La politique du gouvernement de Vichy se caractérise par un intérêt tout particulier vis-à-vis de la jeunesse qui est soumise à une intense propagande visant à en faire le symbole de la France nouvelle. L’aspect le plus connu aujourd’hui reste la création des Chantiers de Jeunesse mais il ne faut pas oublier non plus la mobilisation des instances sportives. Pour cette jeunesse sous surveillance, il y a aussi le plaisir de pouvoir se retrouver dans les organisations catholiques créées avant la période de Vichy, comme la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et son pendant féminin la JACF. Nous allons voir, à partir des articles relevés dans le Journal du Commerce tous ces organismes à l’œuvre entre 1940 et 1942. Par la suite, la conjoncture politique et militaire devenant plus tendue nous sommes moins en mesure de suivre leurs actions auprès de la jeunesse.
Dans la France de l’époque, les jeunes sont fortement incités à faire du sport. C’est une tendance qui s’est mise en place dès les années 30 mais qui prend de l’importance après la défaite de 1940. Il faut préserver nos jeunes, affirme le pétainisme, « de ces causes de dégradation de leurs énergies » en leur insufflant « le goût de l’effort ». C’est la tâche qui est assignée dès sa création en juillet 1940 au Commissariat général à l’éducation générale et sportive avec à sa tête le célèbre joueur de tennis Jean Borotra. La « sportivisation de la société vichyste », comme l’écrit l’historien Christophe Pécout, dans « Le sport dans la France du gouvernement de Vichy » (consultable en ligne) se manifeste à travers l’importance accordée à l’obtention du brevet sportif. Le Journal du Commerce en 1941 consacre plusieurs articles aux épreuves qui se déroulent à Albens. Dès les mois de mai/juin on invite les jeunes à s’entraîner : « Tous les jeunes gens et jeunes filles du canton qui désirent passer les épreuves du Brevet sportif national sont priés d’assister aux séances d’entraînement qui ont lieu chaque semaine : mardi, jeudi et vendredi à 20h45 ». L’entraînement se déroule sur le terrain du champ de foire où les candidats sont pris en main par le moniteur de l’Union Sportive d’Albens.
Après deux mois d’entraînement soutenu, le temps des épreuves est venu : « Nous rappelons que dimanche 3 août à partir de 15h, se dérouleront sur le terrain du Champ de Foire les épreuves du brevet sportif national. Nous sommes persuadés qu’un nombreux public assistera à cette manifestation ». Ces épreuves donnent lieu à une véritable cérémonie officielle en présence des « autorités ». Sont présents, bien en place sur le champ de foire aménagé pour l’occasion, le maire d’Albens, le directeur des écoles, le vice-président de la légion. Sont aussi venus honorer « cette solennité sportive, Mme la Doctoresse, M. l’abbé, des membres de la municipalité, le chef de Brigade de Gendarmerie, le président de l’Union Sportive Albanaise », détaille le Journal du Commerce. À 15 heures, les quatre-vingt-six candidats « alignés sur le champ de foire … répondent à l’appel de leur nom. Puis, les couleurs sont hissées, pendant que retentit la sonnerie au drapeau ». Les épreuves terminées, vient le temps des remerciements officiels et du vin d’honneur puis celui du palmarès : « Sur 86 candidats présentés, 10 furent éliminés. Cette journée sportive laissera à tous un profond souvenir et un encouragement pour le développement physique des enfants… comme le veut le Maréchal Pétain ». Le sport est un devoir pour une jeunesse bien prise en main. Le gouvernement de Vichy décide souverainement ce qui est bon pour elle et ce qui ne l’est pas comme se sera le cas pour le foot. Nombreuses sont alors les rencontres organisées dans la région. Celles qui se déroulent à Albens, le dimanche 22 juin 1941 retiennent l’attention. Dans le Journal du Commerce est d’abord annoncée la rencontre qui opposera « l’Union Sportive d’Albens à l’équipe l’Espoir du Camp de Jeunesse de Rumilly ». La rencontre qui suit est plus étonnante puisque « pour la première fois un match féminin … opposera les Cyclamens de Rumilly aux Bleuets d’Annecy ». L’annonce se conclue par une appréciation bien dans l’air du temps parlant d’une « manifestation sportive qui ne manquera ni de charme ni d’intérêt ».
