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Dans l’Albanais, les familles rapatrient les corps, recherchent leurs disparus

Au début de l’année 1922, on peut lire très souvent dans les pages du Journal du Commerce de courts articles intitulés « Funérailles d’un poilu », « Retour au pays natal » mais aussi « En terre natale » ou encore « Ramené du front ». Le grand « remuement » des corps des soldats morts pour la France est encore en cours.
En effet, si le décès ou la disparition des soldats avaient bien été portés à la connaissance des familles, ces dernières ne savaient pas souvent grand-chose sur les derniers instants ni sur la sépulture de l’être cher. C’est souvent par des courriers expédiés par les camarades de combat que les familles obtiennent plus de précisions. « Une chose qui pourra adoucir quelque peu votre chagrin sera d’apprendre que votre fiancé a eu une très belle sépulture et qu’il repose actuellement dans le cimetière de Badricourt (Haute Alsace). Le service d’observation du régiment a acheté une pierre funéraire qui sera placée incessamment sur la tombe de son regretté chef », tel est le contenu d’une lettre expédiée à la fiancée du sergent Lyard, tué en mars 1917. La famille du sergent a pu connaître le lieu de son inhumation et possiblement organiser son transfert au début des années 20 mais ces conditions « humaines » n’ont pas toujours été possibles.
Dès le début du conflit, les belligérants sont débordés devant la masse monstrueuse des morts. Ils sont contraints d’avoir recours à la pratique des tombes collectives : fosses communes jusqu’à cent corps côté français, par groupe de six pour les Britanniques tandis que la tombe individuelle est immédiatement en vigueur chez les Allemands.

Tombe dans une tranchée vers 1915 (collection particulière)
Tombe dans une tranchée vers 1915 (collection particulière)

Toutefois, avec la montée en puissance de l’artillerie, l’intensité et la fréquence des tirs chamboulent totalement la surface du champ de bataille, disloquant ou enfouissant de nombreux corps avant qu’ils n’aient pu être inhumés. Un poilu de Cessens décrit en 1915 les paysages dévastés de la Marne « Ici tout est bouleversé. On voit qu’avant la guerre c’était un bois de pins, mais maintenant plus rien. Pas un arbre qui ne soit coupé, les uns à un mètre de la terre, les autres un peu plus haut ».

 Ce qu'il reste d'une forêt (collection particulière)

Ce qu’il reste d’une forêt (collection particulière)

Dans un tel chaos, il est souvent impossible et dangereux de s’occuper des morts.
La paix revenue, le ministre de la Guerre se pose rapidement la question de « l’exhumation des soldats morts pour la Patrie ». C’est le titre d’un court article du Journal du Commerce de février 1919 où l’on apprend que « le gouvernement se préoccupe d’un projet de loi réglant la question des exhumations et transport des restes mortels de nos soldats tombés au champ d’honneur ». On précise en outre qu’il « est indispensable de procéder au repérage définitif des sépultures… mission dont s’acquitte dès maintenant le service de l’état civil aux armées ».
On comprend que devant l’immensité de la tâche, le retour des corps des premiers poilus ne semble être effectif qu’à partir de 1922. Dès le début de l’année, de courts articles se multiplient dans la presse, informant les populations du retour d’un de leurs fils.
Avec le recul du temps, la description de ces cérémonies nous fait percevoir l’énorme impact émotionnel qui les entoure. À Cessens, Saint-Félix ou Albens c’est une « affluence nombreuse », une « foule énorme » ou encore « une foule nombreuse et recueillie » qui assiste aux funérailles. Le maire, l’instituteur ou encore un ancien combattant prononcent l’éloge du soldat et de l’homme. C’est l’occasion de dresser la figure du brave, du héros, en rappelant sa vaillance au combat, les terribles circonstances de sa mort au front, ses médailles et les citations qui les accompagnent ; s’y ajoute parfois l’évocation de son engagement passé dans la vie de la commune comme on peut le lire en mars 1922 pour le soldat Constant Ginet « Tel vous l’avez connu, alors qu’il dirigeait avec beaucoup de compétences et un dévouement inlassable notre chère fanfare, tel il est resté ; et le plus bel éloge que l’on puisse faire de lui est contenu dans la citation suivante qui accompagne son inscription au tableau de la médaille militaire : très brave au feu, grièvement blessé à la tête dans la nuit du 29 au 30 juillet 1915, n’a quitté son poste qu’à la fin de l’attaque ».
Parfois la cérémonie rassemble au-delà de la commune, comme à Cessens lors du retour de l’instituteur Pierre Jeandet pour lequel « toute la population de la commune, ainsi qu’une grande partie de celle des communes voisines, accompagnait au champ de repos cet enfant du pays. On remarquait dans le cortège les instituteurs du canton et des cantons voisins, la municipalité, la compagnie des sapeurs-pompiers au complet ».
De même à Albens en mai 1922 où « une foule nombreuse et recueillie était venue de toute part pour rendre hommage à ce jeune héros et pour témoigner sa sympathie à la famille ». Ici, le jeune héros n’était personne d’autre qu’Albert Phillipe, le fils du maire.
De nouveaux groupes participent de plus en plus à ces cérémonies, les enfants des écoles et les anciens combattants. Leur présence tout comme l’édification de monuments marquent la mise en place d’un nouveau culte républicain, celui des « Morts pour le France ».

De nombreux jugements déclaratifs y furent rendus (archive privée)
De nombreux jugements déclaratifs y furent rendus (archive privée)

Pour dresser la liste de ces poilus, il a fallu résoudre la question des 300 000 soldats français portés disparus dont le plus grand nombre n’a jamais été retrouvé. Parmi eux, 80 000 se trouvent encore aujourd’hui sur le champ de bataille de Verdun dans une zone de 10 000 hectares de forêts. Un drame immense pour les familles auxquelles une réponse juridique fut donnée. Pour la dizaine de disparus du canton d’Albens c’est le tribunal de Chambéry qui fixera tout au long de l’année 1921 par un jugement déclaratif la date du décès de ces soldats. Ils pourront eux aussi prendre rang dans la longue liste de nos monuments aux morts, au risque de n’être plus peu à peu « qu’un mot d’or sur nos places ».

Jean-Louis Hébrard

Fêtes des démobilisés et banquets des poilus dans l’Albanais

Presqu’une année après « l’explosion de joie » de l’armistice, partout dans les villes et villages des fêtes et des banquets réunissent tout au long des mois de septembre à décembre 1919 les hommes qui viennent d’être, après une longue attente, démobilisés. Ce moment est très particulier car, venant à peine de quitter la vie militaire, ces hommes vont bientôt renouer avec la vie citoyenne en étant appelés aux urnes pour choisir maires puis députés, élection d’où sortira la célèbre « chambre bleu horizon ».
C’est à ce moment que les « ex-poilus », s’organisant en associations et militant pour l’édification de monuments du souvenir, multiplient les occasions de se retrouver un dimanche lors d’une fête ou dans un banquet afin de célébrer le retour à la vie sans pour autant oublier les frères d’armes disparus.
Dès octobre à Albens, tout au long du mois de novembre à Saint-Ours, Gruffy ou Saint-Félix, fin décembre à Cessens, on fête les démobilisés. Partout, un banquet et au cœur d’une journée bien remplie. Les établissements qui les hébergent sont toujours mentionnés dans de petits articles du Journal du Commerce. Ainsi à Gruffy, en novembre c’est « l’hôtel de la poste, chez M. Guévin » qui sert aux 120 convives un banquet offert par la commune. Parfois les anciens combattants choisissent un établissement tenu par des hôteliers démobilisés. C’est semble-t-il le cas pour le banquet du canton d’Albens qui se tient au restaurant Lansard. À Saint-Ours, c’est le restaurant Brun qui a été choisi tandis que les anciens poilus de Cessens se retrouvent chez Coudurier pour célébrer leur démobilisation.

Un repas de mariage en 1908 (archives privées)
Un repas de mariage en 1908 (archives privées)

Les menus que l’on propose sont bien éloignés du « rata » des tranchées. Avec un regard actuel ils peuvent nous sembler plus que démesurés, toutefois ils témoignent d’un « art de la table » qui s’était peu à peu imposé à la Belle époque tout en restant réservés aux évènements exceptionnels comme les noces. Sur ce menu de 1908 on découvre un repas en trois temps : hors d’œuvres, plats de résistance, desserts. La partie centrale est la plus nourrissante avec deux volailles, un poisson, une viande rouge et une blanche, deux légumes et quelques quenelles.
Le repas servi par le restaurant Lansard le dimanche 5 octobre est construit sur le même modèle. Son menu, imprimé par la maison Ducret de Rumilly, a été publié par Kronos en 2014 dans le livre « Se souvenir ensemble ». Les desserts servis furent plus que copieux avec pièces montées, fromages, corbeille de fruits sans parler des boissons avec café, liqueurs et vins à volonté. Autant « d’ingrédients » qui contribuèrent, rapporte la presse « au succès de cette réunion » dont on note qu’elle se déroula dans la « gaieté la plus franche » avec les incontournables chants et la prise de parole au moment du dessert. C’est « le capitaine Charles Magnin, un glorieux poilu d’Orient » qui « remercia ses compatriotes d’être venus nombreux, puis après avoir évoqué quelques souvenirs de la grande guerre leva son verre et but à la France victorieuse et à l’union de tous ses enfants. Le toast fut couvert d’applaudissements ».

 Image illustrant les cartes postales de guerre (archives privées)
Image illustrant les cartes postales de guerre (archives privées)

Dix mois après la fin des combats, place est ainsi donnée à la gaieté à travers bals et chansons. « Ce fut le tour des chanteurs qui obtinrent un joli succès » indique-t-on pour Albens comme pour Cessens où « la parole est donnée aux chanteurs ». Ils captent très certainement les applaudissements en entonnant « la chanson du Pinard » et bien sûr « La Madelon », autant d’hymnes au gros vin rouge qui avaient servi à chasser le cafard.
Enfin ces banquets ne se terminent pas sans qu’un bal soit prévu, « très animé » à Saint-Ours, « avec orchestre » à Saint-Félix, où « le meilleur accueil est réservé aux jeunes filles de la commune et des environs » pour Cessens.
Mais si partout la gaieté, l’entrain accompagnent cette journée, si tous ces hommes retrouvent un instant encore la fraternité des tranchées, la fête terminée, ils vont être accaparés par les soucis du quotidien. Devant renouer avec un milieu qui les a oubliés ou se battre pour obtenir des pensions bien modestes, beaucoup s’enfermeront alors dans le silence.

Jean-Louis Hébrard

Les hommes reviennent : la démobilisation automne 1918 / été 1919

Dans notre pays, faire revenir à la vie civile cinq millions d’hommes s’avère être une opération difficile qui provoque beaucoup de mécontentements car le processus s’étale dans le temps sur plus de dix mois.
Voici ce qu’écrit un poilu de Cessens à sa famille en juillet 1919 : « Heureusement que Mr Deschamp, le fameux secrétaire d’état à la démobilisation, prenait toutes les mesures nécessaires pour que toutes les classes de réserves, soient, une fois la paix signée, renvoyés dans leurs foyers, dans les plus brefs délais possibles ! il la copiera celle-là ».
Il est vrai que le gouvernement allait attendre jusqu’en juin 1919 que la paix soit signée avec l’Allemagne (traité de Versailles) pour franchement lancer la seconde vague de démobilisation, de juillet à septembre. La première démobilisation qui s’était déroulée entre novembre 1918 et avril 1919 n’avait permis de faire revenir au village qu’un petit nombre de soldats, soit pour des raisons familiales soit pour un impératif économique. Tel est le cas des cordonniers d’Albens, Favre et Garnier, qui font paraître dans le Journal du Commerce de petits encarts rédigés ainsi « démobilisé, a l’honneur de prévenir le public et son ancienne clientèle qu’il a repris son commerce ».
Dès février 1919, on peut voir l’annonce du médecin d’Albens « Le docteur J. Bouvier de retour des Armées a l’honneur de prévenir sa clientèle qu’il a réouvert son cabinet. Consultations : vendredi et samedi de 8h à 11h, les autres jours sur rendez-vous ».
Ce n’est qu’au long parcours que le soldat rentre chez lui, après avoir rejoint un centre de regroupement puis le dépôt le plus proche de son domicile. Quant aux jeunes classes 1918 et 1919, elles ne seront libérées qu’en mai 1920 et mars 1921.
Tout cela désorganise les régiments qui ne sont plus composés de façon homogène. Les anciens côtoient durant des mois les jeunes recrues. Pour ces vieux chevronnés, le temps est long comme s’en plaint l’un d’eux, en mai 1919, auprès de sa famille : « Aujourd’hui je n’ai pas grand-chose à faire, ce matin nous avons fait l’exercice. Inutile de vous dire si ça me déplaît, surtout qu’il faut manœuvrer avec les classes 18 et 19 ».

C’est à partir d’octobre 1919 qu’on va pouvoir dire que la plupart des poilus du canton d’Albens ont retrouvé familles et villages. Toutes ces années de guerre durant lesquelles ils ont vécu des heures terribles ne facilitent pas le retour à la vie civile. Il n’y a pas comme maintenant de cellule psychologique pour les aider à revenir dans le monde normal des « jours de paix ».
Bien vite ces hommes vont chercher à se regrouper en créant des associations « d’anciens combattants » et à se rencontrer en organisant des banquets. Dès octobre, novembre 1919, le Journal du Commerce annonce ceux qui se déroulent à Cessens, Saint-Ours, Albens, Gruffy, Saint-Félix. Ces banquets sont souvent précédés d’une cérémonie comme on peut le voir le 9 novembre à Saint-Ours : « Les poilus de la commune ont fêté leur retour. À 10 heures du matin, tous se réunissaient pour aller déposer une couronne sur la tombe de leurs chers camarades morts au champ d’honneur. M. Viviand, doyen d’âge prononça devant une foule considérable une patriote allocution. Il rappela en termes émus les évènements de la grande guerre et demanda à tous les assistants de ne jamais oublier ceux qui sont morts pour la France. Un délicieux banquet réunissait ensuite les poilus au restaurant Brun. Après un discours de M. Viviand François fils, la parole est donnée aux chanteurs. Un bal animé termina cette bonne journée. Une quête faite au profit des mutilés de la Savoie a produit la somme de 39F50 qui a été envoyée au trésorier ».
Dans cet article écrit un an après l’Armistice, on relève déjà bien des thématiques qui sont encore les nôtres aujourd’hui. On y parle de la « Grande Guerre », du « devoir de mémoire » et des « morts pour la France », des données qui furent abordées dans le livre « Se souvenir ensemble », publié par la société Kronos.

Si la vie reprend son cours avec un bon repas suivi de chants et d’un bal animé, on n’en oublie pas pour autant l’immense cohorte des mutilés. La France en dénombre plus de 380 000 dont environ 15 000 « Gueules cassées ». On peut se faire une idée de l’importance de ces souffrances dans le canton d’Albens en prenant pour référence les cinquante hommes de la classe 1915. Trois furent victimes des gaz, quatre gravement atteint à la face (nez, joue, mâchoire, perte de la vue) sans parler de cinq d’entre eux atteints d’infections (paludisme, bacillose, cystite) ni des amputés (main, jambe). Peu d’entre eux bénéficient d’une pension, l’État déjà impécunieux préfère distribuer des médailles ou leur laisser le soin de se procurer un casque Adrian avec sur la visière cette belle formule « Soldat de la Grande Guerre – 1914-1918 ».

Amputés de la jambe, de la main dans un hôpital en 1919 (archives privées)
Amputés de la jambe, de la main dans un hôpital en 1919 (archives privées)

On peut lire dans le Journal du Commerce en date du 27 avril 1919 un article expliquant « les modalités de la délivrance du casque-souvenir aux soldats de la grande guerre ». On y précise que « tout miliaire ou famille de tout militaire décédé ayant appartenu à une formation des armées, a droit au casque-souvenir et à une plaquette sur laquelle sont inscrits ses états de service ». De nombreuses familles de l’Albanais possèdent et conservent encore aujourd’hui de tels casques.
Il est toutefois une catégorie de combattants qui n’aura pas droit à ce casque-souvenir. Ce sont les prisonniers de guerre, tous ceux qui furent capturés dès les offensives de l’été 1914. C’est le cas pour trois soldats de la classe 1913 du canton qui se retrouvent en captivité dès la fin d’août 1914. Ils vont passer toute la guerre dans des camps à Stuttgart, Munster ou Leschfeld.

Bandeau d'un journal de camp (archives privées)
Bandeau d’un journal de camp (archives privées)

Un article du Journal du Commerce décrit en novembre 1918 le terrible état qui est celui de ces hommes qui regagnent alors le territoire national : « L’aspect physique de beaucoup de ces rapatriés porte le signe de longues souffrances. Les plus éprouvés sont ceux qui ont vécu de longs mois à l’arrière des lignes, soumis à de durs travaux… Après un court séjour à Nancy, les prisonniers vont être dirigés vers l’intérieur le plus tôt possible ».
Ils ne vont pas bénéficier de la reconnaissance de leurs épreuves souffrant de la comparaison avec les soldats héroïsés.

Jean-Louis Hébrard

Qui sont les soldats de 14-18 inscrits sur nos monuments ?

À la fin de la Grande Guerre, la plupart des communes de France, encouragées par l’État, construisirent des monuments aux morts. C’était l’occasion d’honorer les enfants du pays, de ne jamais oublier leur sacrifice et leur donner, à travers l’inscription de leur nom, la postérité pour leur contribution à la victoire de l’armée française. Pour certaines familles, le nom gravé est également, un siècle plus tard, la dernière trace de leur passage dans nos villages. L’inscription d’un soldat se justifie lorsqu’il est décédé au combat, est titulaire de la mention « Mort pour la France », qu’il est natif ou résident de la commune. Les soldats décédés après 1918 des suites de blessures ou maladies consécutives à la guerre n’ont généralement pas été considérés comme « Morts pour la France » et ne figurent pas sur les monuments.

Monument aux morts d'Ansigny
Monument aux morts d’Ansigny

C’est pourtant le cas à Ansigny d’Auguste Germain, le dernier nom gravé sur le monument aux morts de la commune. Après avoir effectué son service militaire dans l’Escadron du train des Équipages entre 1890 et 1891, il avait travaillé au sein de la Compagnie des Chemins de Fer d’Annemasse. Au moment de la mobilisation générale, à 45 ans, il rejoint les troupes en août 1914 puis entre avril 1915 et juin 1916. Il est finalement réformé à cette date pour une hémiplégie droite et rentre à Ansigny où il décèdera en janvier 1919, la mention « Mort pour la France » figurant sur le registre des décès.

À Albens, les plus attentifs ont certainement remarqué les noms de deux soldats de la commune décédés en 1914 et rajoutés plus tard en fin de liste sur le monument. Une carte postale du monument réalisée dans les années 20 confirme l’absence de leurs noms à ce moment-là. Qui étaient donc ces deux soldats ?

Il y a tout d’abord Antoine Martin, fils de François et Louise (née Genoux, originaire de Boussy). Né en 1874 à Albens, il effectue son service militaire à Lyon au sein du Régiment de Dragons puis de l’Escadron du Train des Équipages entre novembre 1895 et octobre 1898 avant d’en sortir avec son certificat de bonne conduite accordé. Revenu dans la vie active, il habite successivement à Rumilly, Alby-sur-Chéran, Annecy, Aix-les-Bains – et exerce durant un temps le métier de boucher – avant de revenir aider ses parents à la ferme, à La Paroy, où il retrouve son frère missionnaire que nous évoquions dans un article précédent (Hebdo des Savoie n°964 / revue Kronos n°33). Une semaine avant de fêter son quarantième anniversaire, la mobilisation générale est décrétée et il rejoint le 14ème Escadron Territorial du Train à Lyon en août 1914. Le 26 septembre suivant, il décède à l’hôpital Desgenettes des suites d’un accident survenu en-dehors du service, il est alors enterré au cimetière de la Guillotière de Lyon avec la mention « Non mort pour la France ». Pourtant, en 1957, lors de la création de la Nécropole Nationale de la Doua à Villeurbanne, Antoine Martin y est enterré avec une tombe portant la mention « Mort pour la France » (d’autres enfants d’Albens sont dans le même cas). Environ 100 000 soldats français sont déclarés « Non Morts pour la France », parmi ceux-ci on retrouve des soldats décédés des suites de maladie, de blessures, des suicidés, des fusillés, des accidentés, des décédés en prison, …

Les deux noms ajoutés sur le monument aux morts et la tombe d'Antoine Martin à la Doua.
Les deux noms ajoutés sur le monument aux morts et la tombe d’Antoine Martin à la Doua.

Le second nom rajouté tardivement sur le monument aux morts est celui de Guillaume Pianta, né en 1887 à Futenex. Petit-fils d’immigrés lombards plâtriers, Guillaume a déjà perdu ses deux parents lorsqu’il s’en va effectuer son service militaire en octobre 1908. Il fera également partie du 14ème Escadron du Train des Équipages avant de rejoindre le 99ème Régiment d’Infanterie jusqu’à la fin de son service en septembre 1910. En mai 1913, alors qu’il est désormais maçon, il se réengage dans l’armée au sein du 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale au Maroc puis au 9ème Bataillon Colonial du Maroc et participe aux violents combats opposant l’armée française aux guerriers marocains « insoumis ». Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914, « le journal des marches et opérations du bataillon » (consultable sur internet) permet de suivre au jour le jour le départ des troupes pour la France puis son entrée dans le conflit mondial. Le 28 août 1914, dans une citation du journal de marche, il est indiqué « Le bataillon se replie et prend position entre Dommery et la Fosse‑à-l’eau (Ardennes). Vif engagement, feu violent de l’artillerie allemande. Malgré de fortes pertes, le bataillon se maintient sur ses positions ». Le compte-rendu se poursuit avec le bilan des pertes, des blessés et des disparus. Guillaume Pianta fait partie de cette dernière catégorie. C’est dans un jugement transcrit en septembre 1921 qu’il est reconnu comme « Mort pour la France » le 28 août 1914. Les inscriptions sur le monument aux morts avaient-elles déjà été effectuées avant l’inauguration du mois en novembre 1921, d’où son rajout tardif ? Dans l’Église d’Albens, son nom est également rajouté en bas de liste sur les plaques commémoratives. La volonté de la famille qui espérait encore un retour du fils dont on avait perdu la trace ou un simple oubli ?

Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l'eau.
Un monument à la gloire de la division Marocaine à La Fosse-à-l’eau.

D’autres soldats originaires d’Albens, « Morts pour la France », figurant dans un registre envoyé par la commune au ministère des pensions dans les années 20, ne sont cependant pas présents sur le monument aux morts :
– Marius Abry, du 22ème Bataillon des Chasseurs Alpins, décédé à 33 ans à Wettstein (Haut-Rhin) en mars 1916. Son nom n’est a priori répertorié sur aucun monument de France.
– Léon Francisque Bel, 36ème Régiment d’Infanterie Coloniale, décédé à 32 ans en avril 1914 et enterré à la Nécropole Nationale de La Crouée dans la Marne. Son nom est présent sur le monument aux morts de la commune de Saint-Vincent-de-Barbeyrargues (Hérault) dont il était résident.
– Félix Joseph Buttin, militaire de carrière depuis son engagement à dix-huit ans. Lieutenant du 33ème Régiment d’Infanterie, décédé à 40 ans en avril 1916 et enterré à la Nécropole de Cerny-en-Laonnois dans l’Aisne. Son nom apparaît à Annecy sur une plaque commémorative à l’Hôtel de Ville.
Ces quelques éléments permettent de comprendre que tous les noms des soldats morts pour la France ne sont pas indiqués sur les monuments aux morts de nos communes.

Une dernière curiosité à propos du monument aux morts d’Albens. Le nom de Joseph Métral y figure, cependant, selon les recensements, aucune famille Métral ne vivait à Albens et aucun soldat de ce patronyme originaire d’Albens n’est présent dans les archives de l’armée. Absent de la plaque commémorative dans l’Église, il n’est pas non plus répertorié dans le document de la commune envoyé au ministère des pensions en 1929 ni même présent dans les registres d’état civil. Le mystère est entier concernant son identité.

Benjamin Berthod

Les nombreuses décorations de Clémence Brunet, infirmière de la Grande Guerre

Cette femme courageuse dont nous avons raconté le périple dans un précédent article allait être plusieurs fois décorée, en particulier pour son courage en Roumanie lors de la terrible épidémie de typhus qui frappe les armées tout au long de l’hiver 1917.
Clémence Brunet se trouve alors à Jassy dans le nord-est de la Roumanie. La ville est alors l’ultime réduit des forces roumaines qui ont dû abandonner successivement la capitale Bucarest puis les villes de Braïla et Galatz. Durant cette longue retraite notre infirmière major se signale par son courage comme l’écrit le préfet de Galatz « A rendu de très grands services dans les différentes évacuations et sous le bombardement, par son sang froid et son esprit d’initiative. A su accepter avec bonne grâce les difficultés d’installation matérielle très primitive en tirer parti pour l’organisation des services ».

Carte extraite de l'almanach Hachette 1918 (collection privée)
Carte extraite de l’almanach Hachette 1918 (collection privée)

Dans une longue lettre expédiée à sa tante, Clémence Brunet relate tous les épisodes de la retraite qu’elle effectue avec les membres de la Mission française employant successivement pour se déplacer des chars à bœufs, un bateau hôpital russe qui descend le Danube et enfin un train spécial munition pour arriver à Jassy.
Voici la situation dramatique qu’elle y trouve : « Deux jours de voyage et nous arrivons à Jassy. Là, que de mal pour nous loger… Nous tombons dans des logis infectés ; nous étions si lasses que nous acceptons n’importe quoi… Devant nos ennuis les sœurs nous recueillent et depuis nous sommes logées à Sion, fort bien car le lit est propre, nous avons des draps… Nous sommes six dans un couloir, mais nous sommes contentes car cette vie de réfugiées n’a rien de bien gai ».
Devenue capitale provisoire du royaume et base arrière des troupes françaises, la ville qui comptait 80 000 habitants a vu sa population quintupler au cœur de l’hiver 1917. Une épidémie capable de faire grimper le taux de mortalité à 20% explose alors car les gens sont entassés dans des lieux infestés de poux et que l’hygiène est insuffisante. La multiplication des hôpitaux et le dévouement du corps médical ne peuvent rien face aux terribles conditions qui entraîneront la mort de 60 000 soldats. Voici comment un médecin français décrit la situation dans son service : « Un matin, en entrant dans une des salles, j’éprouve la sensation que le plancher ondule sous mes pas. Me penchant, je le vois recouvert d’un épais tapis de poux, véhicule du typhus ».
Pour affronter ce typhus, les médecins donnaient aux infirmières la consigne de ne pas quitter leurs gants, de ne parler qu’en cas de nécessité, et de retenir, autant que possible, leur respiration. La mort touche malgré tout le personnel médical à l’image du docteur Jean Clunet dont le décès fait la une du Figaro en mai 1917.
Clémence allait vivre durant près de six mois dans cet enfer où l’on désinfecte tous les vêtements comme l’on peut. Dans le courrier qu’elle écrit à sa famille depuis Jassy, elle évoque aussi le manque de nourriture : « La vie ici est terrible, ainsi aujourd’hui, impossible de trouver autre chose que de la polenta – le plat national appelé mamaligua ici, si elle était préparée comme chez nous encore ce serait un rêve, mais simplement cette semoule délayée dans l’eau. Pas de pain aujourd’hui, espérons que demain ce sera mieux ».
Pour son courage, elle allait à deux reprises être distinguée par la France. Le 14 avril 1917 elle reçoit la médaille d’honneur des épidémies, avant d’être à nouveau décorée le 27 décembre de la médaille d’or des épidémies, insigne que lui décerne le sous-secrétaire d’état du service de santé militaire, M. Justin Godart avec la citation suivante : « En raison de la durée et de l’assiduité des soins que vous avez prodigués à nos soldats blessés ou malades et du dévouement de tous les instants dont vous avez fait preuve à leur égard pendant la guerre ». On dit que cette décoration est pour une femme l’équivalent de la légion d’honneur.
Elle allait enfin recevoir une distinction de la part de la reine de Roumanie, la croix de la « Regina Maria ».

La reine de Roumanie entourée d'infirmières à Jassy (archives en ligne)
La reine de Roumanie entourée d’infirmières à Jassy (archives en ligne)

Une médaille où l’on voit la reine en tenue de service de santé, celle-ci étant devenue dès 1914 infirmière volontaire de la Croix-Rouge pour aider les malades et les blessés. Sans doute une décoration dans laquelle Clémence Brunet devait bien se retrouver, elle qui dans sa lettre du 15 janvier 1917 écrivait à propos de la souveraine : « Nous rencontrons souvent la reine qui est très aimable, très simple, dans la rue, elle nous salue ; elle est venue nous voir dans notre petit coin à Sion où nous raccommodions nos bas. À Bucarest, elle nous avait reçu au palais, nous faisant visiter son hôpital et nous remerciant si gentiment ».
La guerre terminée, elle allait encore recevoir de nombreuses décorations, dont en 1920 la médaille de la Reconnaissance française décernée à titre civil envers tous ceux qui sans obligation légale ni militaire ont aidé les blessés et les invalides, et en 1938 la médaille d’honneur de l’Assistance publique.
Décédée en 1962, elle repose dans le cimetière d’Albens, à quelques mètres du monument aux morts de la Grande Guerre au pied duquel se dresse une belle statue de poilu. Elle a retrouvé la compagnie de ces soldats pour lesquels elle s’était tant dévouée un demi-siècle auparavant.

Jean-Louis Hébrard

Le retour d’une infirmière de la Grande Guerre

Lorsqu’au milieu du flot des soldats démobilisés, l’infirmière major Clémence Brunet revient à Albens en 1919, il est vraisemblable que peu de gens sont alors en mesure d’imaginer le périple insensé que cette fille de commerçant du village a effectué durant les quatre ans de guerre européenne.
Certains ont alors possiblement en mémoire le court article paru deux ans auparavant dans le « Journal du Commerce » relatant son parcours de guerre sous le titre éloquent « Une infirmière deux fois citée à l’ordre de l’armée ». Les fidèles du journal pouvaient y lire ceci « Nous apprenons avec plaisir que la fille aînée de M. Joseph Brunet négociant à Albens, vient d’être l’objet de deux citations pour sa courageuse conduite : Mlle Clémence Brunet, infirmière major de l’Union des Femmes de France, débuta en 1914 en Belgique, à Bruxelles. La ruée teutonne l’obligea à se replier avec nos troupes ; elle soigna nos blessés à Epernay, Nancy etc…et fut désignée pour faire partie de la Mission militaire française en Roumanie, où elle reçoit la médaille d’honneur des épidémies le 14 avril 1917…Mlle Brunet est actuellement sur le front italien. Toutes nos félicitations à cette courageuse Femme de France ».
Clémence Brunet est une de ces figures féminines emblématiques de la Grande Guerre, l’ange blanc comme on surnomme alors les infirmières. Ces dernières côtoient dans l’imagerie de l’époque trois autres types de femmes, la munitionnette travaillant dans les usines d’armement, la marraine de guerre qui soutient le moral des soldats sans famille et enfin la douloureuse figure de la veuve murée dans son malheur sous ses voiles noirs.
Grâce aux archives que la famille Brunet a mis à notre disposition nous pouvons voir Clémence, en tenue d’infirmière, photographiée sans doute lors d’un de ses retours à Albens en 1916.

Clémence Brunet
Clémence Brunet

Cette femme de 31 ans est alors une infirmière confirmée qui a débuté dans le métier bien loin de son albanais natal en 1911 au Maroc à l’hôpital Saint-Martin de Casablanca. Elle a quitté son statut d’infirmière professionnelle dès août 1914 pour effectuer un service bénévole pendant toute la durée de la guerre. C’est à ce moment là qu’elle incorpore l’Union des Femmes de France, une des trois sociétés de la Croix rouge française, la plus populaire. Elle se démarque ainsi de la SSBM (Société de Secours aux Blessés Militaires) et surtout de l’aristocratique ADF (Association des Dames de France).
Son parcours d’infirmière de guerre va d’abord la conduire de 1914 à 1916 dans de nombreux hôpitaux du front occidental (Bruxelles, Lille, Nancy, Compiègne) où elle soigne la plupart du temps les contagieux. Partout on relève son zèle et son dévouement.
Est-ce ces qualités ou sa capacité à se retrouver à la tête d’unités de 80 à 100 lits qui la qualifie pour partir en Roumanie avec la Mission militaire française en octobre 1916.
Pourquoi un départ si loin de la France et que va faire cette mission en Roumanie ? Ce pays qui vient de rentrer en guerre à nos côtés se trouve aux prises avec les armées des empires centraux (Autriche-Hongrie et Allemagne). La mission française va apporter à l’armée roumaine une aide logistique indispensable d’autant plus indispensable que la Roumanie voit son front enfoncé. C’est au cours de cet épisode dramatique que Clémence Brunet va faire preuve d’un remarquable courage dont nous avons un aperçu à la lecture de la citation qui accompagne sa médaille d’honneur des épidémies en avril 1917 « A fait preuve d’un grand dévouement et d’une complète abnégation dans les différents services des hôpitaux de Bucarest, Braïla, Galatz et Jassy, où elle a été affectée. S’est particulièrement distinguée en prodiguant ses soins aux malades atteints de typhus exanthématique pendant l’épidémie qui a sévi à Jassy en février-avril 1917 ».
Le récit de son séjour effroyablement dangereux à Jassy mérite un plus long développement que nous nous proposons d’aborder une autre fois. Il suffit de savoir qu’elle ne quitte ce lieu qu’à la dernière extrémité pour partir terminer son service d’infirmière de guerre sur le front italien. Elle est envoyée en septembre 1917 à l’hôpital français de Livourne où elle va assurer le service de la salle d’opération et de pansements avec une compétence absolue, un dévouement de tous les instants toujours prête à rendre service et à seconder ses collègues. En 1919, elle est toujours en Italie et s’occupe d’une unité de 80 lits pour soigner les malades atteints de la grippe, la fameuse grippe espagnole qui allait faire plus de 274 000 morts dans la péninsule et toucher un italien sur sept. Le directeur de l’hôpital la voit partir à regret, appelée « chez elle par des raisons impérieuses ». De retour en Savoie, on la retrouve très vite en activité dans un hôpital temporaire n°103 de Chambéry où elle dirige une unité d’une centaine de lits.
Cette « courageuse Femme de France » comme on la nomme dans l’article du « Journal du Commerce » de février 1918 fait partie de l’immense cohorte des oubliées de l’histoire que sont les femmes de la Grande Guerre.
Clémence Brunet avait reçu de nombreuses médailles attestant de son courage et de son dévouement, un siècle plus tard on peut penser qu’il lui manque peut-être une dernière distinction, celle de voir une rue de son village natal porter son nom.

Jean-Louis Hébrard

Commémoration du centenaire de l’Armistice du 11 novembre 1918

Kronos participera le dimanche 11 novembre 2018 à la commémoration du centenaire de l’Armistice du 11 novembre 1918.

9h : messe à l’église d’Albens
10h15 : évocation de l’Armistice du 11 novembre 1918 au Mémorial des Combattants, par Jean-Louis Hebrard, avec la participation des élèves des écoles d’Entrelacs et de La Biolle, et du collège Jacques Prévert
10h45 : Cérémonie commémorative au Mémorial des Combattants

De plus, une exposition des œuvres réalisées par les élèves sera présente au centre administratif René Gay.

Affiche Armistice 11 nov 2018

La fête des conscrits – classe 1917

Avec la création de la conscription est apparue un peu partout en France une tradition durant laquelle les jeunes gens de chaque commune se réunissaient et faisaient la fête avant de partir à l’armée.
Les conscrits entamaient d’abord un tour de ville au cours duquel une halte s’imposait dans chaque café rencontré. Un repas copieux et bien arrosé les réunissait au milieu de la journée ; il se prolongeait tard dans l’après-midi avant que ne soit réalisée la traditionnelle photographie.
Dans la cour du café où ils sont réunis nous les voyons groupés autour du drapeau tricolore. Seule une partie de celui-ci est visible mais on lit bien la fin des inscriptions qu’ils ont fait broder : « vingt ans – 1917 – Albens ». Pas de doute, tous sont nés en 1897 ; les archives en ligne permettent aujourd’hui de retrouver les noms de ceux qui naquirent cette année là et dont un certain nombre devrait se retrouver ici photographiés.

ConscritsAlbens1917
Photo des conscrits d’Albens en 1917

Le photographe a disposé ces vingt jeunes hommes de telle façon que tous soient identifiables. Le cliché sera tiré en carte postale pour être envoyé à la famille et aux amis. On lit au dos de celui-ci : « Chère cousine, je t’envoie la photo de ma classe afin de ne pas perdre de vue les différentes figures des garçons d’Albens ». On aimerait connaître l’auteur de ce cliché. Tout au plus trouve-t-on imprimé au verso de la carte cette indication : « R. Guillemot, Boespflug et Cie, Paris ». Appel est lancé à tous ceux qui pourraient fournir des informations.
Ces conscrits ont pris la précaution d’acheter durant les semaines précédentes toutes leurs décorations, rubans, cocardes, pancartes et chapeaux dont ils sont parés. Ils ont dû les trouver dans les magasins d’Albens (établissements Jacquet ou Montillet) à moins qu’ils n’aient fait affaire auprès d’un de ces nombreux colporteurs présents sur place le jour du conseil de révision. Ainsi décorés, ils s’affirment les successeurs des jeunes gens de la classe 1916 qui leurs ont remis le « crochon », symbole d’une sorte de « passation de pouvoir ».
Par ces cocardes, rubans et drapeau ils signifient leur engagement patriotique, celui d’une classe pour laquelle la Grande guerre n’est pas finie, nous situant au moment de la grande bataille de la Somme puis des offensives de 1918. Mais ils arborent aussi de nombreux « bon pour le service » qu’ils portent fièrement au revers du veston. Par ces pancartes ils affichent comme un brevet de masculinité à destination des jeunes filles de leur classe. Ne disait-on pas alors :  « bon pour le service, bon pour les filles » !
Ces dernières vont s’organiser durant les semaines qui suivront pour, à tour de rôle, les régaler tous d’un bon repas qu’elles auront préparé à leur intention.
Ainsi se soudent alors des relations de « classard-classarde » qui dureront toute une existence à condition qu’ils surmontent l’épreuve du feu qui les attend tous.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie

La réquisition des chevaux

Dans la France rurale d’avant 1914-1918, le cheval est alors un animal indispensable, propre à toutes sortes de travaux.
D’après la « Statistique des animaux en Savoie » le nombre de chevaux ne cesse de progresser entre 1860 et 1913 passant d’environ 2000 à plus de 3500 à la veille du conflit.
Voyez cette carte postale présentant les établissements Picon à Saint-Félix. Le photographe a placé au centre de son cliché une belle automobile mais a fixé par ailleurs la domination de la traction hippomobile. Parmi les nombreux employés de l’usine on remarque la présence de cinq charrettes et de six chevaux que l’on emploie entre autre pour le transport de la production vers la gare d’Albens. Une charrette lourdement chargée va sans doute acheminer jusqu’au chemin de fer une partie des 1500 fromages que l’entreprise expédie chaque année à destination des grandes villes.

CartePostalePicon
Carte postale de la fromagerie Picon, Saint-Félix

L’importance du cheval pour la société de l’époque est aussi mise en évidence par les lectures que les maîtres d’école proposent à leurs élèves. Les enfants du cours moyen sont invités dans une d’elles à « traiter le cheval avec bonté » au regard des nombreux services qu’il rend à tous. À la campagne, lit-on, où « le cultivateur l’associe à ses opérations culturales », en ville où on « l’utilise pour traîner les pesants fardiers, les lourds omnibus » et à l’armée qui l’emploie pour « rouler les pièces d’artillerie ». Cette dernière a en effet d’énormes besoins d’autant plus importants quand on sait qu’une batterie d’artillerie nécessite 225 chevaux et que la cavalerie compte alors 89 régiments. C’est pourquoi la réquisition des chevaux avait été prévue de longue date. La loi de juillet 1877 qui l’organisait avait permis la mise en place des dispositifs nécessaires pour que l’armée puisse se mettre rapidement en ordre de bataille. Tous les propriétaires de chevaux, juments, mulets et mules devaient en faire déclaration en mairie. Une commission se déplaçant chaque année dans la moitié des communes de Savoie permettait de connaître les effectifs équestres à mobiliser.
C’est ce qui va se passer en août 1914 ; l’usine Picon et les autres entreprises vont désormais avoir plus de mal pour acheminer leurs productions, les nombreux cultivateurs devoir se passer de leur « compagnon de labours ».
Madame Clochet enregistrée par Kronos en 1990 se souvenait bien de la pénibilité des travaux à la ferme, leur « unique cheval » ayant été réquisitionné par l’armée dès le mois d’août 1914.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement dans l’Hebdo des Savoie

La « rumeur du monde » dans l’Albanais de 1914

L’aggravation de la tension qui règne en Europe depuis l’attentat de Sarajevo (28 juin 1914) aurait dû alerter l’opinion publique d’Aix-les-Bains, Rumilly ou Annecy dès la fin du mois de juillet. Mais comme pour le monde rural, la mobilisation constitue pour la population des villes une surprise totale.
Jusqu’au dernier moment, les paysans occupés aux travaux de la moisson refusent d’envisager l’hypothèse de la guerre. À Saint-Félix beaucoup comptaient « que les choses s’arrangeraient ». Comment les hommes et les femmes de 1914 étaient-ils informés de la « rumeur du monde » ?

La presse et les cafés jouent un grand rôle mais on ne doit pas négliger les lieux de rassemblement et d’échanges que constituent la messe dominicale, les marchés, les fruitières ni un tout nouveau média, le cinématographe. Ce dernier semble faire son apparition à Albens en 1911 puisque l’on sait par le registre de délibération du conseil municipal que ce dernier répond positivement à une demande de « location de la grande salle de la mairie pour représentation de cinématographie, deux fois par semaine pendant la période hivernale ».
Si le cinéma ouvre sur le monde, n’imaginons pas qu’il soit déjà un vecteur d’information puissant. On doit plus sûrement se tourner vers la presse et les cafés.

Hebdomadaire de grand format (42 x 62 cm), imprimé sur huit pages, le « Journal du commerce » est alors bien lu dans tout l’Albanais. Comme beaucoup d’autres titres publiés dans les Savoie il s’intéresse en priorité aux questions d’ordre économique et d’intérêt général. L’organisation de sa première page, sans grand titre ni illustration, ne facilite pas la mise en relief des évènements. Les affaires internationales doivent être recherchées en page deux car ce journal privilégie les « nouvelles savoisiennes », la vulgarisation agricole et les informations pratiques : mercuriales, annonces commerciales et judiciaires, horaires du chemin de fer.
La presse aixoise tout comme le « Journal du commerce » ne semble pas avoir perçu l’imminence de la guerre. L’éditorialiste de « l’Avenir d’Aix-les-Bains » écrit encore le 1er août que « malgré la précipitation avec laquelle les bruits plus ou moins alarmants se sont succédés depuis samedi dernier, la saison continue à être de plus en plus suivie ». On le voit, si l’idée de guerre est présente dans les journaux, tout est fait pour en faire une hypothèse lointaine. Les nombreux autres titres de la presse aixoise sont à l’unisson ; ils s’intéressent en priorité à la vie de la station, à la venue des têtes couronnées, aux plaisirs du lac (régates, promenades en bateau, excursions diverses…).
Diffusé largement de Saint-Gingolph à Albens et de Seyssel à Bonneville, le « Journal du commerce » tire à 3000 exemplaires environ qu’un bon nombre de ses abonnés reçoivent chaque semaine par la poste. Son influence ne se limite pas à son seul tirage quand on sait le pouvoir de relais d’opinion que constituent alors les cafés et les bistrots. Il en existe une quarantaine dans le canton d’Albens en 1914 pouvant fournir potentiellement 1300 à 1800 lecteurs à l’image de ceux qui fréquentent le « café du chemin de fer » à Albens ou ceux du « café de la poste » à Saint-Félix.
Les fruitières sont aussi des lieux d’échanges dont on peut repérer l’importance à travers quelques faits divers. Ainsi ces automobilistes qui se plaignent dans les colonnes du « Journal du commerce » du comportement des cultivateurs qui « chaque soir à l’intersection des routes de Rumilly, Saint-Félix et la Chambotte… venant livrer le lait, tiennent des conciliabules, obstruant complètement la chaussée ».
On parle des affaires locales, du prix des denrées et peut-être du résultat des dernières élections législatives qui ont eu lieu ce printemps mais il ne semble pas que l’imminence du conflit soit bien perçue de tous.
Ce n’est pas étonnant quand on sait que « La croix de Savoie » ne voyait dans l’assassinat de Sarajevo qu’un drame familial (numéro du 5 juillet 1914) et que le 1er août « le Démocrate savoisien » écrivait encore « tous espèrent que la raison triomphera ».
On peut y voir l’influence des autorités ne voulant pas affoler les populations mais également une sorte d’aveuglement en symbiose avec le manque d’intérêt des populations pour les questions extérieures.
Comme à pu l’écrire Antoine Borrel : « personne n’y croyait ».

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Avenir d’Aix-les-Bains, du 4 janvier 1908

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie