Kronos se souvient

Il y a plus d’un mois disparaissait Christian Michaud. Ce samedi soir à Mognard était célébrée une messe de sépulture qui a donné l’occasion aux membres de Kronos d’évoquer la mémoire de celui qui fut leur président durant douze années.
Succédant à Henri Voiron en 2005, il a très vite mis à profit son expérience, son sens du contact pour permettre à notre société de largement se faire connaître auprès des élus et de la population du canton. Les membres du bureau garderont longtemps en mémoire son sens de la convivialité qu’il mettait en pratique lors des assemblées générales et des rencontres avec les associations amies.
À l’écoute des propositions et des idées nouvelles, c’est sous sa présidence que fut inauguré en 2011 l’Espace patrimoine et publié deux ouvrages dont « Se souvenir ensemble » pour le centenaire de la Grande guerre, commémoré aussi par une importante exposition présentée à Albens. Aimant la technique et les images et sachant mettre en valeur les compétences de nos membres, il a poussé notre association à se tourner vers le numérique pour se doter d’un site sur le web. C’est un président efficace que notre société d’histoire a perdu.

Christian Michaud
Christian Michaud

Promenade dans l’Albenche

Longue de 9 km, l’Albenche est une petite rivière dont le passé peut être suivi sur plus de deux millénaires. Ses crues, plus violentes et nombreuses à certains moments de l’histoire, n’ont pas empêché les hommes de s’établir très tôt sur ses berges (fin de la préhistoire, -500).

PlanAlbenche

La visite du dimanche 27 mai débute à l’endroit où le torrent de Pouilly rencontre l’Albenche. Cette dernière a pris sa source plus haut sur la commune de Cessens (à 650m d’altitude) et a reçu les eaux d’un grand bassin de réception (Cessens, Saint-Germain, La Biolle et Albens). C’est en arrivant à Albens que la rivière dépose de grosses quantités de terre, sable et pierres arrachées plus haut, formant ainsi un cône de déjection de 2 km de long sur 1,5 km de large. Dans l’antiquité, les Gallo romains y installèrent un village (vicus albanensis) dont il ne reste que quelques vestiges (voir le musée Kronos à l’Espace patrimoine).

PromenadeAlbenche1

Chaussés de bottes, nous sommes 25 à patauger dans le cours de la rivière qui en cette fin mai présente un petit débit. Nous allons la descendre sur près d’un kilomètre jusqu’au pont sarde qui permet à le D1201 de la traverser. C’est au long de ce trajet que nous allons nous intéresser à tous les aménagements, installations, constructions que les hommes, au fil du temps, ont placé le long de la rivière (scieries, ateliers, digues, lavoirs, ponts, grotte de Lourdes).

PromenadeAlbenche2

Première halte pour évoquer la scierie Bossu installée juste avant le pont de la Rippe appelé autrefois « pont de la scie ». Il ne reste qu’un petit bâtiment le long de la rivière mais on ne voit plus rien de toutes les installations d’autrefois (canal d’amenée, tourne et autres mécaniques). Le pont de la Rippe franchi, on évoque la pratique religieuse avec la copie de la grotte de Lourdes installée à proximité de la rive droite du cours d’eau. Réalisée dans les années 1930, elle prit la relève d’un petit sanctuaire qui était placé au bas de la Rippe et dont la statue se retrouve dans la grotte ainsi que quelques ex-voto dont un datant de la Grande guerre (voir livre « Se souvenir ensemble » publié par Kronos).

PromenadeAlbenche3

On aborde ensuite d’autres installations dont il ne reste que les bâtiments (atelier de mécanique, scierie). C’est l’occasion de rappeler que la force de l’eau fut longtemps, avec le vent, très utilisée par les hommes au risque de voir les fortes crues tout emporter. Ce fut le cas du Moyen-âge jusqu’au XIXème siècle, longue période durant laquelle, le climat étant devenu froid et humide, l’Albenche allait connaître des fureurs importantes. En voici certaines qui laissèrent des traces dans les archives.

  • La crue de janvier/février 1315 qui réussit à emporter les meules du moulin de la ville neuve d’Albens (construite à l’emplacement de l’actuel quartier du paradis à partir de 1296). Ces crues vont se répéter : 1305, 1307, 1315, 1318, 1320, 1322).
  • Au XVIIIème siècle, la rivière connaît toujours de telles crues. Nous sommes renseignés par le fait qu’elles menacent alors l’ancienne église (quartier du paradis, secteur du vieux cimetière). En soixante ans, pas moins de six crues majeures dont celle de 1756 pour laquelle le curé écrit ceci « Mardy passé du courant du mois de juin sur les 4h après midy il vint une inondation si forte fondre contre l’église, qu’elle a fait pour ainsi dire un précipice continuel le long du grand chemin tendant de Pouilly à Albens… Je crus l’église perdue, l’eau y entrait par la grande et la petite porte… ».
  • Avec les nombreuses crues du XIXème siècle nous pouvons comprendre le pourquoi de leur violence, particulièrement en hiver. Il neige sur le vaste bassin de réception ensuite un redoux pluvieux survient et tout déborde. Voici ce qu’un témoin relate pour la crue du 15 et 16 février 1812 : « Le ruisseau de l’Albenche, à la suite des pluies et de la fonte des neiges a rompu son lit à Pouilly et causé la plus grande partie du dommage à la grande route et à la route d’Annecy. Dans différents endroits, les chemins ont été coupés par les eaux ».

Notre exploration se terminera après avoir longé la grande digue en pierre achevée en 1914.
Elle prend la relève de nombreuses digues en terre édifiées tout au long du XIXème siècle jusqu’au pont sur la D1201 et mises à mal par la succession des crues.
C’est la dernière crue de 1910 qui provoque l’édification de l’actuel ouvrage en pierres de taille, qui protège encore le centre du village (l’église actuelle construite en 1866, le centre administratif édifié à la fin du XXème siècle sur l’emplacement de l’ancienne cure). Dans la masse de la digue on remarque des escaliers qui donnaient autrefois accès à un lavoir.

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Nous franchissons la D1201 en passant sous le pont édifié à l’époque sarde, l’occasion d’admirer la qualité de l’ouvrage puis nous regagnons la terre ferme et retournons aux Jardins de l’Albenche. Une belle après-midi.

La « rumeur du monde » dans l’Albanais de 1914

L’aggravation de la tension qui règne en Europe depuis l’attentat de Sarajevo (28 juin 1914) aurait dû alerter l’opinion publique d’Aix-les-Bains, Rumilly ou Annecy dès la fin du mois de juillet. Mais comme pour le monde rural, la mobilisation constitue pour la population des villes une surprise totale.
Jusqu’au dernier moment, les paysans occupés aux travaux de la moisson refusent d’envisager l’hypothèse de la guerre. À Saint-Félix beaucoup comptaient « que les choses s’arrangeraient ». Comment les hommes et les femmes de 1914 étaient-ils informés de la « rumeur du monde » ?

La presse et les cafés jouent un grand rôle mais on ne doit pas négliger les lieux de rassemblement et d’échanges que constituent la messe dominicale, les marchés, les fruitières ni un tout nouveau média, le cinématographe. Ce dernier semble faire son apparition à Albens en 1911 puisque l’on sait par le registre de délibération du conseil municipal que ce dernier répond positivement à une demande de « location de la grande salle de la mairie pour représentation de cinématographie, deux fois par semaine pendant la période hivernale ».
Si le cinéma ouvre sur le monde, n’imaginons pas qu’il soit déjà un vecteur d’information puissant. On doit plus sûrement se tourner vers la presse et les cafés.

Hebdomadaire de grand format (42 x 62 cm), imprimé sur huit pages, le « Journal du commerce » est alors bien lu dans tout l’Albanais. Comme beaucoup d’autres titres publiés dans les Savoie il s’intéresse en priorité aux questions d’ordre économique et d’intérêt général. L’organisation de sa première page, sans grand titre ni illustration, ne facilite pas la mise en relief des évènements. Les affaires internationales doivent être recherchées en page deux car ce journal privilégie les « nouvelles savoisiennes », la vulgarisation agricole et les informations pratiques : mercuriales, annonces commerciales et judiciaires, horaires du chemin de fer.
La presse aixoise tout comme le « Journal du commerce » ne semble pas avoir perçu l’imminence de la guerre. L’éditorialiste de « l’Avenir d’Aix-les-Bains » écrit encore le 1er août que « malgré la précipitation avec laquelle les bruits plus ou moins alarmants se sont succédés depuis samedi dernier, la saison continue à être de plus en plus suivie ». On le voit, si l’idée de guerre est présente dans les journaux, tout est fait pour en faire une hypothèse lointaine. Les nombreux autres titres de la presse aixoise sont à l’unisson ; ils s’intéressent en priorité à la vie de la station, à la venue des têtes couronnées, aux plaisirs du lac (régates, promenades en bateau, excursions diverses…).
Diffusé largement de Saint-Gingolph à Albens et de Seyssel à Bonneville, le « Journal du commerce » tire à 3000 exemplaires environ qu’un bon nombre de ses abonnés reçoivent chaque semaine par la poste. Son influence ne se limite pas à son seul tirage quand on sait le pouvoir de relais d’opinion que constituent alors les cafés et les bistrots. Il en existe une quarantaine dans le canton d’Albens en 1914 pouvant fournir potentiellement 1300 à 1800 lecteurs à l’image de ceux qui fréquentent le « café du chemin de fer » à Albens ou ceux du « café de la poste » à Saint-Félix.
Les fruitières sont aussi des lieux d’échanges dont on peut repérer l’importance à travers quelques faits divers. Ainsi ces automobilistes qui se plaignent dans les colonnes du « Journal du commerce » du comportement des cultivateurs qui « chaque soir à l’intersection des routes de Rumilly, Saint-Félix et la Chambotte… venant livrer le lait, tiennent des conciliabules, obstruant complètement la chaussée ».
On parle des affaires locales, du prix des denrées et peut-être du résultat des dernières élections législatives qui ont eu lieu ce printemps mais il ne semble pas que l’imminence du conflit soit bien perçue de tous.
Ce n’est pas étonnant quand on sait que « La croix de Savoie » ne voyait dans l’assassinat de Sarajevo qu’un drame familial (numéro du 5 juillet 1914) et que le 1er août « le Démocrate savoisien » écrivait encore « tous espèrent que la raison triomphera ».
On peut y voir l’influence des autorités ne voulant pas affoler les populations mais également une sorte d’aveuglement en symbiose avec le manque d’intérêt des populations pour les questions extérieures.
Comme à pu l’écrire Antoine Borrel : « personne n’y croyait ».

AvenirdAix
Avenir d’Aix-les-Bains, du 4 janvier 1908

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

Le conseil de révision de 1909

Au printemps se tient dans chaque chef-lieu de canton le conseil de révision qui va déterminer l’aptitude militaire des jeunes gens et étudier les demandes de dispense. La date est fixée par une loi, à charge du préfet de la faire appliquer. Une décision préfectorale organise le conseil de révision et plus particulièrement son parcours dans le département. L’itinéraire se fait suivant des dates précises valables pour toute la France, entre le 3 février et le 3 juin pour l’année 1910, du 8 mars au 27 mai pour l’année précédente.
« Les jeunes gens inscrits sur la liste de recensement de la classe 1908 dans le département de la Savoie » lit-on dans le Recueil des actes administratifs de la préfecture « sont tenus de comparaître en personne devant le conseil de révision… conformément à l’itinéraire ci-après ».

ConseilDeRevision
Itinéraire du conseil de révision 1910

Un peu plus de 3000 conseils de révision passent chaque année en revue entre 210 et 220 000 recrues dans la France d’avant 1914. En Savoie ce sont plus de 2100 jeunes hommes qui vont être examinés par les membres des conseils de révision pour l’année 1909. Pour le canton d’Albens, 55 conscrits de la classe 1908 sont convoqués à la mairie du chef-lieu le samedi 20 mars à 11h15 précise du matin.

C’est un moment important dans la vie du canton. Selon un rituel bien établi, le conseil est arrivé tôt, escorté par les gendarmes, pour s’installer dans la grande salle de la mairie. Autour du préfet il y a quelques militaires ainsi que le médecin qui fera passer « l’épreuve physique » aux futures recrues. Tous siègent en grande tenue et portent leurs insignes distinctifs. La séance est publique, le maire et les conseillers municipaux d’Albens assistent à la réunion en présence des familles des conscrits. Ces derniers sont partis très tôt de leurs communes respectives accompagnés par le maire qui a ceint pour l’occasion l’écharpe tricolore.
Ils sont quinze d’Albens à se présenter, deux pour Ansigny, treize de La Biolle ; onze viennent de Saint-Germain et trois de Cessens. Les sept jeunes de Saint-Girod sont déjà arrivés à Albens quand les quatre conscrits de Saint-Ours, les trois d’Épersy auxquels se sont adjoints les quatre de Mognard parviennent à l’heure au chef-lieu.