Il est à supposer que cette première rencontre dut être la dernière puisque le régime de Vichy allait interdire le foot féminin fin 1941.
Pour cette jeunesse qui vit alors sous le contrôle constant et étroit des adultes, il existe aussi les organismes de l’Action catholique qui proposent de nombreuses activités et occasions de s’investir. Depuis la fin des années 30, les organisations agricoles et ouvrières ont pris de l’importance dans tout l’Albanais. À Rumilly, on trouve la Jeunesse Ouvrière Catholique et dans les environs plus ruraux, la Jeunesse Agricole Catholique et son correspondant féminin la JACF. Voyez ces jeunes filles de la JACF locale qui posent en 1941 devant l’église d’Albens. Elles sont une trentaine portant la tenue des jacistes, béret noir, corsage blanc, jupe foncée, cravate avec l’insigne du mouvement. Bien au centre de la photographie, à l’arrière, on distingue le fanion. Adolescentes ou jeunes filles plus âgées, elles entourent une jeune femme en tenue de ville. Pourrait-il s’agir de Philomène Rogès, active formatrice du mouvement ? Serait-elle venue, à la demande de l’abbé Floret (à droite du cliché) pour guider le tout nouveau groupe jaciste d’Albens ?
C’est un engagement exigeant de la part de ces jeunes filles qui voient là une possibilité de rompre avec le cafard du dimanche après-midi mais surtout, en se formant collectivement, de pouvoir « s’affirmer » à travers d’innombrables activités, fêtes et actions. L’historien Christian Sorrel, dans son ouvrage « Les catholiques savoyards », rapporte cette très parlante remarque de Philomène Rogès : « Dans ce milieu clos qu’était le monde rural, ce fut une révolution ». On peut s’en persuader à la lecture de la devise des jacistes d’Albens : « Fières, Fortes, Joyeuses, Conquérantes ». En octobre 1941, un article du Journal du Commerce annonce qu’à « l’occasion de son entrée dans le mouvement national les groupes de jeunesse JAC et JACF organisent pour dimanche 26 octobre une grande fête ». Ce court texte est l’occasion de voir dans quel contexte va se dérouler cette « Fête de la Jeunesse » et comment les jeunes peuvent prendre certaines actions en main. Dans la première partie de la journée, l’Église et les autorités vont cordonner les cérémonies comme le précise le journal : « Dimanche à 9h45 place de L’Église, salut aux Couleurs, suivi à 10 heures de la messe des Paysans avec offrande des fruits de la terre ». On conserve quelques clichés donnant à voir la cérémonie au drapeau devant l’église ainsi que l’offrande des fruits de la terre. Sur l’un d’eux, quatre garçons de la JAC portent gaillardement sur leurs épaules un brancard sur lequel a été posée une charrue.
Pour le reste de la journée, les jeunes vont reprendre la main en organisant réunion et spectacle : « À 14h30 au Foyer une grande réunion rassemblera particulièrement la Jeunesse du Canton et des environs. Cette réunion sera constituée par une série de tableaux vivants des chants et des danses dans lesquels les Jacistes feront passer tout leur idéal et leur programme ». On voit là tout ce que ce mouvement apporte de nouveaux auprès d’une jeunesse rurale en lui donnant l’occasion de s’exprimer à travers des pièces de théâtre, des scénettes, des danses et des chants. Un cliché publié par l’historien Christian Sorrel dans son ouvrage nous montre « une danse jaciste à Massingy en 1942 ». Les jeunes s’inspirent aussi de brochures du type « Cent jeux pour les veillées » pour nourrir leurs animations. On y propose des jeux d’adresse, d’observation mais aussi des sujets de petites pièces à jouer comme Jeanne d’Arc et ses voix, Napoléon au pont d’Arcole, le serment des Horaces.
Cette jeunesse qui connaît un encadrement permanent dans ses loisirs comme dans la pratique du sport va devoir aussi répondre à l’appel obligatoire des chantiers de la jeunesse. Elle va y être soumise à un conditionnement orchestré par le gouvernement de Vichy comme on peut le lire dans un almanach de 1942 : « Les Chantiers sont devenus l’un des éléments essentiels de la Révolution Nationale en ce qu’ils insufflent à la Jeunesse de France l’esprit nouveau qui procurera le relèvement de la Patrie ». Une prise en main qui sera abordée dans un prochain article.
Jean-Louis Hebrard