme. Création du régime, elle s’intitule « Fête du Travail et de la Concorde nationale ». Avec le 14 juillet devenu « La cérémonie en l’honneur des Français morts pour la Patrie », le 11 novembre nommé « Cérémonie en l’honneur des morts de 14-18 et 1939-40 » et la fête des mères devenue « Journée des mères de familles françaises », la « Fête du Travail » contribue à la célébration tout au long de l’année du « Travail, Famille, Patrie », trilogie de l’État français.

À propos de la cérémonie organisée par le Chantier rural d’Albens le 1er mai, le correspondant du Journal du Commerce écrit « À 17h, le pavillon était hissé devant le personnel de Direction et les ouvriers formés en carré qui écoutèrent ensuite dans le foyer de la cité rurale à 17h30 le discours radiodiffusé du Maréchal Pétain. Après une vibrante Marseillaise la direction du chantier offrit au personnel un vin d’honneur ». On perçoit bien la manière dont cette fête contribue fortement au culte du « Maréchal » en ne négligeant aucun moyen de propagande (présence de la presse, écoute du discours de Pétain à la TSF, affiches, portrait du Maréchal).

Affiche de 1941 pour le 1er mai.
Cette fête est aussi le reflet de l’idéologie paternaliste et autoritaire du pétainisme comme le laisse transparaître la fin de l’article : « Généreusement, les ouvriers décidèrent d’offrir à M. le Commissaire à la lutte contre le chômage, pour être remis à l’œuvre de secours aux prisonniers de guerre, une partie de leur salaire de cette journée qui fut caractérisée par l’esprit de concorde, de camaraderie et d’entraide qui règne sur le chantier ». Dans la « cité rurale », on est loin désormais des années « Front populaire ». Vichy a réussi à faire du 1er Mai une fête maréchaliste. Le chantier rural va fonctionner jusqu’en 1942, date à laquelle de grandes entreprises prendront la relève pour exécuter de gros travaux. Ces années feront l’objet d’un prochain article.

Jean-Louis Hebrard

Incendies dans l’entre-deux-guerres : mieux lutter contre le feu

« Samedi matin, vers 4 heures, un violent incendie a détruit près de l’église de Cessens un vaste bâtiment d’habitation et d’exploitation agricole » peut-on lire dans le Journal du Commerce en janvier 1934.
Ce type de d’information revient périodiquement car l’incendie, fléau de tout temps redouté, n’est en rien spécifique des années d’entre-deux-guerres. Toutefois, à partir de ces tragiques nouvelles, on relève des permanences mais on voit aussi se dessiner des évolutions touchant les moyens de lutte, les types de sinistre, la souscription d’assurances. En Savoie, des lettres-patentes signées en 1824 par le roi de Piémont-Sardaigne permettent la création de corps de sapeurs pompiers. Des compagnies se constituent dans les villages de l’Albanais. Les archives permettent parfois d’en dater l’apparition : 1876 pour La Biolle, 1899 pour Albens, vers la même époque pour Saint-Félix (voir l’article de G. Moine, Pompiers d’Albens, dans Kronos n°6).
Dans un environnement très rural, à l’habitat dispersé, les incendies touchent en priorité les fermes et les bâtiments agricoles dans lesquels on stocke tout ce qui est nécessaire à l’alimentation du bétail. C’est ce que l’on apprend en janvier 1934 à propos de l’incendie qui « a éclaté au hameau de Marline dans un corps de bâtiment comprenant : écurie, fenil, granges et hangar… le feu trouvant un aliment facile dans les foins et pailles, tout le bâtiment fut embrasé en peu de temps ».

Gravure illustrantGravure illustrant le combat contre le feu le combat contre le feu
Gravure illustrant le combat contre le feu

La même année à Dressy, c’est « un jeune enfant voulant s’amuser avec des allumettes qui mit imprudemment le feu au foin qui était proche ». Quelques mois plus tard, au hameau de Tarency, dans une ferme, le feu trouve « un aliment facile dans les récoltes engrangées ainsi que dans les nombreux instruments aratoires » et ravage en quelques instants le bâtiment long d’une trentaine de mètres. Dès que l’on s’aperçoit de l’incendie, aux premières flammes visibles, les voisins apportent leur aide en attendant l’arrivée des pompiers : « au même instant, des voisins ayant eux aussi aperçu des flammes accouraient sur les lieux. Un jeune homme du village… qui fut un des premiers sauveteurs accourus, organisait les secours, pendant qu’on s’empressait de prévenir les pompiers ».
L’approvisionnement en eau conditionne l’efficacité de la lutte contre l’incendie. À l’époque, il n’existe pas de réseau d’approvisionnement ni de borne à incendie. On se mobilise donc pour amener de l’eau : « des personnes de l’endroit (Dressy) allaient chercher de l’eau assez loin avec des seaux : des voitures sur lesquelles étaient posés de grands tonneaux allaient aussi chercher de l’eau ». Les seaux comptent parmi les premiers instruments de lutte. Les pompiers en amènent avec la pompe un grand nombre de ces seaux de toile. Pliants, solides, munis d’une poignée renforcée, ils peuvent contenir une bonne dizaine de litres comme on peut le constater sur ce cliché. On les passe de main en main dans d’impressionnantes chaînes humaines.

Seau des pompiers de Saint-Girod (cliché de l'auteur)
Seau des pompiers de Saint-Girod (cliché de l’auteur)

Quand on dispose d’un point d’eau abondant (source, rivière, étang), la lutte est plus efficace comme l’indique le Journal du Commerce à propos d’un incendie à Saint-Girod en 1934 : « l’alerte fut donnée et la pompe de la commune fut rapidement sur place. Peu après, arrivaient les pompiers d’Albens avec leur motopompe. Les pompes purent facilement s’alimenter grâce à la proximité d’un ruisseau et réussirent à circonscrire le sinistre en protégeant les maisons voisines ». Mais bien souvent, comme à Dressy, « l’eau étant insuffisante, au bout d’un instant, la motopompe ne put fonctionner ». La même difficulté se retrouve à Cessens en 1934 où « en raison de la violence du vent du nord et de l’absence d’eau, rien, à part le bétail, n’a pu être sauvé ».
Des progrès se font jour dans l’entre-deux-guerres avec la généralisation de la motopompe qui vient relayer la pompe à bras dont tous les villages sont équipés depuis la fin du XIXème siècle. L’Espace patrimoine d’Albens conserve un exemplaire d’une pompe à bras qui fut achetée après 1860 grâce aux subsides accordés par l’impératrice Eugénie au moment de son passage en Savoie.

Pompe à bras (cliché Kronos)
Pompe à bras (cliché Kronos)

C’est avec elles que les compagnies de pompiers de Saint-Girod, La Biolle, Saint-Félix, Alby, Marigny, Bloye entrèrent en action lors du grand incendie de juillet 1914 à Saint-Félix. Le Journal du Commerce rapporte comment « des chaînes furent organisées et les nombreuses pompes alimentées par l’eau d’un bief et par des bornes-fontaines ». Après la Grande guerre, les compagnies, quand elles le peuvent, s’équipent d’une motopompe.

Motopompe (cliché en ligne)
Motopompe (cliché en ligne)

Celle d’Albens dispose d’un modèle De Dion Bouton, remorquable avec des roues à bandage qui va lui permettre de monter en grande vitesse combattre l’incendie qui touche Dressy en 1934. Quand l’alimentation en eau ne fait pas défaut, son moteur à 4 cylindres permet une aspiration à 8m de 400m3/h. L’emploi réuni de tous ces moyens « modernes » ne permet pas toujours de venir à bout de « nouveaux » sinistres frappant des établissements industriels ou des entrepôts commerciaux. « Un violent incendie a anéanti », nous apprend un article du Journal du Commerce de 1937, « samedi après-midi un bâtiment en maçonnerie à usage d’entrepôt au village des Combes, sur le territoire de la commune de La Biolle, dans les sous-sols duquel étaient conservés près de cent mille douzaines d’œufs ». Avec l’incendie des Combes, ce ne sont pas les foins, la paille ou les récoltes qui sont à l’origine du sinistre mais un camion de livraison qui prend feu dans le garage de l’entreprise après que l’on ait fait le plein d’essence. Le propriétaire réagit au plus vite se saisissant « d’un extincteur, mais gêné par l’intense chaleur dégagée par l’essence enflammée, comme aussi par la fumée, ses efforts furent vains ». Le propriétaire est obligé de s’enfuir car « la chaleur du brasier était telle qu’un pommier se trouvant de l’autre côté de la route, à quinze mètres de là, a été entièrement desséché ». Les pompiers d’Albens, de La Biolle puis ceux d’Aix-les-Bains se révélèrent impuissants devant l’immensité du brasier qui va tout emporter. L’auteur de l’article dresse au final un terrible bilan matériel « Outre le camion de trois tonnes tout neuf, chargé lui-même de 5 000 douzaines d’œufs et du matériel de l’entrepôt, c’est 90 000 douzaines d’œufs conservés dans d’immenses bacs en maçonnerie, situés dans le sous-sol, qui ont été entièrement perdus ». Comme les « coquetiers » d’antan, cet entrepreneur collecte, stocke et vend la production avicole locale. Les dégâts que l’on annonce « s’élèvent à plus de 500 000 francs » mais on apprend qu’ils sont couverts par une assurance.
C’est le plus souvent le cas, mais il y a toujours quelques négligents. Aussi, chaque année les mutuelles rappellent à leurs adhérents la date de l’assemblée générale et l’appel à cotisation. Dans un compte-rendu de février 1937, on apprend que la mutuelle d’Albens « compte 199 adhérents et assure plus de 18 millions de risques ». Les sommes remboursées varient de 75 000 francs à plus de 500 000 francs aussi est-il important de bien évaluer sa couverture. C’est le conseil que donne le président de la mutuelle d’Albens qui rappelle « aux quelques membres encore insuffisamment assurés de bien vouloir vérifier leurs polices et souscrire le cas échéant des avenants ».

Jean-Louis Hebrard

Saint-Félix-les-Gruyères : et pourquoi pas ?

Un article publié en 1932 dans le « Petit Dauphinois » soulève une question encore d’actualité : pour quelles raisons une commune peut-elle vouloir faire évoluer son nom ?
C’est ce qu’expose ce journal dans sa page locale « chronique de la Savoie » à propos de la commune de Saint-Félix où, apprend-on, « les conseillers municipaux » ont récemment décidé « que Saint-Félix deviendrait Saint-Félix-les-Gruyères ». Mais cette décision locale ne semble pas rencontrer le soutien attendu de la part de la préfecture haut-savoyarde. L’article se fixe donc la mission d’éclairer ceux qui, loin du terrain, peuvent méconnaître la réalité locale. On insiste d’abord sur l’importance de distinguer le village des autres « Saint-Félix » afin « d’éviter toutes erreurs des services des P.T.T ».
Pour tester la solidité de l’argument, les conseillers municipaux avaient, deux mois auparavant, consulté l’archiviste départemental à ce sujet. Avec beaucoup d’humour, Robert Avezou avait réfuté ce nouveau nom car, écrivait-il « bien qu’il soit destiné à faire connaître une industrie locale prospère, le nom de Saint-Félix-les-Gruyères ne me paraît pas de très bon goût. On n’accepterait pas Thônes-les-Reblochons et pourtant cette dénomination partirait du même principe ». Toutefois, pour répondre à la préoccupation « postale » des élus, il proposait de « situer tout bonnement Saint-Félix par la mention de la région naturelle dont cette localité fait partie, à savoir l’Albanais ». Et de conclure dans cette logique en donnant l’exemple de Saint-Julien-en-Genevois, une désignation précise satisfaisant tout le monde.
Saint-Félix-en-Albanais, voilà une appellation bien loin du « gruyère » qui fait alors la renommée de la commune et constitue ce que l’on nommerait aujourd’hui son « ADN ».
Aussi avance-t-on ensuite un long et abondant historique de l’aventure fromagère de la commune. 1885 en est la date fondatrice et M. Louis Picon l’acteur principal de cette réussite économique qui ira s’élargissant bien au-delà de l’Albanais et de la Savoie. Dès lors, plus de dix ans après la Grande Guerre, le « berceau de l’industrie laitière pour la branche des gruyères » devenu le premier centre d’exportation des gruyères savoyards « a tous les droits de s’appeler Saint-Félix-les-Gruyères ».

Encart publicitaire (Journal du Commerce 1927)
Encart publicitaire (Journal du Commerce 1927)

La délibération prise par le conseil municipal ayant été communiquée à la préfecture, on attend en ce début juin 1932 sa décision. L’affaire semble donc être essentiellement administrative. Mais une lecture plus complète du numéro du « Petit Dauphinois » (consultable en ligne sur le site « lectura plus presse ancienne ») suggère que des considérations économiques sous-tendent aussi la demande des élus de Saint-Félix. En effet, en bas de page du journal on découvre l’existence d’une « marche du travail dans la région ». La grande dépression économique née aux USA en 1929 a fini par toucher notre pays provoquant de la mévente et du chômage.

La crise économique (gravure des années 30)
La crise économique (gravure des années 30)

La commune commence à sentir ses effets, comme l’écrit à ce moment-là Marius Picon dans un courrier adressé au conseil municipal : « Saint-Félix compte des industries fromagères qui depuis cinquante ans ont fait leurs preuves, qui malgré la crise sans précédent que nous traversons poursuivent leurs efforts. Ayant su donner une renommée mondiale à leurs produits elles gardent dans ces moments difficiles tout leur personnel au complet ». C’est pourquoi ce « Négociant industriel » comme il se nomme, appuie fortement les élus dans leur démarche. À un moment où les prix des produits agricoles s’effondrent du fait de la crise, il explique tout l’intérêt de la nouvelle appellation qui « la renommée aidant, nous procurera une facilité beaucoup plus grande pour la vente du lait à un prix rémunérateur ». Il sait par ailleurs que l’économie laitière savoyarde achevant son intégration au marché national, il faut pousser à la création de régions spécialisées pour résister aux difficultés du temps. Il est donc nécessaire, indique-t-il aux élus « qu’au plus tôt vous établissiez que notre département est et doit être la Région du Gruyère » avec Saint-Félix-les-Gruyères comme centre de gravité.
Ce début d’année 1932 voit trois préfets se succéder en quelques mois à la tête de la Haute-Savoie.
Est-ce la raison pour laquelle la question d’accoler « gruyères » à Saint-Félix tombera dans les oubliettes de l’histoire ?

L’avis de l’archiviste Robert Avezou semble l’avoir emporté sur la pression des élus. En 2001, la disparition totale de l’activité fromagère de la commune est actée (voir à ce sujet l’article paru dans le dernier numéro de la revue d’histoire Kronos). On peut se demander aujourd’hui comment serait compris un panneau routier « Saint-Félix-les-Gruyères ».
Quant à la ville de Thônes qui n’a jamais pensé à l’époque vouloir se nommer « Thônes-les-Reblochons » la voici aujourd’hui devenue « la capitale du Reblochon ». Une histoire qui vaut plus qu’un fromage « sans doute ».

Jean-Louis Hébrard

Sur les routes de l’Albanais dans les années 20

Au sortir de la Grande Guerre qui fut une guerre mécanique, celle des moteurs, l’automobile allait connaître un essor considérable bouleversant les conditions de circulation d’autrefois. Automobiles, camions et motocyclettes sont de plus en plus au cœur des faits divers dont parle la presse des années 20/30. Nombreux sont alors les petits articles qui relatent des accidents parfois tragiques mais plus souvent surprenants et même chargés de drôlerie. Leur lecture nous permet de cerner les mutations en cours sur les routes de France, de Savoie et de l’Albanais au moment des « Années folles ».
Que peut bien nous apprendre cet article du Journal du Commerce publié en février 1922 sous le titre « Auto contre pylône » dont voici le contenu : « Lundi matin, une caravane d’autos transportant le cirque Bonnefoy, se rendant à Annecy, a traversé la commune d’Albens au moment du marché. Voulant éviter un groupe de femmes, un des chauffeurs donna un coup de volant à gauche et vint heurter le pylône portant les fils électriques, qui fut transformé en S. Fort heureusement aucun des fils ne fut cassé, car on aurait eu à craindre des morts parmi la foule dense qui se pressait autour des étalages ».

Albens, le marché se tient dans le carrefour (archive privée)
Albens, le marché se tient dans le carrefour (archive privée)

Ici, c’est la cohabitation entre les piétons et les véhicules à moteur qui est à la source de l’incident. Très vite, la question de l’affectation de la route va être soulevée.
Sur une carte postale de l’époque nous voyons ce marché, les étalages tout autour, les clients et clientes qui traversent l’espace central, c’est-à-dire le croisement des routes qui comme aujourd’hui se dirigent vers Annecy, Rumilly, Aix-les-Bains. En 1922, « une foule dense se pressait autour des étalages » quand le cirque allant à Annecy est arrivé, avec les conséquences qui s’en suivront.
L’article est aussi révélateur des « imprévus » que peuvent rencontrer les automobilistes et des difficultés à y faire face. Dans un monde encore très rural, il y a au rang de ces « surprises » toutes les présences animales. « Voulant éviter une poule et ses poussins », un motocycliste cause un accident près de La Biolle tandis qu’aux Près Rues, vers Albens, ce sont des vaches qui s’étant débarrassées de leurs conducteurs « allèrent se jeter dans une voiture ». Des chiens qui traversent soudainement et se font accrocher par les automobilistes valent à ces derniers le qualificatif d’« écraseurs d’Albens ». Il y a encore tous les attelages dont la lenteur est source de problèmes : chariot attelé de deux vaches, char de bois, ou encore cette voiture dont le cheval effrayé s’emballe allant presque « se jeter dans la barrière du chemin de fer ».

Moyens de transports anciens et récents cohabitent – La Biolle (archive privée)
Moyens de transports anciens et récents cohabitent – La Biolle (archive privée)

D’autres articles pointent les mauvaises conditions de visibilité. Véhicules, motocyclettes et bicyclettes n’étant pas toujours bien éclairés à la tombée de la nuit, piétons et cyclistes sont souvent victimes d’accident : « Dimanche soir, vers huit heures, M. Pegaz et sa dame… furent renversés par deux cyclistes marchant à folle allure et sans lanterne ». Rentrer très tard dans la nuit vous expose beaucoup : « Vers 1h3O, le nommé J. Gallina, domestique à Albens, rentrait chez son patron, venant de la vogue de Saint-Félix. En cours de route, il fut renversé par une voiture ».
D’autres fois, ce sont les conditions atmosphériques qui sont facteur aggravant. Ainsi en 1934 à hauteur du passage à niveau d’Albens où « pour éviter le cycliste et gêné par le brouillard, l’automobiliste a heurté un platane et a été blessé légèrement par les bris de glace ». À La Biolle, c’est une voiture qui écrase un chien alors qu’elle roulait « sans lanterne malgré la brume ». Dans la même commune, c’est « par suite d’un dérapage sur la route mouillée » qu’a lieu une collision entre deux conducteurs, l’un grenoblois, l’autre d’Annecy.
N’oublions pas de mentionner aussi tous les matériaux qui encombrent les bas-côtés et font capoter les véhicules. Ici c’est « un tas de sable » que le conducteur heurte au moment de dépasser, ailleurs le véhicule butte sur « un tas de cailloux placé en bordure de la chaussée ». Le plus souvent, les automobiles de l’époque, dont la direction n’est pas encore assistée et les pneumatiques aussi rudimentaires que les suspensions, viennent s’encastrer dans les arbres et les pylônes qui bordent routes et rues.

Entrée d'Albens, tas de cailloux et alignement de platanes (archive Kronos)
Entrée d’Albens, tas de cailloux et alignement de platanes (archive Kronos)

À travers les articles de presse, on découvre la violence de ces accidents comme à l’entrée de Saint-Félix en 1924 où « l’auto a sectionné au ras de terre un pommier de la route et s’est renversée sur le côté » et avant Albens, la même année lorsque « la voiture après avoir sectionné deux jeunes arbres plantés en bordure de la route, alla s’écraser contre un saule ». Les passagers en sortent plus ou moins secoués, au mieux éjectés comme en 1928 dans cette collision vers La Biolle où « l’autre véhicule alla heurter un poteau, projetant dans le pré voisin les quatre occupants ». Quand l’accident se passe en ville, les conséquences sont parfois spectaculaires, ainsi en 1937 dans le carrefour d’Albens où suite à la collision, la première voiture fait un tête à queue complet au milieu du croisement quand la seconde va « s’écraser dans la devanture du café Bouvier, la démolissant totalement et mettant en miettes chaises et tables placées sur le trottoir ». L’un des conducteurs, projeté hors de sa voiture « porte quelques contusions sans gravité. Après avoir reçu les soins de M. le docteur Bouvier, il a pu être reconduit à son domicile ». Le second conducteur « légèrement contusionné » subit le même traitement.
Nous sommes bien avant le port obligatoire des ceintures de sécurité mais aussi de la mise en place de secours organisés aux victimes de la route.
Les blessés sont rapidement transportés dans les hôpitaux d’Aix, de Rumilly ou d’Annecy par d’autres automobilistes lorsqu’il s’agit de contusions importantes à la tête, de poitrine enfoncée par le volant ou blessures à la face occasionnées par les glaces brisées. Souvent on fait appel pour les premiers soins aux médecins les plus proches, au docteur Bouvier d’Albens, au docteur Ronin d’Alby. Pour une plaie à la tête, c’est le pharmacien Brunet d’Albens qui prodigue les premiers soins et la recoud. Ecchymoses et écorchures sont traitées plus simplement avec retour au domicile. Parfois les auteurs d’accident ne se préoccupent pas du sort de la victime, ainsi en 1929, vers Saint-Félix où ils déposent le blessé « sur le bord de la route disant qu’ils allaient chercher du secours, mais la victime ne vit personne revenir ». Ce délit de fuite se transforme parfois en véritable « rodéo ». C’est ce que relate un long article du Journal du Commerce en 1934 : « affolé par l’accident, le chauffeur au lieu de s’arrêter, continua sa route pendant que des témoins prévenaient la gendarmerie qui se trouvait à quelques pas ». S’engage alors une course poursuite entre Albens et La Biolle où elle va se terminer. D’abord une auto d’Aix-les-Bains prend en chasse la voiture en fuite qu’elle tente vainement d’arrêter en la dépassant. Arrivent ensuite les gendarmes qui rejoignent le fuyard vers le sommet de la côte de La Biolle. Arrivés à sa hauteur et ne pouvant le stopper ils le dépassent et se mettent en travers de la route. Mais « le chauffeur ayant complètement perdu la tête et voulant essayer de passer quand même » finit par jeter sa voiture contre celle des gendarmes. Enfin arrêté, le chauffard est conduit au Parquet de Chambéry pour être placé sous mandat de dépôt et écroué. On apprend, la semaine suivante qu’il « a été condamné à un mois de prison sans sursis pour délit de fuite et blessure par imprudence et 5 francs d’amende pour infraction à l’arrêté municipal réglementant la vitesse ».

L'entrée de Saint-Félix (collection privée)
L’entrée de Saint-Félix (collection privée)

La vitesse excessive des véhicules est souvent mise en cause par les riverains qui sont parfois les victimes d’accidents mortels. Traverser la route à Saint-Félix, La Biolle, Albens se révèle très dangereux, d’autant plus lorsque l’on est enfant. C’est le cas au chef-lieu de La Biolle, en 1924, du jeune René, âgé de cinq ans « qui traversait la chaussée pour regagner le domicile de ses parents » et a été mortellement renversé par une auto. On explique alors le drame par « l’inexpérience de la victime à se garer au passage des autos », la famille n’habitant en bordure de la route que depuis huit jours.
Drames, accidents corporels, les plaintes ne cessent de s’accumuler au long des articles de presse. « C’est la troisième voiture qui, en peu de temps, vient s’écraser contre le même côté, toujours par excès de vitesse » à Albens en 1924. Quant à Alby-sur-Chéran, on espère que « l’accident arrivé à une bonne vieille de 84 ans, ces jours derniers, fera probablement quelque chose pour le Haute-Savoie ».
Désormais des réglementations seront prises : « La vitesse maximum de 12 kilomètres est prescrite à tout véhicule automobile dans la traversée de l’agglomération communale ».
Qui a dit que l’Histoire pouvait faire office de rétroviseur.

Jean-Louis Hébrard

La réquisition des chevaux

Dans la France rurale d’avant 1914-1918, le cheval est alors un animal indispensable, propre à toutes sortes de travaux.
D’après la « Statistique des animaux en Savoie » le nombre de chevaux ne cesse de progresser entre 1860 et 1913 passant d’environ 2000 à plus de 3500 à la veille du conflit.
Voyez cette carte postale présentant les établissements Picon à Saint-Félix. Le photographe a placé au centre de son cliché une belle automobile mais a fixé par ailleurs la domination de la traction hippomobile. Parmi les nombreux employés de l’usine on remarque la présence de cinq charrettes et de six chevaux que l’on emploie entre autre pour le transport de la production vers la gare d’Albens. Une charrette lourdement chargée va sans doute acheminer jusqu’au chemin de fer une partie des 1500 fromages que l’entreprise expédie chaque année à destination des grandes villes.

CartePostalePicon
Carte postale de la fromagerie Picon, Saint-Félix

L’importance du cheval pour la société de l’époque est aussi mise en évidence par les lectures que les maîtres d’école proposent à leurs élèves. Les enfants du cours moyen sont invités dans une d’elles à « traiter le cheval avec bonté » au regard des nombreux services qu’il rend à tous. À la campagne, lit-on, où « le cultivateur l’associe à ses opérations culturales », en ville où on « l’utilise pour traîner les pesants fardiers, les lourds omnibus » et à l’armée qui l’emploie pour « rouler les pièces d’artillerie ». Cette dernière a en effet d’énormes besoins d’autant plus importants quand on sait qu’une batterie d’artillerie nécessite 225 chevaux et que la cavalerie compte alors 89 régiments. C’est pourquoi la réquisition des chevaux avait été prévue de longue date. La loi de juillet 1877 qui l’organisait avait permis la mise en place des dispositifs nécessaires pour que l’armée puisse se mettre rapidement en ordre de bataille. Tous les propriétaires de chevaux, juments, mulets et mules devaient en faire déclaration en mairie. Une commission se déplaçant chaque année dans la moitié des communes de Savoie permettait de connaître les effectifs équestres à mobiliser.
C’est ce qui va se passer en août 1914 ; l’usine Picon et les autres entreprises vont désormais avoir plus de mal pour acheminer leurs productions, les nombreux cultivateurs devoir se passer de leur « compagnon de labours ».
Madame Clochet enregistrée par Kronos en 1990 se souvenait bien de la pénibilité des travaux à la ferme, leur « unique cheval » ayant été réquisitionné par l’armée dès le mois d’août 1914.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement dans l’Hebdo des Savoie