CartePostaleAlbens
Carte postale d’Albens

Les jeunes gens vont être appelés dans l’ordre du tableau de recensement, c’est-à-dire en commençant par ceux qui sont nés en janvier 1888 jusqu’à ceux nés en décembre. Depuis la loi de 1905, le conseil de révision juge les aptitudes physiques des recrues ; les garçons passent nus devant le médecin qui vérifier leur taille ainsi que leurs particularités physiques avant de les classer dans une des quatre catégories prévues par la loi : bon pour le service (catégories 1 et 2), ajournement, exemption (catégories 3 et 4). Au passage sont enregistrés leur profession ainsi que le degré d’instruction générale (cinq degrés peuvent être repérés). La classe 1908 ne présente aucune recrue « ne sachant ni lire ni écrire » ; seize sont inscrites en catégorie « sait lire et écrire » et trente-six possèdent une instruction primaire plus développée. Cette année là un conscrit se signale comme ayant « obtenu le brevet de l’enseignement primaire ». Il se déclare étudiant et va obtenir un sursis pour les années 1909 à 1911. Incorporé en 1912, il deviendra caporal puis sergent avant de périr au front lors des offensives de 1914.
Comme on le voit, plus de 68% de cette classe d’âge possède un niveau d’instruction conforme aux objectifs visés par l’école de république.

Le conseil terminé, c’est la fête pour les jeunes gens reconnus « bon pour le service ». Ils se répandent dans les rues du chef-lieu arborant cocardes, rubans, chapeaux, avant de se faire photographier. Un recalé pour cas de maladie ne participera pas aux réjouissances cette année là, n’ayant pas satisfait aux exigences de ce « rite de passage ».
Les « bons pour le service » attendront encore quelques mois avant de recevoir leur affectation, les incorporations s’effectuant à l’automne.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

Lecture publique : Henri Josseron

Lecture publique d’extraits des œuvres d’Henri Josseron (le Brunaud et les deux amis) par Bernard Juillet, professeur retraité

LesDeuxAmis

Le 29 mars à 20 h à la Bibliothèque de Cusy
Le 30 mars à 20 h au siège de Kronos (117 rue du Mont Blanc à Albens)
Entrée libre et gratuite

Henri Josseron,
Instituteur, poète, nouvelliste et chantre méconnu de l’identité savoyarde

HenriJosseron

Assemblée Générale 2018 et conférence : vendredi 23 mars

Kronos vous invite à son Assemblée Générale le vendredi 23 mars 2018 à 20h00, à la salle Chantal Mauduit (salle polyvalente) à Albens. La nouvelle revue y sera disponible.

À l’issue de l’Assemblée Générale, Jean-Louis Hébrard donnera une conférence intitulée « Les crues de l’Albenche témoignent des changements climatiques d’antan ».
L’auteur met en relation les fureurs de la rivière avec les changements climatiques que la Savoie et l’Europe connurent depuis l’époque romaine.

AG2018

Entrée libre et gratuite
Venez nombreux !

Faire son service militaire

Passés devant le conseil de révision au printemps, les conscrits sont appelés à rejoindre leur affectation à l’automne de la même année.
Il y a quelque temps que la récolte de céréales a été rentrée, les pommes de terre stockées, on se prépare à broyer les pommes pour le cidre lorsque Jean-Claude D. quitte Saint-Ours le 9 octobre 1911 pour rejoindre le 30ème RI à Rumilly.
Sur l’autre versant du canton, Alexandre F. s’apprête à en faire de même. Déjà les forêts de Saint-Germain ont revêtu leur parure multicolore, le raisin a été récolté dans les vignes de Challières, Alexandre fait mentalement le chemin qui va le conduire demain 10 octobre de sa ferme jusqu’à la caserne Curial à Chambéry pour être incorporé au 97ème régiment d’infanterie.

Comme eux, la moitié des conscrits de 1910 sont affectés dans les garnisons des Alpes, de Thonon à Bourg-Saint-Maurice et Briançon. Ils serviront dans l’infanterie alpine, l’artillerie de montagne ou le génie. Rien de surprenant à cela, la frontière avec l’Italie doit être protégée car notre voisin immédiat est membre de la Triplice depuis 1882 date à laquelle il s’est rapproché des empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie.

CartePostaleChasseursAlpins
Carte postale illustrant un bataillon de chasseurs alpins

Formés durant deux ans, nos jeunes recrues participent aux manœuvres alpines qui se déroulent chaque été de la Tarentaise jusqu’au Briançonnais et au Queyras. « Toutes les batteries alpines – lit-on alors dans le Journal du Commerce – quitteront leurs garnisons début juillet. Dès leur arrivée dans leurs secteurs elles exécuteront des tirs réels de quatre jours, dans les hautes vallées ou montagnes, en présence de leur bataillon de chasseurs respectifs ».
Ceux qui ne sont pas envoyés défendre au plus près la frontière alpine se retrouvent dans les garnisons de Grenoble, Lyon et au camp de Sathonay.

