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La fête des conscrits – classe 1917

Avec la création de la conscription est apparue un peu partout en France une tradition durant laquelle les jeunes gens de chaque commune se réunissaient et faisaient la fête avant de partir à l’armée.
Les conscrits entamaient d’abord un tour de ville au cours duquel une halte s’imposait dans chaque café rencontré. Un repas copieux et bien arrosé les réunissait au milieu de la journée ; il se prolongeait tard dans l’après-midi avant que ne soit réalisée la traditionnelle photographie.
Dans la cour du café où ils sont réunis nous les voyons groupés autour du drapeau tricolore. Seule une partie de celui-ci est visible mais on lit bien la fin des inscriptions qu’ils ont fait broder : « vingt ans – 1917 – Albens ». Pas de doute, tous sont nés en 1897 ; les archives en ligne permettent aujourd’hui de retrouver les noms de ceux qui naquirent cette année là et dont un certain nombre devrait se retrouver ici photographiés.

ConscritsAlbens1917
Photo des conscrits d’Albens en 1917

Le photographe a disposé ces vingt jeunes hommes de telle façon que tous soient identifiables. Le cliché sera tiré en carte postale pour être envoyé à la famille et aux amis. On lit au dos de celui-ci : « Chère cousine, je t’envoie la photo de ma classe afin de ne pas perdre de vue les différentes figures des garçons d’Albens ». On aimerait connaître l’auteur de ce cliché. Tout au plus trouve-t-on imprimé au verso de la carte cette indication : « R. Guillemot, Boespflug et Cie, Paris ». Appel est lancé à tous ceux qui pourraient fournir des informations.
Ces conscrits ont pris la précaution d’acheter durant les semaines précédentes toutes leurs décorations, rubans, cocardes, pancartes et chapeaux dont ils sont parés. Ils ont dû les trouver dans les magasins d’Albens (établissements Jacquet ou Montillet) à moins qu’ils n’aient fait affaire auprès d’un de ces nombreux colporteurs présents sur place le jour du conseil de révision. Ainsi décorés, ils s’affirment les successeurs des jeunes gens de la classe 1916 qui leurs ont remis le « crochon », symbole d’une sorte de « passation de pouvoir ».
Par ces cocardes, rubans et drapeau ils signifient leur engagement patriotique, celui d’une classe pour laquelle la Grande guerre n’est pas finie, nous situant au moment de la grande bataille de la Somme puis des offensives de 1918. Mais ils arborent aussi de nombreux « bon pour le service » qu’ils portent fièrement au revers du veston. Par ces pancartes ils affichent comme un brevet de masculinité à destination des jeunes filles de leur classe. Ne disait-on pas alors :  « bon pour le service, bon pour les filles » !
Ces dernières vont s’organiser durant les semaines qui suivront pour, à tour de rôle, les régaler tous d’un bon repas qu’elles auront préparé à leur intention.
Ainsi se soudent alors des relations de « classard-classarde » qui dureront toute une existence à condition qu’ils surmontent l’épreuve du feu qui les attend tous.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

Faire son service militaire

Passés devant le conseil de révision au printemps, les conscrits sont appelés à rejoindre leur affectation à l’automne de la même année.
Il y a quelque temps que la récolte de céréales a été rentrée, les pommes de terre stockées, on se prépare à broyer les pommes pour le cidre lorsque Jean-Claude D. quitte Saint-Ours le 9 octobre 1911 pour rejoindre le 30ème RI à Rumilly.
Sur l’autre versant du canton, Alexandre F. s’apprête à en faire de même. Déjà les forêts de Saint-Germain ont revêtu leur parure multicolore, le raisin a été récolté dans les vignes de Challières, Alexandre fait mentalement le chemin qui va le conduire demain 10 octobre de sa ferme jusqu’à la caserne Curial à Chambéry pour être incorporé au 97ème régiment d’infanterie.

Comme eux, la moitié des conscrits de 1910 sont affectés dans les garnisons des Alpes, de Thonon à Bourg-Saint-Maurice et Briançon. Ils serviront dans l’infanterie alpine, l’artillerie de montagne ou le génie. Rien de surprenant à cela, la frontière avec l’Italie doit être protégée car notre voisin immédiat est membre de la Triplice depuis 1882 date à laquelle il s’est rapproché des empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie.

CartePostaleChasseursAlpins
Carte postale illustrant un bataillon de chasseurs alpins

Formés durant deux ans, nos jeunes recrues participent aux manœuvres alpines qui se déroulent chaque été de la Tarentaise jusqu’au Briançonnais et au Queyras. « Toutes les batteries alpines – lit-on alors dans le Journal du Commerce – quitteront leurs garnisons début juillet. Dès leur arrivée dans leurs secteurs elles exécuteront des tirs réels de quatre jours, dans les hautes vallées ou montagnes, en présence de leur bataillon de chasseurs respectifs ».
Ceux qui ne sont pas envoyés défendre au plus près la frontière alpine se retrouvent dans les garnisons de Grenoble, Lyon et au camp de Sathonay.

CartePostaleSathonay
Carte postale du camp de Sathonay

Situé sur un vaste plateau au nord de Lyon, le camp de Sathonay est équipé pour accueillir 8000 hommes et 400 chevaux. Création du Second empire, au départ simple camp de toile, il s’est peu à peu transformé en une installation moderne avec baraquements en dur, approvisionnement en eau, poudrière, champ de tir, protection fortifiée et liaison ferroviaire avec le réseau national. Depuis 1901, les régiments de zouaves d’Afrique du nord envoient ici un bataillon, en particulier le 2ème zouaves d’Oran et le 3ème zouaves de Constantine. Ces régiments de Sathonay recrutent leurs effectifs dans tous les cantons de la métropole, c’est ainsi que trois conscrits d’Albens se retrouvent affectés au 3ème zouaves par le conseil de révision de 1911. Un beau matin du 11 octobre, partis de la gare d’Albens par le train de 4h46, ils se présentent donc aux portes du camp dans la matinée.
Jean-Claude G. d’Albens, François G. de Cessens et Georges Marcel G. de Mognard ne vont pas tarder à se familiariser avec l’uniforme si particulier qu’ils vont porter durant deux ans. Copié de la tenue des Kabiles d’Algérie, il se compose d’une chéchia comme couvre-chef, d’une veste courte et ajustée sans boutons, d’une large ceinture, de culottes bouffantes, de guêtres et de jambières. Dans toutes ces pièces vestimentaires c’est sans doute la ceinture de toile longue de trois mètres qui dû poser le plus de difficultés à nos jeunes recrues albanaises et les conduire à s’entraider pour pouvoir l’enrouler rapidement autour de sa taille.
Leur période d’instruction achevée ils partiront servir en Tunisie – alors protectorat français – de mai 1912 jusqu’au début de l’année 1913. On peut imaginer tout ce qu’ils eurent à raconter au retour dans leurs foyers respectifs le 8 novembre 1913.
Si l’un de vos ancêtres a lui aussi servi dans les troupes coloniales durant la Grande Guerre, vous pouvez nous en faire part en contactant l’association Kronos.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie