Le vendredi 21 décembre prochain, l’association Kronos vous proposera une conférence animée par Rodolphe Guilhot (professeur d’Histoire-Géographie et membre de Kronos), qui vous emmènera dans « Une plongée dans l’Albanais de l’An Mil avec Gautier, seigneur de Montfalcon ».
L’acte de fondation du prieuré de Saint-Innocent (1084) sera le point de départ permettant d’évoquer les origines de la seigneurie de Montfalcon, dont les ruines du château se trouve sur la commune de La Biolle. La famille de Montfalcon sera aussi replacée dans son contexte féodal entre un royaume de Bourgogne finissant, la suzeraineté des comtes de Genève et la cohabitation avec les comtes de Savoie.
En effet, si la châtellenie de Montfalcon des XIVème et XVème siècle est bien connue grâce aux travaux menés par l’Université Savoie-Mont-Blanc, les origines de cette seigneurie étaient restées jusqu’ici peu étudiées.
À 20h, à l’Espace Patrimoine, 177 rue du Mont-Blanc, à Albens (73410 Entrelacs). Entrée libre et gratuite.
Cet article se veut être le prolongement de la conférence donnée le samedi 14 février 1987 à La Biolle.
Dans le vaste domaine de la préhistoire en Savoie, La Biolle est célèbre par son site de la Grande Barme de Savigny qui a fourni une des plus anciennes dates de l’implantation des hommes du néolithique chez nous : 3 060 ans AV. JC.
Ce n’est pas le seul intérêt de ce site. L’étudier permet également de parler du peuplement de l’Albanais, des conditions de vie des premiers agriculteurs de Savoie, des techniques archéologiques qui conditionnent nos connaissances.
I La Savoie des derniers chasseurs aux premiers agriculteurs
Voyons tout d’abord ce qui se passe durant les derniers millénaires qui précèdent l’installation de ces agriculteurs chez nous.
Noue parlerons donc des grands changements qui caractérisent la fin de la préhistoire et qui s’accompagnent d’importantes migrations.
Pour mettre le lecteur à l’aise, quelques généralités préalables l’aideront à s’y retrouver.
La Préhistoire est la longue période de la vie des hommes durant laquelle l’écriture est inconnue. C’est l’archéologie qui fournit l’essentiel des documents non écrits (outils, restes alimentaires, poteries…) servant à reconstituer ce lointain passé.
Cette longue période se décompose en trois ensembles chronologiques, de plus en plus courte et inventifs.
– Le Paléolithique : des origines de l’homme à environ 10 000 avant JC. La fin du paléolithique (âge de la pierre taillée et des chasseurs nomades) connaît d’importantes glaciations.
– Le Néolithique (âge de la pierre polie) voit l’invention et la diffusion de l’agriculture à partir du Proche-Orient. Entre 8 000 et 2 500 avant JC. Les hommes se sédentarisent.
– L’âge des métaux (cuivre, bronze puis fer) : de 4 500 avant JC jusqu’à l’arrivée de l’écriture (qui correspond, en Savoie, avec l’occupation romaine, au Ier siècle avant JC.). Les hommes accroissent leurs capacités techniciennes.
Avec l’arrivée de l’écriture (inventée au Proche-Orient vers 3 500 avant JC), la Préhistoire prend fin et l’Histoire commence.
Parcourons maintenant, à travers quatre tableaux successifs les quelques millénaires qui séparent la fin du paléolithique de l’installation des néolithiques à La Biolle. Nous pourrons ainsi observer les importants changements qui viennent bouleverser la vie de nos ancêtres.
Le premier tableau noua conduira à St-Thibaud-de-Couz vers 11 000 ans avant JC, le second au Proche-Orient et dans l’Europe entière, le troisième à Charavines en Isère vers 4 000 ans avant JC et le dernier à La Biolle vers 3 000 ans avant JC.
A) En Savoie, à la fin du paléolithique
Reconstitution du paysage et de la faune près de la grotte de St-Thibaud-de-Couz à l’époque magdalénienne vers 10 000 avant JC. (Dessin A. Loebell et M. Colardelle dans Archéologie n° 121)
Ce paysage est une reconstitution réalisée a partir des pollens recueillis lors des fouilles par l’archéologue P. Binz. Noue sommes à St-Thibaud-de-Couz à l’époque du magdalénien.
Noue voyons une steppe froide coupée de quelques bouquets de pins et de bouleaux. Le fond de la vallée est occupée par des marécages. La température moyenne annuelle était inférieure de 4° à la température actuelle. De gigantesques calottes de glace recouvraient encore les Alpes, occupant l’actuelle cluse de Chambéry et tout l’Albanais.
Les hommes étaient, bien évidemment peu nombreux. Les quelques tribus vivant en Savoie s’étaient installées sur les contreforts de la Grande Chartreuse à Gerbex, St Christophe la Grotte, St-Thibaud-de-Couz.
C’étaient de petits groupes de chasseurs nomades venant du sud (Vercors) à la recherche de gibier : rennes, bouquetins, chamois qu’ils suivaient dans leurs migrations. Ils ont laissé dans ces abris les traces de leurs passages sous forme d’outils taillée dans le silex et le cristal de roche permettant de les
identifier.
B) L’agriculture arrive du Proche-Orient
Cette seconde étape de l’évolution préhistorique, nous la lirons au travers d’une carte du Proche-Orient, du bassin méditerranéen et de l’Europe entre 7 000 et 3 000 ans avant JC. (carte ci-dessus)
Durant les trois millénaires qui nous séparent du tableau précédent, le climat s’est considérablement réchauffé. Les glaciers ont fondu, les animaux, adaptés au froid, ont migré vers le nord (rennes), en altitude (chamois) ou ont disparu (mammouths). Le niveau des mers et océans est monté, donnant nos actuels profils côtiers.
Ces changements climatiques vont, entre autre, contraindre les communautés humaines à modifier leur mode de vie. La chasse au gros gibier devenant difficile, il est plus intéressant de conserver les animaux près de soi (domestication d’espèces plus petites : chiens, moutons, chèvres, bœufs…).
L’élevage voit le jour.
La cueillette permet de trouver de nouvelles plantes (graminées) adaptées au nouveau climat. Pourquoi ne pas faire comme pour les animaux et produira des graines sur place (blé, orge) ? L’agriculture est inventée.
Les hommes se fixent alors la où se trouvent leurs champs et leurs animaux domestiques. Les villages voient le jour en Palestine, en Mésopotamie, à Jéricho, à Jarmo.
C’est donc au Proche-Orient, entre Nil, Palestine et Euphrate, dans ce que l’on appelle le « croissant fertile » que le mode de vie des hommes change radicalement. C’est un ensemble de changements tellement fondamentaux qu’ils sont connus sous le nom de « Révolution néolithique ».
Très vite, les populations du croissant fertile vont augmenter. Les hommes en surnombre vont partir a la recherche de nouvelles terres. Ainsi s’expliquent les migrations qui vont conduire l’agriculture et les paysans jusqu’en France, longeant le Danube ou traversant la Méditerranés.
Vers 5 000 ans avant JC, les premiers agriculteurs atteignent l’Alsace. Venus de l’Est, ils ont remonté le Danube en suivant les zones de sols fertiles et faciles a travailler (les loess laissés par les glaciers).
Vers la même époque, ou un peu avant, l’autre courant de migration atteint les les cotes de Provence et du Languedoc. C’est ici une autre civilisation rurale, qui met davantage l’accent sur l’élevage, surtout celui du mouton. Elle a un caractère moins agraire, pratique plus la chasse. Les agriculteurs se mélangent facilement avec les descendants des chasseurs du paléolithique toujours en place.
Ainsi, vers 4 000 avant JC, deux civilisations agricoles indigènes s’étendent peu à peu sur toute la France et les Alpes. Le chasséen (du nom d’un site du Midi) et le Cortaillod (site suisse).
Ce sont ces nouveaux groupes d’agriculteurs qui vont lentement peupler l’espace Rhodanien et Alpin. Les chasséens venant du Sud par les couloirs du Rhône et de l’lsère, les Cortaillods venant du Nord-Est, du plateau suisse en direction de l’avant-pays savoyard.
C) À Charavines au début du IVe millénaire avant JC
Premiers villagas d’agriculteurs à Charavines (D’après « La vie au Néolithique » par A.Bocquet et A. Houot, Archéologie n° 54 – juin 1982) Défrichement (D’après « La vie au Néolithique » par A.Bocquet et A. Houot, Archéologie n° 54 – juin 1982)
Cette reconstitution d’un village a été rendue possible grâce aux minutieuses fouilles menées par les archéologues autour du lac de Charavines.
Le couvert végétal a changé, le climat s’étant réchauffé ; un climat tempéré très humide et chaud, qui entraîne la fonte des glaces et l’apparition de lacs. La forêt s’étend partout (aulnes, noisetiers, chênes) et les hommes qui arrivent là doivent défricher.
La foret est incendiée pour faire place à des champs (culture sur brûlis) après que les agriculteurs aient abattu les arbres avec leurs gros hachereaux de silex. Les archéologues constatent la régression brutale de la forêt vers 4 000 ans avant JC. Dans leurs recherches sur les pollens, ils constatent la diminution de la part revenant au chêne, tilleul et noisetier. (preuve de l’importance de la déforestation ?)
Les hommes sont plus nombreux, vivent en village, de l’agriculture, de l’élevage mais aussi de la pèche et de la chasse.
Ces hommes s’installent lentement dans la région. Les sites où l’on trouve leurs traces se multiplient dans l’avant pays savoyard ; déjà ces paysans remontent les vallées savoyardes (Tarentaise, Maurienne).
C’est un de ces groupes d’agriculteurs qui va s’installer à La Biolle vers 3 000 ans avant JC. (planche d’illustrations ci-dessous) L’arrivée des populations du néolithique (D’après Archéologie n° 64, A. Bocquet et A. Houot) Vue de la Grotte de La Biolle (D’après Archéologie n° 64, A. Bocquet et A. Houot)
D) Des paysans à La Biolle
C’est un petit groupe qui arrive là avec ses animaux domestiques et ses réserves de céréales.
Il est porteur de la civilisation de Cortaillod, reconnaissable à ses vases (munis de boutons perforés) et ses pointes de flèches particulières.
Ce petit groupe est un élément avancé de la nappe de population, qui à partir du lac de Neuchâtel, s’est étendue sur la Haute-Savoie et la Savoie, des bords du lac Léman jusqu’à Génissiat et La Balme sur le Rhône.
Au Sud, ce groupe va entrer en contact avec les chasséens, qui s’avancent alors jusqu’à Challes et au lac d’Aiguebelette.
La rencontre entre les deux civilisations se serait effectuée à partir de Saint-Alban-Leysse ou La Biolle. C’est dire l’importance du site.
Ce petit groupe s’installe dans un abri sous roche qui domine l’Albanais, faisant face au Revard et au Semnoz.
Un s’attendrait plutôt à les voir construire cabanes et villages, mais comme le disait le grand historien F. Braudel « au début, pas de rupture : grottes et abris sont toujours fréquentés mais les campements de plein air se stabilisant ».
L’abri est vaste, s’ouvrant en plein nord sur le versant de la montagne de La Biolle. La grotte s’enfonce sur plus de 80m, haute de 6m pour 15m de large environ. Elle possède une source qui s’écoule vers l’entrée. Les avis sont partagés quant à la valeur de cet abri.
Voici les témoignages des archéologues qui l’ont fouillé depuis un siècle.
– Celui du Vicomte Lepic qui, au 19ème siècle, insiste sur la position dominante du site :
« de l’entrée, le regard embrase toute la vallée de La Biolle jusqu’aux ruines de l’ancien château de Longefan ; des prairies fraîches et verdoyantes, parsemées de bouquets d’arbres et de petits cours d’eau, rappellent la Normandie ; une succession de collines boisées sépare cette vallée de la vallée d’anneau, dont les montagnes dénudées se découpent sur le ciel et semblent une ville en ruines, à l’horizon, le Grand Salève et les montagnes de Bonneville se perdent dans la brume bleue, particulière aux pays alpestres ».
L’aspect spacieux de la grotte, la présence d’eau à 300m au dessus du fond de la vallée sont présentés aussi comme des avantages non négligeables.
– A. Beeching, attaché de recherche au CNRS, qui a repris des fouilles dans l’abri en 1975, est moins persuadé de ces avantages.
Les conditions d’exposition (plein nord, à 450m d’altitude) ne lui semblent pas très favorables ; l’eau qui traverse la grotte sur toute sa longueur est, pour lui, un élément d’inconfort supplémentaire.
Il précise d’ailleurs que cet abri n’a été habité qu’à deux ou trois reprises au cours des temps (néolithique, age du Bronze, âge du Fer) et qu’il s’agissait à chaque fois de passages assez brefs. Il faut donc plutôt voir dans cet abri un habitat de secours devant les menaces extérieures.
En fait, c’est en termes de « géographie préhistorique » que la position de ce site apparait comme remarquable : à la fois proche du cours du Rhône et de l’Isère et en bordure des voies de passages obligées entre le plateau suisse et le couloir rhodanien.
Encore aujourd’hui, les hommes de l’Albanais tirent parti de cette situation privilégiée.
Nous avons commencé a donner la parole aux fouilleurs de la Grande Barme de Savigny, il est temps maintenant de parler des recherches archéologiques qu’ils y ont ménées et qui conditionnent ce que nous savons du mode de vie des paysans néolithiques d’il y a 5 000 ans.
II Du Vicomte Lepic (1872) à Beeching (1976) ou l’évolution des recherches archéologiques sur un siècle
La grotte a été fouillée à trois reprises de façon connue ; en 1872, 1942 et 1976. Il est intéressant de comparer une fouille du 19ème siècle aux recherches actuelles pour voir de quelle manière le problème archéologique s’est déplacé, de la recherche de l’objet à une recherche scientifique visant à conserver le plus possible le souvenir du sol que l’on détruit en fouillant.
A) Fouiller au XIXème siècle
Le Vicomte Lepic est un des pionniers de 1s recherche préhistorique en Savoie. Il mène des campagnes de fouilles à La Biolle entre 1872 et 1873.
Où en est la recherche préhistorique à ce moment ?
Cette jeune science commence juste à être prise au sérieux. L’existence de l’homme préhistorique et son origine reculée ne sont plus mises en doute.
Aussi, 1s recherche va-t-elle connaître ses grandes heures entre 1870 et 1914 et le Vicomte Lepic s’inscrit dans cette séquence.
Les méthodes de fouilles sont alors plus que sommaires.
Un article de la revue Sabaudia de 1872 résume bien l’esprit de l’époque.
« Des découvertes plus intéressantes pour nous et pour le pays sont celles que cet explorateur a faites dans la grotte de Savigny. Trois vitrines sont remplies des objets recueillis dans le foyer de la grotte… C’est là une bonne fortune pour le musée d’Aix-Les-Bsins, et un bon exemple à suivre pour les explorateurs et les savants. »
L’archéologue est qualifiés d’explorateur, accessoirement de savant. Le but de sa recherche, c’est le recherche des objets – l’objet étant une bonne fortune – pour les musées ou les collectionneurs particuliers.
Cette conception de la recherche peut conduire à des débordements déplorables. Les stations lacustres que l’on commence à mettre à jour en feront les frais.
Gravures et textes de l’époque en témoignent. La pêche aux « antiquités lacustres » au XIXème siècle, d’après une gravure ancienne in « Il y a 3 000 ans. Les artisans du Lac du Bourget à la fin de l’âge du Bronze »
« Les derniers explorateurs ont fait connaître deux exemplaires d’un objet nouveau curieux en bronze. Une place d’honneur doit être réservée aux objets lacustres dans le musée d’Aix-Les-Bains. Il est déplorable que quelques bateliers se soient substitués aux savants explorateurs pour la continuation des sèches lacustres et en aient fait un objet d’industrie et de commerce. »
Qu’est-ce qui différencie le savant explorateur du batelier ? Rien au niveau de la méthode ; la seule différence réside dans le sort réservé aux objets, le musée dans un cas, le commerce de l’autre.
En tous cas, aucune conscience de ce que l’on détruit en pratiquant pêches lacustres ou fouilles. Il faudra attendre le milieu de XXème siècle pour qu’une conception véritablement scientifique l’emporte.
Une publication précieuse
Toutefois, le Vicomte Lepic présente un immense intérêt, c’est d’avoir consacré à ses fouilles, fait assez rare pour l’époque, une monographie de douze pages, illustrée de cinq planches.
Publiée en 1874, sous le titre « Grottes de Savigny », elle est une source d’informations très précieuse sur les objets mis à jour, dont la plupart ont disparu depuis.
Noua présentons ici quelques unes de ces planches, dont les titres sont éloquents « objets en os et cornes – céramique, silex, matériel en os – outils. armes. céramique ». Leur qualité graphioue est remarquable.
– La céramique est caractéristique du néolithique ancien. Le tour n’était pas employé, le vase monté au colombin. L’argile mêlée de grains de quartz et de mica a une pâte grossière. Les vases cuits dans un foyer portent des traces de cuisson directe. Leurs formes sont diverses : jarre, marmite, gobelets, coupes. À noter les trous de suspension (proche du col des céramiques) percés. Objets néolithiques de la Grande Barme de Savigny, à la Biolle, figurés en 1874 par le Vicomte Lepic. A. Anses percées pour suspension ; B. Orifice d’un pot ; C. Lampe en terre ; D. Diverses décorations de vases
Ces formes sont à rattacher à la civilisation de Cortaillod.
– Les objets d’os, sont présentés comme des perçoirs. Il semble en fait que ce soit tout simplement des os éclatés.
– Les objets de silex, présentés par le Vicomte Lepic comme des couteaux semblent être en réalité des lamelles chasséennes.
Ces objets attestent bien, qu’à la Biolle, les deux civilisations néolithiques se sont rencontrées et mélangées pour la première fois. Objets néolithiques de la Grande Barme de Savigny, à la Biolle, figurés en 1874 par le Vicomte Lepic. A. Côte aiguisée ; B. Os de cerf portant des traces de travail ; C. Deux silex ; D. Dent percée pour suspension ; E. Fragment de collier, analogue à ceux d’Ilallstatt et Golasecca ; F. Ossement taillé, peut-être un manche d’outil ou d’arme ; G. Débris de poterie
– Une mention spéciale pour le poignard de Bronze. Présenté avec des objets néolithiques, il met en évidence l’absence d’intérêt pour la classification chronologique des vestiges à cette époque.
Ce poignard, qui ne nous est plus connu que par cette gravure, est caractéristique de l’âge du bronze moyen (1 500 – 1 200 avant JC) avec une soie et deux rivets intacts. Ainsi, il témoigne d’une nouvelle occupation du site, plus d’un millénaire après ses premiers habitants. poignard de bronze
B) Le saccage d’un site
Durant soixante-dix ans, l’abri n’est plus visité officiellement par des fouilleurs lorsqu’en 1942, une équipe de scouts, « la tribu d’étude de la nature », réalise entre janvier et mars six séances de fouilles.
Leurs techniques n’ont pas beaucoup évolué depuis les recherches du Vicomte Lepic. Ils recherchent des objets et pour cela réalisent trop rapidement de nombreux sondages à l’entrée et au fond de la grotte. Ces fouilles furent très dommageables pour le site. On comprend mieux pourquoi une législation précise a été élaborée de nos jours afin de préserver les sites et de garantir le suivi scientifique des recherches.
Nos scouts publient la même année, dans le n°2 de le Revue de Savoie, sous le titre « Exploration aux grottes de Savigny », le résultat de leurs aventures.
Si le contenu scientifique de cette littérature est plus que sommaire (la stratigraphie publiée est sans intérêt), cet article a le mérite de nous faire connaître les objets recueillie ainsi que l’existence de sépultures dans la grotte.
Pointes de flèches
Fouilles de 1942 a le Grande Barme de Savigny Forme losangique ; L : 39 mm ; 1 : 23 mm ; retouches sur les deux faces ; arêtes supérieures portent des retouches verticales (aspect finement dentelé) ; roche : silex Forme : losange allongé ; L : 45 mm ; 1 : 16 mm ; Les deux arêtes supérieures portent des retouches ; Pédoncule bien visible ; roche : silex
– Des flèches, qui d’après leurs formes, appartiendraient à la civilisation Saône Rhône succédant aux premières civilisations néolithiques. Cette civilisation se développe entre 2 650 et 1 950 ans avant JC, la grotte de Savigny aurait connu alors de nouveaux occupants.
– Un galet poli, percé en son milieu, intrigue beaucoup nos scouts, qui ne reconnaissent pas une fusaïole (partie lourde d’un fuseau servant a filer la laine).
– Les sépultures les occupent beaucoup ; ils découvrent de nombreux squelettes et trois cranes bien conservés.
Le squelette d’une fillette était accompagné d’un bracelet en bronze. Ce bracelet fermé, de 69 mm de diamètre, est décoré d’une série d’incisions où alternent des traits perpendiculaires ou parallèles à une liane centrale.
Il s’agit d’un bracelet du bronze final (900 à 750 ans avant JC) ; à cette époque, la grotte a pu être utilisée comme lieu de sépulture.
Une partie de ces objets (des fragmente de céramique surtout) est présentée dans les vitrines du Musée Savoisien ; le reste semble avoir disparu.
C) Une véritable recherche scientifique
Lorsqu’en 1976, A. Beeching et son équipe s’intéressèrent à leur tour à la grotte de Savigny, ce fut dans une perspective scientifique précise.
Les archéologues ont demandé une fouille de sauvetage au Ministère des Affaires Culturelles, qui devant les menaces pesant sur le site (fouilles clandestines, extension d’une carrière), donne une autorisation pour l’année 1977.
L’objectif de l’équipe sera l’étude d’un site où deux civilisations néolithiques (Cortaillod, Chasséen) ont dû se rencontrer. Elle devra préciser les caractères particuliers et l’appartenance des néolithiques de La Biolle.
La situation de départ est difficile, comme le raconte A. Beeching dans la brochure « 10 ans d’Archéologie en Savoie » :
« Compte tenu des fouilles anciennes et excavations intempestives diverses, une grande partie du gisement avait déjà beaucoup souffert. Il a fallu cinq sondages prospectifs pour trouver les sols anciens conservés et pour en fouiller un petit échantillon de 2m³. Il est évident que c’est bien insuffisant pour tirer des leçons de grande envergure sur le mode de vie de ces néolithiques, l’organisation de leur habitat… il faut pour cela une fouille de grande surface ».
Toutefois, ces propos montrent à quel point la recherche a changé de sens. Il s’agit de « trouver les sols anciens conservés », de les étudier à fond avec le concours de nombreuses sciences auxiliaires, afin d’en tirer le maximum d’informations sur le néolithique.
L’archéologie a réalisé que « fouiller, c’est se renseigner en lisant un livre (le site) qui se détruit au fur et à mesure qu’on en tourne les pages (les couches) ».
1) La recherche archéologique scientifique et méthodique
Une fouille méthodique :
les archéologues décapant les couches de terrain en les suivant et notent la position des objets (silex, poteries), des vestiges très petits (pollens, micro-faune) comme celle des structures (foyers, troue de piquets).
Afin de garder la trace de la position de chaque objet, on doit dessiner des plans ; le terrain est donc divisé en carrés dont les limites sont maintenues verticales pour qu’on puisse contrôler la lecture de la stratigraphie. Un matériel simple (truelles, pinceaux) permet un travail délicat ; de petits sachets, boites permettent de ranger au cours de la fouille les tessons de céramique ou les autres objets, vestiges de la vie quotidienne.
Grande Barme de Savigny, à La Biolle (Savoie). Coupe stratigraphique nord-sud, relevée dans le sondage 3 situé sous le porche de la grotte. L’ensemble formé par les couches IIa, IIc et IId paraît combler une fosse creusée dans les couches IIb et IIh. – D’après A. Beeching, Études Préhistoriques 1976
Une fouille scientifique :
– Elle fait d’abord appel à la pédologie pour l’étude des sol.
Elle permet de voir la succession des installations humaines, mais aussi de retrouver les traces des climats d’autrefois (plafond de la grotte qui s’effondre à cause du froid, par exemple).
– La physique nucléaire à son tour, intervient. Elle a permis, par la méthode du radiocarbone ou C14 de dater les charbons de bois recueillis dans les foyers et les sédiment charbonneux (voir coupe stratigraphique). C’est elle qui a permis de faire remonter l’établissement des paysans néolithiques à 3 060 ans avant JC.
– Un aurait pu faire appel à d’autres disciplines, si le site n’avait pas été autant perturbé. Signalons pour mémoire, la pollénologie (étude des pollens permettant de reconstituer, par statistique, le couvert végétal d’autrefois. (voir la reconstitution présentée par P. Binz pour le magdalénien) et la dendrochronologie qui permet de dater des pieux ou des piquets par l’étude des cernes du bois. Cette méthode utilisée à Charavines, en Isère, a permis de savoir a quelle saison de l’année le buis a été coupé.
L’étude des objets recueillis, en particulier les fragments de céramique, a permis de reconstituer les formes de ces céramiques (illustration ci-après), de les identifier et de disposer d’informations sur les techniques de fabrication. D’après l’aspect de la pâte, on sait que la température de cuisson n’était ni élevée ni régulière. Le finition reste imparfaite, bien maîtrisée pour le modelage, sommaire pour le lustrage.
Ces récipients étaient décorés, munis d’anses à plusieurs perforations verticales (système de suspension).
Tous ces éléments, formes, décors, anses ont permis à A. Beeching et son équipe d’apporter une réponse aux questions qu’ils se posaient au départ de leur recherche.
L’origine de ces paysans
Les marmites se retrouvent le plus souvent dans la civilisation chasséenne, alors que les jarres appartiennent à la civilisation de Cortaillod. Leur fabrication remonte aux alentours de 3 060 ans avant JC. Ce qui permet à A. Beeching d’écrire :
« La céramique situe très nettement cet habitat dans la tranche chronologique néolithique moyen – IVè millénaire, en frontière de deux cultures d’une même grande civilisation : celle dite de « Chassey » occupant sous sa forme originelle tout le sud de la France avant de s’étendre au reste du pays et celle dite de Cortaillod, centrée sur le plateau suisse et dont les influences sont encore sensibles jusqu’en Savoie ».
Ainsi, l’archéologie moderne, en retrouvant ici moins d’objets importants, mais en considérant tous les indices possibles, les étudiant à la lumière des sciences les plus modernes, a été en mesure de dater l’arrivée des paysans à La Biolle et d’en déterminer leurs provenances.
Le site est donc bien caractéristique de l’Albanais, lieu de passage en rapport avec le monde alpin, les espaces méridionaux et rhodanien et le monde germanosuisse ; cela il y a déjà 5 000 ans.
On reste rêveur à l’idée de ce qu’A. Beeching et son équipe auraient pu tirer de l’étude de ce site important, si de multiples fouilles sauvages ne l’avaient pas irrémédiablement endommagé.
Aussi est-il bon de rappeler ici au lecteur curieux, enthousiasmé par l’archéologie que cette dernière n’est plus affaire d’amateur mais de spécialiste. Respectons les sites archéologiques comme autant de « réserves du passé » et sachons que l’on peut, tous les étés, participer à des chantiers de fouilles officiels (liste publiée dans la revue Archéologie).
Les différents campagnes de fouilles permettent, même de façon insuffisante, de se faire une idée sur le mode de vie de ces néolithiques. À partir des objets et vestiges découverts a La Biolle et à la lumière de ce qui a été reconstitué ailleurs (Charavines surtout) voyons comment on vivait dans ces temps reculés.
III La vie d’une petite communauté de paysans il y a 5 000 ans
Outre l’habitat et les ressources alimentaires, nous pourrons étudier les activités artisanales et artistiques de ces premiers agriculteurs.
A) L’habitat
Les paysans s’installent à l’entrée de la grotte, sur le porche où ils établissent leurs foyers.
Peut-être construisent-ils un petit mur de 1m de large à l’entrée de la caverne afin de se protéger.
Comme le plus grand nombre d’objets a été trouvé le long de la paroi Est, on peut penser qu’ils la préféraient, étant la plus abritée et exposée au soleil.
On ne sait rien d’autre sur l’habitat. On ignore s’ils avaient construit des abris en bois et peaux, même si on est en droit de le supposer.
B) Les ressources alimentaires
Les ressources alimentaires vont nous occuper plus longuement. On abordera les activités (agriculture, élevage, chasse) de l’alimentation et de la préparation des alimente.