CartePostaleSathonay
Carte postale du camp de Sathonay

Situé sur un vaste plateau au nord de Lyon, le camp de Sathonay est équipé pour accueillir 8000 hommes et 400 chevaux. Création du Second empire, au départ simple camp de toile, il s’est peu à peu transformé en une installation moderne avec baraquements en dur, approvisionnement en eau, poudrière, champ de tir, protection fortifiée et liaison ferroviaire avec le réseau national. Depuis 1901, les régiments de zouaves d’Afrique du nord envoient ici un bataillon, en particulier le 2ème zouaves d’Oran et le 3ème zouaves de Constantine. Ces régiments de Sathonay recrutent leurs effectifs dans tous les cantons de la métropole, c’est ainsi que trois conscrits d’Albens se retrouvent affectés au 3ème zouaves par le conseil de révision de 1911. Un beau matin du 11 octobre, partis de la gare d’Albens par le train de 4h46, ils se présentent donc aux portes du camp dans la matinée.
Jean-Claude G. d’Albens, François G. de Cessens et Georges Marcel G. de Mognard ne vont pas tarder à se familiariser avec l’uniforme si particulier qu’ils vont porter durant deux ans. Copié de la tenue des Kabiles d’Algérie, il se compose d’une chéchia comme couvre-chef, d’une veste courte et ajustée sans boutons, d’une large ceinture, de culottes bouffantes, de guêtres et de jambières. Dans toutes ces pièces vestimentaires c’est sans doute la ceinture de toile longue de trois mètres qui dû poser le plus de difficultés à nos jeunes recrues albanaises et les conduire à s’entraider pour pouvoir l’enrouler rapidement autour de sa taille.
Leur période d’instruction achevée ils partiront servir en Tunisie – alors protectorat français – de mai 1912 jusqu’au début de l’année 1913. On peut imaginer tout ce qu’ils eurent à raconter au retour dans leurs foyers respectifs le 8 novembre 1913.
Si l’un de vos ancêtres a lui aussi servi dans les troupes coloniales durant la Grande Guerre, vous pouvez nous en faire part en contactant l’association Kronos.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

Albens… à la façon… virgilienne

Témoigner de son temps, de son époque constitue très souvent un exercice délicat. L’Art a ce pouvoir de convertir par son alchimie toute interrogation en appréciation flatteuse. Il en est ainsi du poème de Madame Jean Farnault qui s’inscrit parfaitement dans la « ligne » Kronos, en nous livrant une vision du village d’Albens à travers une sensibilité propre. Un témoignage plein de fraîcheur qui confirme les paroles de Shelley : « La poésie immortalise tout ce qu’il y a de meilleur et de plus beau dans le monde. »

Si du travail, du bruit, vous êtes fatigués,
Il est de jolis coins dans notre douce France ;
Je vous invite amis, êtes—vous décidés
Quand soleil et ciel bleu ont fait une alliance ?

Dans le vieux bourg d’Albens venez vous reposer ;
Ses maisons sont coquettes, au pied de la montagne
Qu’aucun bloc de ciment ne vient défigurer.
L’air est pur, embaumé, fertile sa campagne.

Oubliez un instant vos soucis, vos tracas ;
Il s’étale non loin de deux grands lacs limpides…
À votre place amis je n’hésiterais pas
Et pour y parvenir point n’est besoin de guides.

Bordant des bois épais où pousse le fayard
Vous y rencontrerez, sur des chemins tranquilles
Qui vous feraient aimer le pays savoyard,
De jeunes cavaliers sur des chevaux dociles.

L’orge mure courbant ses longs épis nouveaux
Que l’on voit osciller sous la brise légère,
Faisant aussi frémir les tiges des roseaux
Qui s’étirent le long de la proche rivière.

Vous y verrez aussi des champs de mais blond,
Des champs où le tabac nourrit sa large feuille ;
Le cœur du paysan s’attriste et se morfond
Si la grêle parfois et brusquement l’effeuille.

Des vaches au corps lourd, le pis de lait gonflé,
Encombreront peut-être un instant votre route
Pour aller lentement et d’un pas martelé
Jusqu’à l’herbe des prés qui très vite se broute.

Pour vous laisser charmer par le chant des oiseaux
Vous vous arrêterez au bord d’une clairière
Qui rafraîchit souvent l’eau pure des ruisseaux
Où viennent scintiller des taches de lumière.

Et le soleil couchant mettra des rayons d’or
Sur les monts reverdis, aux vitres des fenêtres ;
Vous pourrez admirer le merveilleux décor
Lorsqu’il nous dit bonsoir avant de disparaître.

Dans le vieux bourg d’Albens venez vous reposer,
La nuit, sur la colline, est bien silencieuse :
Pour dormir dans le calme, à l’ombre du clocher,
Vous n’aurez pas besoin d’une douce berceuse.

LICE

Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987