La pénurie qu’entraîne à partir de 1940 le rationnement ouvre l’époque du sans sucre, sans matières grasses et du peu de farine ou de viande. Nourrir la famille devient un casse-tête quotidien pour la ménagère, la mère de famille, la maîtresse de maison. Les recettes de cuisine qui « fleurissent » alors proposent mille et une façons de substituer, remplacer, réduire tout ce qui peut l’être. Ces subterfuges culinaires s’échangent entre ménagères durant les longues files d’attente, peuvent s’entendre à la radio ou découverts dans les multiples ouvrages culinaires édités à l’époque.
Les files d’attente vues par un humoriste
Parmi les plus connus on trouve l’ouvrage d’Edouard de Pomiane, célèbre professeur à l’institut scientifique d’hygiène alimentaire, un livre édité en 1940 sous le titre « Cuisine et Restrictions ».
Sont également appréciés « La cuisine d’aujourd’hui avec ou sans tickets » sous la plume de Jacqueline Hardy, ainsi que « Comment se nourrir au temps des restrictions » rédigé par Mme F. Gay (ouvrage consultable en ligne). Ces ouvrages ont tous en commun de certes livrer des recettes mais surtout de faire accepter les contraintes du moment. La radio propose régulièrement des émissions culinaires. Ceux et celles qui captent « Radio Lausanne » peuvent suivre l’émission bi-mensuelle du journaliste Albert Muret intitulée « Plat du jour » et noter soigneusement, en juin 1942, sa recette du « gâteau aux carottes ».
Almanach de la légion française des combattants (archive privée)
Ces recettes peuvent être classées en fonction des recommandations de l’époque. Une première catégorie pourrait s’intituler « ne pas perdre une miette ». Le pain est l’objet d’une particulière attention. Il doit être coupé en tranches fines comme le proclame une célèbre affiche de ces temps de pénurie. L’image rappelle aussi la rareté d’un aliment que l’on ne peut acheter sans tickets de rationnement et enjoint le « consommateur » d’utiliser « toutes les croûtes pour les soupes ». Une recette de « potage aux miettes de pain » débute par cette série de conseils pratiques : « Les miettes de pain représentent un agent de liaison excellent. Il faut recueillir soigneusement dans une boite toutes les miettes provenant de pain coupé, de dessertes, etc. On peut les conserver au naturel ou après les avoir fait sécher au four. Elles constituent un élément précieux de la confection des soupes et des puddings comme des hachis ». La recette proposée ensuite est celle d’un potage provençal qui tient sans doute son appellation du fait que l’on y incorpore de l’huile et de l’ail. En voici le détail : « Dans une cuillerée d’huile d’olive, faites dorer une tasse à thé de miettes de pain ainsi qu’une tête d’ail hachée que vous pouvez remplacer par un oignon. Mouiller avec un litre d’eau chaude dans lequel vous mettez une pointe de safran et un brin de thym. Laissez bouillir à petit feu pendant une vingtaine de minutes. Si vous disposez au lieu d’eau d’une eau de cuisson de poissons ce potage deviendra délicieux ». La fin de cette recette contient une autre recommandation essentielle pour l’époque, l’eau de cuisson est un bien précieux. « Ne la laissons pas perdre », recommande dans son ouvrage Mme F. Gay : « Les légumes cuits à l’eau communiquent à cette eau une partie notable de leurs sels minéraux. On utilisera l’eau de cuisson des légumes, celle des nouilles et céréales pour les potages qui n’en seront que meilleurs. Les courts-bouillons de poissons serviront également pour nos soupes ».
Cahier de recettes (archive familiale)
Dans les menus que proposent les livres de cuisines, les salades tiennent une place importante. Mais comment assaisonner endives, laitues, pissenlits et autres scaroles quand se pose en permanence le remplacement des corps gras. Edouard de Pomiane n’est pas à court de solution en proposant de « fausses huiles » réalisées avec du beurre si on en dispose, avec de la fécule ou encore à la graisse de cheval. Pour réaliser cette dernière : « Faites fondre, à petit feu, 125 grammes de graisse de cheval, dans une casserole moyenne. Éloignez la casserole du feu. Ajoutez un jaune d’œuf cru. Mélangez au fouet. Ajoutez le jus d’un demi-citron. Mélangez. Par petite portions, ajoutez 1 litre d’eau bouillie et refroidie, en mélangeant au fouet. Vous obtenez un liquide crémeux, jaune, ressemblant à de l’huile figée. Versez dans une bouteille. Avant d’assaisonner la salade, agitez fortement la bouteille ». C’est le temps de la contrefaçon et du remplacement permanent, pour la mayonnaise, les confitures sans sucre ou les entremets. La saccharine, le salicylate de soude en petite quantité permettent de remplacer le sucre. On emploie aussi la springaline, poudre jaune verdâtre destinée à remplacer plutôt mal que bien le fromage manquant. L’ersatz, produit de consommation de moindre qualité destiné à en remplacer un autre devenu rare, règne alors en maître.
Pour améliorer le quotidien, étoffer les menus il y a tous les produits du jardin. Un témoin rapporte : « Pour compléter nos portions congrues, chaque espace de terrain autour des maisons était transformé en potager ». Sur une photographie aérienne du centre d’Albens prise peu après la guerre, on distingue bien l’importance des surfaces consacrées aux jardins potagers.
Carte postale des éditions Combier (collection particulière)
Ils forment une large bande de part et d’autre de l’église. Ils procurent tout ce qui entre dans la composition du célèbre bouillon aux herbes que propose alors une affiche de la Croix Rouge : « Dans un litre d’eau, 60 grammes d’oseille, 60 grammes de cerfeuil, 60 grammes de cresson, 60 grammes de laitue. Salez le tout ; nutritif et sain ».
Ces jardins permettent aussi un petit élevage de poules et de lapins. Les vaillantes pondeuses procurent les œufs indispensables aux recettes du moment comme cette omelette avantageuse : « Prenez deux œufs, battez en neige les blancs, ajoutez de la mie de pain trempée dans du lait écrémé. Bien battre cette composition, salez, poivrez. Cuire comme à l’habitude. Économique. Les œufs sont rares ». Parmi les nombreux moyens employés pour leur conservation il y a le « combiné Barral » évoqué par Nicole Buffetaut dans son excellent livre de souvenirs « Cuisinons sous l’occupation » aux éditions Ysec.
Aujourd’hui, les stratégies alimentaires de ces temps difficiles, économes et parcimonieux, pourraient redevenir source d’inspiration pour tous ceux que les évolutions environnementales préoccupent !
Avec le tournant de la guerre, on n’écoute plus la radio comme on le faisait dans les années 30. Ceux qui possèdent un poste de TSF suivent avec angoisse le déroulement de la bataille de France jusqu’à la terrible annonce de Pétain le 17 juin 1940 : « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut tenter de cesser le combat ».
Dans la presse le 18 juin 1940 (archive privée)
Un article publié dans le « Petit Dauphinois » nous renseigne sur la réception de ce discours défaitiste : « C’est dans un restaurant ouvrier de la banlieue que, portée par les ondes, la voix du maréchal Pétain nous a atteint. Il n’y avait là que des hommes. On mangeait déjà sans appétit. Quand le speaker annonça la déclaration du chef de gouvernement de la France, nous nous immobilisâmes tous. Pâles, crispés, les uns écoutèrent coudes sur la table et front dans les mains ; d’autres, droits sur leur chaise, comme pétrifiés ; quelques-uns debout, mais les épaules rentrées. Et tous les nerfs claquèrent quand tombèrent les mots : « il faut tenter de cesser le combat […] Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire ». Alors, presque tous les hommes qui étaient là pleurèrent. Certains ne purent réprimer des sanglots… Et la Marseillaise qui, du haut-parleur, déferla ensuite dans la salle, ne parvint pas à les fouetter. Un vertigineux silence suivit ». Comme on peut le voir, restaurants et cafés sont souvent équipés d’un poste de TSF ce qui permet aux classes populaires de suivre les évènements. Le message du chef de gouvernement est diffusé depuis le poste de Bordeaux, relayé par les émetteurs encore en service à Toulouse, Marseille, Nice, Grenoble, Montpellier. En effet, l’avance allemande ne permet plus d’émettre à partir de Paris, Nantes ou encore Lyon où l’émetteur a été mis hors d’état avant que les forces du Reich ne s’en emparent.
Lyon (collection privée)
Début juillet, après l’armistice, la nouvelle radio nationale de Vichy diffuse sa première émission depuis le studio installé au Casino de Vichy à proximité du service des informations logé à l’Hôtel du Parc, la résidence de Pétain et de son gouvernement. Au même moment, dans la capitale, Radio-Paris diffuse à nouveau sous contrôle allemand. Très vite, la station parisienne va être la cible privilégiée de Radio-Londres qui émet à partir des studios de la BBC. C’est un de ses « animateurs », Jean Oberlé, qui invente cette ritournelle devenue désormais célèbre « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ». La France se met à l’écoute de la France Libre. En octobre 1940, on raconte qu’à Chambéry les rues sont désertes à l’heure de la BBC. Cette histoire inspire alors un dessinateur de presse qui représente un village de France portes et fenêtres closes, rue vide où trotte un chien solitaire, avec pour légende « L’heure de la BBC ».
Dessin de presse (in Images de la France de Vichy)
Cela suppose la possession d’un appareil de radio. Il est plus difficile d’acheter un modèle dans le commerce mais on peut le faire construire. Publiée dans le Journal du Commerce en mars 1941, cette publicité informe les lecteurs qu’ils peuvent s’adresser à L. Lansard à Chainaz-les-Frasses. Ce dernier assure la « construction d’appareils toute puissance, fonctionnement irréprochable, présentation impeccable au meilleur prix ». On peut aussi le construire soi-même comme l’explique Robert Tournier à propos de son poste à galène réalisé durant la guerre : « J’ai monté mon premier poste de TSF… Il fallait que j’aille voir des gens qui faisaient de la radio à Saint-Félix, au Viviers-du-Lac… Je faisais beaucoup de récupération, récupération de cuivre, de bobinages, de vieilles lampes… C’est avec ça que j’essayais de me débrouiller ».
Poste à galène (collection privée)
Après l’installation d’une longue antenne aux alentours de la maison à Saint-Girod, il a été possible de se mettre à l’écoute des nouvelles du monde : « on venait écouter surtout les informations pendant la guerre… On se réunissait pour écouter ce qui se passait, mais c’était pas évident… et comme c’était défendu, c’était défendu d’écouter la BBC, donc l’Angleterre, on risquait de se faire choper ». L’écoute de la radio présente alors des risques lorsqu’on s’éloigne des radios officielles comme le rapporte ce témoin chambérien : « un Téléfunken, que mon père écoutait, le soir, dans la pièce la plus centrale de la maison, la radio avait moins de chance de s’entendre dehors… Il écoutait aussi la Suisse, Radio-Sottens ».
La radio est aussi une source de distraction avec la retransmission de concerts, de pièces de théâtre, de chansons à la mode. Voici le programme que propose à ses auditeurs en janvier 1943 le poste de Grenoble : « Musique de charme, Les reines de France par Léon Treich, les chefs d’œuvres oubliés par André Thérive, Faites nos jeux par Robert Beauvais, Le Chemineau de Jean Richepin » et pour clôturer la journée à 22h30 « Une heure de rêve aux Alentours de Paris ». On peut aussi suivre des émissions culinaires qui proposent des recettes pour temps de pénurie.
Avec l’accélération de l’histoire en 1944, les tensions à propos de la radio s’accroissent. Posséder un poste peut vous mettre dans une situation difficile. C’est ce qui ressort de la lecture du journal « Le Petit Savoyard » de début septembre. On y apprend qu’à Moûtiers et aux alentours « par ordre des troupes d’occupation allemandes, les possesseurs de postes de radio avaient été priés de porter leurs appareils dans des endroits désignés. L’ordre a été exécuté et pendant quelques jours de nombreux postes – plusieurs centaines – ont été entreposés à la caserne de la ville ». La ville de Moûtiers enfin libérée, les propriétaires ont eu du mal à récupérer leur matériel dans de bonnes conditions suite à des détériorations et plus grave à des disparitions. Aussi le journaliste alerte-t-il les « indélicats » qu’ils sont priés « de les rapporter avant que plainte soit déposée ». La libération de tout le territoire achevée, la reconstruction du réseau radiophonique terminée, une ère nouvelle va s’ouvrir pour la radio avec le transistor.
Dès l’automne 1940, cette >salle de cinéma et de spectacle qui anime depuis douze ans la vie culturelle locale doit brutalement s’adapter aux nouvelles conditions d’exploitation qu’imposeront successivement le régime de Vichy puis l’occupation allemande. Un temps de contraintes matérielles, morales et politiques s’ouvre alors qui ne connaîtra son terme qu’à l’été 1944 avec la Libération.
Pour traverser cette période, les courtes notices relevées dans le Journal du Commerce de Rumilly seront notre guide principal.
Numéro 3796 du Journal du Commerce, année 1944 (archive du journal)
Les évènements tragiques de mai/juin 40 étant passés, la saison cinématographique débute dès le mois d’octobre. Avec elle s’ouvre le temps des pénuries, du contrôle exercé par l’occupant et par les autorités françaises. Dans le Journal du Commerce, l’ouverture de la saison est désormais accompagnée de cette formule explicite : « malgré les difficultés de l’heure, le Foyer a pu s’assurer pour cette saison de toute une série de beaux programmes ». Une simple phrase qui résume bien le carcan dans lequel les petites salles de cinéma se trouvent prises. L’historien du cinéma François Garçon dans son ouvrage « De Blum à Pétain 1936/1944 » nous apprend que ce contrôle se met en place très tôt lorsque « la Commission d’armistice, dès le 24 août 1940, remet à la délégation française une liste de films considérés par le gouvernement allemand comme films d’incitation à la haine contre l’Allemagne, soit cinquante-sept films américains, six anglais et quinze français ».
Aussi n’est-il pas surprenant que sur la quinzaine de films projetés par le Foyer albanais entre octobre 1940 et avril 1941, on relève une majorité de films français récents. Seuls le film soviétique « Tempête sur l’Asie » et « Ramona », film tourné aux Etats-Unis, échappent à cette « francisation » de la sélection.
Annonce du film archive privée)
Tous les films français retenus sont récents, tournés entre 1937 et 1939 avec des vedettes confirmées comme Larquey, Pauline Carton, Fernandel, Andrex et quelques jeunes premières comme Anne France ou Gisèle Préville. Les comédies sentimentales, militaires ou dramatiques dominent, souvent adaptées d’un roman de la fin du XIXème siècle. C’est le cas de « Mon oncle et mon curé » projeté en février 1941. Ce film, réalisé par Pierre Caron est un succès cinématographique du moment. Durant 1h25, on suit les aventures d’une jeune femme du nom de Reine (interprétée par Anne France) qui, avec l’aide de son oncle et celle de son curé, parvient à fausser compagnie à une tante acariâtre et à épouser l’élu de son cœur.
Réalisé par George Pallu en 1939, le film « Un gosse en or » est une autre de ces comédies dramatiques qui enchantent le public. « Avec Larquey, Ainos et le petit Farguette », précise le Journal du Commerce, « c’est une œuvre pleine de gaieté et d’entrain qui doit connaître un grand succès ». Il faut dire que les vedettes à l’affiche de ce film sont des « pointures » de l’époque. Gabriel Farguette est un jeune acteur qui a déjà tenu des rôles d’enfant dans des films de la fin des années 30. Il a été Tigibus dans « La guerre des gosses » et a déjà tourné avec Georges Pallu en 1937 dans « La rose effeuillée ». Pierre Larquey est un des grands seconds rôles du cinéma. Entre 1940 et la Libération il va être à l’affiche de plus de vingt-cinq films. Ses rôles les plus connus de l’époque seront ceux de Monsieur Colin dans « L’assassin habite au 21 » et du docteur Vorzet dans « Le Corbeau » sous la direction de H-G Clouzot. « Un gosse en or » va être
à l’affiche du Foyer le 9 mars 1941.
Revue de cinéma de l’époque (archive privée)
Une autre contrainte pèse sur la programmation et le choix des films, celle de leur contenu idéologie et politique. Comme l’écrivent certains, « En ce domaine, la politique prime l’art ». C’est bien le cas pour le film « Trois de Saint-Cyr » projeté les 29 et 30 mars 1941. Ce film patriotique sorti en 1939 célèbre d’abord la première école de formation des officiers avant d’aborder dans une seconde partie leur engagement héroïque en Syrie où la France de Vichy défend alors ses intérêts. Deux éléments de la devise de l’État français se lisent en filigrane. La « Famille » tout d’abord, lorsque Pierre Mercier, major de promotion, renonce devant l’insistance de sa mère à la prestigieuse institution, traduisant de la sorte son dévouement, son amour filial sans limite. La « Patrie » ensuite avec la mise en scène de l’héroïsme colonial des élites militaires en Syrie. Il faut bien faire oublier la défaite de 40 et continuer de glorifier le drapeau, l’armée et la nation.
Dès 1942, ce sont des restrictions matérielles qui à leur tour viennent entraver le bon fonctionnement de la salle de spectacle. Voici ce que l’on annonce dans le Journal du Commerce, début janvier : « Au Foyer : il n’y a pas de programme cette semaine pour raison d’économie d’électricité et de charbon. La semaine prochaine, soit samedi 17 janvier et dimanche 18 commencera une série de trois beaux programmes. Le premier de la série sera : ESPOIRS avec Constant Rémy et Larquey ». Cette comédie dramatique réalisée par Willy Rozier en 1940 est l’histoire de deux jeunes gens, amis d’enfance, dont l’amour naissant est contrarié par leurs familles à propos d’une affaire de champs mitoyen. Pour préserver leur amour, ils cherchent à fuir en barque et manquent de se noyer. Conscients de leurs responsabilités dans cette tragédie, les deux familles se réconcilient. Quelle pouvait être la réception d’un film plaçant la réconciliation au cœur de l’histoire au moment où Laval allait revenir aux affaires, avec les conséquences que l’on connaît. Réconciliation et collaboration plus affirmée allaient renforcer encore le pillage opéré par l’occupant sur toutes les matières premières, les produits agricoles et industriels de la France. La population allait durement s’en rendre compte.
Il faut disposer de cartes de ravitaillement pour pouvoir bénéficier des maigres rations octroyées par le gouvernement. Dans l’Albanais comme ailleurs, c’est avec une carte de charbon que l’on peut retirer le combustible indispensable durant les hivers très froids de 1942 et 1943. Le Foyer albanais, ne disposant pas de suffisamment de combustible pour chauffer la grande salle et devant aussi économiser l’éclairage, annule la séance prévue.
Carte de rationnement (archive privée)
Le cinéma doit également prendre en compte la baisse du nombre des films en circulation du fait de la disparition des matières premières entrant dans la composition de la pellicule. « La diminution du nombre de copies positives contribue alors à ébranler le cinéma français » rapporte François Garçon dans son ouvrage, précisant ensuite que « les 60/80 copies par film d’avant guerre sont ramenées à 30/40 durant l’Occupation, pour n’être plus que 26 au printemps 1943 ».
Affiche de propagande allemande – 1941/42 (manuel scolaire)
Les films se faisant rares, le Foyer albanais mettra plus souvent à son programme de grandes soirées théâtrales, des spectacles de music-hall et des soirées concert. On fait appel à des troupes locales telles « La Scène » de Chambéry qui joue au profit de « l’œuvre des prisonniers » le 8 juin 1941. Le Journal du Commerce détaille longuement le contenu de la soirée avec au programme : « Un jeune homme qui se tue, comédie en quatre actes de Georges Berr, qui a obtenu dernièrement un grand succès au théâtre de Chambéry. Nous avons déjà eu, en septembre 1938, l’occasion d’applaudir cette sympathique compagnie et le souvenir du succès qu’elle a remporté ne s’est pas effacé. On peut s’entendre à un nouveau triomphe, la pièce étant d’un entrain fou et d’une gaieté débordante d’un bout à l’autre ».
La même troupe est reçue deux mois plus tard pour une grande soirée de music-hall. Un spectacle de trois heures avec « le concours du comique Morand, des merveilleux acrobates : Les Andrenas, du compositeur accordéoniste Daljan et des chanteurs : Mag Gill et Relgey », précise le Journal du Commerce.
L’année suivante, le journal signale le passage du « groupe artistique de la société chorale d’Aix-les-Bains » pour un concert vocal avec sketch comique et fantaisie puis la venue quelques semaines plus tard de « la sympathique troupe de P. Barlet avec son célèbre orchestre et toute sa joyeuse compagnie dans un spectacle entièrement nouveau » pour laquelle « en raison de l’importance et de la valeur du spectacle, les prix habituels des places seront exceptionnellement majorés ».
La JACF d’Albens (archive privée)
Les troupes professionnelles ne sont pas les seules à se produire au Foyer albanais. Les jeunes de la JAC et de la JACF assurent aussi des séances récréatives au profit des prisonniers de guerre. Voici ce que l’on peut lire dans la presse locale à propos du spectacle donné en juin 1942 : « Les spectateurs étaient venus nombreux, même des communes avoisinantes, applaudir et témoigner leur sympathie aux jeunes acteurs et actrices, qui manifestèrent un réel talent, dans la présentation du programme tour à tour sérieux, patriotique et comique. La recette produite par les trois représentations sera affectée à la confection d’un colis à chacun des 28 prisonniers de la commune. Bravo et merci les jacistes. Une fois de plus, vous avez donné la mesure de votre désintéressement, de votre dévouement et de votre esprit de solidarité fraternelle ».
Nous retrouvons ces soirées récréatives tout au long de la guerre. Peu avant le débarquement de Normandie, on annonce encore que « devant le succès remporté, les jeunes donneront une troisième et dernière séance, salle du Foyer, dimanche 4 juin, après midi à 15h30 ».
Ecussons vendus à la Libération (archive privée)
Les semaines qui suivent plongent à nouveau la France dans le tourbillon de la guerre. Ce sont les troupes débarquées le 15 août en Provence, appuyées par les Forces Françaises de l’Intérieur, qui libèrent tout le sud-est de la France. Désormais les temps changent, la république est restaurée, la figure du général de Gaulle domine la scène politique. La saison d’automne du Foyer albanais s’ouvre sans surprise par un grand gala FFI qu’un article du Journal du Commerce nous annonce ainsi : « Dimanche 29 octobre à 14h30 et à 20h salle du Foyer, grand gala FFI au profit des réfugiés de la Maurienne avec le concours de Salembier du Grand Cercle, de Micheline Guilland et des artistes amateurs d’Aix-les-Bains. Nous félicitons les F.F.I de l’initiative de cette manifestation qui étant donné son but de bienfaisance doit remporter un grand succès ».
Mais la programmation des films n’est suspendue qu’un instant. En effet, le Journal du Commerce s’empresse d’avertir qu’après le gala « un très beau film » sera proposé « la semaine prochaine, samedi 4 novembre et dimanche 5 » avec à l’affiche « Michèle Morgan, dans Les Musiciens du Ciel ». Une production en phase avec le contexte du moment. Ce film dramatique de Georges Lacombe sorti en 1940 s’appuie sur un scénario tiré d’un roman de René Lefèvre. Michèle Morgan tient le rôle central d’une officière de l’Armée du salut dont le dévouement tirera un petit malfrat de l’ornière. C’est le retour sur les écrans du Foyer albanais de cette grande actrice dont le dernier tournage en France remontait à 1939 avec sa participation remarquée dans « Remorques » au côté de Jean Gabin. En effet, peu après le début du conflit mondial, elle part s’installer aux USA où elle tournera cinq films peu marquants. Bientôt elle regagnera le haut de l’affiche pour son rôle dans la « Symphonie pastorale » pour lequel elle va recevoir le premier prix d’interprétation féminine de l’histoire du festival de Cannes en 1946.
Affiche du film Remorques (archive privée)
La grande scène du Foyer albanais nous a permis de visionner quelques images de ces temps douloureux et de voir comment fut maintenue la lumière des écrans et de la scène apportant un peu de gaieté dans un quotidien difficile. Une nouvelle séquence historique commence qui verra le Foyer albanais reprendre un cours plus apaisé avec une programmation intégrant à nouveau des films produits par les grandes nations de la « planète cinéma ».
En cette année 1867, les travaux de construction du chemin de communication n°5 battent leur plein à Gruffy. Il s’agit d’un nouveau tracé de la route qui permettra à terme de relier Gruffy à Cusy après avoir jeté un pont au-dessus du Chéran, le futur pont de l’Abîme. Les ouvriers peinent alors à ouvrir une large tranchée de dix mètres à travers un monumental amas de pierres que l’on appelle ici murgier ou murger. Les pelles et les pioches sonnent, tapent, s’activent lorsque les hommes s’arrêtent : diverses antiquités et trois pièces de monnaies gauloises viennent d’apparaître. Gruffy entre sans le savoir dans les annales de l’archéologie savoyarde et le murgier du Mollard (chez Collombat Antoine) avec.
Un murgier dans les champs de Gruffy
Désormais, au fil des travaux routiers, les découvertes archéologiques se succèdent : 1878 puis 1884 et enfin, plus tardivement, 1926. Lorsqu’en 1878 des fragments de crânes viennent au jour, mêlés aux objets de bronze, les ouvriers créent aussitôt une légende de colporteurs assassinés. Tout ce bruit attire les érudits locaux qui vont sérieusement se pencher sur ces vestiges. Outre M. Rassat (instituteur à Quintal) et le docteur B. Thonion (membre de l’Académie Florimontane, auteur d’un article dans la « Revue Savoisienne » intitulé « Le murger de Gruffy et son tumulus »), c’est le conservateur du musée municipal d’Annecy, Louis Revon, qui contribue à sauver l’essentiel de ces objets. Au milieu des bracelets en bronze, en bois, des fibules (agrafes métalliques) mis à jour, il repère des armes en fer dont une épée courte qui va devenir célèbre sous le nom de « poignard anthropomorphe de Gruffy ». Arrêtons-nous un instant sur cet objet dont on peut voir l’original au musée d’Annecy et une copie dans les vitrines du musée d’Histoire Naturelle de Gruffy.
Poignard anthropomorphe au musée d’Histoire Naturelle de Gruffy
Les premiers archéologues en donnent la description suivante « épée en fer -avec partie de fourreau- poignée de même métal, figurant le corps humain avec bras et jambes écartés en forme d’X ». Ils datent rapidement cette arme de 34 centimètres de long du premier âge du fer nommé aussi Hallstatt (du nom d’un site archéologique autrichien datant du VIIème siècle avant notre ère). Cette datation a aujourd’hui été revue pour attribuer cette petite épée au second âge du fer (Vème au Ier siècle avant notre ère), âge dit de La Tène d’après le site éponyme des bords du lac de Neuchâtel en Suisse.
Quelle que soit la datation de l’arme, un fait s’impose, nous sommes plongés dans l’âge du fer qui voit arriver ici, en deux temps, les nouvelles populations celtes, chaque vague laissant derrière elle des marqueurs bien caractéristiques.
C’est la pratique funéraire des tumuli (pluriel de tumulus) qui permet d’identifier la première vague du Hallstatt (VIIème-Vème siècle avant notre ère). Ainsi une partie des murgiers de Gruffy pourrait être l’œuvre de ces cavaliers du premier âge du fer. Une partie seulement car, comme l’écrit Alain Melo dans le compte-rendu de son étude menée sur le terrain (publié en 2001 par le Service Régional de l’Archéologie Rhône-Alpes), « il est probable qu’un nombre important de murgers appartienne au travail agricole ». Toutefois, précise-t-il, certains murgers groupés dans le secteur du Mollard « semblent signaler une nécropole implantée à proximité de l’ancien chemin d’Allèves… Le mobilier trouvé dans les tombes situerait l’occupation de cette nécropole entre 550 et 250 av.J-C ».
Quant à la nouvelle vague d’arrivants, celle du second âge du fer (Vème au Ier siècle avant notre ère), nous avons moins de mal à les identifier. En effet, leur expansion les met en contact avec les civilisations méditerranéennes qui connaissent l’écriture et qui vont leur donner les noms que nous employons encore aujourd’hui. Ils sont appelés « Keltoi » par les Grecs, c’est-à-dire les Celtes tandis que les Romains les baptisent « Galli », les Gaulois. Ce sont encore des auteurs grecs comme Polybe qui nous apprennent le nom de ce peuple gaulois installé depuis le IVème siècle avant notre ère entre le Rhône, l’Isère et les Alpes du nord : les Allobroges, « les gens venus d’un autre pays ».
Ces gaulois allobroges échangent avec les grecs de Marseille (Massalia). Ainsi des monnaies grecques ont été découvertes à Albens, à Alby-sur-Chéran (obole de Marseille). Bientôt ils frappent leur propre monnaie. En effet, ces maîtres du feu et de la métallurgie n’ont aucune peine à produire de belles frappes d’argent, souvent très esthétiques (monnaie à l’hippocampe, monnaie au cervidé). Le cheval étant leur grande passion, ils le figurent souvent au revers de leurs pièces (monnaie au cavalier, monnaie au cheval galopant – voir l’ouvrage « Les Allobroges » sous la direction de J-P Jospin, 2002 Infolio éditions). Ces motifs apparaissent en nombre dans le « trésor monétaire » trouvé au XIXème siècle à Alby-sur-Chéran, daté à l’époque du IIème et Ier siècle avant notre ère. Une petite monnaie gauloise de la même période, aujourd’hui disparue, fut aussi trouvée à Albens, probablement vers la Ville.
La Ville, un site archéologique qui a soulevé et soulève encore bien des interrogations. Son emplacement à proximité d’une confluence, celle de la rivière Deysse avec l’Albenche, sa forme ovale allongée et cernée de murs puissants peuvent faire songer à une implantation allobroge. Tel n’était pas le point de vue de l’archéologue Pierre Broise qui écrivait dans les années 1970 « Albens possède une enceinte qui, à notre avis, présente les caractères d’un petit castrum du Bas-Empire, bien que les uns aient voulu y voir un camp romain et d’autres une simple digue contre les eaux ». Mais on ne peut s’empêcher de penser que cette butte fortifiée a pu l’être avant l’arrivée des romains, ces derniers reprenant ensuite les structures mises en place par les allobroges.
La forme ovale de la Ville est bien visible sur cette photographie aérienne
Quoi qu’il en soit, la structure de la Ville reste un beau témoin de cette époque de transition qui voit les hommes passer de « l’antichambre de l’Histoire » (la Protohistoire) à l’Histoire. Bientôt sera gravée la belle inscription en l’honneur de Caius Sennius Sabinus, une histoire déjà contée dans un autre article.
Après l’évocation de la mobilisation générale, le 2 août 2014, une équipe de Kronos, animée par Raymond Georges et Marie-Thérèse Michaud, a préparé une exposition consacrée à la population du canton d’Albens dans la Grande Guerre.
Son vernissage a eu lieu le samedi 18 octobre à 18h au centre administratif d’Albens, et s’est terminée le 15 novembre.
Dans l’entrée du centre administratif d’Albens, vous découvrirez, à travers une série de grands panneaux et d’affiches, le déroulement du Premier conflit mondial.
À l’étage, dans la salle Baladda, ce sont les objets prêtés par les familles qui vous seront présentés. Ici, quelques grandes figures d’hommes et de femmes du canton seront mises en valeur : membres du personnel médical en service de 1914 à 1918 (médecin militaire, infirmière d’Albens décorée pour son dévouement), poilus, évoqués à travers portraits, objets du quotidien, décorations, citations, lettres…
Clôturant l’exposition, une belle sculpture de Jean-Louis Berthod consacrée à la figure du Grand Meaulnes vous guidera vers une sélection d’ouvrages présentée par la bibliothèque d’Albens.
Cliquez sur l’image pour la voir en plus grand
Vous pourrez y voir, entre autres :
Ce dernier document d’assez grande dimension connut une étonnante histoire.
À la fin de sa vie, l’ancien caporal Joseph Picon, agriculteur à Collonges a caché ce document qui rendait hommage à son courage durant les combats de la Grande Guerre.
Roulé, bien enveloppé dans du papier et du plastique il l’a glissé dans un interstice d’un mur du grenier de la maison familiale. Comme une « bouteille à la mer » il a flotté au fil des mois et des années jusqu’au jour où son arrière petit-fils, entreprenant des travaux sur ce mur le découvrit.
Magnifique document, il nous parle d’un de ces « paysans » de l’Albanais qui à l’image de tant d’hommes de la terre de France fit son devoir puis s’en retournât chez lui sans autre forme de procès.
Galerie photo de l’exposition
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L’affiche de l’exposition
Par ici la visite !
Les poilus créent de véritables ateliers dans lesquels ils transforment obus, balles ou grenades en objets du quotidien. Ici, des obus gravés, martelés deviennent des vases qui devraient recevoir les fleurs de la paix.
Le casque du poilu, modèle Adrian, est adopté par l’armée française en 1915. Ici, deux exemplaires fournis par les familles permettent de voir toutes les particularités de ce casque. Celui du haut a conservé sa garniture en cuir.
Remarquez la belle canne sculptée. Voyez aussi les motifs floraux ou végétaux réalisés par les artistes des tranchées. Quant au nom CHAMPAGNE , il évoque non l’actuelle boisson festive mais une terrible zone de combat.
Caporal Peugeot, premier tué de la guerre
Fin août 1914. On dénombre les premiers tués du Canton. Ils concernent la Biolle, Épersy, Cessens, Albens… C’est le temps de grandes offensives meurtrières.
Affiche de mobilisation générale
Le décret de mobilisation générale signé par le président de la république, Raymond Poincaré est transmis à toutes les mairies de France en cours d’après-midi du samedi 1er août. Cette grande affiche de 90 x 70 cm est placardée devant les mairies puis le tocsin sonne. Les hommes avertis ne commenceront à rejoindre leurs régiments qu’à partir du dimanche 2 août. Le canton d’Albens se vide, 700 hommes des classes 1898 à 1910 partent dans la semaine.
Journal du Commerce
L’Allemagne a attaqué la France
Le journal de Rumilly (aujourd’hui l’Hebdo des Savoie) est un hebdomadaire qui paraît chaque samedi à Rumilly et le dimanche ailleurs.
L’annonce de la déclaration de guerre de l’Allemagne le mardi 3 août 1914 ne peut être publiée dans le journal qu’en fin de semaine, c’est-à-dire le dimanche 9 août 1914.
La guerre européenne se mondialise
Par le jeu des alliances, la guerre qui éclate en août 1914 est d’abord un conflit entre puissances européennes.
La domination coloniale (voyez le vocabulaire employé : « principales races ») et les relations économiques la mondialisent ensuite.
Les Chefs de Guerre
En 1914, Joffre reste célèbre pour la bataille de la Marne ainsi que Gallieni (commandant le camp retranché de Paris). En 1916, Pétain, qui a remplacé Castelnau, reste maître de la place de Verdun. Il faut citer, en 1917, le général Nivelle, pour l’échec de l’offensive lancée en Artois et Champagne. En 1918, Foch devient général en chef des armées alliées.
Une guerre de mouvement
Durant l’été et l’automne 1914, sur le front occidental, les armées allemandes, belges, françaises et britanniques se livrent des batailles sanglantes (plus de 300 000 tués en cinq mois côté français). Après la bataille de la Marne (début septembre) les armées allemandes reculent avant que le front ne se fixe sur plus de 600 km, des Vosges à la mer du Nord. Les hommes s’enterrent, une guerre de tranchées débute, elle va durer plus de trois ans.
Carte du front et principales batailles
De la mer du Nord à la frontière suisse, les armées vont mener une longue guerre de position marquée par des tentatives de percée du front : Champagne (1915) Verdun, La Somme (1916), Artois, Chemin des Dames (1917)…
Les tranchées
Première guerre moderne, la Grande Guerre est une guerre mécanique et industrielle. La puissance de feu qui la caractérise (artillerie lourde, mitrailleuses) contraint le soldat à se transformer. Pour se protéger, il creuse des tranchées hérissées de barbelés, il porte un casque d’acier (casque Adrian pour les Français). Pour être moins visible, il adopte une tenue moins voyante : tenue bleu horizon pour le Français, vert foncé pour les Allemands, kaki pour les Britanniques.
Des Dardanelles à Salonique 1915-116
La bataille des Dardanelles fut un affrontement qui opposa l’Empire Ottoman (Turquie) aux troupes françaises et britanniques pour le contrôle des détroits reliant la mer Noire à la mer Égée, ce fut un échec, les troupes furent ensuite redéployées sur le front de Salonique en Grèce pour soutenir la Serbie et la Roumanie nos alliées.
La douleur des familles 1915-1917
Le Journal du Commerce (Hebdo des Savoie) publie à partir de 1915 des photographies des soldats savoyards morts au champ d’honneur.
Ces informations fournies par les familles expriment la douleur de ces dernières.
Le type de poilu
Cette affiche donne à voir la tenue du poilu. Elle évolue à partir de 1915 pour s’adapter aux conditions de combat des tranchées. Le poilu transporte désormais une partie de son « barda » dans des musettes. Il se protège comme il peut de l’humidité, du froid et de parasites (chaussettes en laine, passe—montagne, peigne à poux) et attend le réconfort de « la pipe, le pinard, les permissions » et surtout des lettres de sa famille.
Hector Lachenal
Tué sur le front de la Somme, à la Maisonnette, le 29 octobre 1916, à l’âge de 23 ans.
Il est le fils d’une institutrice et d’un instituteur en poste à Albens avant la Grande Guerre.
Brillant étudiant, il est remarqué par le célèbre géographe Raoul Blanchard auprès duquel il entreprendra des études universitaires à Grenoble. (Ils auront dû présenter le concours de l’agrégation et écrire une thèse sur les Bauges),
Le voici dans sa tenue de sous-lieutenant du 97e Régiment d’lnfanterie dans lequel il a été incorporé dès le 6 août 1914. Passé caporal en janvier 1915, sergent en mai puis adjudant en octobre, il s’est battu principalement en Artois avant d’être nommé sous-lieutenant en 1916 sur le front de la Somme.
Chevalier de la légion d’honneur à titre posthume, croix de guerre (trois citations).
Les Conscrits d’Albens en 1917
Cette photographie retrouvée au cours d’une brocante présente les 20 Conscrits d’Albens, classe 1917. Ces hommes viennent de passer devant le conseil de révision qui s’est tenu en mairie d’Albens le 9 juin 1915.
L’armée française a besoin d‘hommes, elle avance de deux ans la date de recrutement pour ces hommes qui n’ont à peine que 18 ans. Sont convoqués le même jour les ajournés des classes 1913-1914 ainsi que les réformés de 1914.
Verser son or – la mobilisation économique
Toute l’épargne est drainée par la guerre qui engloutit des sommes énormes. Pour faire face les gouvernements augmentent les impôts et la masse de billets en circulation : ils lancent de grands emprunts auxquels la population répond généreusement en échangeant ses pièces d’or contre des bons de la Défense Nationale.
Plus de cors
Cette affiche publicitaire vante les mérites d‘un produit pharmaceutique pour soigner cors, durillons, œils de perdrix, verrues, …
« Ils n’ont pas le Spécifique Victorieux » est un bel exemple de propagande antiallemande que nous pouvons regarder aujourd’hui d’un œil surpris et amusé. Mais n’oublions pas qu’à l’époque, les pieds du fantassin doivent « être l’objet de soins attentifs. »
Clémence Brunet
Elle va s’illustrer durant la Grande Guerre comme infirmière de l’Union des Femmes de France (Croix Rouge). Elle a 29 ans en 1914 quand elle soigne les blessés sur le front occidental. En 1917 on la retrouve comme infirmière major sur le front roumain, à Jassy.
Là elle soigne avec courage les soldats de l’armée française d’Orient atteints de typhus. Deux fois décorée de la médaille des épidémies, elle reste une des rares figures féminines de la première guerre mondiale à l’échelon local.
Il a fallu retrouver cet article du Journal du Commerce pour que Clémence Brunet sorte de l’oubli et ne soit plus « une oubliée de la mémoire ». Les clichés photographiques proviennent d’archives familiales.
Le travail des femmes
On fait massivement appel aux femmes et aux jeunes. En France l’industrie d’armement emploie 1,7 millions de personnes en 1918 (contre 50 000 en 1914) : 1/4 de cet effectif est composé de femmes, un ouvrier sur 12 a moins de 18 ans.
En 1918, Mlle Pingon est obusière à l’usine d’Alby sur Chéran. Voyez sa fiche de paye datant de 1920 (archives familiales).
Arrivée des réfugiés du Nord à Albens
Par un article du Journal du Commerce daté du 7 juin 1918 on apprend l’arrivée de réfugiés de Lille et Tourcoing. Expulsés par les Allemands qui occupent le Nord depuis 1914, qualifiés par eux de « bouches inutiles », ces femmes et enfants sont arrivés par le train depuis l’Allemagne et la Suisse jusqu’à Évian (photographie) avant d‘être secourus par des familles de nos départements (lire l’article).
Le front en 1918
Les allemands (libérés sur le front Est depuis le retrait de la Russie) tentent de devancer l’arrivée des Américains (entrés à nos côtés en 1917). Ils reprennent avec succès l’offensive et marchent à nouveau sur Paris. Foch, Commandant en chef des forces alliées déclenche alors la deuxième bataille de la Marne (juillet). À partir d’août les Alliés l’emportent sur tous les fronts.
Avions – Joanny Ducroz, mécanicien sur Spad XIII
En 1914 Joanny DUCROZ est forgeron à Albens.
Mobilisé en 1917, il est incorporé au 84e Régiment d’Artillerie avant de devenir mécanicien sur Spad Xlll.
Il pose en 1918 (à droite sur la photographie) devant cet avion. (archives familiales).
Le Spad Xlll est un avion français, le plus rapide à la fin du conflit. Avec les chars, l’aviation concourt à la victoire alliée en 1918.
Comme pour la déclaration de guerre, l’armistice signée le 1 1 novembre 1918 n’est annoncée aux lecteurs du Journal du Commerce que le dimanche 17 novembre 1918.
On démobilise
Le dessin humoristique a été publié en avril 1919 par le Petit Savoyard. (Archives départementales de la Savoie — 96 PER 7).
Dans l’armée française, près de cinq millions de soldats vont être démobilisés en deux phases, l’une de novembre 1918 à avril 1919 et l’autre de juillet à septembre 1919.
En 1920 on recensait en France 600 000 veuves et 760 000 enfants de veuves.
Ce dessin résume en peu de mots cette immense tragédie.
Monument aux morts d’Albens (archives Kronos).
Il est inauguré le 1er novembre 1921 à la mémoire des 73 tués de la Commune.
Au sortir de la guerre, le canton déplore la perte de 239 jeunes hommes pour une population de 5 419 personnes recensées en 1921.
Vue de la salle Ballada qui reçoit l’exposition des objets.
Plus d’une centaine d’objets, documents et affiches évoquent la vie des soldats et des civils de l’Albanais.
De nombreuses affiches sont présentées dans la partie centrale de la salle.
Durant la Grande Guerre, de nombreux artistes mettent leur art au service de l’État. Ici pour l’un des nombreux emprunts de la Défense Nationale.
Des panneaux informatifs permettent d’approfondir certains sujets : les décorations, les troupes alpines…
Comme le conflit s’éternise, l’armée fait appel aux classes plus âgées qui sont versées dans la territoriale. Les Territoriaux rejoignent les différents secteurs du front, entre autres, les Vosges et sont plus particulièrement chargés des liaisons, du ravitaillement en munitions.
Diverses affiches
Les visites pouvaient être commentées par des membres de Kronos.
Les visites pouvaient être commentées par des membres de Kronos.
L’emprunt de la Paix (affiche). Après 1918, la France se retrouve très touchée par quatre ans de combats dont la plupart se sont déroulés sur son territoire. Les régions de l’Est et du Nord sont à reconstruire et l’on ne parle pas de la démographie du pays en perte de vitesse.
L’énorme effort de guerre passe par un rationnement de l’arrière. Il faut quotidiennement nourrir cinq millions d’hommes mobilisés sans parler des autres. L’hygiène de guerre invite les civils (femmes et enfants) à consommer de façon plus frugale.
Vue de l’ensemble des affiches.
Vue de l’ensemble des affiches.
La sculpture évoque Alain Fournier, dont le portrait en haut et à gauche surplombe les héros de son célèbre roman. Comme le caporal Peugeot, l’écrivain fait partie de ces jeunes hommes qui tombèrent dès le début de la guerre
Ce gros plan permet d’admirer la finesse du travail de Jean-Louis Berthod. En 2015, cette œuvre est exposée dans la salle de l’office du tourisme d’Albens.
Le docteur Félix Michaud, mobilisé dès le début du conflit, soignera les combattants tout au long de la guerre.
Le docteur Félix Michaud. L’intérieur de sa cagna a été reconstitué à partir d’une photographie fournie par la famille.
Vue d’ensemble de la cagna, c’est-à-dire d’un abri dans les tranchées.
Des maquettes permettent de se faire une idée d’un hôpital de campagne.
Dans la vitrine à gauche, l’arrivée des blessés dans une gare avant d’être transportés dans les hôpitaux.
Une infirmière de la Croix Rouge. De nombreuses femmes se sont dévouées pour porter secours et assistance aux innombrables blessés. C’est le cas de Clémence Brunet d’Albens, infirmière major qui traversa la Grande Guerre au service des malades et des blessés.
Vitrine consacrée au matériel chirurgical.
Les soins corporels sont évoqués à travers un « coupe choux », la bassine et le blaireau pour le rasage. Remarquez aussi les peignes fins, bien utiles pour se débarrasser des poux.
Des pansements, fioles, seringues, pinces chirurgicales mais aussi des documents comme « Conseils au Soldat pour sa santé ».
Au centre de la vitrine, une belle canne sculptée par un poilu de l’Albanais durant son séjour sur le front d’Orient.
Détail du décor sculpté. Vous trouverez une description détaillé dans le livre « Se souvenir ensemble ».
Lettres et cartes postales – plus de 4 millions de courriers transitaient quotidiennement sur le front français.
Objets et documents se rapportant à la cartographie, l’artillerie (maquette) ou encore la pratique religieuse.
En dessous de la maquette des plaques d’identité dont une possède encore sa chaîne. Chaque soldat pouvait ainsi être identifié grâce à une des plaques en sa possession.
Les petits objets numérotés 15 et 16 (médailles de la vierge, croix, sacré cœur) renseignent sur les croyances religieuses. Ces objets de protection étaient souvent expédiés aux poilus par leur famille.
Des médailles, carnets, épée.
De nombreuses médailles militaires – La croix de guerre sera la décoration la plus remise aux combattants de la Grande Guerre. L’État pouvait les distribuer généreusement, la croix de guerre n’étant associée à aucune pension.
Dans cette vitrine, du haut vers le bas.
– Photographie de Clémence Brunet, infirmière major
– Maquette : infirmière dans son poste de secours
– Le képi du médecin Félix Michaud
– Un certificat d’origine fourni par la famille Michaud
– Broc de métal émaillé, utilisé pour les soins aux blessés .
4ème Emprunt de la Défense Nationale. Durant la Première Guerre mondiale, l’épargne française est mise à contribution par le biais d’emprunts nationaux annuels (novembre 1915, octobre 1916, 1917 et 1918). Ces initiatives répondent à une double nécessité. Il s’agit d’abord de financer une guerre rendue particulièrement coûteuse par l’effet combiné de sa longueur, de l’ampleur des moyens nécessaires et de son caractère industriel. Mais un autre enjeu est aussi important : mobiliser la société dans son ensemble. Cette affiche de 1918 est aussi titrée : « L’Emprunt de la Libération ».
1er mars 1871, 1er mars 1918 : en Alsace libérée les petites filles, se restreignent de bon cœur pour hâter la délivrance de l’Alsace encore annexée. Faites comme elles !
Toutes les ressources graphiques sont employées par l’artiste (Béatrix Grognuz) pour mobiliser, montrant la tête d’une fille dans le costume alsacien avec un drapeau français drapé autour d’elle.
Médailler de Gabriel Ulpat prêté par la famille. Forme ovale, cadre en bois et bronze. En haut sa photographie entourée de six drapeaux tricolores. Les lauriers de la Victoire offrent un cadre aux cinq médailles (croix de guerre avec palme, médaille militaire…).
Vitrine consacrée à l’équipement du fantassin : bidon, quart pour boire le pinard ou le café.
Aux braves Territoriaux – ils sont en train de boire le jus.
Portrait de Francisque Bogey (tableau prêté par la famille).
À gauche, les citations à l’ordre de l’Armée du caporal Joseph Picon (archives familiales). Retrouvez dans « Se souvenir ensemble » les commentaires de ces documents.
En 2018 et 2019, Kronos a utilisé les murs du restaurant le Rendez-vous à Albens pour présenter une exposition sur l’archéologie.
Vous pouvez désormais la retrouver ci-dessous : cliquez sur une photo pour accéder à la navigation et aux légendes.
De nombreuses inscriptions dévoilent la société
Des céramiques et des échanges
Des colonnes souvenir de nombreux temples
Grotte de Savigny : -4000
Le passé archéologique s’expose à l’Espace patrimoine
La Seconde guerre mondiale inaugure une règle qui, hélas, se vérifie toujours aujourd’hui : les populations civiles enregistrent autant, parfois plus de pertes que les militaires (bombardements des villes, massacres, déportation…). À la sortie de la guerre, on dénombre en France 210 000 tués au combat pour 150 000 civils disparus auxquels on ajoute les 240 000 personnes disparues en captivité. Mais il faut mettre en regard de ces pertes des éléments démographiques positifs qui passent souvent inaperçus : la reprise de la natalité au cœur de la guerre et la survie d’un très grands nombre de prisonniers de guerre qui réintègreront le pays en 1945.
Photographie publiée dans le Journal du Commerce
Dans « Le Petit Savoyard » du 20 novembre 1943, on peut lire sous le titre « La situation sanitaire de la Savoie s’améliore » la nouvelle suivante : « Comme on le voit, alors que dans beaucoup de départements le nombre des décès l’emporte sur celui des naissances, en Savoie, le nombre des naissances y est supérieur ». Cette tendance va se confirmer les années suivantes dans tout le pays, le faisant entrer dans une nouvelle période démographique bien connue « le baby boom ». Yves Bravard dans son ouvrage « La Savoie 1940-1944 : la vie quotidienne au temps de Vichy » précise que « cette amélioration s’inscrit dans un mouvement général de reprise qui commence un peu plus tôt que dans le reste du pays ». Il donne ensuite les indications de tendances suivantes : « En Savoie, de 3609 naissances, on passe à 4004 en 1942 puis 4267 en 1944. La Haute-Savoie fait mieux : 4225 naissances en 1939, 4899 en 1942, 5216 en 1944. Les raisons de cette reprise démographique restent très complexes et souvent difficiles à démêler.
Dans la politique menée par le gouvernement de Vichy, on connaît l’importance accordée à la Fête des mères.
Almanach de la Légion française des combattants – 1942 (archive privée)
Mais la propagande autour du thème de la famille s’exerce de bien d’autres façons comme on peut le constater à la lecture d’un article intitulé « Semaine de la Famille » que publie en 1942 le Journal du Commerce : « Du 5 au 11 octobre, notre région sera le théâtre d’une campagne de propagande familiale. Indépendamment du passage à Chambéry de l’Exposition de la Famille Française, qui connaît, tant en zone occupée qu’en zone non occupée, un triomphal succès, une série de conférence est donnée dans notre Département. Albens aura la bonne fortune d’entendre le vendredi 9 octobre à 20 heures dans la salle de la Mairie, M. Blanquart qui l’entretiendra de la Famille et de l’Avenir de la France. Il n’est pas un Français de plus de 18 ans qui ne soit personnellement intéressé par un tel sujet. Chefs et Mères de famille, jeunes gens et jeunes filles se feront un plaisir d’aller écouter M. Blanquart ».
Dans le même journal, on retrouve de très nombreux articles relatant les aides de toutes sortes apportées aux prisonniers de guerre. Ainsi en décembre 1941 où « Un groupe de jeunes mobilisés de 39-40, a pensé à la situation de leurs camarades retenus prisonniers depuis de longs mois dans les camps… faire un beau colis de Noël, leur permettre une petite amélioration du menu quotidien, à l’occasion de cette fête, leur faire sentir qu’on ne les oublie pas, voilà le but suivi par ce groupe… ».
Lettre de prisonnier de guerre – 1942 (archive privée)
Au moment de la signature de l’armistice, fin juin 1940, 1 800 000 hommes sont tombés aux mains de l’ennemi. Très vite, une partie de ces hommes parviennent à trouver la clef des champs. Malgré tout, près de 1 600 000 soldats et officiers vont se retrouver dans les camps à être obligés de travailler pour l’économie ennemie. C’est ce que l’on peut lire sur une lettre de 1942 expédiée par Francis A. d’Albens. Ce dernier est retenu prisonnier dans le stalag IX C (camp pour les simples soldats). Ce camp IX C est localisé près de la ville d’Erfurt, à 300 kilomètres environ de la capitale du Reich. Francis a été immatriculé sous le numéro 3575 et travaille dans le « Kommando » 1101B. Certains sont affectés à l’agriculture, d’autres travaillent dans l’industrie. Dans la lettre qu’il adresse à sa mère, Francis décrit son travail dans l’entreprise : « Dans cette usine mon travail consiste à décharger les wagons de terre pour faire la porcelaine et ceux de charbon, elle consomme environ 160 tonnes par jour ». Francis fait partie des 3300 Savoyards prisonniers de guerre, recensés en 1942, qui vont cruellement manquer à l’économie de notre région au même titre que les 4500 Hauts-Savoyards. Le gouvernement de Vichy va développer une propagande appuyée en faveur des prisonniers qui, par ailleurs, sont l’objet de bien des marchandages avec le pouvoir hitlérien. Sur le site en ligne des Archives départementales de la Savoie on apprend qu’une « maison du prisonnier est créée à Chambéry », et que « les secours s’organisent par l’intermédiaire de collectes de vêtements chauds et de livres » mais aussi par « l’envoi de colis collectifs plus faciles à distribuer ». Pour faciliter les contacts, outre la Croix rouge, une direction du service des prisonniers a été créée. Le Journal du Commerce permet de suivre la mise en place du Comité de la Croix rouge dans le canton d’Albens. La réunion constitutive du comité cantonal se déroule fin novembre 1941 à Albens (salle de la mairie), fin décembre de la même année, le comité cantonal est prêt à fonctionner.
La grande rue dans laquelle est situé le Comité de la Croix-Rouge (archive Kronos)
Le même journal (21 décembre) en précise les modalités : « Dès que l’envoi des colis sera de nouveau autorisé, le magasin situé à côté de la mercerie Brunet sera ouvert tous les lundis. Le comité se chargera de la confection des colis, les familles pourront apporter les denrées et objets qu’elles désirent adresser à leur prisonnier. Pour compléter les colis, elles trouveront au magasin de la Croix-Rouge, à titre remboursable : biscuits de guerre, chocolat, conserves de viande, sardines, crème de gruyère, saucisson, sucre, savon, cigarettes ». Il ne nous est pas possible de vérifier si cette liste alimentaire était véritablement effective. On peut toutefois savoir, grâce à la lettre de Francis A., quels produits pouvaient être expédiés par sa famille et à quel point ils étaient attendus : « Je ne reçois pas vite vos colis pourtant nous n’avons pas trop à manger, deux soupes de un litre par jour très peu épaisse, 320 grammes de pain, il y en a à peu près gros comme le poing et 200 grammes de margarine par semaine. Dans vos colis vous pouvez mettre des haricots, farine, châtaignes, beurre, ce que vous pouvez trouver à manger, dans ce Kommando je peux le faire cuire, il y a du feu ». Dans toutes les communes on se préoccupe du sort des enfants du pays que le drame de la défaite retient prisonniers loin de leur famille.
À l’Hôtel de la Gare on pense aux prisonniers (archive privée)
Dès 1941, il n’y a pas un mariage à Cessens, Albens, Saint-Germain, La Biolle, Chanaz, Saint-Ours et ailleurs qui ne s’accompagne d’une souscription, d’une collecte ou d’une quête au profit de l’œuvre des prisonniers de guerre. On lit même, en décembre de la même année, dans le Journal du Commerce qu’à l’occasion de leur 37ème anniversaire de mariage « les propriétaires de l’Hôtel de la Gare… ont voulu communiquer un peu de ce bonheur fugitif à nos chers prisonniers » en organisant une collecte à leur intention. Les sommes récoltées sont le plus souvent de l’ordre de quelques centaines de francs mais elles peuvent atteindre des niveaux plus élevés lorsqu’il s’agit de dons (de 500 à 1 000 francs). Elles sont reversées le plus souvent à la Légion française des combattants qui organise localement l’aide aux prisonniers avant la mise en place du comité de la Croix-Rouge. On relève parfois des initiatives individuelles comme à Saint-Germain le don fait par un négociant en bois ou encore à Saint-Girod, le geste d’un ancien combattant de 14/18 qui « à l’occasion de la perception de son premier coupon de retraite a remis en mairie 25 francs pour les prisonniers ».
À partir des divers articles du Journal du Commerce, on prend conscience de la variété des acteurs de cet élan de solidarité. En juin 1942, ce sont les jeunes de la JAC et de la JACF qui organisent trois séances récréatives au Foyer Albanais (voir article sur le cinéma) dont la recette est destinée à la confection de colis pour les 28 prisonniers de guerre de la commune. Toujours au Foyer, c’est la Société Chorale d’Aix-les-Bains qui, suite à son gala de juin 1942, reverse les 800 francs de la soirée au profit des prisonniers. À Brison-Saint-Innocent, ce sont les boulistes qui s’organisent pour verser 50 francs aux familles de chacun des 9 prisonniers du village. Quant aux onze prisonniers de guerre de Saint-Germain, ils bénéficient de la générosité des anciens combattants. Les équipes de foot sont aussi de la partie en organisant des rencontres au profit des prisonniers. Ces actions de solidarité donnent parfois lieu à des situations étonnantes. C’est le cas pour les chasseurs de La Biolle qui, en novembre 1941 organisent une battue afin de vendre le gibier tué au profit des prisonniers. Hélas, ces jours là, point de gibier. La suite est relatée par le Journal du Commerce : « Les chasseurs de La Biolle ont jugé, à défaut de lièvres et de grives qu’ils pouvaient apporter tout de même une modeste contribution à cette œuvre. Une collecte faite parmi les disciples de St-Hubert de la commune rapporta 400 francs… ». Dans un autre article on mesure l’importance de la chasse et la valeur du gibier à propos de ce fait divers : « Un lièvre tué un jour où la chasse était interdite ayant été remis à la Société de chasse, celle-ci l’a mis aux enchères. Le lièvre a été adjugé 400 francs qui ont été reversés au profit de l’œuvre des Prisonniers de Guerre ».
Dans toute la zone dite « libre », la population a longtemps espéré le retour rapide des prisonniers, bercée en cela par l’espoir placé dans le gouvernement de Vichy. Mais tout au long de l’année 1942, cet espoir faiblit fortement. La synthèse des rapports des préfets (consultable en ligne) révèle dès janvier 1942 que « Les populations aspirent à ce que la paix revienne le plus tôt possible, ce qui hâterait le retour des prisonniers et la fin de leurs souffrances. L’opinion continue de souhaiter la défaite de l’Allemagne. Elle interprète les évènements qui se déroulent sur le front russe comme le premier signe d’un renversement de la situation en faveur des Alliés ». La famille de Francis A. est bien informée des souffrances qu’il endure par sa lettre de janvier 1942 : « la bronchite que j’ai eue m’a laissé un peu d’asthme, si vous pouvez voir le pharmacien et lui dire que j’ai la respiration assez pénible et sifflante surtout quand le temps veut changer, s’il pouvait vous donner quelque chose pour faire passer ces crises je serais bien heureux, ici je ne trouve absolument rien et il n’y a pas moyen de me faire réformer ». Son retour ainsi que celui des centaines de milliers d’autres semble s’éloigner avec le retour de Laval au pouvoir à Vichy en avril 1942. C’est la fin des illusions lorsqu’en juin, il annonce la Relève et souhaite la victoire de l’Allemagne. Cette nouvelle politique fait l’objet d’une intense propagande auprès des familles et des femmes.
« Ces lignes ont été écrites pour vous » affiche 1942 (collection privée)
La Relève consiste à envoyer en Allemagne trois ouvriers contre le rapatriement d’un prisonnier. Les volontaires sont très peu nombreux. Cette politique se durcit encore avec la création du STO (service du travail obligatoire) en 1943 puis avec l’occupation par les Allemands de la zone sud. Les réfractaires se multiplient dénotant, écrit Yves Bravard : « la tendance de l’opinion savoyarde à basculer plus nettement encore dans l’opposition au régime de Vichy ». Désormais, dans la presse, les prisonniers de guerre sont moins présents, non pas que les familles et la population les aient oubliés mais parce que à nouveau les malheurs de la guerre (bombardements, arrestations, persécutions) occupent le premier plan.