1) Agriculture, cueillette, élevage et chasse
Les paysans pratiquent l’agriculture et l’élevage, sans négliger la cueillette et la chasse.
Après un défrichement préalable par brûlis, on cultive le blé et l’orge dans les clairières. Culture – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot Moisson – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot
La moisson s’effectue à l’aide de faucilles de silex. On scie les blés plutôt qu’on ne les coupe à l’aide de lames de 20 cm environ, qui portent encore aujourd’hui l’usure provoquée par les tiges de céréales ; cela donne à la lame un lustré particulier.
La cueillette procure une grande part de la nourriture. Des glands, qui avaient été stockés dans des vases, ont été retrouvés dans la grotte, ainsi que des noisettes.
Ainsi, la grande forêt fournissait une nourriture diverse (fruits, baies) et les nombreux chênes, la base de l’alimentation du troupeau de porcs, dont on va voir maintenant l’importance.
Si la cueillette et la culture des céréales fournissent une grande part de l’alimentation des paysans, l’élevage et la chasse sont également importants.
Un peut s’en faire une idée grâce aux nombreux restes osseux découverts et minutieusement décrits par le Vicomte Lepic. Grâce à ces indications, j’ai pu réaliser le tableau ci-dessous.
À travers lui, on voit l’importance accordé a l’élevage du bœuf et du porc.
L’importance du bœuf, qui demande des pâturages durant l’été et du foin en hiver, laisse supposer l’existence de pâturages.
Le porc, animal robuste qui s’accomode de conditions difficiles, devait vivre en semi-liberté dans la vaste chênaie environnante ; il pouvait même être élevé à proximité de la grotte, comme pourrait l’indiquer la réserve de glands.
La chasse au gros gibier, cerf et chevreuil, se pratiquait, entre autre, à l’arc (quatre pointes de flèches ont été découvertes) avec l’aide des chiens, dont la présence dans l’abri est attestée par une métacarpe de bœuf rongée.
Voici donc les ressources alimentaires mais avant de passer a table, voyons comment elles étaient préparées.
2) Cuisiner au néolithique – Techniques de cuisson et préparation des grains
Ce sont les femmes qui broient les grains, à l’aide d’une meule et d’un broyeur dont on a trouvé deux exemplaires dans l’abri. Le farine obtenue permet de confectionner des galettes. Les grains sont moulus par un mouvement de va-et-vient du broyeur sur la meule – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot
Il faut ensuite faire cuire ces galettes ainsi que les autres aliments végétaux.
Les foyers sont établis sur des pierres plates, à l’entrée de l’abri. Allumés à l’aide d’un silex et d’une pyrite que l’on frappe ensemble, ils sont alimentés avec bois blancs et résineux ; comme l’indiquent les restes de charbon de bois.
Les néolithiques jettent dans ces foyers toutes sortes de débris.
Certains aliments sont cuits sur des pierres chaudes, d’autres dans des pots en terre. Ces derniers, résistant mal à la chaleur directe du foyer, les néolithiques font chauffer des pierres qu’ils jettent ensuite dans l’eau des récipients afin qu’elle entre en ébullition.
De telles pierres ont été trouvées près des foyers de l’abri (cailloux roulés portant les traces du feu). Elles pouvaient être utilisées plusieurs fois. Des galets de quartzite, pierre réfractaire siliceuse, ramassée sur les moraines alentour, étaient chauffés très fort dans le foyer. – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot Ils étaient jetés dans les vases où ils communiquaient leur chaleur à l’eau de cuisson. Pour entretenir l’ébullition,il suffit de rajouter un galet chaud de temps à autre. – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot
« Passons à table ». Les aliments peuvent être servis dans des coupes, des bols. On boit dans des gobelets.
On apporte les aliments dans des marmites dont les formes sont déjà celles que nous connaissons encore aujourd’hui.
Un dernier aspect non négligeable est l’apparition de nouvelles techniques comme le filage et la cuisson des céramiques, dont nous parlerons maintenant.
C) Les activités artisanales et artistiques
Les paysans d’alors avaient trois activités artisanales essentielles : le filage, la céramique et la réalisation de parures et de bijoux.
Le filage est attesté par la découverte de fusaïoles. On devait filer et donc tisser la laine. Mais on n’a pas d’élevage de moutons bien attesté ; de même métiers a tisser, peignes, fabriqués en bois, ont disparu.
L’allure que devait avoir les vêtements est méconnue. Pour obtenir des fils, les femmes employaient la quenouille et le fuseau. Le fuseau en bois est lesté avec une fusaïole de pierre ou de terre. – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot
La céramique était fabriquée selon la technique du colombin ; on n’utilise pas encore le tour. Comme on l’a déjà dit, les vases portent des traces de cuisson directe. La cuisson des céramiques devait avoir lieu en plein air, dans un feu à ciel ouvert. La température atteinte (inférieure à 600°) ne permettait pas d’obtenir des vases très solides.
L’argile devait provenir des marais voisins, la forêt fournissant un abondant combustible. Cuisson des céramiques – D’après Archéologie n° 64 – A. Bocquet et A. Houot
Ayant déjà parlé de la forme de ces céramiques, voyons plutôt leurs décors et parlons des activités artistiques.
Les vases présentent des décors incisés ; comme dans le plupart des productions artistiques de l’époque, les motifs sont géométriques. L’art du néolithique se caractérisait par une simplification et une stylisation des formes. Ainsi les décors en relief, les petits mamelons que l’on trouve sous la lèvre des jarres à La Biolle.
Des restes de parures, de bijoux ont été retrouvés (des dents de cochons percées, pouvant constituer des colliers). Des bracelets en pierre devaient être produits sur place, tels ceux mis à jour par le Vicomte Lepic et que nous pouvons voir sur l’une des planches qu’il a publiée.
On peut penser que le travail du bois devait être important, dans une civilisation si proche de la foret, sans pouvoir en dire plus ici.
Ainsi vivaient ces premiers agriculteurs de l’Albanais il y a 5 000 ans.
Déjà, ils étaient sédentaires, producteurs, même si la foret et ses ressources étaient encore très présentes, préparant leur nourriture selon des recettes précises, usant de vaisselle aux formes actuelles… On peut dire que ce sont les bases matérielles de notre civilisation qui se mettent en place dans ces temps reculés et que nous sommes les descendants de ces petits groupes de paysans.
En guise d’épilogue, je vous renvoie à une chronologie plus générale, replaçant le site de La Biolle dans une large perspective, allant du paléolithique supérieur au début de l’Antiquité en Savoie. La Préhistoire dans l’Albanais
Jean-Louis Hébrard 1987
Bibliographie
I Pour une vision d’ensemble
– La Savoie des Origines à l’An mil – Ouest France Édition
– La vie au Néolithique. Charavines, un village au bord d’un lac il y a 5 000 ans – Histoire et Archéologie n° 64 juin 1981
– Les grandes étapes de la préhistoire en Savoie – Archéologie n°121 août 1978
II Pour approfondir
– A. Beeching in « 10 ans de recherche archéologique en Savoie »
– A. Beeching : La grande Barme de Savigny à La Biolle (Savoie) – premiers résultats in Études préhistoriques n° 13. 1976
– Vicomte Lepic : monographie « Grottes de Savigny » 1874
Situé à l’ouest du village de La Biolle, au pied de la colline du même nom, le château de Longefan par son implantation contrôle le chemin qui permet de se rendre d’Antoger (Aix-les-Bains) à Saint-Germain la Chambotte via la Chautagne. Tout comme Montfalcon, Longefan a eu une réelle importance pour la surveillance des voies de circulation dans cette partie de l’Albanais.
Une situation privilégiée au pied de la montagne de la Biolle
Le fief et le château (1) appartenaient, à l’origine, à Montfalcon, puis tout comme lui, à différentes familles nobles de la région, telles les La Balme, les Oddinet, les Seyssel…
Jean de La Balme, fils de Jacques, de 1478 à 1485, puis Aubert, fils de Jean de 1499 à 1509 en furent les occupants. En 1524, la femme d’Aubert et ses enfants vendent la moitié des terres de Longefan et le Colombier à Jean Oddinet. La première moitié était déjà parvenue à Oddinet par acceptation de la dot de la fille d’Aubert de la Balme et de Marie du Colombier, Jeanne, qui avait épousé Jean Oddinet. En 1554, leur descendant Gaspard Oddinet, écuyer et seigneur de Longefan, est syndic de Chambéry.
Aux Oddinet succèdent les Mouxy. Georges de Mouxy, seigneur de Saint Paul, comte de Montréal qui hérite en 1575 de son oncle Louis Oddinet, baron de Montfort, président du Sénat de Savoie, trouve dans l’héritage Montfalcon et Longefan. À sa mort en 1595, Georges de Mouxy ne laisse qu’une fille, Jullienne Gasparde, qui apportera le fief en dot en 1607 à son mari Louis de Seyssel, marquis d’Aix.
Après la famille de Seyssel, Longefan parvint aux Allinges, marquis de Coudrée qui en sont seigneur en 1700.
À la Révolution Française, le mobilier du château est vendu aux enchères à La Biolle le 22 Avril 1793. Les familles Canet et Rosset achètent une grande partie de ce mobilier. Le château est acquis par les familles Sostegno et Alfieri ; leurs héritiers le vendent entre 1850 et 1860 à Monsieur Girod, marchand de domaine, qui vendit le tout au détail aux paysans des des alentours en réalisant au passage un bénéfice de 80 000F. Le château fut acquis par Monsieur Rosset qui le démolit en partie pour en vendre les pierres.
État actuel et entrée de la salle basse, cachée par la végétation
L’enceinte générale, haute de plusieurs mètres, est visible sur tout le pourtour. Par son aspect global, la forme du château fait penser à l’avant d’un navire. Le portail, datant du XVIIIème siècle, situé dans la partie Ouest permet l’accès à l’intérieur du château. Au Nord-Nord-Est, le mur qui domine le nant des Plagnes ou nant de Savigny est marqué par une avancée demi-ronde dont l’utilité n’est pas véritablement connue mais ne gâchant en rien la beauté de cette partie du rempart.
À l’Est, le mur en forme de proue de navire domine le vallon et le hameau de Lapérière.
Au Sud, le mur est percé d’une porte et de fenêtres donnant accès dans ce que l’on peut appeler une salle basse et dont le plafond voûté attire l’œil du visiteur qui pénètre à l’intérieur.
La partie habitable a subi beaucoup de travaux aux XVIIème et XVIIIème siècles, à la suite notamment de l’incendie du 4 octobre 1649 qui détruisit les toitures, mais aussi pour l’amélioration du bâtiment, travaux entrepris par Louis de Seyssel et sa femme Adriane de Grammont entre 1622 et 1644.
Malgré ses vicissitudes et ses transformations successives, le château de Longefan garde sa place dans le patrimoine de l’Albanais et de la commune de La Biolle.
Eric Gaudiez
Que renfermait cette niche ?Porte d’entrée du XVème
1) L’origine étymologique de Longefan peut recevoir deux hypothèses :
– LONGA FAMES qui signifie grande renommée ;
– LONGUE FAIM car il aurait été construit en période de famine par des ouvriers mal nourris.
Kronos participera le dimanche 11 novembre 2018 à la commémoration du centenaire de l’Armistice du 11 novembre 1918.
9h : messe à l’église d’Albens
10h15 : évocation de l’Armistice du 11 novembre 1918 au Mémorial des Combattants, par Jean-Louis Hebrard, avec la participation des élèves des écoles d’Entrelacs et de La Biolle, et du collège Jacques Prévert
10h45 : Cérémonie commémorative au Mémorial des Combattants
De plus, une exposition des œuvres réalisées par les élèves sera présente au centre administratif René Gay.
Du porche de la grotte qui domine le Chéran, on entend bien le fracas des eaux de la rivière. Claires, oxygénées et froides, elles abondent en belles truites aux couleurs arc-en-ciel. Ce sont probablement elles qui ont poussé le petit groupe de chasseurs-pêcheurs à venir s’installer ici, dans cette cavité qui plus tard portera le nom de grotte de Bange.
Le grand porche de la grotte de Bange
Un homme confectionne minutieusement son harpon ; il se prépare à descendre à la rivière bien visible à travers la maigre forêt de bouleaux et de pins qui depuis peu recouvre les pentes du défilé. Il met la dernière touche à une sagaie dont la pointe peut se détacher dans le corps du poisson. Elle est fixée à une courroie qu’on laisse filer et qui permet de ramener la prise comme avec une ligne de pêche. Longue et fine, à une rangée de barbelures, cette tête détachable taillée dans un bois de renne devrait lui assurer de belles prises.
Tête de harpon taillé dans un bois de renne
Il fait encore froid, certes, mais cet homme et son groupe ont profité d’un réchauffement relatif du climat pour s’aventurer dans cette vallée alpine. Depuis quelques millénaires en effet la grande glaciation du Würm (dernière poussée glaciaire du quaternaire -70 000 à -12 000 environ) s’éteint progressivement. Les énormes glaciers qui partaient des grandes Alpes, étiraient leurs langues épaisses jusqu’aux terres lyonnaises et grenobloises, les grands glaciers lentement reculent.
C’est pourquoi, il y a 12 000 ans, ces chasseurs-pêcheurs magdaléniens (derniers représentants du paléolithique supérieur) ont lancé leurs premières incursions dans les Alpes.
Les magdaléniens partis de la grotte de Bange, les sédiments recouvrent les traces de leur passage comme celles de toutes les populations qui vinrent ensuite ici (paysans du néolithique, hommes des âges du bronze, du fer puis du Moyen-Âge). Au XXème siècle, la grotte est devenue un site touristique, des amateurs entreprennent des fouilles clandestines. C’est alors qu’est lancé en 1985 un chantier archéologique sous la direction de Gilbert Pion. Des niveaux d’occupation apparaissent successivement jusqu’à la couche magdalénienne (datée d’environ -10 000) qui livre un harpon presque entier taillé dans un bois de renne avec un rang de barbelure. Il devient alors célèbre dans les cercles archéologiques, fait l’objet d’une publication en 1986 dans la revue « Études Préhistoriques » car il se trouve être le seul exemplaire de harpon aussi ancien connu dans les Alpes du Nord. Quant à son auteur d’il y a des millénaires, il reste toujours dans l’anonymat.
Aux chasseurs-pêcheurs du défilé de Bange vont succéder bien des millénaires après les premiers paysans de l’Albanais. À cette époque (-4 000), un climat tempéré chaud et humide s’est installé profitant aux forêts de chêne, orme ou tilleul qui couvrent collines et versants de l’Albanais. Des forêts dont on sait que les habitants des grottes de Savigny exploitaient les ressources puisque d’importantes quantités de glands ont été retrouvées sur le site aux cours des fouilles du XIXème siècle. Les récents travaux de l’archéologue Jean Courtin confirment que les glands étaient récoltés et consommés dès le néolithique ancien. Dans un article consacré à la cuisine du néolithique il indique tout ce qui était nécessaire à leur préparation : « les glands contiennent beaucoup de protéines mais aussi 8 à 10% de tanin toxique ; on peut l’éliminer en les faisant bouillir dans plusieurs eaux, parfois additionnées d’argile ou de cendres, ou par grillage. Grâce à ces procédés, les glands, réduits en farine sur une meule à main, peuvent être consommés sans danger. On pouvait les consommer aussi sous forme de soupes, de bouillies, ou d’une sorte de polenta ».
Les glaciers qui recouvraient autrefois l’Avant-pays savoyard ont regagné les plus hauts sommets des Alpes tout en laissant derrière eux d’importants souvenirs de leur passage, dont un imposant lac glaciaire s’étendant sur plus de 8 kilomètres entre La Biolle et Braille en passant par Saint-Félix et Albens. Les étangs de Crosagny
Les géologues estiment que son niveau a pu atteindre la cote 370 mètres. On peut ainsi mesurer l’importance de son volume quand on sait que l’altitude de la gare d’Albens est de 353 mètres. Ce lac long et relativement profond sera à l’origine des zones humides, étangs et marais qui caractériseront ultérieurement les environs d’Albens et La Biolle. Les paysans de la Grande Barme de Savigny ont dû en fréquenter les abords durant leur passage dans la grotte fouillée autrefois par le vicomte Lepic (voir précédent article dans l’Hebdo des Savoie). Avec eux va débuter la longue appropriation du territoire par toutes les populations sédentaires qui vont au fil des millénaires et des variations climatiques façonner les paysages qui nous entourent.
Proche du donjon, sur la colline de Montfalcon à La Biolle, on rencontre couchée au milieu d’un pré une belle inscription latine. Elle fut inventoriée en son temps par les archéologues dont Pierre Broise qui en donne un magnifique relevé après sa découverte vers 1967 dans un mur proche de la tour du château (voir le n°7 de la revue Kronos).
Le bloc de calcaire
Le bloc de calcaire sur lequel elle fut gravée il y a 2000 ans est de belle taille (1m x 0,60 x 0,60) et même si l’inscription est fragmentaire, on suppose qu’il a fallu produire bien des efforts pour transporter ces 1700 kg d’Albinum la romaine jusqu’à ce château médiéval.
Quand ce transport a-t-il été effectué ? On l’ignore mais on peut en imaginer une des raisons, s’approvisionner en beaux matériaux prélevés dans les ruines du site romain d’Albens.
Une autre inscription a probablement suivi le même itinéraire, celle gravée en l’honneur de Caius Vibrius Punicus et découverte il y a fort longtemps au pied de la tour « des prisonniers » à Montfalcon. Ce sont les humanistes savoyards qui la font connaître et en offrent les premiers relevés. Ils se nomment E. Philibert de Pingon (1525-1582) et Alphonse Delbene (1558-1608). Le premier est né à Chambéry à l’époque du duc Charles III le Bon. Il fit de solides études classiques d’abord à Chambéry puis à Lyon, Paris et enfin Padoue où il fut reçu docteur en droit civil et en droit canon. Quand il revint à Chambéry vers 1550, ce fut pour s’y installer comme avocat avant de devenir syndic de la ville. C’est à ce moment qu’il réalise son périple épigraphique, relève avec beaucoup d’exactitude nombre d’inscriptions latines locales dont celle de Montfalcon.
Alphonse Delbene, de treize ans son cadet se consacrera aussi à de semblables recherches. Nommé par le duc Emmanuel-Philibert abbé de Hautecombe en janvier 1560, il allait se consacrer à la paléographie, à l’épigraphie mais aussi à l’histoire et à l’archéologie. Lui aussi allait effectuer des relevés d’inscriptions latines locales dont plusieurs à Montfalcon.
Ainsi ces érudits de la Renaissance font entrer l’inscription de Caius Vibrius Punicus dans le champ de la connaissance historique.
Nous perdons sa trace durant près de trois siècles avant que d’autres érudits, ceux du XIXème siècle, ne la portent à nouveau à notre connaissance. Tous travaillent dans le cadre de sociétés savantes, Académie de Savoie, Académie Florimontane, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie et se désolent de la destruction du patrimoine historique. « Comme tous les anciens châteaux abandonnés » écrit l’un d’eux en 1895 à propos de Montfalcon, « il est devenu pour les paysans une carrière à bâtir ; au risque de leur vie, ils ont descellé les pierres angulaires, arraché les poutres… ».
Inscription en l’honneur de Caius Vibrius Punicus
Ils se nomment Jules Philippe, le vicomte Lepic, le docteur Davat ou encore François Rabut. Ce dernier donne en 1861 dans les « Mémoires de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie » une des premières études de cette inscription. « C’est un monument funéraire élevé par Caius Vibrius Punicus Octavianus à son père, affranchi d’Auguste, qui a été général de cavalerie, tribun militaire et chef des troupes romaines en Corse. Tout permet d’attribuer cette inscription au 1er siècle de notre ère : forme des lettres, style et détails ».
Dans le même article, il mentionne que l’inscription est visible dans le musée archéologique du docteur Davat à Aix-les-Bains. Ce dernier, au même titre que le vicomte Lepic est collectionneur d’antiquités et cette passion va le conduire à sauver cette inscription de sa triste situation. Lorsqu’il la découvre dans une ferme de La Biolle en réemploi dans la fosse à fumier, il l’achète et l’installe au sein de ses collections. Comme celles du vicomte Lepic, ses collections vont en partie se retrouver dans le musée lapidaire d’Aix-les-Bains. C’est là que Caius Vibrius Punicus coule aujourd’hui des jours heureux, dans le silence profond du musée, ne reprenant vie qu’au moment des visites intitulées « Aix à l’époque romaine ».
Terminons notre périple épigraphique en revenant sur Albens pour conter les tribulations d’une dernière inscription de belles dimensions (1,30m x 0,62 x 0,22) gravée sur un calcaire mouluré. Réalisée en l’honneur de l’empereur Trajan, cette plaque de calcaire fut découverte au XVIIIème siècle à Albens lors de la démolition d’une tour mal localisée aujourd’hui. Encore une fois le site antique d’Albens a dû servir de « carrière » aux bâtisseurs médiévaux lors de l’essor de la ville neuve d’Albens peu après 1300.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle on retrouve sa trace au moment de la construction de la cure en 1874. L’épigraphiste allemand Otto Hirschfeld la publie alors dans le Corpus des Inscriptions Latines (CIL), sorte de collection générale des inscriptions latines anciennes rédigée en latin. Le curé d’Albens Joseph Lemoine la fait sceller dans un des murs de la cure donnant sur le jardin.
L’ancienne cure d’Albens
Il fait aussi installer une autre inscription moins lisible qui avait été trouvée dans un mur de l’ancienne église au quartier du Paradis (elle est actuellement visible à l’Espace Patrimoine d’Albens). Ces inscriptions vont rester là, bien protégées jusqu’à la démolition de la cure à la fin du XXème siècle.
Comme on le voit, les curés du XIXème siècle furent au même titre que les nobles et plus tard les instituteurs les seules personnes se préoccupant de la préservation du patrimoine ancien, aidés le plus souvent par le fait qu’ils lisaient le latin. C’est sans doute le cas du curé Lemoine, né à Saint-Pierre-d’Albigny, qui arrive à Albens après 1871 au moment de l’édification de la cure et reste à la tête de la paroisse jusqu’en 1891.
Bernard Rémy, professeur à l’université, allait réaliser une nouvelle étude de cette inscription qu’il publie dans différentes revues dont Kronos (n°8 – 1993). Aujourd’hui visible devant le centre administratif d’Albens, elle sera bientôt incorporée dans le circuit découverte du patrimoine de la commune. Les visiteurs pourront alors, grâce à une application, faire connaissance avec ce généreux donateur (le fils de Certus) qui offre vers 116/117 aux habitants du vicus d’Albens un temple en l’honneur de l’empereur Trajan.
Ainsi en ce début de XXIème siècle, la longue chaîne des amoureux des choses antiques a permis qu’elles parviennent jusqu’à nous. Pour en savoir encore plus, voyez l’article de Daniel Davier paru dans le dernier numéro de la revue Kronos.
Administrateur soucieux de bonnes finances, Charles-Emmanuel III, 15è duc de Savoie et second de sa Maison à porter la couronne de Sardaigne, savait combien il est nécessaire d’assurer au plus juste la charge de l’impôt. C’est pourquoi, par l’édit de péréquation de 1738, il a soumis à la taille la quasi totalité des biens nobles sur la base de la mensuration répertoriée de toutes les terres entreprises par son père, Victor-Amédée II, promoteur des fameuses mappes sardes.
Charles-Emmanuel a également laissé une œuvre législative importante, les royales constitutions de 1770, dans lesquelles certains ont vu l’une des bases fondamentales du droit civil et public moderne. Il n’a pas pu cependant éviter que, lors de la Guerre de succession d’Autriche, les provinces savoyardes subissent une dure occupation espagnole et, fait de moindre importance, mais pourtant significatif, la violation, dans la nuit du 11 mai 1755 de la frontière savoyarde par une troupe française qui se saisira au château de Rochefort, près de Novalaise, de la personne de Mandrin. Cette violation entraînera des protestations qui vaudront au duc de Savoie les excuses présentées par une ambassade spéciale de son cousin Louis XV.
Joseph François Michaud naît dans la 37è année du règne de Charles-Emmanuel. Son souvenir est conservé à Albens, au village d’Orly, grâce à une plaque apposée sur la maison où il vit le jour, le 19 Juin 1767 (1). La famille Michaud est « honorablement établie » dans le pays depuis plusieurs générations, lorsque le père de Joseph, notaire, décide de se fixer en France, à Bourg en Bresse, au grand désespoir de l’enfant, âgé alors de 5 ou 6 ans. Michaud a confié à son collaborateur Poujoulat comment il dût être arraché de force à la voiture qui l’avait emmené et qu’ayant agrippé un peu de la paille qui s’y trouvait, courut s’enfermer dans un grenier pour coucher sur cette paille du pays natal. L’enfant s’habituera cependant très vite à sa nouvelle patrie.
Devenu homme, Michaud évoquera souvent les années de bonheur passées dans la belle plaine bressane sans pour autant oublier son village natal. C’est du nom d’Albens qu’il signera un écrit publié à l’occasion de la sortie de la prison du Temple de Madame Royale.
Après un premier enseignement reçu dans sa famille, Michaud poursuit ses études au collège de Bourg en Bresse puis à Lyon. Dans cette ville, l’adolescent rencontre Fanny de Bauharnais, belle personne, parente de la future Impératrice qui l’incite à tenter sa chance à Paris. Le jeune homme n’oubliera pas sa bienfaitrice, il l’aidera à survivre dans la tourmente révolutionnaire.
De son propre aveu, Michaud n’était pas prédisposé, de naissance, à prendre le parti « du roi et du clergé », mais arrivé à Paris, en 1791, dans un climat de violence extrême, il devient royaliste par esprit de conservation plus que par démarche politique. L’Assemblée Constituante siégeant, il met sa plume au service de La Gazette Universelle et de quelques autres feuilles de tendance royaliste. Plus tard, il fonde La Quotidienne qui, après des fortunes diverses, sera provisoirement réduite au silence par les canons du général Bonaparte au soir du 13 Vendémiaire (2).
Michaud est alors arrêté. Il parvient à s’échapper mais il est condamné à mort par coutumace, le 5 Brumaire de l’An IV (27 octobre 1795), comme convaincu « d’avoir constamment par son journal, provoqué à la révolte et au rétablissement de la royauté ». En 1796, le jugement est révoqué, Michaud fait alors reparaître La Quotidienne, mais à plusieurs reprises, il connaîtra encore, les prisons du Directoire.
Lors du coup d’état de 18 Fructidor (3), il échappe de justesse à la déportation en Guyane en se réfugiant dans le Jura. De cette époque date son œuvre poétique la plus connue, « Le printemps d’un proscrit » qui sera éditée en 1802.
L’avènement de Bonaparte ne met pas immédiatement fin aux ennuis de Michaud, dont un pamphlet, Adieux à Bonaparte, est assez mal accueilli par la police du premier Consul. Comme beaucoup d’autres, le publiciste se rallie cependant au nouvel ordre des choses, plus par raison que par mouvement du cœur. En 1813, il prend place à l’Académie Française. L’Empereur ratifie ce choix sur le champ de bataille de Leipzig.
Michaud salut avec ferveur le retour des Bourbons. En 1814, il fait reparaître La Quotidienne et, après l’intermède des « cents Jours », il est élu député de Bourg en Bresse dans la « Chambre introuvable » ». Officier de la Légion d’honneur, censeur de la presse, lecteur du roi Charles X ; Michaud n’en garde pas moins, malgré ces faveurs, une indéniable indépendance d’esprit.
En 1827, il figure parmi les dix huit académiciens signataires d’une supplique de protestation adressée au Roi, contre le projet de loi du comte de Peyronnet sur la presse.
En 1830, 1831, Michaud voyage en Orient. C’est à Constantinople qu’il apprend avec douleur mais sans surprise, le renversement de Charles X par « La Révolution de juillet ».
Revenu en France, il s’établit à Passy où il meurt sans postérité le 30 septembre 1839. Sa tombe ornée d’un buste dû au sculpteur Bosio existe toujours dans le cimetière de Passy.
S’il est connu surtout comme historien des croisades, Michaud est également l’auteur de poèmes, dont le plus connu, « Le printemps d’un proscrit », sera publié en 1802, sur les instances de Chateaubriand. Le physiologiste Flourens, successeur de Michaud à l’Académie Française (il avait eu Victor Hugo comme concurrent) dira dans son discours de réception que : « ce qui fait le succès de l’ouvrage, c’est qu’on y cherche moins les beaux vers, qui pourtant y abondent, que les émotions d’une âme ferme rendue plus sensible par le malheur ».
Œuvre capitale, selon Chateaubriand, les cinq volumes (4) de l’Histoire des Croisades sont publiés de 1808 à 1822. Ils seront complétés par une Bibliothèque des croisades et par Correspondance d’orient, recueil des lettres écrites par Michaud durant le voyage qu’il fit en 1830, 1831 sur les lieux mêmes des combats des chevaliers de la croix.
Poujoulat, ami et collaborateur de Michaud, estime que l’Histoire des Croisades a contribué, avant que n’apparaissent les ouvrages d’Augustin Thierry, Michelet, Guizot… au renouveau de la science historique. Laissons aux spécialistes le soin de dire si ce jugement du disciple sur l’œuvre du Maître peut être maintenu. On se souvient pourtant que c’est en lisant les Martyrs, au récit du « bandit des francs », qu’Augustin Thierry sentit naître en lui la vocation d’historien. Nous connaissons également les liens qui unissaient Chateaubriand et Michaud. Il est donc permis de penser que l’influence de l’auteur des Martyrs s’est exercée sur l’historien des Croisades pour donner à l’œuvre ce caractère qui, au travers de la relation des faits et de la description des mœurs, dépeint l’esprit du temps.
Historien novateur ?… Michaud a également publié une Histoire des progrès et de la chute de l’empire de Mysore et une Collection pour servir à l’histoire de France depuis le XIIIè siècle. Avec son frère Louis Gabriel (5), il a fondé la Biographie universelle, précieux répertoire qui se consulte toujours avec profit.
En cette année 1986, où nous commémorerons le 200è anniversaire de la conquête du Mont-Blanc par Jacques Balmat et le Docteur Paccard, il est un fait moins connu de la vie de Joseph Michaud et de son activité littéraire, qu’il faut rappeler.
En 1787, alors que De Saussure vient tout juste d’y parvenir, Michaud décide de tenter l’ascension du géant des Alpes. À l’époque, l’idée n’est pas communément répandue. Certes Michaud échouera et s’arrêtera aux Grands Mulets, mais il a laissé de cette tentative un récit publié en 1791 sous le titre « Voyage littéraire au Mont-Blanc et dans quelques lieux pittoresques de la Savoie ». Ce premier livre dédié à Fanny de Bauharnais contient des descriptions bien dans l’esprit du temps, qui donnent à penser que le royaliste Michaud n’a pas été sans subir l’influence de J. J. Rousseau. Ainsi les habitants de Chamonix apparaissent à l’auteur « véritablement égaux et libres » et la Mer de Glace « formée de flots en courroux qui sont entrés en congélation subite ». Il n’en demeure pas moins que même sous cette forme, le récit présente un grand intérêt, car il vient d’un homme qui, selon l’expression de C.E. Engel, « en l’espace d’un instant a inventé : l’alpinisme véritable fait d’amour de la montagne et d’amour du sport… et rendant à César ce qui est à César, Michaud est le premier touriste qui ait raté le Mont-Blanc ».
Une rue d’Albens, son village natal et une rue de Chambéry capitale de la Savoie, portent le nom de Joseph Michaud, hommage mérité, à un homme dont la vie et l’œuvre ont reçu le sceau d’évènements historiques prodigieux, durant lesquels, sa terre d’origine, la Savoie, a connu un premier rattachement à la France, patrie d’élection de cet illustre enfant d’Albens.
Félix Levet
Notes de l’auteur 1) Cette plaque a été scellée sur une initiative et en présence de H. Bordeaux.
2) Journées des 12 et 13 Vendémiaire, An IV – Avant de se séparer, la convention avait décidé que les 2/3 des membres des nouvelles assemblées prévues par la Constitution de l’an III seraient pris obligatoirement parmi les anciens conventionnels. Ces dispositions entraînèrent un soulèvement des royalistes, dont les sections parisiennes furent écrasées, après des combats meurtriers, le 13 Vendémiaire, (4 octobre 1795) devant l’église Saint Roch, par les troupes du général Bonaparte.
3) 18 Fructidor, An V (4 Septembre 1797) coup d’état exécuté par trois membres du Directoire, Barras, Laréveillère-Lepaux, Rewbel, contre les deux autres directeurs, Barthélémy et Lazare Carnot, et contre les membres des Conseils accusés d’être favorables au rétablissement de la royauté. Ce coup d’état eut notamment pour conséquence, la déportation en Guyane, de Barthélémy, de membres des Conseils, de journalistes et de nombreux prêtres.
5) Louis Gabriel Michaud, dit Michaud jeune, frère cadet de Joseph Michaud né à Bourg en Bresse en 1772, mort en 1858, d’abord officier d’infanterie, devint éditeur. Il a participé à la fondation de la Biographie universelle.
6) Un décret de la Convention du 27 Novembre 1792, fait de la Savoie, le 84è département français, sous le nom de département du Mont-Blanc, chef lieu Chambéry.
Avec la loi du 25 août 1798, la Savoie est comprise dans deux départements, département du Léman, chef lieu Genève et département du Mont-Blanc, chef lieu Chambéry.
Après une partition, en 1814, entre le royaume de France et celui de Piémont-Sardaigne, la Savoie retourne en 1815 à la Maison qui lui doit son nom.
Quelques anecdotes sur Michaud :
* en 1795, Michaud composa avec Beaulieu, à l’occasion de la délivrance de la fille de Louis XVI pour se rendre en Autriche, un petit ouvrage qu’il dédia à la princesse, sous le nom d’Adieux à Madame, et qu’il signa : PAR MONSIEUR D’ALBENS.
* Jugement de Sainte Beuve sur le journaliste polémiste : « Aux aguets chaque matin, il excellait à faire un combat de franc-tireur, à suivre les moindres mouvements de l’ennemi, et tomber sur lui par surprise ».
* le célèbre Fouché, ministre de la police sous l’Empire, qualifia Michaud de « Rivarol Savoyard , le comparant au journaliste contre-révolutionnaire Antoine de Rivarol.
La Savoie est entrée dans l’espace français depuis une bonne dizaine d’années lorsque le Vicomte Lepic, membre de l’Académie de Savoie, publie en 1874, une brochure illustrée qu’il intitule « Grottes de Savigny, commune de La Biolle ». Il porte alors « à la connaissance de ceux que les découvertes préhistoriques intéressent » les résultats des fouilles qu’il a entrepris les années précédentes. Son travail est une véritable fouille qui tranche sur les pratiques de l’époque. En effet la préhistoire est alors très à la mode depuis que l’on a repéré, dès 1854 dans les lacs suisses puis savoyards, l’existence de cités lacustres. Mais on pratique ce que l’on appelle « la pêche aux antiquités », c’est-à-dire la récupération des objets par des procédés mécaniques détruisant le contexte archéologique.
Né en 1839 à Paris dans une famille d’officiers napoléoniens (son père est général dans l’armée de Napoléon III), Ludovic-Napoléon Lepic se détourne de la carrière militaire pour se consacrer à la gravure et au dessin. Son père va accepter son inclination pour l’art, le laissant fréquenter les ateliers des peintres Bazille puis Cabanel. Il deviendra rapidement un aquafortiste remarqué.
Le Vicomte Lepic
C’est cette maîtrise des eaux fortes qu’il exploitera pour produire de magnifiques planches présentant les plus belles pièces découvertes lors de ses fouilles.
C’est à la suite de son mariage avec Joséphine Scévole de Barral en 1865 qu’il s’en vient séjourner en Savoie dans le château de sa belle-famille à côté de Chambéry. Il se prend de passion pour l’archéologie et la préhistoire, voyage à Rome et à Pompéi, puis entreprend des fouilles dont il présente les résultats au congrès de Préhistoire de Bruxelles en 1872 et enfin crée le musée d’Aix-les-Bains qu’il dirige et enrichit jusqu’à sa mort en 1889.
Sa brochure, publiée en 1874, est un véritable travail méthodique qui peut encore aujourd’hui servir de référence et ce pour plusieurs raisons.
Cela tient d’abord à la richesse d’un texte minutieux et précis dans lequel il décrit la grotte, dresse un inventaire des objets découverts (silex, poinçons, lissoirs, glands, ossements de bœuf, cochon, chien, cerf, chevreuil…), replace ses découvertes dans le contexte archéologique de son temps.
C’est ensuite la qualité graphique de ses planches qui retient encore l’attention et rend possible aujourd’hui l’attribution de ces productions à des cultures néolithiques bien précises.
Objets trouvés dans la grotte. Dessins vicomte Lepic
C’est enfin sa conception d’une archéologie privilégiant la connaissance sur l’exploitation des découvertes à des fins mercantiles qui est moderne. Il l’exprime à la fin de sa brochure en des termes appuyés : « jusqu’à ce jour, on n’a vu dans le pays, en faisant des fouilles, qu’une question de gagner de l’argent et d’exploiter les étrangers ; sauf quelques rares amateurs sincères, le préhistorique en Savoie est une exploitation montée sur un pied aussi peu honnête qu’indélicat. Espérons que le jour où tous ces savants qui n’ont pour objectifs que la vente aux Anglais auront fait fortune, les gens qui travaillent sans idée d’exploitation pourront entreprendre une œuvre moins productive pour eux, mais plus utile au pays ».
On peut dire que le vicomte Lepic est, d’une certaine manière, un des premiers promoteurs de l’archéologie expérimentale.
C’est lui qui aborde en premier l’intéressante question de la provenance de ces populations paysannes originelles qui s’installent dans la grotte de Savigny, à La Biolle, en Savoie. Il met en avant le rôle de maillon, d’intermédiaire que ce lieu a pu jouer : « Les grottes de Savigny sont placées sur la route directe reliant le lac du Bourget au lac Léman, et il est possible que leurs habitants avaient des rapports fréquents avec les habitants des palafittes de Savoie et de Suisse et servaient de trait d’union entre ces différentes peuplades ».
Cette idée de « trait d’union » va être affinée, précisée par les archéologues du XXème siècle qui reprendront des fouilles sur le site.
Réalisant en 1976 plusieurs sondages dans la grotte, une équipe archéologique dispose de nouvelles données (stratigraphie, céramiques) qui lui permet de situer les habitants de la grotte dans un cadre aux frontières de deux civilisations, une venue du sud de la France (civilisation de Chassey), l’autre en provenance du plateau suisse (civilisation de Cortaillod).
De plus, des analyses de charbon de bois au radiocarbone ont permis d’avancer une datation aux alentours de -3060.
Beaucoup des objets trouvés en fouilles ont disparu ou se trouvent relégués dans les réserves des musées. Il ne reste que les beaux dessins du vicomte Lepic pour garder le souvenir de ces agriculteurs d’il y a 5000 ans qui firent entrer la Savoie dans le temps des paysans.
Vous pourrez toutefois en savoir plus en vous connectant sur le site www.kronos-albanais.org ou lire dans le n°3 de la revue un article consacré à la préhistoire de l’Albanais.
L’origine gallo-romaine d’Albens est, je le pense, bien connue de tous. Mais que sait-on de plus à ce sujet ?
Il a paru bon de faire le point des connaissances et de présenter sous forme d’un article les résultats des recherches menées tant sur le terrain que dans les musées.
Ainsi, est-ce à un voyage dans un passé vieux de 18 siècles que je vous invite. Voyage qui nous mènera sur les chantiers archéologiques de ces dernières années, dans les musées de Chambéry et d’Annecy mais aussi dans les revues savantes pour y rencontrer les érudits d’autrefois, témoins de découvertes aujourd’hui perdues.
Au bout de ce voyage, nous aurons, je l’espère, beaucoup appris ; la vie quotidienne dans Albinnum, l’aspect d’ensemble du village, ses liens économiques avec le reste de l’empire romain nous seront plus familiers.
Les moyens de connaître un passé aussi lointain
Recherches archéologiques – Ramassage de surface – Visite dans les musées régionaux – Lecture des publications
1 La recherche archéologique
Nul ne l’ignore, cette étude des civilisations passées est devenue une science aux techniques bien définies, la principale étant la pratique des fouilles. Des fouilles ont été entreprises entre 1978 et 1981 par le Club d’archéologie du Collège Jacques Prévert. Elles ont permis à de nombreux élèves de mener une étude minutieuse des couches successives du sol (méthode stratigraphique), de mettre à jour un grand nombre d’objets, de vestiges et de les étudier.
On est en mesure à présent d’en donner les résultats.
Tout d’abord la stratigraphie (étude des couches successives).
On distingue bien quatre niveaux :
* le plus ancien, donc le plus profond, se compose d’une épaisse couche de sable. Il ne renferme aucun vestige humain.
* sur ce niveau, les hommes sont venus s’installer, apportant avec eux de la céramique grise. Ce second niveau correspondrait à l’occupation Celte (entendez Gauloise), des Allobroges vivant là aux derniers siècles avant JC.
* le troisième niveau est celui de l’occupation romaine. Couche qui renferme le plus de vestiges : restes de murs grossiers, tuiles, clous, céramique. Grâce aux objets trouvés, on peut dire que cette occupation romaine s’étend du début du Ier siècle au IVième siècle de notre ère. Cette occupation est perturbée à partir du IIIième siècle par les invasions (on retrouve une couche renfermant beaucoup de cendres – les restes des destructions barbares ?)
* le dernier niveau, supérieur, le plus récent, correspond à la couche cultivée. Si on y trouve des objets romains (pièces/fragments de vase), c’est que les labours profonds atteignent la couche romaine toute proche et font remonter ces objets non sans mal pour eux.
Si on se résume, quatre niveaux, en partant de la surface :
– un niveau correspondant aux cultures actuelles, en surface.
– un niveau romain (I-IVe).
– un niveau gaulois (derniers siècles avant JC).
– un niveau sans occupation humaine, le plus profond (sable).
Tout l’intérêt de la stratigraphie est là ; un voyage dans le temps, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le sol ; une mise en évidence des séquences d’occupation du village par ses lointains habitants.
2 Le ramassage en surface
* Comme son nom l’indique, il consiste à collecter à la surface du sol les vestiges anciens. La coupe stratigraphique nous l’a bien montré ; la couche cultivée renferme des objets des couches inférieures que les travaux agricoles ont ramenés à la surface.
Au moment des labours, après les grandes pluies, il est intéressant de circuler dans les champs ; un œil exercé et averti peut ainsi trouver de nombreux objets.
Ainsi :
– une marque de potier sur céramique rouge, celle de SALVETUS (nous en reparlerons) ;
-un beau décor sur un fragment de bol, représentant un lapin (sans doute une scène de chasse).
* Dans le même cadre d’activité, on peut parler du suivi des travaux. Albens se transforme de jour en jour, ce qui entraîne l’ouverture de nombreux chantiers (construction, voirie, travaux de l’ONF, …).
L’archéologue a intérêt à suivre ces travaux, à se rendre sur les chantiers car il pourra faire des découvertes ; il pourra également avertir, informer le personnel des chantiers de l’intérêt de ces découvertes (la collaboration avec ces personnels est toujours fructueuse). Ainsi furent découverts lors des travaux dans les marais un bol et deux belles assiettes (céramique beige).
On le voit, l’activité sur le terrain est porteuse d’informations. Elle nous permet de compléter nos collections (objets, vestiges, …), mais aussi de préciser nos connaissances sur l’étendue du périmètre archéologique romain.
Nous en verrons par la suite toute l’importance.
3 Les recherches dans les musées à la lumière des revues savantes
Les musées régionaux conservent de nombreux et beaux objets découverts à Albens dans les siècles passés.
La lecture des revues savantes nous permet d’en savoir plus sur ces découvertes anciennes (localisation de la découverte, contexte, état de l’objet, …).
À la lumière de toutes ces recherches, nous sommes en mesure de donner une idée de l’importance et de la richesse de ces objets :
* les bronzes sont bien représentés :
– deux pieds de chèvres ; bronze (fonte creuse) de patine vert clair, avec incisions figurant le pelage.
Pieds de chèvre en bronze
Découverts au lieu-dit « La Tour », ils furent acquis par le musée d’Annecy en juillet 1905 et sont aujourd’hui présentés dans une de ses salles.
Charles Marteaux (archéologue du XIXe siècle) pensait qu’ils formaient les supports d’une table gallo-romaine, sans doute d’un trépied.
– un miroir en bronze, dont on ne connaît pas les circonstances de la découverte et qui est présenté dans une vitrine du musée savoisien (Chambéry). C’est un disque circulaire, plat, en bronze poli, d’un diamètre de 12cm (on ne connait pas à l’époque les miroirs en verre). Le manche qui est cassé devait s’insérer dans une poignée de bois ou d’ivoire.
* la verrerie :
Elle comprend essentiellement des bouteilles, mais aussi une magnifique urne cinéraire.
– l’urne cinéraire fut découverte en 1863 lors de la construction de la voie ferrée. Elle était renfermée dans un vase à rebord en terre rougeâtre, qui fut brisé lors de l’extraction.
Urne cinéraire
C’est une urne de petite dimension (15cm de hauteur et 9cm de largeur à l’ouverture) ornée de cordons en losanges, coulés avec le verre, le pied est godronné (Godron : ornement qui affecte la forme d’un œuf très allongé).
– les bouteilles sont plus nombreuses. Trois d’entre elles nous sont parvenues intactes. Elles sont plus petites que leurs sœurs actuelles (10 à 17cm). Elles ont une panse carrée et sont munies d’une anse. Le fond est décoré de cercles concentriques en relief, d’une croix à l’intérieur d’un cercle.
Bouteille
La couleur du verre est très belle, dans les verts ou les bleus, avec des nuances pastels.
Le verre était connu dans l’antiquité, mais c’est à partir de la découverte du soufrage (vers 100 avant JC) que cette industrie se développe.
À la fin du Ier siècle de notre ère, il y a des officines dans la basse vallée du Rhône, puis à Lyon et à Vienne.
On peut penser que ces bouteilles proviennent de ces ateliers.
Au IIe siècle, ce type de bouteille devient très abondant pour disparaître ensuite.
* la vaisselle :
Il s’agit ici d’une très belle pièce en céramique sigillée qui se trouve exposée dans les vitrines du musée savoisien.
Bol en terre sigillée
C’est un bol, décoré de motifs en relief (d’où le nom de sigillée) provenant des ateliers du centre de la Gaule (Lezoux) datant du IIe siècle de notre ère.
Cette céramique sigillée est une véritable banque d’images. Véhicule de romanisation, elle a contribué à la diffusion d’une imagerie populaire fondée sur la religion, les jeux, les combats guerriers, les scènes de chasse.
Ici, sous une rangée d’oves (ornement en forme d’œuf), un médaillon contenant un Amour ou une Victoire, un demi médaillon contenant deux masques et un oiseau puis en dessous, un animal courant, une tige de palmier stylisée.
L’étude des objets présentés dans les musées régionaux nous informe sur le niveau de vie d’un groupe social aisé à Albens, mais aussi nous renseigne sur les liaisons économiques avec les diverses régions de la Gaule et de l’Empire.
À partir de la, nous pouvons imaginer le luxe dont bénéficie ce petit groupe : la céramique sigillée serait à comparer à notre porcelaine ; le verre devait être encore cher à l’époque.
Ce luxe est attesté par un autre objet présenté au musée savoisien. Il s’agit d’une applique de cuivre étamée, recouverte d’une mince feuille d’argent dorée et doublée d’une plaque d’argent ajouré ; les rivets de cuivre étaient recouverts d’une calotte d’argent ?
Qui étaient ces personnes aisées ? Nous tenterons d’en présenter quelques-unes par la suite.
Il est également possible de savoir d’où l’on faisait venir ces beaux objets (verrerie des ateliers du couloir rhodanien, vaisselle des ateliers de l’Allier) et partant de là, de dresser une carte des liaisons commerciales aux premiers siècles de notre ère.
Quelles informations tirer des objets archéologiques ? Voilà le fil conducteur de la suite de l’article.
À la recherche des liaisons commerciales antiques
Des monnaies replacent Albens dans le cadre de la Grande Histoire
La céramique dévoile les itinéraires commerciaux. Deux monnaies d’Aurélien et Tétricus replace Albens dans le contexte de la crise de l’Empire au IIIe siècle de notre ère.
1 La céramique
Celle découverte à Albens appartient à plusieurs catégories qu’il serait bon de présenter avant d’aller plus avant.
On peut en distinguer quatre :
– la sigillée, de couleur rouge vif, ornée de motifs en relief.
– la céramique grise ou céramique allobroge.
– les amphores pour le transport des liquides et des grains.
– la céramique commune, de couleur claire.
Pour la clarté de l’exposé, nous ne retiendrons que deux catégories, la sigillée et les amphores. Les raisons en sont simples : par leurs formes, leurs marques ou leurs décors, elles permettent de savoir de façon précise la date et le lieu de fabrication.
La sigillée
Ce type de céramique romaine, d’allure très caractéristique, a été fabriqué pendant toute la durée de l’Empire romain exclusivement (Ier au Ve siècle de notre ère).
Les grands ateliers de fabrication sont tous situés en Gaule romaine et appartiennent à trois grands groupes : Ateliers du Sud, Ateliers du Centre, Ateliers de l’Est.
Répartition des officines de sigillée
Ils produisent des vases selon des techniques qui évoluent peu. Les vases comportent presque toujours un décor en relief, obtenu à partir d’un moule en creux. Ces vases sont recouverts d’un vernis rouge donné par une très mince couche d’argile fine à forte teneur en oxyde de fer. Ce vernis confère au vase un très grand degré de résistance à la corrosion, si bien que lorsqu’on en découvre aujourd’hui, leur aspect semble presque neuf.
Les principales formes produites (coupe, bol, assiette, pichet, …) ont été classées par certains érudits comme Dragendorf ou Oswald. Les formes variant avec la mode et la technique, on peut les dater. Le bol trouvé à Albens date du second siècle de notre ère.
Les décors ayant déjà été présentés, il vaut mieux parler des estampillés que l’on trouve sur ces vases. Les estampillés ou marques de potiers sont placées soit sur la paroi externe du vase au milieu du décor, soit sur le fond au dos du vase.
Les potiers ayant travaillé dans un nombre restreint d’ateliers (25 environ pour la Gaule) dont les plus célèbres sont la Graufesenque et Lezoux, on a pu établir les époques d’activité de ces artisans et partant de là, la date de réalisation.
Tableau chronologiques des potiers dont les marques ont été trouvées à Albens
Les céramiques sigillées d’Albens ont été fabriquées dans les Ateliers du Sud et du Centre, de 50 à 160 après JC.
Les amphores
Découvertes en grand nombre à Albens, elles sont souvent en mauvais état. On a conservé surtout le col et les anses.
Par leur forme, que l’on peut déduire des éléments précédents, il est possible de dire que certaines proviennent d’Espagne. Ce sont de grosses amphores à huile, de forme très ronde, et dont les grosses anses à section ronde portent souvent des marques. Sur l’une d’elle, on peut lire S. C. Elle provient de Bétique (Andalousie actuelle).
Il devient alors possible d’esquisser une carte des échanges commerciaux à l’époque.
Les échanges commerciaux
Cette carte ne nous renseigne que sur les importations, les achats effectués par les habitants du village. Nous ignorons si des produits fabriqués à Albens étaient vendus à l’extérieur.
Ces importations viennent de la province de Narbonnaise, dont fait partie Albens, pour les verreries. La sigillée provient du Massif Central : Allier et Aveyron. L’huile et les amphores viennent de plus loin, du sud de l’Espagne, province de Bétique.
* On peut se faire une idée de la circulation de ces produits.
On sait pour la sigillée de la Graufesenque qu’elle était commercialisée par les NEGOCIATORES REI CRETARIAE, grands négociants de terres cuites, dont les réseaux commerciaux étaient solidement établis, avec relais de stockage aux points de rupture de charge, et des entrepôts de redistribution (tels ceux de Fos-sur-mer, Clermont-Ferrand, Feurs, …).
Cette céramique était commercialisée fort loin : Méditerranée Orientale, mer Baltique, mer Noire et jusqu’en Inde.
Ces grands négociants avaient recours, tant qu’ils le pouvaient, au transport par voie d’eau.
Une voie d’échanges privilégiée comme celle du Rhône ne pouvait manquer de jouer son rôle dans l’essor des échanges qui caractérise la « Paix romaine ». La navigation fluviale va donc se développer sur le Rhône de la Méditerranée à Seyssel et Genève, mais aussi sur ses affluents (Ouveze, Durance, Isère, Ardèche, Saône, Doubs).
Il existait alors une batellerie active et organisée. Elle était entre les mains des corporations de NAUTES. Le secteur lyonnais du fleuve était desservi par les NAUTAE RHODANICI, siégeant à Lyon, dont le trafic couvrait le Rhône jurassien jusqu’à Seyssel.
L’Isère, au tournant de la Combe de Savoie, était entre les mains des RATIARII VOLUDNIEUSES, dont le port d’attache était Voludnia près de Saint-Jean-de-la-Porte.
Ces corporations assuraient non seulement la navigation mais aussi les ruptures de charges et les transferts par terre, sans doute entre l’Isère et le lac du Bourget, comme entre Seyssel et Genève, Annecy et la région. Le Rhône et ses affluents formaient ainsi la voie d’introduction et d’échanges de quantités de marchandises, parmi les plus lourdes principalement.
* Quel était le matériel de navigation utilisé par ces nautes ?
On ne peut s’appuyer sur aucun vestige ni figuration provenant du secteur Allobroge. Il faut avoir recours aux vestiges découverts dans le reste de l’Empire pour s’en faire une idée.
Ils se regroupent en trois ensembles :
– les radeaux (ratis) : ils sont faits rapidement à partir de troncs ou poutres assemblés. De véritables trains de radeaux ou de bois flottants destinés à la construction circulaient sur le fleuve. Le radeau pouvait servir à assurer le passage des cours d’eau en guise de bac. On pouvait aussi utiliser des barques à fond plat.
ratis = radeau
– les barques à fond plat : le terme de ratis s’applique aussi à elles. Elles étaient utilisées sur les rapides des fleuves ou les rivières peu profondes.
ratis = bateau à fond plat
– les bateaux : les romains appelaient NAVIS CAUDICARIA le bateau fluvial qui remontait le fleuve après avoir reçu la charge d’un bateau de haute mer. Ce type de bateau semble avoir été utilisé en aval de Seyssel (comme semblent l’indiquer certaines inscriptions). Le célèbre bateau gaulois transportant une charge de tonneaux (musée de Trèves) donne une idée de leur allure. Il marche à la rame comme la plupart des bateaux fluviaux de commerce.
Transport de vin en tonneaux sur un fleuve.
* Sur le fleuve circulait des produits très variés qui avaient pour destination Seyssel.
Des convois entiers de jarres et d’amphores lourdement chargées de vin, d’huile ou de blé remontaient le fleuve. Le commerce des lampes à huile, des céramiques sigillées s’effectuait de la même façon. Les navires étaient aussi chargés de matériaux de construction : briques, tuyaux d’argile et tuiles.
Le centre de production devait se trouver à Vienne où Claranius, un des nombreux fabricants apposait son nom sur ses produits. On peut voir certaines de ses tuiles dans les musées de Savoie (Chambéry, Aix et Annecy).
À la descente, les navires transportaient des tonnes de pierres (des carrières de Seyssel ou de Fay dans le petit Bugey) pour alimenter les constructions de Lyon.
Tout un trafic intense, portant sur des produits très divers, du blé aux matériaux de construction en passant par la vaisselle aboutissait au port de Condate (Seyssel).
Le port de Condate était sans doute majeur par l’importance de ses installations. C’est lui seul qui figure sur l’itinéraire de Peutinger (carte romaine du siècle) entre Etana (Yenne) et Genava (Genève).
Il a été fouillé à la fin des années 1970 par Messieurs Dufournet et Broise qui ont mis en évidence l’existence de vastes installations s’étageant en gradins le long du fleuve, d’où partaient une voie bordée d’un portique et de boutiques de commerçants.
Ce port a été très actif jusqu’à la fin du IIIe siècle. Il tirait son importance du fait que le Rhône n’étant plus navigable en amont, une rupture de charge s’imposait. Les marchandises poursuivaient leur chemin par voie de terre jusqu’à Genève, Annecy et bien sur Albens.
* Par voie de terre, le transport était plus délicat. Il empruntait un réseau routier assez bien connu.
Genève et son territoire dans l’antiquité. Pierre Broise, 1970
On peut s’imaginer les habitants d’Albens de l’époque se rendant à Condate pour s’y procurer vaisselle, lampes, huile, tuiles dans les boutiques bordant le port. On peut imaginer aussi les marchands, à pieds ou en charriots, allant dans les villages et villes voisines pour y écouler leurs produits.
Quoi qu’il en soit, une vie relationnelle importante devait animer la voie qui de Seyssel en passant par Sion, Albens et Aix conduisait à Lemenc.
Cette voie a aujourd’hui disparu, mais son tracé a été étudié par les érudits du siècle dernier, entre autre Charles Marteaux. Ils s’appuient sur des découvertes nombreuses ; près de Seyssel avec les importants vestiges du Val de Fier ; autour d’Albens, entre Bloye au Nord et Marline au Sud, le pavement de la voie a été mis à jour au XIXe siècle ; à Albens même plusieurs mètres de pavement ont été exhumés lors de travaux en 1860 et 1910.
C’était donc une voie romaine principale qui passait par Albens, aux premiers siècles de notre ère, mettant le village en relation avec tous les centres importants du moment, comme le montre bien Pierre Broise dans son ouvrage « Genève et son territoire dans l’Antiquité ».
Ainsi les habitants d’Albens pouvaient-ils se procurer ces produits venant des diverses régions de la Gaule ou de la lointaine Bétique. Contre quelques pièces de bronze ou de cuivre (la monnaie très répandue dans l’empire favorise les échanges), ils pouvaient acheter l’huile pour les exercices physiques et les bains, les coupes pour boire le vin, les tuiles pour leurs toits.
2 La monnaie
On a vu son importance dans les échanges. Elle est bien représentée à Albens et nous permettra d’avoir une idée du monnayage romain, de dresser une chronologie de la présence romaine pour enfin entrer un instant dans la grande Histoire.
* Le sous sol d’Albens a fourni plusieurs dizaines de monnaies.
Les plus anciennes découvertes remonteraient à 1786 où un ensemble de 30 monnaies a été mis à jour à La Ville.
D’autres monnaies ont été découvertes par la suite à Bacuz, aux Coutres et à Marline. La plupart de ces monnaies ont été vendues ou se sont perdues à nouveau.
Depuis une dizaine d’années, date de la création du Club d’archéologie du Collège, nous avons pu recueillir une dizaine de pièces environ. Elles ont été mises à jour soit par des particuliers, soit en cours de fouille par nos soins, mais ont pu être photographiées, étudiées et pour certaines conservées au collège.
Elles doivent être replacées dans le monnayage romain, dont voici un tableau sommaire :
Aureus pièce d’or 25 deniers
Denier pièce d’argent 4 sesterces
Sesterce pièce de bronze 4 as
Dupondius pièce de bronze 2 as
Nous ne possédons que des monnaies des deux dernières catégories dont une magnifique pièce de bronze de l’empereur Tibère (14-37), présentant au revers l’Autel de Lyon ou Autel des Gaules ; autel encadré de deux colonnes portant des victoires tendant des couronnes. Bien lisible en dessous : « À Rome et à Auguste ».
De la fin du Ier siècle, nous possédons un sesterce de l’empereur Vespasien (69-79). Au revers, une magnifique déesse de la Fortune vêtue à l’antique et portant tous les attributs de sa fonction.
* Cet ensemble de monnaies permet de jalonner la présence romaine à Albens et d’en dresser la chronologie.
Monnaies romaines d’Albens
Les romains sont installés chez nous dès le début de notre ère (monnaie de Julia Augusta). Les monnaies sont nombreuses tout au long des Ier, IIe et IIIe siècle, avec une particulière abondance lors de la crise du IIIe siècle (liée à l’inflation et aux luttes politiques). À partir du IVe, les monnaies se font plus rares, de mauvaise qualité, c’est l’époque des invasions, du ralentissement des activités et des échanges, de la fin de l’empire romain.
Bientôt le Moyen Âge débutera et l’on parlera de la Sabaudia, nom dont dérive celui de Savoie.
* Deux de ces monnaies, celle d’Aurélien et de Tétricus, vont nous permettre une incursion dans la Grande Histoire.
En cette fin du IIIe siècle, le pouvoir de l’empereur Aurélien est contesté dans les provinces d’Asie ; à Palmyre, la reine Zénobie s’est révoltée.
À l’ouest, c’est Tétricus qui a constitué un empire des Gaules. Cet empire des Gaules comprend tout l’ouest et le nord de la France. La province de Narbonnaise est restée fidèle à Aurélien et Albens se trouve ainsi à la frontière des deux empires.
La présence de ces deux pièces dans notre village prouve que ce dernier était indécis et partagé entre les deux obédiences.
Bien vite, la situation se rétablit au profit de l’empereur officiel. Tétricus, abandonné par ses troupes sur les champs de bataille de Châlons-sur-Marne, participera au triomphe d’Aurélien en 274 à Rome.
On nous le décrit : « Parmi les prisonniers marchait Tétricus avec sa chlamyde écarlate, sa tunique verdâtre et ses braies gauloises, accompagné de ses fils ».
On ne nous dit pas ce qu’il advint des habitants d’Albens qui avaient choisi son parti. Mais, on peut être rassuré sur leur sort, quand on saura qu’Aurélien ne tint pas rancune à son adversaire auquel il accordera par la suite le poste de gouverneur de Lucanie.
Il est temps maintenant de parler un peu plus longuement d’Albens et de ses habitants, il y a… 18 siècles.
Albinnum, un Vicus, Chef-lieu du Pagus Dianiensis
Albens replacé dans le cadre général de l’Empire – Description du village – Les croyances – La société.
1 Albens est un Vicus
Un habitat aggloméré, un centre d’échanges commerciaux, pourvu d’une organisation administrative.
Le vicus est le plus petit élément du système administratif romain qui reposait essentiellement sur un réseau de villes très hiérarchisé.
Aux premiers siècles de notre ère, le vicus appartient à la cité de Vienne (capitale de l’Allobrogie) partie de la Province de Narbonnaise (la première à être romanisée en Gaule).
Le Vicus d’Albens était le chef-lieu du Pagus Dianensis ou Dianus, Pagus signifiant pays. Ce pagus devait s’étendre des vallées du Chéran et du Fier jusqu’au Rhône (Chautagne). Il était également nommé Pagus Albinnensi, ce qui a donné aujourd’hui l’Albanais. Ainsi, Albens était déjà à cette époque un chef-lieu, le centre administratif de l’Albanais (au sens large).
Origine et signification du nom d’Albens
Le nom Albinnum est bien attesté par des inscriptions, dont une est visible sur les murs de l’église de Marigny-Saint-Marcel. Ces inscriptions ont été étudiées et figurent au Corpus des Inscriptions Latines (CIL, XII, n°2558 et 2561).
Voilà le nom d’Albens connu depuis l’antiquité ! Mais que signifie-t-il ?
Ici, on entre dans la toponymie (étude de l’origine des noms). C’est une science où s’affronte plusieurs écoles. On aura de ce fait des explications diverses sur la signification de ce nom. Je me contenterai de les exposer, sans trancher en faveur de l’une ou de l’autre.
– le nom d’Albens proviendrait du terme « Villa Albenci », c’est-à-dire la villa d’Albinnum ; autrement dit, le nom d’un domaine rural dont le propriétaire était le « sieur » Albinnum.
– l’Albenche, le nom du petit cours d’eau traversant le village, serait à l’origine du nom.
Mais certains ne se sont pas satisfaits d’explications aussi sommaires. Ils sont allés chercher dans la « linguistique » la signification première du nom. Le nom « Albinnum » contiendrait la racine ligure ALBA, dont le sens pourrait signifier blanc. Ce terme serait un qualificatif de l’eau opposé à la terre noirâtre et se serait appliqué surtout aux eaux courantes ou jaillissantes.
Il ressort de ces recherches une grande incertitude.
On peut résumer cela en disant : qu’un riche romain aurait donné son nom au village ; qu’un cours d’eau (terme géographique) pourrait en être à l’origine, qu’une langue ancienne (question sur les premiers occupants du village ?), le ligure aurait conservé le souvenir marquant de la blancheur du paysage.
Chaque fois, ces explications font appel à des données historiques, géographiques, linguistiques et humaines.
Mais revenons à Albinnum, le village.
* Il est inclus dans un réseau routier qui joue un grand rôle dans sa vie et son organisation spatiale.
On a vu l’importance de la voie romaine dans la vie économique d’Albens. Que sait-on d’elle de façon plus précise?
Elle a donné lieu à de multiples recherches dans le passé. Peut-on aussi, à partir des découvertes du XIXe siècle et de témoignages plus récents, en dessiner le tracé général.
C’était une voie dallée (Pierre Broise la qualifie de voie romaine principale) dont on a retrouvé des portions à Braille, aux Grandes Reisses (en 2 points), aux Coutres (en 3 points) et à Orly. Dans le village actuel, sa présence a été signalée en 1911 derrière la gare des marchandises, dans le prolongement direct d’une autre partie découverte quelques années plus tôt au Nord (jardin Picon) .
Cette voie devait suivre, à peu près, le tracé de la voie ferrée, donc traverser le village du Nord au Sud, où après avoir passé le ruisseau de l’Albenche, elle suivait jusqu’à Orly le vieux chemin actuel. Au delà d’Orly, son tracé fut retrouvé en 1869 ; un propriétaire mit à jour de grosses pierres enfoncées de 50cm dans le sol.
Doublant cette voie, existaient certainement des chemins muletiers qui longeaient les coteaux à l’Est et à l’Ouest (de Pouilly à la Biolle).
Mais c’était la voie principale, dallée, orientée Nord-Sud qui déterminait l’organisation d’Albinnum.
Essayons une description du village à partir des vestiges immobiliers mis à jour depuis deux siècles.
2 Albinnum, il y a 18 siècles
Albinnum
Nous proposons un plan qui n’est en aucun cas une représentation exacte du village autrefois. Ce document est plutôt à prendre comme une tentative de délimitation sommaire des principaux quartiers du vicus.
De part et d’autre de la voie, quatre ensembles paraissent avoir concentré les constructions.
* La Ville
Vaste monticule de 3 hectares, entouré d’une enceinte de 270m par 110, il se remarque bien dans le paysage aujourd’hui encore.
Un rempart en gros galets, de plusieurs mètres de hauteur, défend la colline de la ville du côté Est et sur l’angle Sud Est. Il fait de cette colline peu élevée (365 m environ), au milieu des marais, un site défensif. Un puits en son centre assure son approvisionnement en eau potable.
On y a découvert de nombreux vestiges antiques (inscriptions, marbre, tuile) et récemment deux fragments de colonnes.
On peut y voir un point fortifié celte, existant avant l’arrivée des romains, transformé par eux, quatre siècles plus tard (au moment des invasions) en Castrum.
* Le quartier des Coutres
C’est le quartier qui regroupait les principaux édifices connus.
Thermes et Portiques – Temples – Bâtiments principaux d’une villa – Habitations – Un relais de poste (la voie longeait ce quartier).
– les thermes, dits Bains de C Sennius Sabinus
On connait leur existence par deux inscriptions : CIL n° 2493 et 2494.
Elles nous apprennent qu’il s’agit d’une donation faite par C. Sennius Sabinus « préfet des ouvriers » aux habitants du Vicus d’Albens ; donation d’eau et du « droit d’amener ces eaux par une conduite ». À cela s’ajoute la donation d’un bain public, d’un terrain d’exercice et de portiques.
On sait que ces inscriptions dateraient du milieu du Ier siècle.
Il est difficile de déterminer l’emplacement des thermes ; on peut toutefois dire qu’ils devaient se situer entre l’actuel cimetière et la RN 201, car on a trouve là des pilettes (soutient du sol de la salle chaude).
Quant à la conduite qui amenait l’eau de Saint-Marcel à Albens, on aurait retrouvé sa trace au nord des Coutres, dans les marais. Il s’agit d’une conduite en tuiles cimentées (tuiles plates ou tegulae).
Ainsi, on peut affirmer que vers 50 après JC, les habitants d’Albinnum disposaient de bains publics dus à la générosité d’un riche citoyen romain, préfet du génie, appartenant à une famille influente de la région en rapport avec Vienne.
– les temples
Le vicus possédait, semble-t-il, un temple de Mercure et un autre dédié à l’empereur Septime Sévère.
Comme pour les thermes, leur existence est connue grâce à des inscriptions et à des trouvailles archéologiques.
Le culte de Mercure est attesté à Albens par une inscription CIL, XII, 2490. Leur localisation est impossible à préciser. Le seul élément permettant de situer l’un de ces temples provient de découvertes archéologiques faites au XIXe siècle.
Sur l’emplacement de l’ancienne église et du cimetière, ont été mis à jour un « plan uni, pavé de dalles », des colonnes et des chapiteaux. On pense qu’il s’agissait d’un temple ; d’après la dimension des bases des colonnes de marbre blanc, elles devaient avoir une hauteur de 10m.
Le seul élément d’architecture visible aujourd’hui se dresse dans l’ancien cimetière. C’est « la colonne des curés », fût de 4m de haut sur une base antique, taillé dans le calcaire (laisserait-elle supposer l’existence d’un autre temple ?).
À partir de ces quelques éléments, on peut dire que, sous la dynastie des Sévères (193-235), on pratiquait le culte impérial et on vénérait Mercure à Albens. Un ou des temples de grande dimension devaient donc exister dans le secteur Sud-Est du vicus.
– un relais de poste
Sa présence n’est pas prouvée mais reste possible.
Charles Marteaux écrit dans son étude de 1913 sur « La voie romaine de Condate à Aquae (Aix-les-Bains) » : « Il est probable que Lemincum et Condate étaient les deux mansiones extrêmes, avec Albinnum, comme mutatio ou relais spécial, si toutefois cette voie était affectée au cursus publicus du service de la poste impériale ».
Ainsi l’existence d’un relais est présentée comme probable. Le bon sens ne peut-il pas, à défaut de témoignages précis, suppléer à l’absence de sources ?
– les habitations
Elles devaient être disposées tout le long de la voie. Les recherches archéologiques menées ces dernières années n’ont pas permis de fouiller une de ces habitations en totalité. Nous ne sommes pas en mesure de nous faire une idée de leur plan.
On peut toutefois noter pour l’ensemble de ces constructions, nombreuses aux Coutres (au Nord de la RN 201), la présence fréquente de murs en galets. Les sols de ces maisons étaient dallés (dallage en briquettes rouges, en galets, …)
L’eau provenait peut-être de la conduite en tuiles cimentées qui alimentait les thermes. Les habitants disposaient de puits (en 1907, on en découvrit un le long de la RN 201).
La présence de nombreuses tuiles plates (tegulae) et de clous nous permettent d’imaginer une couverture en tuiles rouges sur charpente de bois pour la plupart de ces demeures.
* La nécropole
Les cimetières romains étaient placés le long des voies, à la sortie des villes. Albens ne fait pas exception.
Il est possible de situer de façon précise cette nécropole (sur l’emplacement actuel des écoles et du collège).
– de nombreuses découvertes anciennes :
À la fin du XVIIIe siècle, mise à jour d’un tombeau, près du vieux chemin des Coutres dans la direction de Futenex ; tombeau fait de briques et de pierres grossières, il était recouvert par une pierre portant l’épitaphe suivante : « À Titia, âme très douce, morte à l’âge de 25 ans et 3 mois ».
D’autres inscriptions découvertes par la suite sont conservées au CIL n° 249_ et 2499.
La première nous fait partager la douleur de Rutilius Aurelius et Divilia Licina, parents éplorés, qui viennent de perdre leur fille Divilia Aurelia morte à l’âge de quinze ans et six mois.
L’autre nous apprend qu’un fils a élevé un tombeau à son père et à son frère Octavianus.
Au total, sept épitaphes furent mises à jour. C’est dire l’importance de la nécropole. À ces épitaphes, il faut joindre la découverte de l’urne cinéraire en verre dont nous avons déjà parlé.
Cela nous renseigne sur les pratiques funéraires : importance de l’inhumation mais aussi pratique de l’incinération.
– des découvertes plus récentes :
À l’occasion de la construction du collège, entre 1976 et 1978, des découvertes nous ont apporté des informations supplémentaires. La nécropole romaine a été utilisée après la chute de l’empire romain durant les premiers siècles du Moyen Âge (Ve au IXe).
En 1976-1977, de nombreuses tombes en molasse ont été mises à jour et en grande partie détruites par l’ouverture du chantier du collège. Les tombes ont pu être rapidement étudiées et l’une d’entre elles sauvée.
Toutes ces tombes étaient orientées Est-Ouest. Le mort, allongé sur le dos, avait la tête à l’Ouest, tourné vers le couchant. Aucun mobilier significatif n’accompagnait les morts. On a été conduit à dater cette nécropole du haut Moyen Âge (nécropole burgonde du VIe ou VIIe siècle ?).
Déjà en 1878, lors de la construction des écoles, on avait trouvé des tombes en molasse, de grands squelettes et des bracelets. Ce qui confirme l’importance de cette nécropole burgonde succédant à la nécropole romaine.
* La colline de Bacchus
Ce quatrième ensemble construit se situe plus à l’écart du vicus gallo-romain, dominant le village au Sud-Ouest.
On est sûr de la présence romaine à Bacchus. Des ramassages de surface ont fourni de la céramique, des fragments de tuile.
Il est plus difficile de préciser où devaient se trouver les constructions romaines ; probablement entre le lotissement de Bacchus et le hameau de La Paroi.
Ce secteur-là a fourni dans le passé de nombreux vestiges mobiliers et immobiliers.
– des vestiges immobiliers :
Il s’agit de colonnes, découvertes au XIXe siècle. Elles sont visibles aujourd’hui à l’entrée d’une demeure du hameau de La Paroi. L’une d’entre elles est surmontée d’une croix ; les autres sont disposées de part et d’autre de l’entrée. Ce sont deux bases attiques, deux fûts à astragales et un tambour de colonne, inventoriés en 1954 par Pierre Broise.
Y avait-il un temple sur la colline de Bacchus ? Lors de la découverte des colonnes au XIXe, on l’a écrit. On ne peut en dire plus.
– des vestiges mobiliers :
En particulier une bague en or avec entaille en cornaline ainsi qu’une épée (aujourd’hui dans un musée à Turin).
* Il faut, pour en finir avec la description d’Albinnum, aborder le problème des VILLAE.
La villa est le centre d’exploitation d’un domaine agricole. Elle est souvent entourée des CASAE des paysans pauvres, avec de simples murs de pierres. La villa est donc la partie construite d’un domaine agricole, comprenant deux ensembles : la demeure du maître bien construite, et les cabanes grossières des paysans. Chaque domaine pouvait exploiter jusqu’à 30 hectares.
Si de tels domaines ont existé autour d’Albens, nous n’en avons pas retrouvé avec certitudes les traces archéologiques. Il faut donc s’appuyer sur la toponymie pour en dresser la liste.
Les villae ont laissé leur souvenir dans les noms comme Pégy, Pouilly, Bacuz, Marline, Orly .
En effet, le domaine portait le nom de son propriétaire : PAULUS suivi du suffixe ACUS ou IACUS donnant PAULIACUS ; en se déformant cela aurait donné PAULHAC – POUILLE et POUILLY.
Tarancy, près de La Biolle, devait être le centre du domaine de Térentiacus (découverte vers 1866 de monnaies du Ier siècle).
À Longefan, existait aussi une villa qui a livré de nombreux vestiges (bases de colonnes, médailles, inscriptions, …).
On le voit, ces nombreux domaines sont à l’origine des divers hameaux de la campagne albanaise actuelle.
L’importance des domaines agricoles nous conduit tout naturellement à nous pencher sur l’activité des habitants d’Albinnum. De quoi vivaient-ils ?
Quelles étaient leurs croyances?
3 La Société : croyances et activités
La religion romaine à Albens
Les cultes à l’époque romaine
On a déjà eu l’occasion de présenter certains de ces aspects au cours de cette étude : culte impérial, dédicace à Mercure, culte des morts avec inhumation et incinération.
Nous reviendrons sur un aspect de ces cultes : celui de Mercure.
– Le nom de Mercure recouvre plusieurs aspects : divinité gréco-romaine (dieu des voyageurs et des commerçants) ; divinité latine (Mercure est associé à Maïa à Annecy, à Châteauneuf où l’on a mis à jour un petit temple avec dédicace) ; divinité gauloise (dieu des sommets).
– Le culte de Mercure est très important en Savoie. Bien attesté par de nombreuses inscriptions et fragments de statues : une dizaine de dédicaces et un caducée (attribut de Mercure) trouvé à Lemenc, visible au musée savoisien.
– Le fait que Mercure ait été l’objet d’un culte à Albens n’est pas surprenant. Albinnum est bien inséré dans le réseau d’échanges et de communications : sur une voie romaine principale, affectée peut-être au service de la poste impériale, en liaison commerciale avec Condate (Seyssel) et Aquae (Aix-les-Bains). Le village était un relais, une étape commode pour les marchands et les voyageurs, qui ne se lançaient pas le lendemain sur les routes, sans se mettre sous la protection de Mercure.
Albinnum : ses habitants et leurs activités.
-Ce sont les inscriptions qui nous apprennent le nom de certains habitants.
Sennius Sabinus (le donateur des Bains), Certus, S. Vibrius, Punicus, Primius Honoratus, la famille des Lucinii…
Ces gens appartiennent essentiellement à la couche la plus élevée du vicus. Ils ont été préfet du génie, préfet de cavalerie, préfet de Corse ; l’un d’eux est un affranchi impérial.
Peu de noms gaulois, à l’exception de G. Craxius Troucillus.
En réalité, cette couche sociale la plus élevée d’Albinnum ne correspond en fait qu’à la couche sociale moyenne de la société impériale. C’est à coup sûr, en son sein, que devaient se recruter les membres de l’organisation administrative du vicus.
L’essentiel de la population, peuple d’agriculteurs gaulois, esclaves achetés par les maîtres des villae, n’a laissé aucun témoignage écrit, étant enterré dans de simples tombes sans épitaphes.
Comme c’est souvent le cas pour les périodes anciennes, l’histoire des humbles est difficile à faire, faute de documents, les riches ayant alors le monopole de l’écriture et de l’instruction.
-L’activité principale était l’agriculture. L’artisanat devait être une ressource complémentaire non négligeable.
Que cultivait-on à l’époque ?
Le blé tout d’abord. Un historien romain, Pline (Histoire naturelle XVIII, 12) nous raconte : « C’est aussi le froid qui a fait découvrir le blé de trois mois, la terre étant couverte de neige pendant l’année ; trois mois environ après qu’il ait été semé, on le récolte… Cette espèce est connue dans toutes les Alpes ».
Ce blé était ensuite broyé sur place, à l’aide de meules dont plusieurs exemplaires ont été mis à jour aux Coutres (en 1907 puis en 1950).
La vigne était également connue, certainement cultivée sur les coteaux de Pouilly. L’historien Pline parle de « L’Allobrogie, dont le raisin noir mûrit à la gelée ».
L’élevage est attesté par les résultats des fouilles entreprises sous ma direction entre 1978 et 1981. Elles ont livré un grand nombre de restes osseux : bovins, moutons, chèvres, porcs mais aussi sangliers.
On peut également en tirer des renseignements sur l’alimentation.
Restes d’animaux trouvés à Albens
On s’aperçoit de l’importance de l’élevage qui fournit l’essentiel de l’alimentation carnée : toutefois, la chasse aux animaux sauvages n’est pas absente dans l’apport alimentaire.
On sait enfin (sources littéraires) que le fromage est déjà un produit réputé.
L’artisanat.
On tire des informations sur les activités artisanales des objets découverts en fouille : pesons, restes de foyer – peut-être de fours.
Les pesons ou contrepoids de métier à tisser. Six exemplaires ont été découverts au cours de nos recherches. Ils laissent supposer l’existence d’un artisanat textile domestique (tissage de la laine, des étoffes pour les braies et les manteaux gaulois).
Des restes de fours (deux ?) ont été mis à jour également. Dans une petite surface contenant beaucoup de cendres et charbons de bois, on a découvert des fragments d’argile ayant subi des températures élevées sur une face et moindre sur l’autre. Des scories sont en cours d’analyse.
Était-on en présence de restes de fours ? On sait que l’on utilisait des fours très rudimentaires : dans une fosse, enduite d’argile, on plaçait les objets à cuire, que l’on recouvrait de bois, et le tout d’une voûte en argile (ce qui limite les déperditions caloriques et concentre la chaleur). La cuisson terminée, on cassait la voûte d’argile pour récupérer les objets cuits. Ainsi s’expliquent les fragments d’argile dont les deux faces n’ont pas subi le même degré de cuisson.
Ces fours peuvent aussi bien être destinés à la cuisson de céramiques que de produits alimentaires, ou à des activités métallurgiques.
Ainsi, le tissage et l’art du potier semblent avoir été les principales activités artisanales, dans le cadre d’une économie d’auto-consommation.
Voici donc un vicus que nous avons vu vivre durant les trois premiers siècles de notre ère. Il était un centre secondaire de l’Allobrogie, mais d’une toute première importance dans l’Albanais.
Il va connaître un premier déclin à partir de la crise du IIIe siècle et de l’invasion des Alamans (260-280).
Le déclin sera définitif avec l’installation des Burgondes à la fin du Ve siècle. Ces derniers s’installent à Albens et réemploient la nécropole romaine.
Au VIe siècle, semble-t-il, le christianisme est attesté à Albens. Au VIIe siècle, on frappait monnaie dans le Vicus Albenno. Au Xlème siècle, on trouve les termes de « In pago Albanense », « in valle Albenensi » dans les chartes de Cluny.
Puis c’est l’oubli complet durant des siècles. Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que des textes reparlent d’Albens ; mais c’est une autre histoire, avec d’autres méthodes, peut-être la matière d’un autre article.
Jean-Louis HEBRARD
Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987
Elèves regroupés autour du maître d’école à Saint-Germain ou Ansigny, garçons de la classe 1912-1913 et groupe de filles disposé devant la fruitière à La Biolle par le photographe L. Grimal, nous ne manquons pas d’image du très nombreux peuple des enfants.
Dans le monde d’avant 1914, l’enfant unique n’est pas l’idéal familial qu’il deviendra par la suite. Qu’il naisse dans une famille de cultivateur si nombreuse dans le canton ou chez divers artisans et commerçants du bourg d’Albens, l’enfant semble alors le « bienvenu ». L’étude du recensement de 1911, le dernier effectué avant la Grande guerre, laisse bien percevoir l’importance des familles dans lesquelles les fratries de 3 à 6 enfants se rencontrent souvent. N’oublions pas que l’absence de contraception, le discours moral ou religieux ambiant, l’économie avide de bras peuvent être avancés comme autant d’éléments explicatifs.
Tous ces enfants sont alors éduqués dans la « religion du devoir ». Voici un livre de lecture expliquée destiné aux cours moyens. Il s’ouvre par un texte intitulé « Le devoir » ; Jacques travaille courageusement à bêcher son jardinet quand, à cause de la chaleur, il décide de faire une pause et s’endort. Soudain il se réveille, se lève d’un bond, car il vient de se souvenir qu’il a promis à son père de tout terminer avant la nuit. Il se remet aussitôt au travail car, lit-on en conclusion : « notre petit homme veut tenir sa promesse ».
La rédaction proposée en complément demande de « raconter un fait prouvant que vous avez tenu une promesse faite à votre instituteur ».
Devoir vis-à-vis de son père, de son instituteur prépare l’enfant à un devoir supérieur, celui qu’il doit à la patrie.
« Devoir et Patrie », tel est le sous titre d’un livre très apprécié à l’époque : « La Tour de France par deux enfants ». Comme annoncé dans l’avant-propos, le livre se veut un hymne à la patrie. Faisant l’éloge des ressources nationales après la défaite contre l’Allemagne, il établit la base de la « Revanche ».
Voyez aussi cette planche d’images d’Epinal intitulée « La petite guerre ». On y voit un groupe d’enfants costumés en soldats, pantalon rouge et veste bleue, repoussant hardiment l’ennemi « prussien ».
Les jeunes « poilus » de 1914 auront tous joué à la petite guerre et appris à lire dans « Le Tour de France par deux enfants ».
Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie