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Écouter la radio

Avec le tournant de la guerre, on n’écoute plus la radio comme on le faisait dans les années 30. Ceux qui possèdent un poste de TSF suivent avec angoisse le déroulement de la bataille de France jusqu’à la terrible annonce de Pétain le 17 juin 1940 : « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut tenter de cesser le combat ».

Dans la presse le 18 juin 1940 (archive privée)
Dans la presse le 18 juin 1940 (archive privée)

Un article publié dans le « Petit Dauphinois » nous renseigne sur la réception de ce discours défaitiste : « C’est dans un restaurant ouvrier de la banlieue que, portée par les ondes, la voix du maréchal Pétain nous a atteint. Il n’y avait là que des hommes. On mangeait déjà sans appétit. Quand le speaker annonça la déclaration du chef de gouvernement de la France, nous nous immobilisâmes tous. Pâles, crispés, les uns écoutèrent coudes sur la table et front dans les mains ; d’autres, droits sur leur chaise, comme pétrifiés ; quelques-uns debout, mais les épaules rentrées. Et tous les nerfs claquèrent quand tombèrent les mots : « il faut tenter de cesser le combat […] Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire ». Alors, presque tous les hommes qui étaient là pleurèrent. Certains ne purent réprimer des sanglots… Et la Marseillaise qui, du haut-parleur, déferla ensuite dans la salle, ne parvint pas à les fouetter. Un vertigineux silence suivit ». Comme on peut le voir, restaurants et cafés sont souvent équipés d’un poste de TSF ce qui permet aux classes populaires de suivre les évènements. Le message du chef de gouvernement est diffusé depuis le poste de Bordeaux, relayé par les émetteurs encore en service à Toulouse, Marseille, Nice, Grenoble, Montpellier. En effet, l’avance allemande ne permet plus d’émettre à partir de Paris, Nantes ou encore Lyon où l’émetteur a été mis hors d’état avant que les forces du Reich ne s’en emparent.

Lyon (collection privée)
Lyon (collection privée)

Début juillet, après l’armistice, la nouvelle radio nationale de Vichy diffuse sa première émission depuis le studio installé au Casino de Vichy à proximité du service des informations logé à l’Hôtel du Parc, la résidence de Pétain et de son gouvernement. Au même moment, dans la capitale, Radio-Paris diffuse à nouveau sous contrôle allemand. Très vite, la station parisienne va être la cible privilégiée de Radio-Londres qui émet à partir des studios de la BBC. C’est un de ses « animateurs », Jean Oberlé, qui invente cette ritournelle devenue désormais célèbre « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ». La France se met à l’écoute de la France Libre. En octobre 1940, on raconte qu’à Chambéry les rues sont désertes à l’heure de la BBC. Cette histoire inspire alors un dessinateur de presse qui représente un village de France portes et fenêtres closes, rue vide où trotte un chien solitaire, avec pour légende « L’heure de la BBC ».

Dessin de presse (in Images de la France de Vichy)
Dessin de presse (in Images de la France de Vichy)

Cela suppose la possession d’un appareil de radio. Il est plus difficile d’acheter un modèle dans le commerce mais on peut le faire construire. Publiée dans le Journal du Commerce en mars 1941, cette publicité informe les lecteurs qu’ils peuvent s’adresser à L. Lansard à Chainaz-les-Frasses. Ce dernier assure la « construction d’appareils toute puissance, fonctionnement irréprochable, présentation impeccable au meilleur prix ». On peut aussi le construire soi-même comme l’explique Robert Tournier à propos de son poste à galène réalisé durant la guerre : « J’ai monté mon premier poste de TSF… Il fallait que j’aille voir des gens qui faisaient de la radio à Saint-Félix, au Viviers-du-Lac… Je faisais beaucoup de récupération, récupération de cuivre, de bobinages, de vieilles lampes… C’est avec ça que j’essayais de me débrouiller ».

Poste à galène (collection privée)
Poste à galène (collection privée)

Après l’installation d’une longue antenne aux alentours de la maison à Saint-Girod, il a été possible de se mettre à l’écoute des nouvelles du monde : « on venait écouter surtout les informations pendant la guerre… On se réunissait pour écouter ce qui se passait, mais c’était pas évident… et comme c’était défendu, c’était défendu d’écouter la BBC, donc l’Angleterre, on risquait de se faire choper ». L’écoute de la radio présente alors des risques lorsqu’on s’éloigne des radios officielles comme le rapporte ce témoin chambérien : « un Téléfunken, que mon père écoutait, le soir, dans la pièce la plus centrale de la maison, la radio avait moins de chance de s’entendre dehors… Il écoutait aussi la Suisse, Radio-Sottens ».
La radio est aussi une source de distraction avec la retransmission de concerts, de pièces de théâtre, de chansons à la mode. Voici le programme que propose à ses auditeurs en janvier 1943 le poste de Grenoble : « Musique de charme, Les reines de France par Léon Treich, les chefs d’œuvres oubliés par André Thérive, Faites nos jeux par Robert Beauvais, Le Chemineau de Jean Richepin » et pour clôturer la journée à 22h30 « Une heure de rêve aux Alentours de Paris ». On peut aussi suivre des émissions culinaires qui proposent des recettes pour temps de pénurie.
Avec l’accélération de l’histoire en 1944, les tensions à propos de la radio s’accroissent. Posséder un poste peut vous mettre dans une situation difficile. C’est ce qui ressort de la lecture du journal « Le Petit Savoyard » de début septembre. On y apprend qu’à Moûtiers et aux alentours « par ordre des troupes d’occupation allemandes, les possesseurs de postes de radio avaient été priés de porter leurs appareils dans des endroits désignés. L’ordre a été exécuté et pendant quelques jours de nombreux postes – plusieurs centaines – ont été entreposés à la caserne de la ville ». La ville de Moûtiers enfin libérée, les propriétaires ont eu du mal à récupérer leur matériel dans de bonnes conditions suite à des détériorations et plus grave à des disparitions. Aussi le journaliste alerte-t-il les « indélicats » qu’ils sont priés « de les rapporter avant que plainte soit déposée ». La libération de tout le territoire achevée, la reconstruction du réseau radiophonique terminée, une ère nouvelle va s’ouvrir pour la radio avec le transistor.

Jean-Louis Hebrard