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Ateliers d’écriture et inauguration de l’école de La Biolle

Samedi matin 30 septembre, à l’invitation de Véronique Boinon, nous nous sommes retrouvés dans la nouvelle salle d’étude de l’école pour animer des ateliers d’écriture à l’ancienne, lors de l’inauguration de l’école entièrement rénovée aux normes actuelles.

La salle a été aménagée comme autrefois, avec les bureaux munis des trous pour recevoir l’encrier de porcelaine, des cartes murales et même avec un poêle à bois.

Jeunes et moins jeunes se sont lancés dans l’écriture à la plume, trouvant ou retrouvant les bons gestes pour faire les pleins et les déliés.

Tous les compagnons de la plume, sergent major, buvard et gomme, encrier et porte-plume, avait été mis à disposition. Avec beaucoup d’application et de concentration, petits et grands ont rendu des copies tout à fait acceptables.

La matinée a été aussi l’occasion d’échanges de souvenirs, certains et certaines retrouvant les sensations de leurs jeunes années dans le cadre même où ils usèrent autrefois leurs culottes sur ces bancs.

Une belle expérience qui a rencontré un large public, se succédant jusqu’en fin de matinée, avant d’être invité à suivre discours des officiels et coupure du ruban. Un buffet clôturait l’inauguration.

Jean-Louis Hebrard pour le texte, Véronique Boinon pour les photos

Un merci à Marie-Hélène Sulpice pour la photo de classe.

La Biolle : les archives dévoilent les noms de famille

Quelques réflexions tirées de l’étude des actes paroissiaux de la Biolle sur l’onomastique, la linguistique et la sociologie

L’étude et le dépouillement des actes paroissiaux ne consiste pas, pour moi, uniquement à fournir un instrument de travail aux généalogistes. Pour donner ce travail, j’ai en chantier un dépouillement qui, mis sur informatique, comprendra au maximum des renseignements donnés par ces actes. L’ordinateur nous donnera, par la suite, des tris divers, facilitant les recherches. Cette machine est pratique, mais elle ne peut remplacer le cerveau de l’homme. En particulier, les tris par noms ne peuvent être faits que sur l’orthographe qui est l’objet de la demande. Les évolutions des noms ne seront jamais pris en compte. Les chercheurs devra donc faire des recherches sur plusieurs formes du nom. Faut-il encore savoir pourquoi et comment. C’est en cela que j’ai beaucoup appris. Lire et comprendre ces actes c’est souvent aller vers la grande Histoire, par la petite, celle des gens du Peuple, ceux dont l’histoire s’écrit sans majuscule.

Donc, les index qui seront constitués grâce à l’informatique ne pourront servir aux recherches que si l’on sait bien s’en servir, c’est-à-dire en tenant compte d’un certain nombre de paramètres que j’ai tenté de déterminer. Ainsi, au début de mon travail, j’avais pensé régulariser ou peut-être plus exactement normaliser les orthographes, pour permettre un tri plus efficace et des recherches plus faciles. Mais je me suis rapidement aperçu que certains noms déformaient, puis revenaient à leur première Forme, d’autres, au contraire, gardaient la nouvelle orthographe. Il en est ainsi, par exemple, de la famille « Callod » qui devint au cours du XVIIe siècle « Calloud » et par la suite se retrouve sous les deux formes. Certaines familles portent donc aujourd’hui le nom de « Callod » d’autres celui de « Calloud » alors qu’elles ont des ancêtres communs. Les recherches doivent donc tenir compte de ces points, comme de bien d’autres que j’expose brièvement ci-après. Il ne faut pas oublier, non plus, que d’un village à l’autre les orthographes varient, que dans le même village, cette orthographe se modifie souvent au changement de curé, qui va écrire, selon ce qu’il entend, ou selon la coutume de son propre village d’origine et non selon la tradition locale. Les paroissiens sont bien incapables de le lui reprocher, puisqu’ils ne savent pas lire…

L’orthographe des noms varie

L’onomastique est la science des noms de famille, des patronymes. Sur plus de deux siècles et demi étudiés par moi à ce jour, j’ai perçu des évolutions, puis j’ai tenté de trouver des explications. Sans cela, c’était pour moi alourdir d’erreurs un travail qui doit déjà en comporter beaucoup.

Il faut d’abord observer qu’il est tout à fait évident qu’entre la fin du XVIe siècle, où commencent mes recherches, et la fin du XVIIIe, que les curés ou leurs vicaires ne consultaient pas les actes antérieurs pour établir les nouveaux. Preuve en est que j’ai trouvé dans les registres d’Allèves l’acte de sépulture d’un ancêtre décédé à 104 ans, alors que le curé écrit : « âgé d’environ 100 ans ». Cependant, ce curé avait dans ses registres l’acte de baptême. C’est seulement avec l’état civil né lors de la révolution que l’on trouvera les références aux actes anciens, et encore cela disparaitra-t-il après 1815, et ce jusqu’en 1860.

Nous voyons tout d’abord des orthographes qui varient au gré de la fantaisie des scribes, sans que l’on puisse y trouver une raison. Ce sont, par exemple et en particulier, l’usage des lettres doubles, l’emploi du « Y » en voyelle finale, et aussi de certaines consonnes finales. Nous trouverons ainsi une famille dont l’orthographe la plus habituelle est « Picollet » s’écrire « Piccollet » ou « Piccolet » ou encore « Picolet ». Le patronyme « Goury » s’écrira « Gourry » – « Gouri » – « Gourri ». Certaines consonnes finales varient de même. Mais il faut se demander s’il n’y a pas de notre part erreur de lecture, comme les anciens se trompèrent eux-mêmes. Jusqu’au XVIIe siècle, le nom « Dagan » s’écrivait sans consonne finale, des textes en latin prouvent la réalité de cette forme, puisque l’on trouve « Daganus ». Il existe encore des noms de familles « Dagan », est ce en France plus que dans le Duché, leur origine étant une émigration du XIVe. On voit apparaître ensuite des « Dagand », orthographe qui est maintenant plus habituelle. L’origine est la boucle que la curé avait 1’habitude de faire comme fioriture. En revanche, pour mon nom, il semble bien, en tout cas en Albanais, que l’orthographe traditionnelle ait été avec un « t » final. Là encore les textes latin nous le démontrent, un acte du XVIe étant ainsi rédigé (Allèves) : « Mermetus Dagani filius » (Là Mermet est un prénom). Je ne trouve dans les registres que j’ai consulté des « Mermez », « Mermoz », que tardivement, justement au moment où l’on commence à consulter les actes précédents. Il faut dire que le « t » est souvent tellement mal fait qu’il est possible de le mal lire. Il est très petit, ressemble à un « r » ouvert, et avec une fioriture, peut être pris pour un « z ».

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En cursive du XVIIIe siècle, les voyelles sont parfois si mal écrites que le « a », le « o » et le « e » peuvent facilement être confondus. C’est ainsi que « Mermet » deviendra pour certains « Mermez », « Mermoz » et « Mermaz ». Nous trouverons les mêmes déformations chez les « Vittet » avec ou sans « t » double, mais aussi orthographié « Vite ». Le « e » et le « o » seront souvent confondus chez les « Berthelet » et les « Berthelot ».

En revanche, la déformation des noms due à la prononciation est plus utile à notre étude. Nous touchons à la linguistique.

Les prêtres qui dressaient les actes paroissiaux avaient fait des études, fussent-elles sommaires, mais avaient appris le français classique de l’époque. Ils avaient, au moins, quelques rudiments de latin. La rédaction des actes démontrent cependant que leur culture était assez limitée. Nos ancêtres, eux, parlaient un patois de langue d’oïl, mais ne comprenaient probablement même pas le français classique. Lorsqu’ils venaient déclarer une naissance, un décès, ils le disaient au curé avec leur patois et leur fort accent de la campagne, et il fallait que le curé transcrive en français classique, ou pour certains en latin. J’ai observé que cette variation due à cette transcription de langage patoisant en langue classique provoquait des modifications d’orthographes au moment des changements de curés. Le nouvel arrivant ne connait pas les noms de ses ouailles, il les écrit comme il le comprend. Selon son origine, son patois natal, il va transcrire les noms comme il les aurait écrit chez lui, comme il croit l’entendre.

Étude de l’évolution des noms

Nous allons maintenant partir des principes généraux de la linguistique et étudier leurs applications. Nous savons que les Gaulois prononçaient le plus souvent le « s » ou le « ss » chuinté comme ont dit de nos jours que le font les Auvergnats. Si l’on assistait à un appel, le Gaulois ne répondait pas « Atsum » mais « Atchoum ». C’est ce qui fait que le nombre de mots latins se sont déformés en français d’une manière différente de leur forme en italien ou en espagnol. Ainsi, le nom latin « caballus » se prononçait à Rome « kaballoum » devient en français « cheval », que « campus » donne « champ » et « canis », « chien », etc…

Pourquoi certains mots ne suivront-ils pas cette règle ? Cela ressort du mystère, et plus probablement d’une évolution tardive et d’origine plus savante. Il en découle une variation des orthographes qui parfois semble erratique, et au second degré, une manière de transcrire un son par une lettre ou un assemblage de consonnes différent.

L’exemple le plus évident est celui de la famille « Bassasson ».

À la fin du XVIe siècle, et au début du XVIIe, l’orthographe est celle avec deux doubles « s ». Puis, on voit ce nom évoluer, le curé écrit ce qu’il entend, et l’on voit apparaître « Bachasson », le « ss » étant remplacé par le « ch ». Mais le son « ch » peut aussi être rendu par une autre lettre et en particulier le « z », et l’on aura alors les formes suivantes :

  • Bassasson
  • Bachasson
  • Bassachon
  • Bazachon
  • Bachazon

Il y a différentes familles qui portent aujourd’hui l’une de ces formes, et ont pourtant la même origine.

Les voyelles ont elles aussi ce même genre d’évolution, en dehors des mauvaises lectures dont j’ai parlé ci-dessus, et relevant de la linguistique. La confusion entre le « u » et le « ou » est très connue. Le passage du « o » au « ou » l’est moins. Or, c’est une réalité. Le latin « dolor » a donné « douleur », « color » « couleur » etc… Nous allons donc trouver des noms qui à l’origine s’écrivaient avec un « o » et vont provisoirement ou définitivement s’écrire avec le « ou ». Il en est ainsi de « Bocquin » que l’on retrouve sous la forme « Bouquin », « Novellon » devient « Nouvellon » , « Callod  » – « Calloud » , « Pernod » – « Pernoud ». Certains conservent cette nouvelle forme, d’autres reviennent à la forme ancienne.

Le nom de famille « Rossillion » nous amène à la même idée. En effet, la transcription du son « lion » ou « ille » est le fruit d’une longue évolution, non terminée à ce jour, et présente selon les régions de sérieuses distorsions. En effet, on prononce « fille » comme si cela était écrit « fiye » mais « tranquille » comme s’il n’y avait qu’un seul « l ». J’ai entendu dans la famille de mon épouse, originaire du Nord, dire « tranquiye » et « fiye » pour « fille ». Beaucoup hésitent, pour parler du poète. Doit-on dire « François Vilon » ou « François Viyon » . Ainsi, pour les « Rossillion » certains curés l’écrivaient avec un « i » après les deux « l », d’autres simplement « Rossillon ».

Nous trouvons la même hésitation en ce qui concerne le « s » que maintenant nous prononçons « ze » devant un « e » muet, ce qui fait la différence entre « rose » et « rosse ». Mais le double « s » disparaît quelques fois, sans que j’ai pu déterminer s’il s’agissait d’une faute de plume, ou d’une évolution linguistique, ce qui est le cas pour le nom « Rosset » que l’on trouve écrit : « Roset » alors qu’il semble bien qu’à l’origine la prononciation était bien le double « s », et que ce changement d’orthographe n’en ait pas modifié la prononciation. À des réflexions qui n’ont que de très lointains rapports avec la généalogie, nous pouvons ajouter des idées sur la manière de parler de nos ancêtres, sur la manière dont notre langue a évolué. Ce sont cependant des idées, qui utilisées en sens inverse, vont aider le chercheur dans ses recherches. Lorsque l’on étudie une famille, il ne faut pas perdre de vue ces éléments d’évolution orthographique que ce soit d’origine erratique ou linguistique.

Les mêmes déformations vont se retrouver dans les prénoms, je passe sur les orthographes fantaisistes qui font écrire « Philiberthe », ou « Marguerite » avec un seul ou deux « t », « Barthélemy » avec un « h » ou sans et un « y » ou un « i ». Mais l’on voit « Françoise » devenir « Francon » puis « Françon », la cédille ne semblant pas avoir été utilisée, au moins à La Biolle, avant le deuxième tiers du XVIIIe siècle. Pour le nom propre, les réflexions faites dans ce paragraphe et celles faites dans le précédent vont se croiser : en effet, le patronyme « Masson » que l’on trouve abondamment n’est alors-t-il pas le même que « Maçon ».

L’usage des noms, des prénoms et des surnoms

Nous allons ensuite toucher à la sociologie par l’usage des noms, des prénoms et des surnoms. Selon le village étudié, l’usage d’un prénom est plus ou moins fréquent. Ainsi, à La Biolle jusqu’à la fin du XVIIe siècle, le prénom de « Claude » est le plus usité, puis viennent « Antoine » « Philibert » « Jospeh », puis viennent les « Jacques » (orthographié le plus souvent « jaque ») les « Pierre »… Pendant cette même période, on voit que les nobles locaux vivaient en symbiose avec leurs voisins roturiers, et l’on trouve de nombreux mariages mixtes.

Mais aussi le noble est très souvent parrain ou marraine d’un enfant roturier, et vice versa. Cela a une conséquence importante sur les prénoms et leur usage.

En effet, il était de coutume presque absolue de donner à l’enfant le prénom de son parrain ou de sa marraine. C’est pourquoi l’on voit apparaître dans les familles roturières des prénoms qui n’y sont pas en usage habituellement, et l’on voit des enfants s’appeler « Isabelle » « Philippe ». Ces prénoms vont donc se répandre à la génération suivante puisque l’enfant ainsi prénommé va lui-même les transmettre à un filleul ou une filleule. Au fur et à mesure que les ans passent au XVIIIe

« François » était un prénom assez rare (tout au moins à La Biolle) jusqu’à la fin du XVIIe siècle, mais devient de plus en plus fréquent au XVIIIe siècle, d’une part parce qu’il a été transmis par des nobles à leurs filleuls, mais aussi et surtout en raison du culte croissant de Saint François de Salle. Chose curieuse, dans la première période il y avait beaucoup plus de « Françoise » que de « François ». Les nouveaux prénoms, comme les nouveaux patronymes proviennent également de l’immigration, dans le village d’un « étranger » qui peut en fait venir du village tout voisin. Il semble que la plupart du temps le nouveau mari vienne vivre dans le village de son épouse, s’y implante donc, et transmet alors nom et prénoms.

Il était de coutume de donner le prénom du père au fils ainé. Il fallait donc trouver un parrain de même prénom. D’autre part, il semble que chaque famille ait eu, au moins dans les temps reculés, un saint tutélaire, et qu’il fallait donc qu’au moins un enfant porte ce prénom, pour que la protection de ce saint ne s’éteigne pas. Compte tenu de l’épouvantable mortalité infantile, il arrivait souvent que l’on donne à deux frères le même prénom. Comme cela, si l’un deux mourrait, il en restait un. Le chercheur va donc se trouver devant des questions insolubles. Le curé n’estime pas devoir dans son acte, tout au moins au début du XVIIe siècle, indiquer le nom et le prénom de la mère, et par suite, en tous les cas, les liens de parenté, les filiations. On peut donc se trouver devant deux frères portant le même prénom, qui ont chacun un ou deux fils portant encore le même prénom… le peu qu’il y ait une grosse différence d’âge, il devient impossible de savoir qui est qui… J’ai trouvé à Allèves un acte de mariage qui est celui de François Dagand, fils de François Dagand, avec Françoise Dagand, fille de François Dagand, le curé s’appelait lui aussi François Dagand, et le notaire rédacteur du contrat François Dagand. L’on peut alors souhaiter bien du plaisir au chercheur, surtout lorsqu’on sait que j’ai vu également deux frères portant le même prénom se marier avec deux femmes ayant entre elles le même patronyme et le même prénom, sans que l’on puisse distinguer quel était leur lien de parenté, le lien entre les deux maris que j’ai qualifiés de frères, n’étant même pas certain.

On trouve une liste de baptêmes entre 1792 et 1812, dans le désordre, de toute évidence refaite après coup. Puis l’on retrouve des actes dont beaucoup font double emploi avec les précédents. Il est remarquable que pendant toute cette période, la majorité des actes relatent que le baptême est donné « à la maison », ce qui tendrait à prouver que ce sacrement était clandestin, le plus souvent administré par un membre de la famille. Alors que la tradition voulait que les enfants soient baptisés le jour même de leur naissance, et parfois au plus tard le lendemain, pendant cette période l’on trouve de grands écarts entre la naissance et le baptême allant de quelques jours à plusieurs mois. Tout cela démontre, à mon avis, la très grande résistance de la population savoyarde à l’agnostisme, à l’anticatholicisme de la Révolution.

Mais si dans les registres de La Biolle, je n’ai que peu retrouvé d’éléments historiques, il y a, à la fin du registre de 1793, une page relatant en deux paragraphes différents deux évènements qui se sont passés précédemment. C’est soit une page collée par la suite, soit une recopie tardive. L’un relate la rigueur de l’hiver 1764-1764, mais l’autre est forcément postérieure à 1781. Il est très intéressant de voir que, tant en Savoie qu’en France, la « corvée » était mal perçue, ce qu’indique le rédacteur  «  qui ont coûté des journées à la paroisse… » Ce qui m’inquiète le plus c’est que ce texte est signé « Genet curé de La Biolle », alors que je n’ai pas trouvé ce nom dans les autres actes. De 1762 à 1781, le curé se nomme Corbet, nous avons après Galliot, Rioutard, mais pas de Genet. Peut-être alors est-ce le nom de Corbet qui a été mal compris et mal transcrit dans cette copie que j’ai déjà qualifiée de tardive. Cette tardivité est d’autant plus plausible que c’est le second paragraphe qui parle de l’hiver 1764-1765, alors que sa conception est antérieure au premier. Il est très instructif de constater que la route de Chambéry à Genève date de la même époque que la restructuration totale du réseau routier en France par Louis XV. Le côté « bricolage » de la construction et de l’entretien est également remarquable. L’orthographe du mot « Tems » au lieu de « Temps » et de « Acqueduct » démontre une date de rédaction qui est bien le dernier tiers du XVIIIe siècle. Le deuxième texte nous apprend que cet hiver-là, il y avait à La Biolle et dans les environs à peu près six mètres de neige. La météo avait déjà ses fantaisies, mais c’est à cette même époque que les chroniques nous apprennent que le vin gelait dans les verres sur la table du Roi à Versailles. L’altitude de La Biolle est de 385 mètres, pensons alors que ce devait être la hauteur de neige sur les montagnes voisines.

Ces professions peuvent se retrouver dans le surnom comme pour « Mermet dit Pâtissier » (Albens), et pour mon plus ancien ancêtre connu, l’honorable Jacquemoz Mermet, mercator à Collonge, paroisse d’Albens (Dénombrement de la Savoie 1568 et acte de naissance de sa petite-fille, fille d’Aymond, à la Biolle).

J’ai été très surpris de trouver à la Biolle, et ce pour toute la période étudiée, une grande fréquence de naissances multiples. Il y a pour ce village, petit à l’époque en nombre de « feux », plusieurs naissances de jumeaux par an. Une fois même, il y eu des triplés. C’est une moyenne bien plus importante que ce qui est admis habituellement par les statistiques. En outre, ce sont pour la plupart du temps, de « faux jumeaux », c’est à dire un garçon et une fille. Certains prétendent que de donner naissance à de vrais jumeaux est héréditaire, alors que la naissance de faux jumeaux est un accident. La multiplication de ces naissances multiples dans ce village pourrait nous faire penser le contraire. Mais laissons le soin aux biologistes de donner leur avis.

Dans la plus part des actes, dans d’autres paroisses, il est habituel de voir le nom des femmes ou des jeunes filles précédé par l’article « la ». Or, dans les actes de La Biolle, nous ne trouvons cet emploi que dans les actes de mariage, et jamais dans les actes de baptême, que ce soit pour désigner la mère ou nommer la marraine.

Les naissances illégitimes sont finalement assez rares, à peine une par an en moyenne. Et ce sauf une année où il y en eut quatre, dont la dernière est celle d’un enfant « donné » au très noble seigneur de la Balme par la très noble demoiselle de Montfalcon… la plume de ce pauvre curé en tremble encore sur le registre.

Le microfilm que je suis en train de dépouiller comporte un grande majorité de baptêmes, et assez peu de mariages ou de décès.

Cela nous permet cependant de constater une très forte endogamie, et une mortalité infantile gigantesque : enfant mis au sépulcre sans prénom, décédé en même temps que sa mère morte en couches, beaucoup de décès avant cinq ans. Ensuite, les décès de jeunes gens, entre cinq et vingt ans, sont assez fréquents et probablement dus à des maladies maintenant pratiquement éradiquées comme la typhoïde, la diphtérie, l’appendicite.
Les décès sont ensuite plus espacés, puis redeviennent plus nombreux entre 45 et 60 ans. Il est parfois, mais rarement, indiqué la cause de la mort ; nous trouvons, de temps en temps : « mort subitement ». Si l’on croit le devoir de noter, peut être est-ce que cela était assez rare, qu’en général la mort était prévue, et que finalement les crises cardiaques surprenaient. En revanche, ceux qui survivaient étaient solides, et alors les octogénaires ne sont pas rares. C’est ainsi que pour l’un de mes ancêtres, à Allèves, il est indiqué lors de son décès « âgé d’environ 100 ans », bien que dans le même registre figure sa naissance… 104 ans avant.

Les noms et les surnoms ont aussi leur signification sociologique. À l’origine, il n’y avait que des surnoms, qui deviennent noms patronymiques. Ces surnoms caractérisent un homme par une tare : « Bossu », un métier : « Bouvier », un état social : « Grangier », « Bourgeois », un origine géographique : les « Savagny » habitent le hameau de « Savigny », les « De L’Orme » habitent le hameau « L’Orme » ou « Lorme ». Mais, en revanche, il est certain que ce sont des patronymes qui donnent leur nom à un hameau comme les « Blanchard » qui habitent « Chez les Blanchard », hameau qui devient par la suite simplement « Les Blanchard ». Le même phénomène existera pour les « Michaux ». Très souvent, Les patronymes étant en nombre limité dans un village, et il faut distinguer les différentes branches portant ce même nom. Ainsi, l’on peut remarquer que bien souvent, l’on ajoute au patronyme du mari le nom de l’épouse. Il y a à La Biolle des « Curtllin » et des « Berthelet ». L’on va donc avoir des « Curtellin » dit « Berthelet » à Albens, j’ai des « Mermet dit Dagand » alors qu’à Allèves, à chaque génération il y a un mariage entre ces deux familles.

Dans tous les actes que j’ai dépouillés ce jour, j’ai pu constater que rarement n’étaient indiqués les professions, sauf quand elles paraissent être particulièrement importantes ou honorables. C’est ainsi que je trouve « Ex garde du corps de Monseigneur le Roi de Sardaigne », et pour des parrains venant de Chambéry « Avocat », « Procureur au Sénat de Savoie » ; en revanche, l’on trouve certaines professions comme « Notaire », « Cordonnier », « Maréchal ». Il est vrai, qu’à cette époque, le notaire était un intermédiaire indispensable, et servait en fait d’écrivain public, et que dans un pays de culture, le maréchal était indispensable pour ferrer les bêtes, et le cordonnier pour fabriquer ou réparer les harnais.

Les registres paroissiaux et l’histoire locale

Les réaction de la population aux tourments historiques se retrouvent dans les registres paroissiaux. Je l’ai vu dans d’autres endroits, mais à la Biolle, il n’y a aucun commentaire. Cependant, il est possible de penser qu’il y avait peu de républicains car dans les actes, il est écrit : « l’an mil sept cent nonnente trois, l’an deux de la république française et le 6 juin ». Ce qui indique que l’on veut bien, du bout des lèvres, faire allusion au calendrier républicain, mais que l’on conserve le nom du mois. Cette même année, il y a changement de curé. Il ne doit pas être assermenté. Il se qualifie lui-même de « curé provisoire ». Ceci est d’autant plus évident que pendant cette période, on apporte des enfant à baptiser de paroisses voisines, Albens, Grésy, Saint Germain… Une autre étude, dans d’autres documents devrait nous permettre de comprendre si les prêtes avaient disparu dans les autres paroisses, ou si l’on préférait faire baptiser ses enfants par un « réfractaire ». Les derniers actes de baptême datent de février 1793, puis c’est l’incohérence, jusqu’à la fin de l’Empire.

Je rapporte ci-après les deux textes :

La route de Chambéry à Genève

« L’on a commencé les chemins nouveaux de Chambéry à Genève dans le commencement de septembre 1762 et l’on y a fait des ponts et des acqueducs en bois qui ont duré environ dix ans, ensuite on les a raccommodés de temps à autres jusqu’au commencement de juillet 1781 que l’on a fait des ponts en pierre qui ont coûté des journées à la paroisse de la Biolle qui a eu ensuite celle de mor… (?) et celle d’aider. »

La neige en 1765

« L’hiver de l’an 1764 à 1765 a été l’un des plus longs et des plus rigoureux malgré que le vent du nord a presque toujours régné, il est tombé à la Biolle cinq ou six fois à peu près jusqu’à deux pieds et demi de neige chaque fois, et du 29 au 31 mars, deux fois encore un pied de neige, le 1er avril depuis midi jusqu’à la nuit, 1765 le trois, une neige si abondante que le quatrième auquel a été renoncé (à) la fête de l’annonciation et l’on a pu traverser la châtaigneraie ni à pied ni par conséquent à cheval pour rendre la … (?) a continué jusqu’au 19 avril où l’on a commencé à … (?) avoir fait le passage à force de bois. »

Comme on le constate, lire et dépouiller ces actes, c’est non seulement construire un instrument de travail pour le chercheur, mais c’est surtout, et pour moi d’abord, entrer dans la vie d’un village, y trouver la chronique de la vie de nos ancêtres, et même parfois une explication de la Grande Histoire.

Robert Mermet
Avocat au Barreau de Paris
Article initialement paru dans Kronos N° 7, 1992

Kronos, le nouveau numéro 38 de la revue est arrivé

L’association a le plaisir de vous présenter le numéro 38 de sa revue, tout en couleur et fort de huit articles). Les adhérents ont déjà reçu leur exemplaire, la cotisation annuelle donnant droit au nouveau numéro. Tous nos fidèles lecteurs pourront aussi se le procurer dans les points de vente habituels.

L'équipe de Kronos avec la revue 38
Dans les locaux de l’association, on découvre la nouvelle revue (cliché B. Fleuret)

Au sommaire :

  • Le vicus d’Albinnum, bilan de recherche universitaire
  • Le loup tue à Ruffieux au XVIIe siècle
  • Mgr Félix Dupanloup, de Saint-Félix à Orléans
  • Une famille de l’Albanais : les Emonet de Cessens – 3e partie
  • Les Quay, de La Biolle à l’Uruguay
  • Marie Pétellat de Cessens, refuser d’obéir à l’ennemi (23 juin 1940)
  • Les Balouriens de Chainaz
  • Challière, grange monastique d’Hautecombe et coteau viticole (Saint-Germain-la-Chambotte)

Les points de vente sont :

  • Maison de la presse à Albens (Entrelacs)
  • Maison de la presse à La Biolle
  • Maison de la presse à Saint-Félix
  • Boulangerie Challe à Bloye
  • Musée de Rumilly
  • Carrefour Market de Grésy-sur-Aix
  • Hyper U de Rumilly
  • Espace Leclerc de Drumettaz
  • Maison de la presse du pont neuf à Rumilly
Couverture de la 38ème revue

Conférence : fête de la Terre à la Biolle

Le vendredi 24 février à 20h30, Kronos vous invite à une conférence nature et un film : « fête de la Terre à la Biolle », qui seront suivis d’un diaporama-débat sur les vieux métiers.

Cette soirée aura lieu à l’Espace Patrimoine, 177 rue du Mont-Blanc à Albens.

La salle sera ouverte dès 19h30 pour les personnes souhaitant en profiter pour visiter l’espace patrimoine.

L’entrée est libre et gratuite, sous réserve de place : les réservations sont conseillées par e-mail.

Venez nombreux !

La revue 37 est sortie !

Le numéro 37 vient de sortir, comme l’an dernier intégralement en couleurs. 

Au sommaire :

Vous pouvez la trouver aux points de vente suivants :

  • Maison de la presse à Albens (Entrelacs)
  • Maison de la presse à La Biolle
  • Maison de la presse à Saint-Félix
  • Boulangerie Challe à Bloye
  • Carrefour Market de Grésy-sur-Aix
  • Hyper U de Rumilly
  • Espace Leclerc de Drumettaz
  • Maison de la presse Avenue de Genève à Aix-les-bains
  • Maison de la presse du pont neuf à Rumilly

Bonne lecture !

Assemblée Générale de Kronos, Une plongée dans l’histoire séculaire de la Savoie

Ce vendredi 1er octobre, Kronos pouvait enfin tenir son assemblée générale en présentiel à la salle des fêtes l’Ébène de La Biolle. Tout avait été mis en place pour assurer la mise en œuvre des mesures sanitaires requises.
Peu après 20h, le président de Kronos, Fabien Millioz ouvrait l’assemblée générale par la présentation du bilan moral faisant ressortir l’activité de l’association auprès du large public de l’Albanais, esquissant les projets pour les années prochaines. Dans un programme fourni on a pu relever la reprise prochaine des conférences, les animations dans les écoles à la demande des enseignants, la mise en ligne de l’ouvrage « L’Albanais 1900 » introuvable aujourd’hui mais aussi la poursuite des publications avec la sortie du numéro 37 de la revue et la préparation d’une brochure consacrée au centenaire de la rosière d’Albens. Ce bilan comme le bilan financier ont été adoptés à l’unanimité des adhérents et la liste des membres du conseil d’administration reconduite. Le président donne ensuite la parole à Claire Cochet, maire déléguée d’Albens, qui après avoir excusé Jean-François Braissand maire d’Entrelacs empêché, se félicita du rôle joué par Kronos dans la connaissance du passé local et sa diffusion la plus large.

Dans la salle de l'Ébène, le public et Claude Mégevant lors des échanges. (cliché B.Fleuret)
Dans la salle de l’Ébène, le public et Claude Mégevant lors des échanges. (cliché B.Fleuret)

Pour cette reprise de contact, l’association était heureuse de pouvoir bénéficier de l’intervention de Claude Mégevant, co-fondateur de la Société d’Histoire de la Salévienne. Adhérents de Kronos et simples spectateurs (60 personnes environ) ont découvert avec bonheur le film « Le royaume partagé ou l’histoire des États de Savoie ». Racontée par Clotilde Courau, comédienne et princesse de Savoie, avec l’appui et les interventions de nombreux universitaires, cette histoire multi-séculaire aborde en 52 minutes les grands moments des États de Savoie, présente les figures princières et royales incontournables de cette épopée. Le film inscrit aussi la Savoie dans le concert culturel de son temps la dotant d’un patrimoine prestigieux à l’image des belles églises baroques de Maurienne et Tarentaise. Un débat a poursuivi la projection, nourri de toutes les questions et remarques qu’un public connaisseur et intéressé n’a pas hésité à poser à l’intervenant. Un grand moment d’échange qui est inscrit dans l’ADN de l’association par ses contacts avec les sociétés voisines (Amis du Vieux Rumilly, Association des gorges du Sierroz, Société d’Art et d’histoire d’Aix), par l’ouverture des colonnes de sa revue à de nouvelles signatures, par ses relations avec les écoles du secteur.
Les conversations se sont poursuivies autour d’un verre et d’une petite collation offerte à la fin.
Une belle Assemblée Générale qui laissera certainement un bon souvenir.

Assemblée Générale 2021

Kronos vous invite à son Assemblée Générale, qui aura lieu le vendredi 1er octobre 2021, à la salle des fêtes L’Ébène de la Biolle, à 20h.

En seconde partie de soirée sera projeté le film Le Royaume partagé ou l’histoire des États de Savoie, en compagnie de Claude Mégevand, co-fondateur et président de la société d’histoire la Salévienne.

Entrée libre sous réserve de passe sanitaire, preuve de vaccination ou test PCR négatif de moins de 72 heures.

Venez nombreux !

AG 2021

Quand les Albanais décidèrent de devenir Français

Octobre 1792 – Vendémiaire an I

Les documents communiqués ci-après sont les procès-verbaux des réunions qui se tinrent à Saint-Ours, Saint-Germain et La Biolle les 10 et 13 Octobre 1792(1).

Au même moment, dans toute la Savoie, des assemblées communales semblables se réuniront pour élire leurs députés à l’Assemblée des Allobroges.

Voyons donc ce qui se passe à Saint-Germain.

PV de réunion en 1792 à Saint-Germain
PV de réunion en 1792 à Saint-Germain

À Saint-Germain, ce samedi 13 octobre 1792, les hommes réunis dans l’église paroissiale ont choisi Antoine Monard pour les représenter (Jean Benoît Braissand et Germain Bernard sont les suppléants). Antoine est un laboureur, c’est-à-dire un propriétaire aisé et instruit (il signe en toutes lettres).

Il se rendra dans huit jours à Chambéry ; là, le dimanche 21 octobre à deux heures de l’après-midi il retrouvera les 660 autres députés et se prononcera pour l’adoption de la Savoie « pour partie intégrante de la République Française ».

Cinq cent soixante-huit communes tirent de même, aucune ne réclame le maintien de l’union au Piémont ; seules trois communes (Le Biot, Pesey, Ontex) envisagèrent une république indépendante allobrogique.

Qui eut l’initiative de réunir cette Assemblée ?

Les Français de Montesquieu, entrés en Savoie le 21 Septembre ? Les Jacobins chambériens regroupés par Doppet à la veille de l’arrivée des français dans un club des Amis de la Liberté et de l’Égalité ?

Il semble qu’à Saint-Germain ce club ait eu un rôle moteur, puisque la réunion est provoquée par le citoyen Devaux membre de la Société des Amis de la Liberté, séante à Chambéry.

L’enthousiasme est évident, la reconnaissance envers la Convention Nationale aussi (c’est elle qui a voulu laisser les habitants libres de décider de leur devenir).

Le curé de Saint-Germain, Pétel, partage la joie de ses paroissiens. C’est alors l’attitude d’une bonne partie du clergé de Savoie… Une semaine plus tard, Monseigneur Conseil et ses chanoines rendront visite à l’Assemblée des Allobroges et célèbreront un office pour elle.

L’unanimité semble régner alors.

Examinons la situation à La Biolle, le même jour, 13 octobre 1792.

PV de réunion en 1792 à La Biolle
PV de réunion en 1792 à La Biolle.

Ici aussi le rôle du citoyen Devaux, commissaire suppléant, et de la Société des Amis de la Liberté, est évident.
Il a certainement amené un modèle de procès-verbal car on retrouve la même construction et les mêmes formules qu’à Saint-Germain.
À noter également la présence du curé Riouttard.

Mais ce qui retient l’attention, c’est la profession des élus.

– un propriétaire aisé, Louis Marie Bouquin, désigné suppléant, mais qui ne signe pas.

– un homme de loi, Sieur Joseph Marie Dimier ; remarquez sa signature : elle dénote d’une grande maîtrise de l’écrit. Ne soyez pas surpris par une telle présence dans le village ; La Biolle est alors à la tête d’un mandement qui deviendra Canton quelques mois plus tard, lorsque la Savoie sera devenue département français.

Joseph Marie Dimier devait jouer le rôle de secrétaire de la Communauté, son influence semble manifeste, on le qualifie de Sieur.

Très souvent, écrit A. Palluel « les villageois choisirent les secrétaires de communautés qui avaient déjà le pouvoir local de fait, d’où une énorme majorité de petits robins assez frottés de pouvoir ».

Bref, c’est dans une assemblée de petits notables, d’avocats, hommes de loi, médecins, propriétaires que Joseph Marie Dimier se retrouvera, une semaine plus tard. Le petit peuple s’est toujours laissé impressionner par les notables, beaux parleurs ; il est des constantes… dans l’histoire !

Au demeurant, ces notables vont accomplir durant la brève existence de l’Assemblée (21-29 octobre 1792) un gros travail de liquidation du passé.
Toutes les lois françaises devinrent applicables en Savoie et les députés votèrent l’abolition de la royauté et le rattachement à la France.
Les biens de l’Église furent mis au service de la nation et ceux des émigrés furent confisqués.
On édicta également la suppression de la noblesse, de la dîme et des droits féodaux, en cours de rachat depuis 1771. La constitution civile du clergé entre en vigueur.

Mais revenons une dernière fois dans l’Albanais, le mercredi 10 octobre 1792, onze heures du matin à Saint-Ours.

PV de réunion en 1792 à Saint-Ours
PV de réunion en 1792 à Saint-Ours

La séance est un peu différente à Saint-Ours : le texte qui la relate, rédigé par Vulliet, secrétaire de la communauté, est plus court.

Le niveau d’instruction semble plus faible ; aucun des citoyens élus ne signe et le président, Joseph Rey (choisi comme étant le plus ancien) doit faire authentifier sa marque.
Claude François Rebresson a été choisi pour député, Pierre Forest et Jacques Mathieu pour « excusants ». On ne dit rien du mode d’élection, mais on sait par ailleurs qu’il était effectué par acclamation.
Ce sont ces citoyens qui, dix jours plus tard, à Chambéry, chargeront une délégation conduite par Doppet et Simond (prêtre né à Rumilly, ayant un rôle actif dans l’introduction des idées révolutionnaires en Savoie), de se rendre à Paris pour demander officiellement à la Convention la réunion à la France.

Réunion qui fut décidée le 27 novembre 1792, au milieu d’un enthousiasme extraordinaire ; vous en jugerez à partir de cet extrait d’un journal parisien, « Républicain ».

« Un second député des Allobroges témoigne de la joie que la réunion de la Savoie à la France va répandre dans son pays.

Le président : Vous venez d’entendre les vives acclamations que cette réunion a excitées dans le temple de la loi. Une union universelle, voilà la gloire de cette heureuse journée. Déjà la nature avait décrété la réunion de la France et de la Savoie. L’Assemblée vient de la décréter comme la nature ; et le seul trône qui existera encore entr’elle, sera celui de la liberté, qui, placé sur le Mont-Blanc, dominera sur la France, la Savoie, et tous les peuples libres de l’Univers. »

Journal « Républicain »
Paris, novembre 1792

En fait, Doppet et Simond ne reçurent pas à Paris un accueil unanimement chaleureux.
Arrivés à Paris le 2 novembre, les députés Allobroges ne furent admis à la Convention que le 11. Il leur avait fallu entre temps persuader les sceptiques et les prudents de la Convention.
Un discours habile de l’Abbé Grégoire, Président de la Convention, fut nécessaire pour que la réunion soit décidée « provisoirement » le 27 novembre ; ce que, écrit A. Palluel « on se gardera bien de souligner aux Savoyards, préférant insister sur l’émotion et la joie des Conventionnels ».(2)

Désormais la Savoie sera associée aux destinées de la France pour plus de vingt-trois ans (1792-1815). Elle devenait le 84ème département de la République sous le nom de département du Mont-Blanc.
En décembre 1792, la Convention envoie quatre commissaires, dont Simond et Hérault de Séchelles, pour organiser la Savoie.

Carte du département du Mont-Blanc en 1793
Carte du département du Mont-Blanc en 1793.

Chambéry devient chef-lieu de département ; ce dernier est divisé en sept districts qui reproduisent à peu près les anciennes provinces.

Ce sont ceux de Thonon (ancien Chablais), Carouge, Cluses (ancien Faucigny), Annecy (ancien Genevois), Chambéry (ancienne Savoie Propre), Moûtiers (ancienne Tarentaise) et Saint-Jean-de-Maurienne (ancienne Maurienne). Le département gardera cette forme jusqu’en 1798, date de la création du département du Léman.

Passées l’euphorie et la relative tranquillité de l’hiver 1792-1793, la Savoie allait se retrouver plongée dans la tourmente révolutionnaire, la guerre avec les monarchies, la terreur, les soulèvements internes ; mais toujours la signification profonde du rattachement à la France resta dans les esprits.

Le procès-verbal de la fête civique qui se déroula à Chambéry en novembre 1793 en témoigne (texte original page suivante).

Tout en conservant ses caractères propres, le peuple savoyard manifeste son inclination pour la France républicaine : « nos rivières même nous indiquaient le cours de nos penchants vers elle »…
Voilà qui annonce l’état d’esprit qui sera celui des savoyards en 1860 :

« Foi dans le progrès qui, pour s’épanouir, requiert la liberté. »

Jean-Louis Hebrard
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989

Bibliographie sommaire

  • La Savoie de 1792 à 1815 : documents publiés par la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie.
  • Paul Guichonnet – Histoire de Savoie 1960 – Gardet Editeur
    Histoire de la Savoie – Vol. III et IV Ed. Ouest France.

 

1) Archives Départementale de Savoie – Série L 304. Pour Albens, le compte-rendu est introuvable. Il existe pour Saint-Offenge, Grésy-sur-Aix, Rumilly.
2) La Savoie de la Révolution a nos jours. XIXème – XXème siècle Bd. Ouest France

Procès-verbal de la fête civique à Chambéry
Procès-verbal de la fête civique à Chambéry

S’occuper des enfants – 1940/1945

Dès l’automne 1940, les jeunes enfants sont classés par l’administration de Vichy en catégories qui permettent de « gérer » la pénurie alimentaire. Ainsi apparaissent les J1 (3/6ans) suivis des J2 (6/12 ans) auxquels on octroie des « rations adaptées ». À cette pénurie s’ajoutent toutes les peurs qu’engendrent les violences de la guerre. Cette population enfantine n’a pu traverser les épreuves de ces années noires sans l’attention et les soins apportés par les adultes. Des entretiens et des témoignages recueillis dans la région vont « éclairer » ce sujet.

Groupe d'enfants (dessin de 1942)
Groupe d’enfants (dessin de 1942)

Alors enfants ou jeunes filles, ces témoins sont unanimes à dire « nous sentions bien que nos parents n’étaient pas rassurés », mais rajoutent-elles, « tout cela était diffus ». Dans un ouvrage publié par les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Chambéry, l’une d’elle raconte : « l’ambiance générale incitait à une grande discrétion et, en tous cas, ce n’était pas des problèmes d’enfants ». Dans l’Albanais, le témoignage d’Henriette nous révèle que l’on pouvait rendre joyeux les jeunes enfants des années 40. Cette jaciste très active avait alors pris en charge une douzaine de « pré-jacistes » âgées de dix à douze ans qu’elle réunissait le dimanche après-midi dans une salle proche du Foyer albanais pour chanter ou organiser des jeux. « Les filles s’amusaient tellement », dit-elle, « qu’une amie venant nous rejoindre fut surprise par les rires et les exclamations qui s’entendaient depuis la place de l’église ».

Carnet de chansons JACF (collection privée)
Carnet de chansons JACF (collection privée)

Quand nous manquions d’idées, on pouvait toujours avoir recours aux carnets édités par la JACF comme ces « Chansons mimées » ou encore « Cent jeux pour veillées ». Des jeux simples et sans prétention tel celui qui demandait un peu d’adresse et de concentration pour arriver à transvaser un liquide dans le noir. On se divertissait en mimant des chants bien connus comme « Au jardin de mon père » ou « La laine des moutons ». Quand le temps le permettait, nous faisions de belles marches sur la route de Rumilly. À l’époque, ce n’était pas le trafic automobile qui pouvait nous déranger. Tout au plus rencontrions-nous deux ou trois voitures et quelques vélos. Réunions, jeux et promenades sont alors autant de d’occasions de rompre avec le « vide » des dimanches après-midi.
Souvent, à partir du milieu de la guerre, des enfants venus des villes voisines ou plus éloignées se retrouvaient hébergés par les familles du canton. Au Mazet, dans la ferme de mes parents, rapporte Henriette, on a reçu des enfants d’Aix-les-Bains, de Saint-Étienne et toute une famille venue de Modane après le bombardement de la ville en 1943. Elle se souvient particulièrement de « Violette qui lisait tout le temps et de son frère Claude qui était toujours dans l’atelier de mon père ». Enfants de réfugiés d’Alsace venus s’installer à Aix-les-Bains, ils souffraient du manque de nourriture.

On exploitait le charbon à Saint-Étienne (collection privée)
On exploitait le charbon à Saint-Étienne (collection privée)

« On a eu aussi des enfants des mineurs de Saint-Etienne » qui ont été hébergés par les familles de la commune. « Le petit Joseph qui est venu chez nous était bien pâlichon », mais bien vite « il a pris des couleurs ». La campagne, malgré les difficultés est alors bien plus nourricière que la ville.
Une ancienne élève du Lycée de jeunes filles de Chambéry se souvient d’un été à la campagne, loin de la ville : « Les possibilités de nourrir les enfants… étaient bien plus faciles à la campagne avec du lait, du fromage de ferme, des œufs, un jardin, les fruits du verger. J’allais regarder la traite des vaches à l’étable de la ferme voisine… Le ramassage des œufs pondus dans des petits paniers de bois garnis de paille me passionnait ; les poules nous jetaient des coups d’œil indignés… ».

Les enfants à la campagne, dessin 1942 (collection privée)
Les enfants à la campagne, dessin 1942 (collection privée)

Il n’y a pas eu que les enfants venus se refaire une santé pendant les mois d’été, raconte Henriette. Lorsque la Savoie a été bombardée, les communes du canton ont été sollicitées pour accueillir des enfants et leur famille. Après le bombardement de Modane se souvient-elle encore, « nous avons hébergé toute une famille, le père, la mère et leurs trois enfants. On les a logés dans l’atelier de mon père. On s’est organisé pour les faire dormir au chaud, bien enveloppés dans des couvertures et on les faisait manger ».

Journal du 12 novembre (archives en ligne).
Journal du 12 novembre (archives en ligne).

En 1944, dans le bulletin paroissial de La Biolle, une demande est adressée aux familles pour les mêmes raisons, écrit Henri Billiez dans le numéro 32 de la revue Kronos. « En mai 1944, il est fait appel aux foyers de La Biolle qui accepteraient d’accueillir des enfants, pour les mettre à l’abri des bombardements qui ravagent nos centres industriels et ferroviaires et nos ports. Un même appel avait été lancé quelques mois auparavant ». C’est que la guerre aérienne touche durement la Savoie depuis un an déjà : Modane est frappée deux fois, le 17 septembre puis le 10 novembre 1943, le 10 mai 1944 c’est Annecy et ses industries qui sont visées et enfin le 26 mai 1944 c’est Chambéry et ses installations ferroviaires sur lesquelles pleuvent les bombes américaines.

Accueil des réfugiés. Albens ? (archive privée)

« Nous savons aujourd’hui »i, écrit encore Henri Billiez, « que des enfants ont été souvent accueillis à La Biolle durant la guerre, comme dans d’autres communes ». L’Albanais très rural reste à l’écart de la guerre aérienne, il est en retour une zone d’accueil pour les sinistrés. Il a dû exister des centres d’hébergement que les communes ont mis en place dans l’urgence. Une photographie trouvée sur un site de vente en ligne porte au dos la petite note suivante « réfugiés 39/45 – Albens ? ». Il est difficile de localiser cette grande salle où l’on a installé de nombreux petits lits et organisé au centre une sorte de salle à manger. Mais quelque soit l’endroit et le moment, une chose est certaine, aider les enfants a été et reste toujours un impératif fort.

Jean-Louis Hebrard

Brèves agricoles de l’entre-deux-guerres

Les colonnes du Journal du Commerce et de l’Agriculture de Rumilly regorgent dans ces années-là d’une multitude d’informations brièvement annoncées permettant au lecteur d’aujourd’hui de retrouver les échos d’une vie agricole pleine de surprises.
Durant vingt ans, au fil des pages, ont été publiés le cours d’une paire de bœufs dans les foires villageoises mais aussi une présentation de l’engrais « Magic Tabac » comme celle de la race de poule « Faverolles » primée au concours agricole d’Albens. Partons à la découverte de quelques unes de ces « petites fenêtres » ouvertes sur la vie rurale d’alors.
La fréquentation des foires aux bestiaux, les échanges qui s’y effectuent, les cours qui s’y pratiquent sont rapportés mensuellement : « Favorisée par le temps, la foire de février qui s’est tenue vendredi avait attiré une très grosse affluence de visiteurs. Le bétail particulièrement nombreux emplissait le vaste champ de foire, et nous avons noté un chiffre de paires de bœufs rarement égalé. Les cours sont demeurés stationnaires et les transactions ont été assez actives, » peut-on lire en 1937 au sujet de cette foire à Albens.
Une information similaire est donnée pour la foire de mars de La Biolle où l’on note aussi parmi le bétail « un grand nombre de paires de bœufs » mais aussi de vaches.

Attelage dans les années 30 (collection famille Picon et Kronos)
Attelage dans les années 30 (collection famille Picon et Kronos)

La foire demeure alors un lieu d’échanges très actif comme on le constate pour celle qui se tient en février 1924 à Albens et qui « avait rassemblé un lot imposant de beau bétail ; les forains étaient nombreux et ont fait des affaires. Par contre, les agriculteurs demandent le fort prix pour le bétail ; les marchands sont tenaces et la foire a duré jusque dans l’après midi ; douze wagons de bestiaux ont été expédiés sur les centres : Lyon et Paris ».
D’après l’étude de Josette Reynaud « L’Albanais (Savoie) – étude économique » parue en 1944 dans la Revue de Géographie Alpine, on comprend le pourquoi de cette domination des bovins dans l’élevage local. La préoccupation principale écrit-elle « est le lait, les vaches laitières forment les 76% du troupeau de gros bétail ; à côté les bœufs au nombre de 442 n’en représentent que les 6% ». Puis elle précise à propos de la vache qu’elle « est devenue l’un des pivots de l’agriculture albanaise ; c’est désormais elle qui est le gagne-pain le plus assuré du cultivateur, qui fournit le rendement le plus stable ».
Les vaches, très souvent de race tarine, sont particulièrement prisées comme en 1928 où durant la foire d’Albens, « le prix des vaches laitières a marqué une légère hausse ». C’est un fait divers qui nous permet d’avoir une indication plus chiffrée. En 1924, le Journal du Commerce rapporte le vol qui a eu lieu dans une ferme à Saint-Ours : « Mme Jeanne C, ménagère, âgée de 55 ans, qui avait quitté son domicile vers 13h30, constate, à son retour, vers 18 heures, que les couvertures et le matelas de son lit avaient été déplacés. Elle s’empressa de retirer de dessous l’oreiller une somme de 1760 francs qu’elle y avait placée. De cette somme, qui provenait de la vente d’une vache, il ne restait que 760 francs ; les 1000 francs de billets en liasse avaient disparu… La gendarmerie enquête ». Josette Reynaud dans son article nous apprend que « chaque vache donne environ 2000 litres de lait par an ». C’est cette production de lait, acheminée quotidiennement vers les nombreuses fruitières locales qui engendre quelques faits divers savoureux, soigneusement rapportés par la presse locale.

« Chaque soir à l'intersection de la route… » Cliché collection Kronos
« Chaque soir à l’intersection de la route… » Cliché collection Kronos

« Chaque soir à l’intersection de la route… » Cliché collection Kronos

En 1929, ce sont des cultivateurs bavards qui « encombrent » par leur présence le carrefour d’Albens : « nous tenons à signaler que chaque soir à l’intersection de la route de Rumilly, Saint-Félix et La Chambotte, les cultivateurs venant de livrer le lait tiennent des conciliabules obstruant complètement la route. Les autos sont obligées de s’arrêter pour attendre que les porteurs de brandes veuillent bien les laisser passer ». On découvre parfois des informations plus poignantes. Ainsi en 1928 pour cette fraude au mouillage du lait : « B.M, femme I, avait mis de l’eau dans le lait qu’elle vendait et ce à raison de 26%. Au tribunal, la prévenue invoque la misère. Elle reconnaît le délit mais déclare avoir mis de l’eau dans le lait pour subvenir aux besoins de son ménage. Elle est condamnée à 15 jours de prison avec sursis, à 100 francs d’amende ». C’est sans doute pour fuir une telle situation qu’à Saint-Offenge, la même année, que « la dame B.F, qui portait du lait à la fruitière de Saint-Offenge-Dessus, aperçut l’inspecteur des fraudes ; à ce moment elle fit un faux pas, tomba et tout son lait fut versé, sauf une petite partie qui, examinée, fut reconnue suspecte ». Sa chute ne fut pas vaine, « inculpée d’entrave à l’exercice des fonctions du contrôleur, mais prétendant pour sa défense que sa chute est purement accidentelle, le tribunal ne pouvant établir la chose d’une façon certaine, la fait bénéficier du doute ».
À partir de ces faits divers, on voit à quel point, comme l’explique Josette Reynaud, « le lait est devenu pour le paysan une ressource sûre, qui n’est pas sujette aux crises, et c’est pour cette raison et parce qu’il demande moins de main d’œuvre que les céréales et surtout le tabac » qu’il est alors « l’un des pivots de l’agriculture albanaise ».
Le tabac fait aussi l’objet de multiples brèves dans le Journal du Commerce. La plupart concernent les contrôles, le fonctionnement du syndicat des planteurs de tabac, la désignation d’experts ou les déclarations de tabac en mairie. Des dates sont fixées, les planteurs « sont prévenus qu’il ne sera pas reçu de déclarations tardives ».

Le char du Tabac en 1946, Fête de la Terre à Albens (archive Kronos)
Le char du Tabac en 1946, Fête de la Terre à Albens (archive Kronos)

C’est pour cette culture que l’on voit arriver « la chimie » dans les pratiques agricoles. Sous le titre « Syndicat des Planteurs de Tabac des cantons d’Albens et de Grésy-sur-Aix », un article de 1923 nous apprend que les « expériences faites l’an dernier par plusieurs planteurs à l’aide de l’engrais complet, « Magic Tabac », ont donné des résultats assez satisfaisants malgré la très grande sécheresse qui a considérablement gêné l’assimilation des corps entrant dans la composition de cet engrais ». On découvre aussi que « les délégués de la Fédération, après avoir entendu un exposé de la question fait par Madame Meyer, directrice de la maison « Magic », ont décidé qu’il y aurait lieu de recommander aux planteurs l’emploi de ce produit ». Le conditionnement en sacs de 20 ou 50kg n’est que faiblement majoré. Des offres de livraison en gare du domicile sont faites pour inciter à passer commande.
Si nous ne sommes pas encore dans le monde de « l’agro-industrie », nous voyons déjà apparaître la notion de nuisances et de salubrité publique sur laquelle insiste cette brève de 1924 : « Il est rappelé qu’aux termes d’un arrêté municipal, l’épandage du contenu des fosses d’aisances et des purins est interdit dans l’agglomération pendant les mois d’été de 5 heures à 22 heures, à moins de 100 mètres des habitations ».
Déjà, la notion de « troubles de voisinage » était à l’ordre du jour.

Jean-Louis Hebrard