Les deuils et les ruines s’amoncellent en Savoie (collection privée)
Les bombardements visent principalement les grandes villes et les centres industriels, les communications ferroviaires et les gares de Savoie et de Haute-Savoie. Ce sont les bombardements de Modane à l’automne 1943 qui vont plonger les populations urbaines de la Savoie dans la terreur aérienne. Le 16 septembre, 300 avions américains déversent sur Modane ville un tapis de bombes pour détruire les infrastructures ferroviaires. On dénombre 60 morts, 150 blessés et 300 maisons détruites. Le plus terrible pour la population sera l’attaque de Modane gare dans la nuit du 10 au 11 novembre. C’est la RAF qui intervient, détruisant en grandes parties les installations ferroviaires et faisant 8 victimes civiles. D’après des témoignages, certains habitants de Modane et de Lanslebourg seraient venus se réfugier dans l’Albanais.
En 1944, les mois de mai et juin, allaient être des moments terribles pour les civils. Le 10 mai, Annecy est bombardée une nouvelle fois, les Alliés détruisant une importante usine de roulements. Le 26 mai, c’est Chambéry qui se trouvent sous les bombes américaines.
Le lycée de Jeunes Filles partiellement détruit (collection privée)
Dans « Lumière au bout de la nuit », l’écrivain Henry Bordeaux décrit le bombardement : « De ma galerie je voyais venir les avions, comme des points blancs dans le soleil, mais je les entendais plus encore que je ne les voyais. Ils passaient par escadres de 40 ou 50. Malgré l’alerte j’espérais qu’ils traverseraient notre ciel sans arrêt… Puis, subitement, une série de bombes sur Chambéry, pendant près de dix minutes, et aussitôt des colonnes de fumée noire. Chambéry fut couverte d’un immense voile de deuil ». La ville est particulièrement touchée par le raid de 72 avions B24 qui en quelques minutes déverse 720 bombes. L’historien A. Palluel-Guillard donne les précisons chiffrées suivantes : « 120 morts immédiats, 300 blessés dont un tiers ne put survivre, 3000 sinistrés, un quart de la vieille ville anéanti par les bombes et les incendies ». Au Lycée de jeunes filles en partie détruit, on compte quatre personnes décédées : la sous- intendante, une maîtresse d’internat, la cuisinière et une de ses aides. Des personnes de passage comptent parmi les victimes comme nous l’apprend le Journal du Commerce : « M. C. Eugène, cultivateur, du hameau d’Orly (Albens), s’était rendu à Cognin. C’est à son retour, accompagné de son fils, en traversant Chambéry qu’il a été atteint par un éclat de bombe. Monsieur C, ancien combattant de la guerre de 1914-18, était très estimé ». Quant au nœud ferroviaire qui était la cible véritable, les dégâts sont importants mais pas à la hauteur de « l’investissement ». On trouve dans un article de « Rail Savoie » les précisions suivantes : « Les installations ainsi que les locomotives présentes sont fortement endommagées, surtout au niveau du dépôt. Sur 54 locomotives présentes, 24 électriques et 15 vapeurs sont détruites ».
La gare touchée (collection privée)
« Durant tout le printemps, on dormit mal dans les villes de Savoie » écrit A. Palluel-Guillard dans « La Savoie de la Révolution à nos jours ». Dans la presse, les bonnes attitudes en cas d’alerte sont régulièrement rappelées. « En raison des graves évènements qui se sont produits à Chambéry et en Maurienne » lit-on dans un numéro du « Petit Savoyard » du mois de juin, « la population doit prendre diverses mesures : ouvrir les fenêtres et les portes intérieures des appartements…S’assurer que l’on a préalablement muni ses poches ou son sac à main d’un peu d’argent, de ses cartes d’alimentation et surtout pièces d’identité. Les valises (une par personne) doivent toujours être prêtes, car ce n’est pas au moment de l’alerte qu’il faut songer à les préparer… Tout ce qui précède étant fait, on peut gagner rapidement l’abri ou se disperser dans la campagne, mais en s’éloignant des voies ferrées et des routes nationales ».
Principaux bombardements – 1943/44
Le bombardement de Saint-Michel le dimanche 4 juin, qui fit quatre victimes et 150 maisons détruites, compte parmi les derniers bombardements de la guerre en Savoie. La presse insiste sur le côté « sacrilège » de l’opération « au moment où se célébrait la cérémonie de Première Communion » mais précise que « le nombre des victimes est minime en raison des précautions prises par la population ».
Dans la foulée des débarquements de Normandie puis de Provence, les populations civiles se trouvent prises dans la furie des combats. Massacres perpétrés par l’occupant allemand aux abois, exécutions sommaires et vengeances qu’occasionne la guerre « Franco-française » allongent la liste du martyrologue des Savoyards. « Au total, en Savoie », peut-on lire dans Rail Savoie, « les combats et les bombardements coûtent la vie de 1632 personnes, 4070 personnes sont sinistrées suite aux incendies et 7200 suite aux bombardements des alliés ».
Fin 1945, quand l’heure des comptes démographiques sonne, un constat s’impose : à l’image du pays, la Savoie est certes un champ de ruines (destructions urbaines, communications détruites) mais sa population est entrée dans une phase dynamique qui parviendra à rapidement effacer ses pertes humaines à l’inverse de ce qui s’était passé après la terrible saignée de la Grande Guerre.
Officialisés par la loi du 31 juillet 1940, les chantiers de jeunesse sont un service civil obligatoire, venant remplacer la conscription militaire supprimée et mobilisant durant une période de huit mois les jeunes Français de 20 ans. Souvent installés en pleine nature, au « vert », ils conservent une organisation « quasi militaire » qui va laisser des souvenirs variés auprès des classes 41 et 42. Sous la direction du général de La Porte Du Theil, son fondateur, les chantiers couvrent tout l’espace de la zone libre qui est découpé en six provinces dont celle « Alpes-Jura » qui nous concerne. La province comprend un certain nombre de groupements numérotés comprenant entre 1500 et 2000 hommes parmi lesquels le groupement n°7 basé à Rumilly et le n°8 installé au Châtelard.
1942 Almanach (collection privée)
Entreprise politique et idéologique, les chantiers doivent participer à la formation morale et physique selon Vichy. Créé en septembre 1940, le groupement du Châtelard a pour nom « La relève » et pour devise « France Debout ». Il compte onze groupes dont tous les noms font référence à de grandes figures de l’histoire de France censées affermir le moral de la jeunesse et pousser au dépassement : Lyautey, Roland, Bayard, Mermoz, Guyemer, Charcot… C’est par la correspondance, objet d’une intense surveillance, que l’on peut se faire une idée du ressenti de la jeunesse. L’historien Yves Bravard dans son ouvrage « Les Savoyards et Vichy » donne des extraits de ces correspondances dont cette carte postale écrite en juillet 1941 dans un des groupes du Châtelard : « Tu me demandes des détails sur les chantiers. J’aurais des milliers de choses à te dire : le principe des chantiers pourrait être le principe d’une rénovation de la France ; en fait, ils sont entre de très mauvaises mains… Au lieu de faire des choses passionnantes, la bonne volonté des types est usée par des mesquineries d’une discipline quotidienne, tatillonne et insupportable. À côté de ça, les jeunes voient certains chefs qui ne font rien, sinon les commander, mais s’envoient des gueuletons et des permissions… ».
Le côté très militaire de la vie des chantiers est l’objet de bien des réserves. Dans une missive adressée à ses parents, un jeune du groupement de Rumilly relate son arrivée : « depuis la piqûre qu’on a eu avant-hier on a presque rien fait ; aujourd’hui on a fait un peu de marche et on a eu inspection des costumes et du paquetage. J’ai retrouvé plusieurs copains… on va tous dans le même camp ». A-t-il été affecté au camp « La Remonte » ? Si tel a été le cas, il va falloir que ses copains et lui-même apprécient la vie au grand air et les travaux de bûcheronnage comme le donne à voir cette carte postale du chantier de Rumilly, sous-titrée « En forêt, l’abattage des arbres ».
Carte postale extraite d’un livret (collection privée)
Les éditions Cuisenier à Lyon se sont spécialisées dans la réalisation de livrets photographiques présentant les différents chantiers de jeunesse. Dans celui concernant le groupement du Châtelard on découvre une coupe réalisée au col des prés. Les hommes sont pris en photo devant les énormes stocks de bois qu’ils ont descendus des hauteurs environnantes. Les hommes du groupement de Rumilly sont à la fin de l’abattage, maniant la cognée, ébranchant. L’effort doit être intense car beaucoup ont tombé la veste pour travailler plus à l’aise. Ce bois destiné ensuite à la fabrication du charbon de bois servira à l’alimentation des gazogènes dont nous avons parlé dans un article précédent. Les groupes du Chantier « Le Fier » de Rumilly portent tous des noms qui « fleurent bon » la vie au grand air : Grand Nord, Hurlevent, La Remonte, Le Dru, Sur le Rocher. Ils sont installés pour la plupart sur les pentes du Clergeon qui conservent encore, pour ceux qui savent les retrouver, des vestiges des travaux réalisés par ces jeunes hommes. C’est le cas d’un réservoir situé du côté des Chavannes comportant une plaque de béton de petite dimension (45/90 cm) arborant l’insigne du groupement n°7 et la date de sa réalisation en juillet 1941.
Plaque ornant un réservoir (collection privée)
On est en droit d’imaginer que l’alimentation devait être à la hauteur des efforts physiques fournis. Un article de l’Almanach de la légion (année 1942) contient ce bilan peu rassurant sur l’état de santé des jeunes sortants des chantiers : « La santé physique n’est pas en moins bon état : les trois quarts des jeunes hommes ont augmenté de poids ». Ces chanceux ont dû appliquer le système débrouille que relate ce jeune dans un courrier à la famille : « Voilà, je me suis planqué. Je suis commis au magasin de ravitaillement, donc je me ravitaille… Pour le pinard, ça va mieux, je vais aux cuisines quand j’ai soif… Enfin, je crois que maintenant je suis sorti du trou et j’espère que la planque durera ». Quant aux autres ils connaissent le sort commun de ceux qui rapportent en 1941 que « la nourriture est de plus en plus défectueuse, le pain que nous mangeons maintenant est immangeable ».
Les jeunes des chantiers lors de la venue de Pétain à Rumilly
Ces jeunes des chantiers sont rassemblés par milliers lors des nombreux déplacements qu’effectue le chef de l’État tout au long des années 1941/42. Le « Nouvelliste » de Lyon consacre un numéro spécial à la venue de Pétain en Savoie, les 22 et 23 septembre 1941. Cinq photographies illustrent la page réservée à son passage à Rumilly avec ce commentaire : « Le Maréchal reçoit l’hommage enthousiaste de la population paysanne et le salut discipliné des jeunes des chantiers ». Au garde à vous, écoutant « les consignes du Maréchal », ils n’ont pas du pouvoir parler de leurs difficultés à vivre dans les chantiers, des questions de nourriture. Pourtant, il fut un temps où, selon la légende, Pétain s’occupait du rata du soldat. Les temps ont changé. Le contenu d’une carte postale écrite à propos du passage de Pétain à Grenoble six mois auparavant est plus révélatrice : « Mardi 18 mars toute l’équipe est allée à Grenoble afin de prendre part au défilé devant le Maréchal Pétain, une vraie corvée… J’ai vu le Maréchal Pétain d’assez près… Il n’y avait pas d’enthousiasme. » (texte cité par Yves Bravard).
Bientôt les nuages de 1943 vont obscurcir l’avenir de la jeunesse avec trois lettres porteuses de nouvelles servitudes : STO. Le temps des réserves critiques allait céder la place à celui des réfractaires.
La politique du gouvernement de Vichy se caractérise par un intérêt tout particulier vis-à-vis de la jeunesse qui est soumise à une intense propagande visant à en faire le symbole de la France nouvelle. L’aspect le plus connu aujourd’hui reste la création des Chantiers de Jeunesse mais il ne faut pas oublier non plus la mobilisation des instances sportives. Pour cette jeunesse sous surveillance, il y a aussi le plaisir de pouvoir se retrouver dans les organisations catholiques créées avant la période de Vichy, comme la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et son pendant féminin la JACF. Nous allons voir, à partir des articles relevés dans le Journal du Commerce tous ces organismes à l’œuvre entre 1940 et 1942. Par la suite, la conjoncture politique et militaire devenant plus tendue nous sommes moins en mesure de suivre leurs actions auprès de la jeunesse.
Dans la France de l’époque, les jeunes sont fortement incités à faire du sport. C’est une tendance qui s’est mise en place dès les années 30 mais qui prend de l’importance après la défaite de 1940. Il faut préserver nos jeunes, affirme le pétainisme, « de ces causes de dégradation de leurs énergies » en leur insufflant « le goût de l’effort ». C’est la tâche qui est assignée dès sa création en juillet 1940 au Commissariat général à l’éducation générale et sportive avec à sa tête le célèbre joueur de tennis Jean Borotra. La « sportivisation de la société vichyste », comme l’écrit l’historien Christophe Pécout, dans « Le sport dans la France du gouvernement de Vichy » (consultable en ligne) se manifeste à travers l’importance accordée à l’obtention du brevet sportif. Le Journal du Commerce en 1941 consacre plusieurs articles aux épreuves qui se déroulent à Albens. Dès les mois de mai/juin on invite les jeunes à s’entraîner : « Tous les jeunes gens et jeunes filles du canton qui désirent passer les épreuves du Brevet sportif national sont priés d’assister aux séances d’entraînement qui ont lieu chaque semaine : mardi, jeudi et vendredi à 20h45 ». L’entraînement se déroule sur le terrain du champ de foire où les candidats sont pris en main par le moniteur de l’Union Sportive d’Albens.
Le champ de foire bien visible sur cette vue aérienne (archive privée)
Après deux mois d’entraînement soutenu, le temps des épreuves est venu : « Nous rappelons que dimanche 3 août à partir de 15h, se dérouleront sur le terrain du Champ de Foire les épreuves du brevet sportif national. Nous sommes persuadés qu’un nombreux public assistera à cette manifestation ». Ces épreuves donnent lieu à une véritable cérémonie officielle en présence des « autorités ». Sont présents, bien en place sur le champ de foire aménagé pour l’occasion, le maire d’Albens, le directeur des écoles, le vice-président de la légion. Sont aussi venus honorer « cette solennité sportive, Mme la Doctoresse, M. l’abbé, des membres de la municipalité, le chef de Brigade de Gendarmerie, le président de l’Union Sportive Albanaise », détaille le Journal du Commerce. À 15 heures, les quatre-vingt-six candidats « alignés sur le champ de foire … répondent à l’appel de leur nom. Puis, les couleurs sont hissées, pendant que retentit la sonnerie au drapeau ». Les épreuves terminées, vient le temps des remerciements officiels et du vin d’honneur puis celui du palmarès : « Sur 86 candidats présentés, 10 furent éliminés. Cette journée sportive laissera à tous un profond souvenir et un encouragement pour le développement physique des enfants… comme le veut le Maréchal Pétain ». Le sport est un devoir pour une jeunesse bien prise en main. Le gouvernement de Vichy décide souverainement ce qui est bon pour elle et ce qui ne l’est pas comme se sera le cas pour le foot. Nombreuses sont alors les rencontres organisées dans la région. Celles qui se déroulent à Albens, le dimanche 22 juin 1941 retiennent l’attention. Dans le Journal du Commerce est d’abord annoncée la rencontre qui opposera « l’Union Sportive d’Albens à l’équipe l’Espoir du Camp de Jeunesse de Rumilly ». La rencontre qui suit est plus étonnante puisque « pour la première fois un match féminin … opposera les Cyclamens de Rumilly aux Bleuets d’Annecy ». L’annonce se conclue par une appréciation bien dans l’air du temps parlant d’une « manifestation sportive qui ne manquera ni de charme ni d’intérêt ».
Il est à supposer que cette première rencontre dut être la dernière puisque le régime de Vichy allait interdire le foot féminin fin 1941.
Le groupe de la JACF d’Albens vers 1941 (archive privée)
Pour cette jeunesse qui vit alors sous le contrôle constant et étroit des adultes, il existe aussi les organismes de l’Action catholique qui proposent de nombreuses activités et occasions de s’investir. Depuis la fin des années 30, les organisations agricoles et ouvrières ont pris de l’importance dans tout l’Albanais. À Rumilly, on trouve la Jeunesse Ouvrière Catholique et dans les environs plus ruraux, la Jeunesse Agricole Catholique et son correspondant féminin la JACF. Voyez ces jeunes filles de la JACF locale qui posent en 1941 devant l’église d’Albens. Elles sont une trentaine portant la tenue des jacistes, béret noir, corsage blanc, jupe foncée, cravate avec l’insigne du mouvement. Bien au centre de la photographie, à l’arrière, on distingue le fanion. Adolescentes ou jeunes filles plus âgées, elles entourent une jeune femme en tenue de ville. Pourrait-il s’agir de Philomène Rogès, active formatrice du mouvement ? Serait-elle venue, à la demande de l’abbé Floret (à droite du cliché) pour guider le tout nouveau groupe jaciste d’Albens ?
L’insigne de la JACF (croix que traverse un épi)
C’est un engagement exigeant de la part de ces jeunes filles qui voient là une possibilité de rompre avec le cafard du dimanche après-midi mais surtout, en se formant collectivement, de pouvoir « s’affirmer » à travers d’innombrables activités, fêtes et actions. L’historien Christian Sorrel, dans son ouvrage « Les catholiques savoyards », rapporte cette très parlante remarque de Philomène Rogès : « Dans ce milieu clos qu’était le monde rural, ce fut une révolution ». On peut s’en persuader à la lecture de la devise des jacistes d’Albens : « Fières, Fortes, Joyeuses, Conquérantes ». En octobre 1941, un article du Journal du Commerce annonce qu’à « l’occasion de son entrée dans le mouvement national les groupes de jeunesse JAC et JACF organisent pour dimanche 26 octobre une grande fête ». Ce court texte est l’occasion de voir dans quel contexte va se dérouler cette « Fête de la Jeunesse » et comment les jeunes peuvent prendre certaines actions en main. Dans la première partie de la journée, l’Église et les autorités vont cordonner les cérémonies comme le précise le journal : « Dimanche à 9h45 place de L’Église, salut aux Couleurs, suivi à 10 heures de la messe des Paysans avec offrande des fruits de la terre ». On conserve quelques clichés donnant à voir la cérémonie au drapeau devant l’église ainsi que l’offrande des fruits de la terre. Sur l’un d’eux, quatre garçons de la JAC portent gaillardement sur leurs épaules un brancard sur lequel a été posée une charrue.
Célébration du monde paysan (archive privée)
Pour le reste de la journée, les jeunes vont reprendre la main en organisant réunion et spectacle : « À 14h30 au Foyer une grande réunion rassemblera particulièrement la Jeunesse du Canton et des environs. Cette réunion sera constituée par une série de tableaux vivants des chants et des danses dans lesquels les Jacistes feront passer tout leur idéal et leur programme ». On voit là tout ce que ce mouvement apporte de nouveaux auprès d’une jeunesse rurale en lui donnant l’occasion de s’exprimer à travers des pièces de théâtre, des scénettes, des danses et des chants. Un cliché publié par l’historien Christian Sorrel dans son ouvrage nous montre « une danse jaciste à Massingy en 1942 ». Les jeunes s’inspirent aussi de brochures du type « Cent jeux pour les veillées » pour nourrir leurs animations. On y propose des jeux d’adresse, d’observation mais aussi des sujets de petites pièces à jouer comme Jeanne d’Arc et ses voix, Napoléon au pont d’Arcole, le serment des Horaces.
Cette jeunesse qui connaît un encadrement permanent dans ses loisirs comme dans la pratique du sport va devoir aussi répondre à l’appel obligatoire des chantiers de la jeunesse. Elle va y être soumise à un conditionnement orchestré par le gouvernement de Vichy comme on peut le lire dans un almanach de 1942 : « Les Chantiers sont devenus l’un des éléments essentiels de la Révolution Nationale en ce qu’ils insufflent à la Jeunesse de France l’esprit nouveau qui procurera le relèvement de la Patrie ». Une prise en main qui sera abordée dans un prochain article.