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Conférence : fête de la Terre à la Biolle

Le vendredi 24 février à 20h30, Kronos vous invite à une conférence nature et un film : « fête de la Terre à la Biolle », qui seront suivis d’un diaporama-débat sur les vieux métiers.

Cette soirée aura lieu à l’Espace Patrimoine, 177 rue du Mont-Blanc à Albens.

La salle sera ouverte dès 19h30 pour les personnes souhaitant en profiter pour visiter l’espace patrimoine.

L’entrée est libre et gratuite, sous réserve de place : les réservations sont conseillées par e-mail.

Venez nombreux !

La revue 37 est sortie !

Le numéro 37 vient de sortir, comme l’an dernier intégralement en couleurs. 

Au sommaire :

Vous pouvez la trouver aux points de vente suivants :

  • Maison de la presse à Albens (Entrelacs)
  • Maison de la presse à La Biolle
  • Maison de la presse à Saint-Félix
  • Boulangerie Challe à Bloye
  • Carrefour Market de Grésy-sur-Aix
  • Hyper U de Rumilly
  • Espace Leclerc de Drumettaz
  • Maison de la presse Avenue de Genève à Aix-les-bains
  • Maison de la presse du pont neuf à Rumilly

Bonne lecture !

Assemblée Générale de Kronos, Une plongée dans l’histoire séculaire de la Savoie

Ce vendredi 1er octobre, Kronos pouvait enfin tenir son assemblée générale en présentiel à la salle des fêtes l’Ébène de La Biolle. Tout avait été mis en place pour assurer la mise en œuvre des mesures sanitaires requises.
Peu après 20h, le président de Kronos, Fabien Millioz ouvrait l’assemblée générale par la présentation du bilan moral faisant ressortir l’activité de l’association auprès du large public de l’Albanais, esquissant les projets pour les années prochaines. Dans un programme fourni on a pu relever la reprise prochaine des conférences, les animations dans les écoles à la demande des enseignants, la mise en ligne de l’ouvrage « L’Albanais 1900 » introuvable aujourd’hui mais aussi la poursuite des publications avec la sortie du numéro 37 de la revue et la préparation d’une brochure consacrée au centenaire de la rosière d’Albens. Ce bilan comme le bilan financier ont été adoptés à l’unanimité des adhérents et la liste des membres du conseil d’administration reconduite. Le président donne ensuite la parole à Claire Cochet, maire déléguée d’Albens, qui après avoir excusé Jean-François Braissand maire d’Entrelacs empêché, se félicita du rôle joué par Kronos dans la connaissance du passé local et sa diffusion la plus large.

Dans la salle de l'Ébène, le public et Claude Mégevant lors des échanges. (cliché B.Fleuret)
Dans la salle de l’Ébène, le public et Claude Mégevant lors des échanges. (cliché B.Fleuret)

Pour cette reprise de contact, l’association était heureuse de pouvoir bénéficier de l’intervention de Claude Mégevant, co-fondateur de la Société d’Histoire de la Salévienne. Adhérents de Kronos et simples spectateurs (60 personnes environ) ont découvert avec bonheur le film « Le royaume partagé ou l’histoire des États de Savoie ». Racontée par Clotilde Courau, comédienne et princesse de Savoie, avec l’appui et les interventions de nombreux universitaires, cette histoire multi-séculaire aborde en 52 minutes les grands moments des États de Savoie, présente les figures princières et royales incontournables de cette épopée. Le film inscrit aussi la Savoie dans le concert culturel de son temps la dotant d’un patrimoine prestigieux à l’image des belles églises baroques de Maurienne et Tarentaise. Un débat a poursuivi la projection, nourri de toutes les questions et remarques qu’un public connaisseur et intéressé n’a pas hésité à poser à l’intervenant. Un grand moment d’échange qui est inscrit dans l’ADN de l’association par ses contacts avec les sociétés voisines (Amis du Vieux Rumilly, Association des gorges du Sierroz, Société d’Art et d’histoire d’Aix), par l’ouverture des colonnes de sa revue à de nouvelles signatures, par ses relations avec les écoles du secteur.
Les conversations se sont poursuivies autour d’un verre et d’une petite collation offerte à la fin.
Une belle Assemblée Générale qui laissera certainement un bon souvenir.

Assemblée Générale 2021

Kronos vous invite à son Assemblée Générale, qui aura lieu le vendredi 1er octobre 2021, à la salle des fêtes L’Ébène de la Biolle, à 20h.

En seconde partie de soirée sera projeté le film Le Royaume partagé ou l’histoire des États de Savoie, en compagnie de Claude Mégevand, co-fondateur et président de la société d’histoire la Salévienne.

Entrée libre sous réserve de passe sanitaire, preuve de vaccination ou test PCR négatif de moins de 72 heures.

Venez nombreux !

AG 2021

Quand les Albanais décidèrent de devenir Français

Octobre 1792 – Vendémiaire an I

Les documents communiqués ci-après sont les procès-verbaux des réunions qui se tinrent à Saint-Ours, Saint-Germain et La Biolle les 10 et 13 Octobre 1792(1).

Au même moment, dans toute la Savoie, des assemblées communales semblables se réuniront pour élire leurs députés à l’Assemblée des Allobroges.

Voyons donc ce qui se passe à Saint-Germain.

PV de réunion en 1792 à Saint-Germain
PV de réunion en 1792 à Saint-Germain

À Saint-Germain, ce samedi 13 octobre 1792, les hommes réunis dans l’église paroissiale ont choisi Antoine Monard pour les représenter (Jean Benoît Braissand et Germain Bernard sont les suppléants). Antoine est un laboureur, c’est-à-dire un propriétaire aisé et instruit (il signe en toutes lettres).

Il se rendra dans huit jours à Chambéry ; là, le dimanche 21 octobre à deux heures de l’après-midi il retrouvera les 660 autres députés et se prononcera pour l’adoption de la Savoie « pour partie intégrante de la République Française ».

Cinq cent soixante-huit communes tirent de même, aucune ne réclame le maintien de l’union au Piémont ; seules trois communes (Le Biot, Pesey, Ontex) envisagèrent une république indépendante allobrogique.

Qui eut l’initiative de réunir cette Assemblée ?

Les Français de Montesquieu, entrés en Savoie le 21 Septembre ? Les Jacobins chambériens regroupés par Doppet à la veille de l’arrivée des français dans un club des Amis de la Liberté et de l’Égalité ?

Il semble qu’à Saint-Germain ce club ait eu un rôle moteur, puisque la réunion est provoquée par le citoyen Devaux membre de la Société des Amis de la Liberté, séante à Chambéry.

L’enthousiasme est évident, la reconnaissance envers la Convention Nationale aussi (c’est elle qui a voulu laisser les habitants libres de décider de leur devenir).

Le curé de Saint-Germain, Pétel, partage la joie de ses paroissiens. C’est alors l’attitude d’une bonne partie du clergé de Savoie… Une semaine plus tard, Monseigneur Conseil et ses chanoines rendront visite à l’Assemblée des Allobroges et célèbreront un office pour elle.

L’unanimité semble régner alors.

Examinons la situation à La Biolle, le même jour, 13 octobre 1792.

PV de réunion en 1792 à La Biolle
PV de réunion en 1792 à La Biolle.

Ici aussi le rôle du citoyen Devaux, commissaire suppléant, et de la Société des Amis de la Liberté, est évident.
Il a certainement amené un modèle de procès-verbal car on retrouve la même construction et les mêmes formules qu’à Saint-Germain.
À noter également la présence du curé Riouttard.

Mais ce qui retient l’attention, c’est la profession des élus.

– un propriétaire aisé, Louis Marie Bouquin, désigné suppléant, mais qui ne signe pas.

– un homme de loi, Sieur Joseph Marie Dimier ; remarquez sa signature : elle dénote d’une grande maîtrise de l’écrit. Ne soyez pas surpris par une telle présence dans le village ; La Biolle est alors à la tête d’un mandement qui deviendra Canton quelques mois plus tard, lorsque la Savoie sera devenue département français.

Joseph Marie Dimier devait jouer le rôle de secrétaire de la Communauté, son influence semble manifeste, on le qualifie de Sieur.

Très souvent, écrit A. Palluel « les villageois choisirent les secrétaires de communautés qui avaient déjà le pouvoir local de fait, d’où une énorme majorité de petits robins assez frottés de pouvoir ».

Bref, c’est dans une assemblée de petits notables, d’avocats, hommes de loi, médecins, propriétaires que Joseph Marie Dimier se retrouvera, une semaine plus tard. Le petit peuple s’est toujours laissé impressionner par les notables, beaux parleurs ; il est des constantes… dans l’histoire !

Au demeurant, ces notables vont accomplir durant la brève existence de l’Assemblée (21-29 octobre 1792) un gros travail de liquidation du passé.
Toutes les lois françaises devinrent applicables en Savoie et les députés votèrent l’abolition de la royauté et le rattachement à la France.
Les biens de l’Église furent mis au service de la nation et ceux des émigrés furent confisqués.
On édicta également la suppression de la noblesse, de la dîme et des droits féodaux, en cours de rachat depuis 1771. La constitution civile du clergé entre en vigueur.

Mais revenons une dernière fois dans l’Albanais, le mercredi 10 octobre 1792, onze heures du matin à Saint-Ours.

PV de réunion en 1792 à Saint-Ours
PV de réunion en 1792 à Saint-Ours

La séance est un peu différente à Saint-Ours : le texte qui la relate, rédigé par Vulliet, secrétaire de la communauté, est plus court.

Le niveau d’instruction semble plus faible ; aucun des citoyens élus ne signe et le président, Joseph Rey (choisi comme étant le plus ancien) doit faire authentifier sa marque.
Claude François Rebresson a été choisi pour député, Pierre Forest et Jacques Mathieu pour « excusants ». On ne dit rien du mode d’élection, mais on sait par ailleurs qu’il était effectué par acclamation.
Ce sont ces citoyens qui, dix jours plus tard, à Chambéry, chargeront une délégation conduite par Doppet et Simond (prêtre né à Rumilly, ayant un rôle actif dans l’introduction des idées révolutionnaires en Savoie), de se rendre à Paris pour demander officiellement à la Convention la réunion à la France.

Réunion qui fut décidée le 27 novembre 1792, au milieu d’un enthousiasme extraordinaire ; vous en jugerez à partir de cet extrait d’un journal parisien, « Républicain ».

« Un second député des Allobroges témoigne de la joie que la réunion de la Savoie à la France va répandre dans son pays.

Le président : Vous venez d’entendre les vives acclamations que cette réunion a excitées dans le temple de la loi. Une union universelle, voilà la gloire de cette heureuse journée. Déjà la nature avait décrété la réunion de la France et de la Savoie. L’Assemblée vient de la décréter comme la nature ; et le seul trône qui existera encore entr’elle, sera celui de la liberté, qui, placé sur le Mont-Blanc, dominera sur la France, la Savoie, et tous les peuples libres de l’Univers. »

Journal « Républicain »
Paris, novembre 1792

En fait, Doppet et Simond ne reçurent pas à Paris un accueil unanimement chaleureux.
Arrivés à Paris le 2 novembre, les députés Allobroges ne furent admis à la Convention que le 11. Il leur avait fallu entre temps persuader les sceptiques et les prudents de la Convention.
Un discours habile de l’Abbé Grégoire, Président de la Convention, fut nécessaire pour que la réunion soit décidée « provisoirement » le 27 novembre ; ce que, écrit A. Palluel « on se gardera bien de souligner aux Savoyards, préférant insister sur l’émotion et la joie des Conventionnels ».(2)

Désormais la Savoie sera associée aux destinées de la France pour plus de vingt-trois ans (1792-1815). Elle devenait le 84ème département de la République sous le nom de département du Mont-Blanc.
En décembre 1792, la Convention envoie quatre commissaires, dont Simond et Hérault de Séchelles, pour organiser la Savoie.

Carte du département du Mont-Blanc en 1793
Carte du département du Mont-Blanc en 1793.

Chambéry devient chef-lieu de département ; ce dernier est divisé en sept districts qui reproduisent à peu près les anciennes provinces.

Ce sont ceux de Thonon (ancien Chablais), Carouge, Cluses (ancien Faucigny), Annecy (ancien Genevois), Chambéry (ancienne Savoie Propre), Moûtiers (ancienne Tarentaise) et Saint-Jean-de-Maurienne (ancienne Maurienne). Le département gardera cette forme jusqu’en 1798, date de la création du département du Léman.

Passées l’euphorie et la relative tranquillité de l’hiver 1792-1793, la Savoie allait se retrouver plongée dans la tourmente révolutionnaire, la guerre avec les monarchies, la terreur, les soulèvements internes ; mais toujours la signification profonde du rattachement à la France resta dans les esprits.

Le procès-verbal de la fête civique qui se déroula à Chambéry en novembre 1793 en témoigne (texte original page suivante).

Tout en conservant ses caractères propres, le peuple savoyard manifeste son inclination pour la France républicaine : « nos rivières même nous indiquaient le cours de nos penchants vers elle »…
Voilà qui annonce l’état d’esprit qui sera celui des savoyards en 1860 :

« Foi dans le progrès qui, pour s’épanouir, requiert la liberté. »

Jean-Louis Hebrard
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989

Bibliographie sommaire

  • La Savoie de 1792 à 1815 : documents publiés par la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie.
  • Paul Guichonnet – Histoire de Savoie 1960 – Gardet Editeur
    Histoire de la Savoie – Vol. III et IV Ed. Ouest France.

 

1) Archives Départementale de Savoie – Série L 304. Pour Albens, le compte-rendu est introuvable. Il existe pour Saint-Offenge, Grésy-sur-Aix, Rumilly.
2) La Savoie de la Révolution a nos jours. XIXème – XXème siècle Bd. Ouest France

Procès-verbal de la fête civique à Chambéry
Procès-verbal de la fête civique à Chambéry

S’occuper des enfants – 1940/1945

Dès l’automne 1940, les jeunes enfants sont classés par l’administration de Vichy en catégories qui permettent de « gérer » la pénurie alimentaire. Ainsi apparaissent les J1 (3/6ans) suivis des J2 (6/12 ans) auxquels on octroie des « rations adaptées ». À cette pénurie s’ajoutent toutes les peurs qu’engendrent les violences de la guerre. Cette population enfantine n’a pu traverser les épreuves de ces années noires sans l’attention et les soins apportés par les adultes. Des entretiens et des témoignages recueillis dans la région vont « éclairer » ce sujet.

Groupe d'enfants (dessin de 1942)
Groupe d’enfants (dessin de 1942)

Alors enfants ou jeunes filles, ces témoins sont unanimes à dire « nous sentions bien que nos parents n’étaient pas rassurés », mais rajoutent-elles, « tout cela était diffus ». Dans un ouvrage publié par les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Chambéry, l’une d’elle raconte : « l’ambiance générale incitait à une grande discrétion et, en tous cas, ce n’était pas des problèmes d’enfants ». Dans l’Albanais, le témoignage d’Henriette nous révèle que l’on pouvait rendre joyeux les jeunes enfants des années 40. Cette jaciste très active avait alors pris en charge une douzaine de « pré-jacistes » âgées de dix à douze ans qu’elle réunissait le dimanche après-midi dans une salle proche du Foyer albanais pour chanter ou organiser des jeux. « Les filles s’amusaient tellement », dit-elle, « qu’une amie venant nous rejoindre fut surprise par les rires et les exclamations qui s’entendaient depuis la place de l’église ».

Carnet de chansons JACF (collection privée)
Carnet de chansons JACF (collection privée)

Quand nous manquions d’idées, on pouvait toujours avoir recours aux carnets édités par la JACF comme ces « Chansons mimées » ou encore « Cent jeux pour veillées ». Des jeux simples et sans prétention tel celui qui demandait un peu d’adresse et de concentration pour arriver à transvaser un liquide dans le noir. On se divertissait en mimant des chants bien connus comme « Au jardin de mon père » ou « La laine des moutons ». Quand le temps le permettait, nous faisions de belles marches sur la route de Rumilly. À l’époque, ce n’était pas le trafic automobile qui pouvait nous déranger. Tout au plus rencontrions-nous deux ou trois voitures et quelques vélos. Réunions, jeux et promenades sont alors autant de d’occasions de rompre avec le « vide » des dimanches après-midi.
Souvent, à partir du milieu de la guerre, des enfants venus des villes voisines ou plus éloignées se retrouvaient hébergés par les familles du canton. Au Mazet, dans la ferme de mes parents, rapporte Henriette, on a reçu des enfants d’Aix-les-Bains, de Saint-Étienne et toute une famille venue de Modane après le bombardement de la ville en 1943. Elle se souvient particulièrement de « Violette qui lisait tout le temps et de son frère Claude qui était toujours dans l’atelier de mon père ». Enfants de réfugiés d’Alsace venus s’installer à Aix-les-Bains, ils souffraient du manque de nourriture.

On exploitait le charbon à Saint-Étienne (collection privée)
On exploitait le charbon à Saint-Étienne (collection privée)

« On a eu aussi des enfants des mineurs de Saint-Etienne » qui ont été hébergés par les familles de la commune. « Le petit Joseph qui est venu chez nous était bien pâlichon », mais bien vite « il a pris des couleurs ». La campagne, malgré les difficultés est alors bien plus nourricière que la ville.
Une ancienne élève du Lycée de jeunes filles de Chambéry se souvient d’un été à la campagne, loin de la ville : « Les possibilités de nourrir les enfants… étaient bien plus faciles à la campagne avec du lait, du fromage de ferme, des œufs, un jardin, les fruits du verger. J’allais regarder la traite des vaches à l’étable de la ferme voisine… Le ramassage des œufs pondus dans des petits paniers de bois garnis de paille me passionnait ; les poules nous jetaient des coups d’œil indignés… ».

Les enfants à la campagne, dessin 1942 (collection privée)
Les enfants à la campagne, dessin 1942 (collection privée)

Il n’y a pas eu que les enfants venus se refaire une santé pendant les mois d’été, raconte Henriette. Lorsque la Savoie a été bombardée, les communes du canton ont été sollicitées pour accueillir des enfants et leur famille. Après le bombardement de Modane se souvient-elle encore, « nous avons hébergé toute une famille, le père, la mère et leurs trois enfants. On les a logés dans l’atelier de mon père. On s’est organisé pour les faire dormir au chaud, bien enveloppés dans des couvertures et on les faisait manger ».

Journal du 12 novembre (archives en ligne).
Journal du 12 novembre (archives en ligne).

En 1944, dans le bulletin paroissial de La Biolle, une demande est adressée aux familles pour les mêmes raisons, écrit Henri Billiez dans le numéro 32 de la revue Kronos. « En mai 1944, il est fait appel aux foyers de La Biolle qui accepteraient d’accueillir des enfants, pour les mettre à l’abri des bombardements qui ravagent nos centres industriels et ferroviaires et nos ports. Un même appel avait été lancé quelques mois auparavant ». C’est que la guerre aérienne touche durement la Savoie depuis un an déjà : Modane est frappée deux fois, le 17 septembre puis le 10 novembre 1943, le 10 mai 1944 c’est Annecy et ses industries qui sont visées et enfin le 26 mai 1944 c’est Chambéry et ses installations ferroviaires sur lesquelles pleuvent les bombes américaines.

Accueil des réfugiés. Albens ? (archive privée)

« Nous savons aujourd’hui »i, écrit encore Henri Billiez, « que des enfants ont été souvent accueillis à La Biolle durant la guerre, comme dans d’autres communes ». L’Albanais très rural reste à l’écart de la guerre aérienne, il est en retour une zone d’accueil pour les sinistrés. Il a dû exister des centres d’hébergement que les communes ont mis en place dans l’urgence. Une photographie trouvée sur un site de vente en ligne porte au dos la petite note suivante « réfugiés 39/45 – Albens ? ». Il est difficile de localiser cette grande salle où l’on a installé de nombreux petits lits et organisé au centre une sorte de salle à manger. Mais quelque soit l’endroit et le moment, une chose est certaine, aider les enfants a été et reste toujours un impératif fort.

Jean-Louis Hebrard

Brèves agricoles de l’entre-deux-guerres

Les colonnes du Journal du Commerce et de l’Agriculture de Rumilly regorgent dans ces années-là d’une multitude d’informations brièvement annoncées permettant au lecteur d’aujourd’hui de retrouver les échos d’une vie agricole pleine de surprises.
Durant vingt ans, au fil des pages, ont été publiés le cours d’une paire de bœufs dans les foires villageoises mais aussi une présentation de l’engrais « Magic Tabac » comme celle de la race de poule « Faverolles » primée au concours agricole d’Albens. Partons à la découverte de quelques unes de ces « petites fenêtres » ouvertes sur la vie rurale d’alors.
La fréquentation des foires aux bestiaux, les échanges qui s’y effectuent, les cours qui s’y pratiquent sont rapportés mensuellement : « Favorisée par le temps, la foire de février qui s’est tenue vendredi avait attiré une très grosse affluence de visiteurs. Le bétail particulièrement nombreux emplissait le vaste champ de foire, et nous avons noté un chiffre de paires de bœufs rarement égalé. Les cours sont demeurés stationnaires et les transactions ont été assez actives, » peut-on lire en 1937 au sujet de cette foire à Albens.
Une information similaire est donnée pour la foire de mars de La Biolle où l’on note aussi parmi le bétail « un grand nombre de paires de bœufs » mais aussi de vaches.

Attelage dans les années 30 (collection famille Picon et Kronos)
Attelage dans les années 30 (collection famille Picon et Kronos)

La foire demeure alors un lieu d’échanges très actif comme on le constate pour celle qui se tient en février 1924 à Albens et qui « avait rassemblé un lot imposant de beau bétail ; les forains étaient nombreux et ont fait des affaires. Par contre, les agriculteurs demandent le fort prix pour le bétail ; les marchands sont tenaces et la foire a duré jusque dans l’après midi ; douze wagons de bestiaux ont été expédiés sur les centres : Lyon et Paris ».
D’après l’étude de Josette Reynaud « L’Albanais (Savoie) – étude économique » parue en 1944 dans la Revue de Géographie Alpine, on comprend le pourquoi de cette domination des bovins dans l’élevage local. La préoccupation principale écrit-elle « est le lait, les vaches laitières forment les 76% du troupeau de gros bétail ; à côté les bœufs au nombre de 442 n’en représentent que les 6% ». Puis elle précise à propos de la vache qu’elle « est devenue l’un des pivots de l’agriculture albanaise ; c’est désormais elle qui est le gagne-pain le plus assuré du cultivateur, qui fournit le rendement le plus stable ».
Les vaches, très souvent de race tarine, sont particulièrement prisées comme en 1928 où durant la foire d’Albens, « le prix des vaches laitières a marqué une légère hausse ». C’est un fait divers qui nous permet d’avoir une indication plus chiffrée. En 1924, le Journal du Commerce rapporte le vol qui a eu lieu dans une ferme à Saint-Ours : « Mme Jeanne C, ménagère, âgée de 55 ans, qui avait quitté son domicile vers 13h30, constate, à son retour, vers 18 heures, que les couvertures et le matelas de son lit avaient été déplacés. Elle s’empressa de retirer de dessous l’oreiller une somme de 1760 francs qu’elle y avait placée. De cette somme, qui provenait de la vente d’une vache, il ne restait que 760 francs ; les 1000 francs de billets en liasse avaient disparu… La gendarmerie enquête ». Josette Reynaud dans son article nous apprend que « chaque vache donne environ 2000 litres de lait par an ». C’est cette production de lait, acheminée quotidiennement vers les nombreuses fruitières locales qui engendre quelques faits divers savoureux, soigneusement rapportés par la presse locale.

« Chaque soir à l'intersection de la route… » Cliché collection Kronos
« Chaque soir à l’intersection de la route… » Cliché collection Kronos

« Chaque soir à l’intersection de la route… » Cliché collection Kronos

En 1929, ce sont des cultivateurs bavards qui « encombrent » par leur présence le carrefour d’Albens : « nous tenons à signaler que chaque soir à l’intersection de la route de Rumilly, Saint-Félix et La Chambotte, les cultivateurs venant de livrer le lait tiennent des conciliabules obstruant complètement la route. Les autos sont obligées de s’arrêter pour attendre que les porteurs de brandes veuillent bien les laisser passer ». On découvre parfois des informations plus poignantes. Ainsi en 1928 pour cette fraude au mouillage du lait : « B.M, femme I, avait mis de l’eau dans le lait qu’elle vendait et ce à raison de 26%. Au tribunal, la prévenue invoque la misère. Elle reconnaît le délit mais déclare avoir mis de l’eau dans le lait pour subvenir aux besoins de son ménage. Elle est condamnée à 15 jours de prison avec sursis, à 100 francs d’amende ». C’est sans doute pour fuir une telle situation qu’à Saint-Offenge, la même année, que « la dame B.F, qui portait du lait à la fruitière de Saint-Offenge-Dessus, aperçut l’inspecteur des fraudes ; à ce moment elle fit un faux pas, tomba et tout son lait fut versé, sauf une petite partie qui, examinée, fut reconnue suspecte ». Sa chute ne fut pas vaine, « inculpée d’entrave à l’exercice des fonctions du contrôleur, mais prétendant pour sa défense que sa chute est purement accidentelle, le tribunal ne pouvant établir la chose d’une façon certaine, la fait bénéficier du doute ».
À partir de ces faits divers, on voit à quel point, comme l’explique Josette Reynaud, « le lait est devenu pour le paysan une ressource sûre, qui n’est pas sujette aux crises, et c’est pour cette raison et parce qu’il demande moins de main d’œuvre que les céréales et surtout le tabac » qu’il est alors « l’un des pivots de l’agriculture albanaise ».
Le tabac fait aussi l’objet de multiples brèves dans le Journal du Commerce. La plupart concernent les contrôles, le fonctionnement du syndicat des planteurs de tabac, la désignation d’experts ou les déclarations de tabac en mairie. Des dates sont fixées, les planteurs « sont prévenus qu’il ne sera pas reçu de déclarations tardives ».

Le char du Tabac en 1946, Fête de la Terre à Albens (archive Kronos)
Le char du Tabac en 1946, Fête de la Terre à Albens (archive Kronos)

C’est pour cette culture que l’on voit arriver « la chimie » dans les pratiques agricoles. Sous le titre « Syndicat des Planteurs de Tabac des cantons d’Albens et de Grésy-sur-Aix », un article de 1923 nous apprend que les « expériences faites l’an dernier par plusieurs planteurs à l’aide de l’engrais complet, « Magic Tabac », ont donné des résultats assez satisfaisants malgré la très grande sécheresse qui a considérablement gêné l’assimilation des corps entrant dans la composition de cet engrais ». On découvre aussi que « les délégués de la Fédération, après avoir entendu un exposé de la question fait par Madame Meyer, directrice de la maison « Magic », ont décidé qu’il y aurait lieu de recommander aux planteurs l’emploi de ce produit ». Le conditionnement en sacs de 20 ou 50kg n’est que faiblement majoré. Des offres de livraison en gare du domicile sont faites pour inciter à passer commande.
Si nous ne sommes pas encore dans le monde de « l’agro-industrie », nous voyons déjà apparaître la notion de nuisances et de salubrité publique sur laquelle insiste cette brève de 1924 : « Il est rappelé qu’aux termes d’un arrêté municipal, l’épandage du contenu des fosses d’aisances et des purins est interdit dans l’agglomération pendant les mois d’été de 5 heures à 22 heures, à moins de 100 mètres des habitations ».
Déjà, la notion de « troubles de voisinage » était à l’ordre du jour.

Jean-Louis Hebrard

Incendies dans l’entre-deux-guerres : mieux lutter contre le feu

« Samedi matin, vers 4 heures, un violent incendie a détruit près de l’église de Cessens un vaste bâtiment d’habitation et d’exploitation agricole » peut-on lire dans le Journal du Commerce en janvier 1934.
Ce type de d’information revient périodiquement car l’incendie, fléau de tout temps redouté, n’est en rien spécifique des années d’entre-deux-guerres. Toutefois, à partir de ces tragiques nouvelles, on relève des permanences mais on voit aussi se dessiner des évolutions touchant les moyens de lutte, les types de sinistre, la souscription d’assurances. En Savoie, des lettres-patentes signées en 1824 par le roi de Piémont-Sardaigne permettent la création de corps de sapeurs pompiers. Des compagnies se constituent dans les villages de l’Albanais. Les archives permettent parfois d’en dater l’apparition : 1876 pour La Biolle, 1899 pour Albens, vers la même époque pour Saint-Félix (voir l’article de G. Moine, Pompiers d’Albens, dans Kronos n°6).
Dans un environnement très rural, à l’habitat dispersé, les incendies touchent en priorité les fermes et les bâtiments agricoles dans lesquels on stocke tout ce qui est nécessaire à l’alimentation du bétail. C’est ce que l’on apprend en janvier 1934 à propos de l’incendie qui « a éclaté au hameau de Marline dans un corps de bâtiment comprenant : écurie, fenil, granges et hangar… le feu trouvant un aliment facile dans les foins et pailles, tout le bâtiment fut embrasé en peu de temps ».

Gravure illustrantGravure illustrant le combat contre le feu le combat contre le feu
Gravure illustrant le combat contre le feu

La même année à Dressy, c’est « un jeune enfant voulant s’amuser avec des allumettes qui mit imprudemment le feu au foin qui était proche ». Quelques mois plus tard, au hameau de Tarency, dans une ferme, le feu trouve « un aliment facile dans les récoltes engrangées ainsi que dans les nombreux instruments aratoires » et ravage en quelques instants le bâtiment long d’une trentaine de mètres. Dès que l’on s’aperçoit de l’incendie, aux premières flammes visibles, les voisins apportent leur aide en attendant l’arrivée des pompiers : « au même instant, des voisins ayant eux aussi aperçu des flammes accouraient sur les lieux. Un jeune homme du village… qui fut un des premiers sauveteurs accourus, organisait les secours, pendant qu’on s’empressait de prévenir les pompiers ».
L’approvisionnement en eau conditionne l’efficacité de la lutte contre l’incendie. À l’époque, il n’existe pas de réseau d’approvisionnement ni de borne à incendie. On se mobilise donc pour amener de l’eau : « des personnes de l’endroit (Dressy) allaient chercher de l’eau assez loin avec des seaux : des voitures sur lesquelles étaient posés de grands tonneaux allaient aussi chercher de l’eau ». Les seaux comptent parmi les premiers instruments de lutte. Les pompiers en amènent avec la pompe un grand nombre de ces seaux de toile. Pliants, solides, munis d’une poignée renforcée, ils peuvent contenir une bonne dizaine de litres comme on peut le constater sur ce cliché. On les passe de main en main dans d’impressionnantes chaînes humaines.

Seau des pompiers de Saint-Girod (cliché de l'auteur)
Seau des pompiers de Saint-Girod (cliché de l’auteur)

Quand on dispose d’un point d’eau abondant (source, rivière, étang), la lutte est plus efficace comme l’indique le Journal du Commerce à propos d’un incendie à Saint-Girod en 1934 : « l’alerte fut donnée et la pompe de la commune fut rapidement sur place. Peu après, arrivaient les pompiers d’Albens avec leur motopompe. Les pompes purent facilement s’alimenter grâce à la proximité d’un ruisseau et réussirent à circonscrire le sinistre en protégeant les maisons voisines ». Mais bien souvent, comme à Dressy, « l’eau étant insuffisante, au bout d’un instant, la motopompe ne put fonctionner ». La même difficulté se retrouve à Cessens en 1934 où « en raison de la violence du vent du nord et de l’absence d’eau, rien, à part le bétail, n’a pu être sauvé ».
Des progrès se font jour dans l’entre-deux-guerres avec la généralisation de la motopompe qui vient relayer la pompe à bras dont tous les villages sont équipés depuis la fin du XIXème siècle. L’Espace patrimoine d’Albens conserve un exemplaire d’une pompe à bras qui fut achetée après 1860 grâce aux subsides accordés par l’impératrice Eugénie au moment de son passage en Savoie.

Pompe à bras (cliché Kronos)
Pompe à bras (cliché Kronos)

C’est avec elles que les compagnies de pompiers de Saint-Girod, La Biolle, Saint-Félix, Alby, Marigny, Bloye entrèrent en action lors du grand incendie de juillet 1914 à Saint-Félix. Le Journal du Commerce rapporte comment « des chaînes furent organisées et les nombreuses pompes alimentées par l’eau d’un bief et par des bornes-fontaines ». Après la Grande guerre, les compagnies, quand elles le peuvent, s’équipent d’une motopompe.

Motopompe (cliché en ligne)
Motopompe (cliché en ligne)

Celle d’Albens dispose d’un modèle De Dion Bouton, remorquable avec des roues à bandage qui va lui permettre de monter en grande vitesse combattre l’incendie qui touche Dressy en 1934. Quand l’alimentation en eau ne fait pas défaut, son moteur à 4 cylindres permet une aspiration à 8m de 400m3/h. L’emploi réuni de tous ces moyens « modernes » ne permet pas toujours de venir à bout de « nouveaux » sinistres frappant des établissements industriels ou des entrepôts commerciaux. « Un violent incendie a anéanti », nous apprend un article du Journal du Commerce de 1937, « samedi après-midi un bâtiment en maçonnerie à usage d’entrepôt au village des Combes, sur le territoire de la commune de La Biolle, dans les sous-sols duquel étaient conservés près de cent mille douzaines d’œufs ». Avec l’incendie des Combes, ce ne sont pas les foins, la paille ou les récoltes qui sont à l’origine du sinistre mais un camion de livraison qui prend feu dans le garage de l’entreprise après que l’on ait fait le plein d’essence. Le propriétaire réagit au plus vite se saisissant « d’un extincteur, mais gêné par l’intense chaleur dégagée par l’essence enflammée, comme aussi par la fumée, ses efforts furent vains ». Le propriétaire est obligé de s’enfuir car « la chaleur du brasier était telle qu’un pommier se trouvant de l’autre côté de la route, à quinze mètres de là, a été entièrement desséché ». Les pompiers d’Albens, de La Biolle puis ceux d’Aix-les-Bains se révélèrent impuissants devant l’immensité du brasier qui va tout emporter. L’auteur de l’article dresse au final un terrible bilan matériel « Outre le camion de trois tonnes tout neuf, chargé lui-même de 5 000 douzaines d’œufs et du matériel de l’entrepôt, c’est 90 000 douzaines d’œufs conservés dans d’immenses bacs en maçonnerie, situés dans le sous-sol, qui ont été entièrement perdus ». Comme les « coquetiers » d’antan, cet entrepreneur collecte, stocke et vend la production avicole locale. Les dégâts que l’on annonce « s’élèvent à plus de 500 000 francs » mais on apprend qu’ils sont couverts par une assurance.
C’est le plus souvent le cas, mais il y a toujours quelques négligents. Aussi, chaque année les mutuelles rappellent à leurs adhérents la date de l’assemblée générale et l’appel à cotisation. Dans un compte-rendu de février 1937, on apprend que la mutuelle d’Albens « compte 199 adhérents et assure plus de 18 millions de risques ». Les sommes remboursées varient de 75 000 francs à plus de 500 000 francs aussi est-il important de bien évaluer sa couverture. C’est le conseil que donne le président de la mutuelle d’Albens qui rappelle « aux quelques membres encore insuffisamment assurés de bien vouloir vérifier leurs polices et souscrire le cas échéant des avenants ».

Jean-Louis Hebrard

Avoir « son » pèlerinage et « sa » grotte de Lourdes

L’année 1937 est riche en « manifestations religieuses », comme on le découvre à la lecture du Journal du Commerce. Parmi celles-ci, privilégions deux évènements, le pèlerinage à la croix du Meyrieux et l’inauguration d’une réplique de la grotte de Lourdes à Albens.
Début mai, paraît un bel article illustré d’une photographie montrant le groupe des pèlerins arrivant à la croix du Meyrieux dont on distingue les bras décorés de fleurs et de branches. On devine une belle participation pour laquelle l’auteur nous livre les indications suivantes « Depuis quatre ans, la paroisse de La Biolle à laquelle se joignent les paroisses voisines, se rend, le premier dimanche de mai, à la Croix du Meyrieux ».

Cliché paru dans le Journal du Commerce en 1937
Cliché paru dans le Journal du Commerce en 1937

Au dire du rédacteur de l’article, le pèlerinage semble avoir repris de l’importance vers 1933. Une date qui s’inscrit dans le mouvement de reprise de cette pratique comme l’écrit dans « Pèlerinages en Savoie » l’historien Albert Pachoud : « les années précédant la dernière guerre vont voir un renouveau des pèlerinages le long des chemins et des sentiers. En 1938, des jeunes de la vallée des Entremonts élevèrent une croix de bois au sommet du Granier. Ce geste ne fut pas unique : à l’initiative principalement de la J.A.C, un certain nombre de croix furent dressées sur les montagnes savoyardes ».
Quant à la croix du Meyrieux, le rédacteur l’inscrit dans un passé bien plus reculé, décrivant une vieille croix de bois, noircie par les intempéries qui « aurait été plantée en 1604 ». Il ne donne pas d’autres précisions pour s’attarder plus longuement sur le pèlerinage : « En ce premier dimanche de mai, nous abandonnâmes les soucis quotidiens pour se joindre à la foule des pèlerins et faire l’ascension de la Croix. Lorsqu’après une heure de marche, dans les chemins pierreux de la montagne, nous y arrivâmes, un nombreux public était déjà massé autour de la Croix, soigneusement décorée, admirant, en attendant la cérémonie, le délicieux panorama qui s’offrait à ses yeux ». Par quelques indices on peut supposer que le pèlerinage s’inscrit dans ce que l’ethnologue Arnold Van Gennep nomme le cycle de mai avec en son début la « fête du 3 mai, strictement chrétienne… en commémoration de la découverte de la vraie croix par l’impératrice Hélène, femme de Constantin ». Dans tous les pays catholiques on la nomme aussi « Invention de la Sainte Croix ». Elle est célébrée le premier dimanche de mai comme le précise avec insistance notre rédacteur qui honore systématiquement d’une majuscule le terme de croix.
La croix a été dressée sur une sorte de belvédère d’où l’on admire « Aix-les-Bains avec son lac aux eaux bleues, la verdoyante vallée de La Biolle et de Grésy ». Le rédacteur ne fait pas référence à la tradition selon laquelle la croix marquerait l’emplacement de la séparation entre les moines restant à Cessens de ceux qui allaient fonder Hautecombe au XIIème siècle pour plutôt nous renseigner sur le déroulement de la cérémonie. Le curé Mermoz, figure religieuse de La Biolle, est accompagné de la chorale et de la « toujours dévouée fanfare » qui n’a pas hésité à gravir les 400 mètres de dénivelé afin « d’ouvrir la cérémonie par un morceau très applaudi ». Une fanfare « La Gaité » dont il fut le créateur à son arrivée en 1925 dans la paroisse. C’est ensuite la chorale qui exécute un cantique avant que l’abbé Curthelin n’évoque l’importance de « La Croix, qui ajoute une cime à la cime des montagnes ». Après les prières et pour clore la cérémonie, la fanfare donna un concert puis les pèlerins partagèrent un repas sur l’herbe « empreint de franche gaieté, qu’illuminaient de doux rayons d’un soleil printanier, tout chargé des parfums des fleurs nouvelles ». Une fin d’article qui par cette évocation bucolique nous ramène au cycle de mai évoqué plus haut, « le cycle véritable du printemps ».
En cette fin des années 30, ce pèlerinage s’inscrit dans un ensemble de pratiques plus large dans lequel le culte de la vierge tient une belle place.

La grotte de Bloye (archive Kronos)
La grotte de Bloye (archive Kronos)

Depuis la fin du XIXème siècle, la paroisse de Bloye possédait une réplique de la grotte de Lourdes construite sur un terrain donné par une paroissienne de retour d’un pèlerinage à Lourdes. Quarante-cinq ans plus tard, c’est la paroisse d’Albens qui inaugure sa réplique. Sur la genèse du projet, vous pouvez consulter dans le numéro 30 de la revue Kronos l’article que lui consacre Ivan Boccon-Perroud.
À l’époque, les pèlerinages organisés à destination de Lourdes sont peu nombreux en Savoie, à peine dix entre 1921 et 1947 pour 8200 participants, nous apprend l’historien Christian Sorrel dans un article intitulé « Grottes sacrées ». C’est pourquoi, précise-t-il « il n’est donc pas étonnant que les fidèles se tournent vers des substituts ». Les paroissiens d’Albens au milieu des années 30 vont particulièrement soigner leur projet. Cela commence par le choix du site, sur un terrain offert par la famille de Charles Philippe à la paroisse, proche du centre du village, de l’église et surtout placé au bord de l’Albenche, la rivière qui traverse le bourg.

Emplacement de la grotte (plan modifié)
Emplacement de la grotte (plan modifié)

La conception de l’édifice va bénéficier des compétences de l’architecte Jean-Marie Montillet et du savoir-faire de l’entreprise de maçonnerie Simonetti. Elle aurait fait « acheminer un wagon entier de ciment, livré directement en gare d’Albens par les cimenteries Chiron de Chambéry » lit-on dans le numéro 30 de Kronos. Au final, un ouvrage que le Journal du Commerce qualifie « de véritable chef-d’œuvre » dans un article du 20 septembre 1937. Toute une colonne est consacrée à la cérémonie qui se déroule ce jour là en présence du « nouvel archevêque de Chambéry ».

Fréquentation de la grotte en 1938 (archive Kronos)
Fréquentation de la grotte en 1938 (archive Kronos)

Très vite, la grotte va devenir un lieu de culte et de prière fréquenté par de nombreux paroissiens.
Quatre-vingts ans plus tard, la fonction cultuelle de la croix du Meyrieux tout comme celle de la grotte d’Albens s’estompe devant le tout patrimonial ou touristique.  « Meyrieux, lieu de pèlerinage, mais aussi lieu rêvé des touristes » concluait en 1937 le Journal du Commerce. Chaque week-end, les amateurs de VTT et les randonneurs ont aujourd’hui pris le pas sur les pèlerins d’autrefois.

Jean-Louis Hébrard

Sur les routes de l’Albanais dans les années 20

Au sortir de la Grande Guerre qui fut une guerre mécanique, celle des moteurs, l’automobile allait connaître un essor considérable bouleversant les conditions de circulation d’autrefois. Automobiles, camions et motocyclettes sont de plus en plus au cœur des faits divers dont parle la presse des années 20/30. Nombreux sont alors les petits articles qui relatent des accidents parfois tragiques mais plus souvent surprenants et même chargés de drôlerie. Leur lecture nous permet de cerner les mutations en cours sur les routes de France, de Savoie et de l’Albanais au moment des « Années folles ».
Que peut bien nous apprendre cet article du Journal du Commerce publié en février 1922 sous le titre « Auto contre pylône » dont voici le contenu : « Lundi matin, une caravane d’autos transportant le cirque Bonnefoy, se rendant à Annecy, a traversé la commune d’Albens au moment du marché. Voulant éviter un groupe de femmes, un des chauffeurs donna un coup de volant à gauche et vint heurter le pylône portant les fils électriques, qui fut transformé en S. Fort heureusement aucun des fils ne fut cassé, car on aurait eu à craindre des morts parmi la foule dense qui se pressait autour des étalages ».

Albens, le marché se tient dans le carrefour (archive privée)
Albens, le marché se tient dans le carrefour (archive privée)

Ici, c’est la cohabitation entre les piétons et les véhicules à moteur qui est à la source de l’incident. Très vite, la question de l’affectation de la route va être soulevée.
Sur une carte postale de l’époque nous voyons ce marché, les étalages tout autour, les clients et clientes qui traversent l’espace central, c’est-à-dire le croisement des routes qui comme aujourd’hui se dirigent vers Annecy, Rumilly, Aix-les-Bains. En 1922, « une foule dense se pressait autour des étalages » quand le cirque allant à Annecy est arrivé, avec les conséquences qui s’en suivront.
L’article est aussi révélateur des « imprévus » que peuvent rencontrer les automobilistes et des difficultés à y faire face. Dans un monde encore très rural, il y a au rang de ces « surprises » toutes les présences animales. « Voulant éviter une poule et ses poussins », un motocycliste cause un accident près de La Biolle tandis qu’aux Près Rues, vers Albens, ce sont des vaches qui s’étant débarrassées de leurs conducteurs « allèrent se jeter dans une voiture ». Des chiens qui traversent soudainement et se font accrocher par les automobilistes valent à ces derniers le qualificatif d’« écraseurs d’Albens ». Il y a encore tous les attelages dont la lenteur est source de problèmes : chariot attelé de deux vaches, char de bois, ou encore cette voiture dont le cheval effrayé s’emballe allant presque « se jeter dans la barrière du chemin de fer ».

Moyens de transports anciens et récents cohabitent – La Biolle (archive privée)
Moyens de transports anciens et récents cohabitent – La Biolle (archive privée)

D’autres articles pointent les mauvaises conditions de visibilité. Véhicules, motocyclettes et bicyclettes n’étant pas toujours bien éclairés à la tombée de la nuit, piétons et cyclistes sont souvent victimes d’accident : « Dimanche soir, vers huit heures, M. Pegaz et sa dame… furent renversés par deux cyclistes marchant à folle allure et sans lanterne ». Rentrer très tard dans la nuit vous expose beaucoup : « Vers 1h3O, le nommé J. Gallina, domestique à Albens, rentrait chez son patron, venant de la vogue de Saint-Félix. En cours de route, il fut renversé par une voiture ».
D’autres fois, ce sont les conditions atmosphériques qui sont facteur aggravant. Ainsi en 1934 à hauteur du passage à niveau d’Albens où « pour éviter le cycliste et gêné par le brouillard, l’automobiliste a heurté un platane et a été blessé légèrement par les bris de glace ». À La Biolle, c’est une voiture qui écrase un chien alors qu’elle roulait « sans lanterne malgré la brume ». Dans la même commune, c’est « par suite d’un dérapage sur la route mouillée » qu’a lieu une collision entre deux conducteurs, l’un grenoblois, l’autre d’Annecy.
N’oublions pas de mentionner aussi tous les matériaux qui encombrent les bas-côtés et font capoter les véhicules. Ici c’est « un tas de sable » que le conducteur heurte au moment de dépasser, ailleurs le véhicule butte sur « un tas de cailloux placé en bordure de la chaussée ». Le plus souvent, les automobiles de l’époque, dont la direction n’est pas encore assistée et les pneumatiques aussi rudimentaires que les suspensions, viennent s’encastrer dans les arbres et les pylônes qui bordent routes et rues.

Entrée d'Albens, tas de cailloux et alignement de platanes (archive Kronos)
Entrée d’Albens, tas de cailloux et alignement de platanes (archive Kronos)

À travers les articles de presse, on découvre la violence de ces accidents comme à l’entrée de Saint-Félix en 1924 où « l’auto a sectionné au ras de terre un pommier de la route et s’est renversée sur le côté » et avant Albens, la même année lorsque « la voiture après avoir sectionné deux jeunes arbres plantés en bordure de la route, alla s’écraser contre un saule ». Les passagers en sortent plus ou moins secoués, au mieux éjectés comme en 1928 dans cette collision vers La Biolle où « l’autre véhicule alla heurter un poteau, projetant dans le pré voisin les quatre occupants ». Quand l’accident se passe en ville, les conséquences sont parfois spectaculaires, ainsi en 1937 dans le carrefour d’Albens où suite à la collision, la première voiture fait un tête à queue complet au milieu du croisement quand la seconde va « s’écraser dans la devanture du café Bouvier, la démolissant totalement et mettant en miettes chaises et tables placées sur le trottoir ». L’un des conducteurs, projeté hors de sa voiture « porte quelques contusions sans gravité. Après avoir reçu les soins de M. le docteur Bouvier, il a pu être reconduit à son domicile ». Le second conducteur « légèrement contusionné » subit le même traitement.
Nous sommes bien avant le port obligatoire des ceintures de sécurité mais aussi de la mise en place de secours organisés aux victimes de la route.
Les blessés sont rapidement transportés dans les hôpitaux d’Aix, de Rumilly ou d’Annecy par d’autres automobilistes lorsqu’il s’agit de contusions importantes à la tête, de poitrine enfoncée par le volant ou blessures à la face occasionnées par les glaces brisées. Souvent on fait appel pour les premiers soins aux médecins les plus proches, au docteur Bouvier d’Albens, au docteur Ronin d’Alby. Pour une plaie à la tête, c’est le pharmacien Brunet d’Albens qui prodigue les premiers soins et la recoud. Ecchymoses et écorchures sont traitées plus simplement avec retour au domicile. Parfois les auteurs d’accident ne se préoccupent pas du sort de la victime, ainsi en 1929, vers Saint-Félix où ils déposent le blessé « sur le bord de la route disant qu’ils allaient chercher du secours, mais la victime ne vit personne revenir ». Ce délit de fuite se transforme parfois en véritable « rodéo ». C’est ce que relate un long article du Journal du Commerce en 1934 : « affolé par l’accident, le chauffeur au lieu de s’arrêter, continua sa route pendant que des témoins prévenaient la gendarmerie qui se trouvait à quelques pas ». S’engage alors une course poursuite entre Albens et La Biolle où elle va se terminer. D’abord une auto d’Aix-les-Bains prend en chasse la voiture en fuite qu’elle tente vainement d’arrêter en la dépassant. Arrivent ensuite les gendarmes qui rejoignent le fuyard vers le sommet de la côte de La Biolle. Arrivés à sa hauteur et ne pouvant le stopper ils le dépassent et se mettent en travers de la route. Mais « le chauffeur ayant complètement perdu la tête et voulant essayer de passer quand même » finit par jeter sa voiture contre celle des gendarmes. Enfin arrêté, le chauffard est conduit au Parquet de Chambéry pour être placé sous mandat de dépôt et écroué. On apprend, la semaine suivante qu’il « a été condamné à un mois de prison sans sursis pour délit de fuite et blessure par imprudence et 5 francs d’amende pour infraction à l’arrêté municipal réglementant la vitesse ».

L'entrée de Saint-Félix (collection privée)
L’entrée de Saint-Félix (collection privée)

La vitesse excessive des véhicules est souvent mise en cause par les riverains qui sont parfois les victimes d’accidents mortels. Traverser la route à Saint-Félix, La Biolle, Albens se révèle très dangereux, d’autant plus lorsque l’on est enfant. C’est le cas au chef-lieu de La Biolle, en 1924, du jeune René, âgé de cinq ans « qui traversait la chaussée pour regagner le domicile de ses parents » et a été mortellement renversé par une auto. On explique alors le drame par « l’inexpérience de la victime à se garer au passage des autos », la famille n’habitant en bordure de la route que depuis huit jours.
Drames, accidents corporels, les plaintes ne cessent de s’accumuler au long des articles de presse. « C’est la troisième voiture qui, en peu de temps, vient s’écraser contre le même côté, toujours par excès de vitesse » à Albens en 1924. Quant à Alby-sur-Chéran, on espère que « l’accident arrivé à une bonne vieille de 84 ans, ces jours derniers, fera probablement quelque chose pour le Haute-Savoie ».
Désormais des réglementations seront prises : « La vitesse maximum de 12 kilomètres est prescrite à tout véhicule automobile dans la traversée de l’agglomération communale ».
Qui a dit que l’Histoire pouvait faire office de rétroviseur.

Jean-Louis Hébrard