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Le dessèchement des marais d’Albens : engins et gros travaux

Lorsque le chantier de chômage a terminé son travail en 1942, ce sont deux grosses entreprises qui prennent la relève. Josette Reynaud, dans son article de la RGA précise : « Depuis cette époque le chômage a disparu, et l’œuvre a été continuée par la société SETAL avec deux pelles mécaniques ». Pourquoi cette géographe parle-t-elle de disparition du chômage en 1943 ? C’est sans doute à cause des changements politiques et militaires qui affectent alors la France. En effet, dès novembre 1942, la zone sud est occupée par les Allemands qui permettent à leurs alliés italiens d’étendre leur contrôle sur la partie alpine de Nantua à Avignon et Menton. Puis, en février 1943, c’est le STO (Service du Travail Obligatoire) qui ponctionne la main d’œuvre française au profit du Reich. Plus question d’employer les chômeurs pour les grands travaux de la zone sud. Le temps des entreprises et de leurs moyens mécaniques sonne alors.

Une pelle mécanique de l'entreprise SETAL (archive privée)
Une pelle mécanique de l’entreprise SETAL (archive privée)

Ce sont d’abord les pelles mécaniques de la société SETAL d’Agde qui entrent en action. Elles réalisent la régularisation et le creusement de la Deisse. Le cours d’eau va être calibré, son lit redressé (fini les obstacles et les méandres). Les berges sont relevées, leur sommet compacté pour supporter un chemin de circulation et faire fonction de digue.

Un ouvrier de l'entreprise SETAL pose devant la pelle mécanique (archive privée)
Un ouvrier de l’entreprise SETAL pose devant la pelle mécanique (archive privée)

On possède des clichés montrant les engins de la SETAL. Ce sont des pelles électriques qu’emploie l’entreprise. On distingue bien à l’arrière de la machine une sorte de pylône et de potence supportant sans doute le câble d’alimentation. Le godet de la machine et son bras sont dimensionnés pour pouvoir creuser en profondeur et remuer un gros cubage de terre et d’alluvions depuis la berge. Ces clichés pourraient avoir été réalisés durant l’hiver 1942/1943 au bord de la Deisse. Dans un couvert forestier qui n’a pas encore retrouvé son feuillage, un travailleur chaudement vêtu s’assure de la conformité du travail en vérifiant que la pente de la rivière suive bien la déclivité voulue (1 mm par mètre).
L’entreprise Léon Grosse d’Aix-les-Bains entreprend dans le même temps la réalisation d’ouvrages en béton.

Publicité des années 40 (archive privée)
Publicité des années 40 (archive privée)

On retrouve aux Archives départementales de la Savoie les plans des ouvrages qu’elle a conçus : d’une part les bassins de décantation, d’autre part les ponts. Tous ces ouvrages sont aujourd’hui visibles entre Albens et Braille. Leur structure en béton, leur taille rendent facile leur repérage. Parmi les trois bassins de décantation, celui d’Albens, installé à côté du terrain de foot est le plus grand. D’un volume de 150 m3 environ, placé au droit de la rupture de pente, il a pour fonction de retenir les matériaux arrachés par l’Albenche dans son cours supérieur. C’est en période de crue que l’on peut aujourd’hui se rendre compte de la fonctionnalité de l’ouvrage.

Le bassin d'Albens (cliché de l'auteur)
Le bassin d’Albens (cliché de l’auteur)

Deux autres bassins, plus petits, sont visibles, l’un sur le ruisseau de Gorsy entre Albens et Saint-Girod, l’autre sur le ruisseau de Pégis à Braille. Par leur action, ils contribuent à briser la force du courant quand les torrents sont en crue et à diminuer la charge alluviale arrivant dans la Deisse.
L’entreprise construit aussi une dizaine de ponts sur la rivière et ses affluents entre l’étang de Crosagny et le pont d’Orly en aval. Ces ponts participent alors à l’élaboration d’un réseau routier agricole, contribuant à la mise en culture des terres asséchées.

En direction de Crosagny (cliché de l’auteur)
En direction de Crosagny (cliché de l’auteur)

De nombreux essais ont été tentés dès 1942. Josette Reynaud en dresse l’inventaire dans son article : « Un premier essai de culture a été tenté par la SNCF qui proposa aux cultivateurs la cession gratuite des terrains pour quelque temps en échange de la mise en culture ; elle prend en charge le défonçage ; le feutrage végétal nécessite des labours de 60 cm de profondeur pour arriver aux bons terrains d’argile et calcaire ; en échange elle recueille les produits pendant trois ans. En 1943 la SNCF a occupé ainsi 30 hectares, et pour l’année suivante elle se propose d’en utiliser une centaine plantée en pommes de terre et cultures maraîchères pour le ravitaillement des employés. Déjà en 1942 le chantier rural avait tenté cette expérience sur 5 hectares, et si la première récolte avait été plutôt déficitaire, il n’en pas été de même de la seconde, surtout si l’on prend la précaution d’apporter de la chaux ».
À la Libération, il restait à réaliser le remembrement et la construction des chemins. Une fois ces travaux achevés, dans les années 1950, pas moins de 600 hectares seront rendus à la culture sur le bassin de la Deisse. Ainsi, les immenses marais qui rendaient autrefois le climat albanais malsain avec « ses brouillards si nuisibles aux cultures délicates, arbres fruitiers, vigne et même blé » ne seront plus qu’un mauvais souvenir.
Il faudra attendre la sortie du XXème siècle et la montée des préoccupations environnementales, pour que le regard porté sur les zones humides, devenues réserves de biodiversité, devienne positif.

Jean-Louis Hebrard

L’énorme chantier du dessèchement des marais d’Albens

Lorsqu’aujourd’hui promeneurs et sportifs empruntent à la sortie d’Albens le parcours de santé et les chemins de la forêt domaniale de la Deisse, ils sont loin de savoir que ces aménagements ont été rendus possibles grâce aux travaux entrepris conjointement dès 1941 par l’État Français et un syndical intercommunal nouvellement créé.
Une construction conserve le souvenir de cette période : la « maison forestière » implantée au bord de la D1201 à la sortie d’Albens en direction de Saint-Félix. Rien n’attire particulièrement l’attention, si ce n’est qu’elle est isolée, à la bordure de la forêt des « Grandes Reisses ». La construction s’inspire du style des chalets de montagne avec son toit large et débordant, ses poutres travaillées et son balcon entouré d’une rambarde imposante. C’est de là que furent lancés en 1941 les grands travaux de dessèchement des marais d’Albens.

La « maison forestière » aujourd'hui
La « maison forestière » aujourd’hui

Dans une étude parue dans la Revue de Géographie Alpine en 1944 (consultable en ligne sur le site Persée), la géographe Josette Reynaud explique : « Il a fallu la guerre de 1940 et ses conséquences pour qu’on se tournât vers l’exécution de grands travaux[…] ils ont été entrepris en 1941 avec le chantier de chômage qui comprit jusqu’à 200 personnes ; c’est ce chantier qui a creusé la dérivation de l’Albenche et effectué le travail dans la zone au nord de Braille ».
Ces travaux sont à replacer dans le contexte interventionniste de la France de Vichy et de l’État Français qui lance alors plus de cent chantiers ruraux dans la Zone sud dont ceux des marais du bas Chablais, des digues de l’Arc et de l’Albanais. Un état qui légifère et par la loi du 16 février 1941 permet l’exécution des travaux en autorisant les communes à se substituer aux propriétaires pour l’assèchement des marais. Un syndicat intercommunal est créé regroupant six communes : Bloye, Rumilly, Saint-Félix, Albens, Saint-Girod et Mognard. L’État financera à hauteur de 60%, les 40% restants étant avancés par les communes.

Le périmètre du syndicat intercommunal (archive privée)
Le périmètre du syndicat intercommunal (archive privée)

À la fin du mois de février 1941, un article du Journal du Commerce avertit les propriétaires des marais qu’ils devront rapidement prendre les dispositions suivantes : « Les travaux d’assainissement des marais de la région d’Albens vont commencer incessamment, un plan sera affiché à la Mairie donnant toutes indications utiles. Les propriétaires dont les arbres seront abattus devront les débiter et les enlever du chantier dans les quinze jours suivant l’abatage, faute de quoi l’arbre deviendra la propriété du Syndicat intercommunal qui en disposera ». Les lecteurs sont en outre informés de l’ouverture en mairie d’un « Bureau du chantier » auprès duquel ils peuvent s’adresser pour « tous renseignements complémentaires ». Les différents propriétaires ne firent pas de difficultés, à l’exception, nous indique Josette Reynaud « de quelques habitants de Brison-Saint-Innocent qui possédaient des terres seulement pour en tirer de la blache ».
Le chantier d’Albens n’est pas le seul à s’ouvrir, en effet l’État français voit dans la politique de grands travaux le moyen de résorber le chômage. C’est ainsi que dès 1941, une centaine de chantier ruraux sont ouverts dans la Zone sud par le « Commissariat à la lutte contre le chômage ».

Cérémonie au drapeau (archive privée)
Cérémonie au drapeau (archive privée)

L’ouverture du chantier d’Albens s’effectue au mois d’avril 1941. Elle donne lieu à une très officielle cérémonie de présentation dont le Journal du Commerce donne le compte-rendu suivant : « Lundi matin a eu lieu au Chantier de l’assainissement des marais en présence de nombreuses personnalités la première cérémonie de la présentation du Chantier au pavillon national. M. Arlin, ingénieur, directeur du Chantier qui présidait la cérémonie expliqua le but de cette réunion. Puis le drapeau national fut hissé par M. Bouvier, croix de guerre 39-40. Un vin d’honneur offert par le Syndicat réunit ensuite les invités et le personnel du Chantier ».

Les ouvriers au travail dans le marais d'Albens (cliché P. Buffet)
Les ouvriers au travail dans le marais d’Albens (cliché P. Buffet)

M. Arlin qui dirige le chantier est un ingénieur sorti de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures. Il coordonne le travail des 200 travailleurs non qualifiés dont 175 manœuvres venus de toute la zone sud qui vont être employés au creusement de la Deisse, au recoupement de ses méandres, à la rectification générale de son cours. Ils vont aussi travailler dans le marais, divisé en une dizaine de zones dans lesquelles des collecteurs et des fossés vont être creusés transversalement à la pente. Sur une photographie on peut voir une de ces équipes travaillant avec des pelles et des scies pour couper la blache. Le directeur peut aussi compter sur l’appui de vingt-cinq spécialistes, de cinq chefs d’équipe auxquels se rajoutent cinq personnes pour la direction et le secrétariat.
Si la mise en activité de ce chantier donne lieu à quelques plaintes dont certaines pour vol, elle offre aussi de nombreuses opportunités comme la possibilité d’employer un ouvrier pour les travaux de l’agriculture. Le Journal du Commerce dans son édition du 27 avril détaille les conditions auxquelles une telle embauche est possible (durée de la journée de travail, prime de travail, rémunération des heures supplémentaires). Il est précisé que « l’ouvrier demandé sera détaché du chantier qui continuera à le conserver sur ses contrôles et à assurer les charges diverses[…] Les demandes écrites seront adressées au bureau du chantier rural à la Mairie d’Albens ou aux Mairies ».
Comment devait être logée cette masse de travailleurs ? Seules pour l’instant quelques lignes trouvées dans un article du Journal du Commerce permettent de s’en faire une idée. On y parle d’une « cité rurale » avec un « foyer » pour les travailleurs. Ces derniers peuvent se rassembler sur une place avec un mât pour la cérémonie des couleurs. Peut-être existe-t-il dans des archives familiales des documents sur cette cité rurale ? Dans ce cas leurs propriétaires, s’ils le souhaitent, peuvent nous contacter sur le site de Kronos. On ignore également tout de sa localisation.
Le 1er mai 1941, le chantier rural organise une importante cérémonie à l’occasion de la Fête du Travail au sujet de laquelle le Journal du Commerce consacre la semaine suivante un brève mais très informative description.
Ce texte permet en effet de se faire une idée du rôle que joue alors l’une des quatre fêtes majeures du pétainisme. Création du régime, elle s’intitule « Fête du Travail et de la Concorde nationale ». Avec le 14 juillet devenu « La cérémonie en l’honneur des Français morts pour la Patrie », le 11 novembre nommé « Cérémonie en l’honneur des morts de 14-18 et 1939-40 » et la fête des mères devenue « Journée des mères de familles françaises », la « Fête du Travail » contribue à la célébration tout au long de l’année du « Travail, Famille, Patrie », trilogie de l’État français.

À propos de la cérémonie organisée par le Chantier rural d’Albens le 1er mai, le correspondant du Journal du Commerce écrit « À 17h, le pavillon était hissé devant le personnel de Direction et les ouvriers formés en carré qui écoutèrent ensuite dans le foyer de la cité rurale à 17h30 le discours radiodiffusé du Maréchal Pétain. Après une vibrante Marseillaise la direction du chantier offrit au personnel un vin d’honneur ». On perçoit bien la manière dont cette fête contribue fortement au culte du « Maréchal » en ne négligeant aucun moyen de propagande (présence de la presse, écoute du discours de Pétain à la TSF, affiches, portrait du Maréchal).

Affiche de 1941 pour le 1er mai.
Cette fête est aussi le reflet de l’idéologie paternaliste et autoritaire du pétainisme comme le laisse transparaître la fin de l’article : « Généreusement, les ouvriers décidèrent d’offrir à M. le Commissaire à la lutte contre le chômage, pour être remis à l’œuvre de secours aux prisonniers de guerre, une partie de leur salaire de cette journée qui fut caractérisée par l’esprit de concorde, de camaraderie et d’entraide qui règne sur le chantier ». Dans la « cité rurale », on est loin désormais des années « Front populaire ». Vichy a réussi à faire du 1er Mai une fête maréchaliste. Le chantier rural va fonctionner jusqu’en 1942, date à laquelle de grandes entreprises prendront la relève pour exécuter de gros travaux. Ces années feront l’objet d’un prochain article.

Jean-Louis Hebrard

Journées Européennes du Patrimoine 2018

Comme l’an dernier, à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine les 15-16 septembre 2018, Kronos vous propose une visite gratuite et commentée à partir de 14h30 (env. 2h).

Découverte des marais, de la peupleraie et du site de l’ancienne tuilerie Poncini

Le départ se fera de l’Espace Patrimoine, à Albens.
N’hésitez pas à nous contacter à l’adresse contact@kronos-albanais.org pour vous inscrire ou pour plus de renseignements !

Carte postale des tuileries Poncini