Kronos reçoit la visite de V.E.L.O.

Ce samedi 11 juillet, l’association V.E.L.O. (Voyage Écologique Local Oxygéné) entamait la première étape de son « Échappée autour des Bauges », voyage à vélo de quatre jours mixant cyclisme et culture. L’association avait choisi l’Espace patrimoine d’Albens pour découvrir plus particulièrement l’histoire des chaussures « Lux Alba ». Contact avait été pris grâce au site www.kronos-albanais.org.
En respectant les gestes barrières (gel et masques mis à disposition) et par groupe de dix personnes, les cyclistes découvraient l’aventure industrielle des sœurs Cathiard qui firent produire durant la seconde guerre mondiale de belles chaussures en raphia vendues jusqu’à Lyon et Paris. Une vitrine permettait de comprendre l’élaboration et la confection de ces chaussures réalisées par une main-d’œuvre locale.

Après la visite (cliché B. Fleuret).
Après la visite (cliché B. Fleuret).

Après de fructueux échanges et une photo de groupe, les cyclistes sont repartis sous le soleil vers Montagny-les-Lanches, destination de leur première étape.

Assemblée Générale 2020 – repoussée

Étant donnée les circonstances sanitaires actuelles, l’Assemblée Générale est repoussée à une date ultérieure.

 

Kronos vous invite à son Assemblée Générale, qui aura lieu le vendredi 3 avril 2020 à la salle des fêtes de Mognard.
Elle sera suivie par la projection du film « Le Royaume partagé, ou l’histoire des États de Savoie », présenté par Claude Mégevand, co-fondateur de la société d’Histoire de la Salévienne.

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Appel à don : reconstruction du four de Braille

L’association Kronos est actuellement en partenariat avec la Fondation du Patrimoine. À ce titre, Kronos est chargée de collecter les dons sous forme de chèques libellés à l’ordre de « Fondation du Patrimoine, Four de Braille à Entrelacs ».

Plus d’informations sur le site de la Fondation du Patrimoine, sur lequel vous pouvez directement faire un don donnant droit à une réduction d’impôts, et dans la brochure ci-dessous.

Bon de souscription pour la reconstruction du four de Braille page 1
Bon de souscription pour la reconstruction du four de Braille page 1
Bon de souscription pour la reconstruction du four de Braille page 2
Bon de souscription pour la reconstruction du four de Braille page 2

Timbres et monnaies, miroirs politiques (1937-1946)

Lorsque la guerre commence pour la France, le 3 septembre 1939, la Troisième République est en place depuis 65 ans. Personne ne peut alors imaginer les bouleversements à venir : disparition de la république remplacée en 1940 par l’État Français, régime autoritaire de Pétain, puis retour aux valeurs démocratiques en 1944 avec le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) conduit par De Gaulle, aboutissant en 1946 à l’installation de la IVe République. Des changements de régime qui se lisent encore sur les timbres et les monnaies de l’époque.

Le 1F50 de 1941
Le 1F50 de 1941

Le 25 janvier 1941, le profil de Philippe Pétain, chef de l’État Français, s’affiche pour la première fois sur tous les courriers que les Français vont s’échanger tout au long de l’Occupation. Dessiné par Jean Eugène Bersier et gravé par Jules Piel, l’effigie du chef, véritable médaille, est posée sur un lit de feuilles de chêne. La référence à l’arbre vénérable venu du fond de l’histoire de France, le profil à l’antique de l’octogénaire sont là pour frapper les esprits de façon insidieuse. Toute référence à la république a disparu, laissant la place à la mention « Postes Françaises » très en lien avec la politique pétainiste de « Révolution Nationale ». Jusqu’à présent, seul Napoléon III avait figuré de son vivant sur les enveloppes. Pétain s’assoit à son tour sur une règle de l’Union Postale Universelle voulant qu’on ne puisse avoir un timbre à son effigie qu’après son décès. Pour s’inviter quotidiennement dans les foyers, il n’y a rien de mieux quand on sait que ce timbre, de couleur brun-rouge, au tarif de 1F50, sera tiré à 3 852 800 000 exemplaires entre janvier 1942 et juin 1944. C’est une rupture complète avec la IIIe République qui produisait des timbres à la gloire des dieux Mercure et Iris ou de la très célèbre Semeuse.

Semeuse et sport d'hiver, timbre de 1937.
Semeuse et sport d’hiver, timbre de 1937.

Comme on peut le voir sur ce très beau timbre de 1937, la République Française est inscrite en toutes lettres ou figure sous la forme abrégée RF. Point d’effigie du président de la république Albert Lebrun réélu en 1939 mais une belle évocation de la pratique du sport à Chamonix-Mont-Blanc voisinant avec l’allégorie de la semeuse.
Tout comme pour les timbres, la guerre des devises et des symboles se lit sur les monnaies.

IIIe République, État Français, les monnaies
IIIe République, État Français, les monnaies

La trilogie républicaine « Liberté Egalité Fraternité » surmontée par deux épis trône en lettres majuscules, façon antique, sur l’avers de la pièce de 10 francs de 1930. Autre trilogie sur la pièce de 1943. Vichy y proclame son « Travail Famille Patrie » vite transformé par les Français affamés en « Travail famine Patrie ». Au revers de ces pièces, le beau profil de la République Française cède la place à la francisque de l’État Français. Cette dernière a été conçue comme « symbole du sacrifice et du courage » pour une « France malheureuse renaissant de ses cendres ». Le médecin et conseiller privé de Pétain, Bernard Ménétrel, est à l’origine de cet « objet » conçu pour être une décoration et qui va devenir « l’emblème » du maréchal. Pour renforcer l’attachement au chef de l’tat, le bâton de maréchal de France couvert d’étoiles est substitué au manche de la hache. Cette arme fait-elle référence à une arme celte ou franque ? Dans un article de presse de janvier 1941 on lit « Voilà donc la francisque des Francs promue au rang de symbole national ». Une référence qui entre en conflit avec le mythe scolaire de nos « ancêtres les Gaulois ». Pour trancher cette question, l’arme est baptisée par le régime « francisque gallique ». Très vite cette « arme politique » va entrer en conflit avec une croix, celle de Lorraine, symbole de la France Libre.

Timbres aux chaînes brisées – 1944
Timbres aux chaînes brisées – 1944

Imprimée à l’été 1944, la série de timbres appelée « aux chaînes brisées » est emblématique de la Libération. Ce timbre d’usage courant, de format vertical, créé par André Rivaud, gravé par Henri Cortot, traduit l’esprit du moment. La France enfin libre célèbre la sortie des fers qui l’enchaînaient. La république est restaurée en majuscule. Au cœur du monde libre, l’écusson tricolore du pays vient d’être relevé sous l’égide du général De Gaulle. Les timbres de l’État Français sont démonétisés en août 1944. Certes l’effigie du maréchal circule encore quelques temps mais avec des surcharges du type « Chambéry FFI Savoie 1F50 » que le nouveau gouvernement autorise un temps. Bien vite, les courriers mal affranchis sont refusés ou renvoyés à l’expéditeur. La république est désormais affirmée tant sur les timbres que sur les monnaies.

Timbres de la Libération
Timbres de la Libération

Marianne au bonnet phrygien fait son apparition, le coq dressé sur ses ergots proclame haut et fort le renouveau républicain. Bientôt, la croix de Lorraine disparaîtra des timbres avec le départ du général De Gaulle du gouvernement et Marianne régnera seule sur les courriers de la IVe République.

Monnaie de 1946
Monnaie de 1946

Tout change aussi dans les porte-monnaie. C’est maintenant le règne de la grande pièce de cinq francs frappée dans l’aluminium, grâce à laquelle les générations du baby boom vont se régaler des friandises (rouleaux de réglisse, poudre acidulée…) que la nouvelle société de consommation offre désormais.

Jean-Louis Hébrard

Sortir de la guerre

Les villes de Aix-les-Bains et Chambéry sont libérées fin août 1944 mais il faut attendre le printemps 1945 pour que les combats prennent fin en Haute-Maurienne et Tarentaise. À ce moment, la libération de la Savoie est complètement terminée. Le 8 mai 1945, l’Allemagne nazie capitule mettant fin aux combats en Europe. Pour autant notre pays et notre région ne sont pas entièrement sortis de la guerre qui fera sentir ses effets durant quelques années encore. Mais dans le même temps, un souffle de modernisation traverse l’époque modifiant les façons de vivre et de penser.
Le rationnement mis en place dès le début du conflit ne disparaît pas de façon magique avec la proclamation de la victoire. Dans les carnets de tickets conservés par les familles, on est surpris de voir que l’usage de ces derniers s’égrène au long des années 1946, 1947… jusqu’en 1949.

Des tickets durant quatre années de plus (archive privée)
Des tickets durant quatre années de plus (archive privée)

On eut bien de l’espoir en mai 1945 avec la suppression de la carte de pain, mais devant les difficultés économiques il fallut la rétablir au mois de décembre de la même année. Une situation qui ne va s’améliorer qu’avec la signature en 1948 du plan Marschall et l’aide américaine de 2,7 milliards de dollars accordée à notre pays. Un an plus tôt, rapporte un historien, « la ration de pain est à son plus bas niveau depuis 1940 », ce n’est plus le cas en 1949. L’aide massive venue d’Amérique joue à plein : la carte de pain est supprimée le 1er février 1949, début avril, la confiture et les pâtes sont librement disponibles, suivi quinze jours après par les produits laitiers. Début décembre, les derniers tickets disparaissent pour le sucre, l’essence et le café. Quatre ans et une aide extérieure ont été nécessaires pour que les conditions de vie s’améliorent enfin. Entre temps, il aura fallu surmonter l’état de destruction avancé de nos réseaux de transport, de nos sources d’énergie et de notre parc immobilier à Chambéry, Modane et ailleurs.
« Vous nous dites d’aller vous voir un jour », écrivent des lyonnais à leurs cousins d’Albens en octobre 1944, « mais ce n’est pas si facile… les trains ne sont pas prêts de marcher régulièrement ». Il n’y a pas que les destructions provoquées par les combats et les bombardements aériens qui freinent les déplacements, il y a aussi les difficultés qu’entraîne le manque d’essence et de caoutchouc. L’historien André Palluel-Guillard dans « La Savoie de la Révolution à nos jours » dresse ce portrait de la situation économique : « La production industrielle de 1945 est à peu près équivalente à celle de 1942, soit la moitié de celle de 1938. Si la pénurie de carburant et de pneus gêne les transports et la circulation même à bicyclette, celle de l’électricité compromet aussi bien l’éclairage que l’industrie ».

La gare de Chambéry en 1944
La gare de Chambéry en 1944

C’est pourquoi le pays va se mettre au travail pour reconstruire et moderniser comme invite une affiche et sa formule bien connue : « Retroussons nos manches, ça ira encore mieux ! ». L’Albanais n’est pas en reste dans ce domaine avec l’électrification de la ligne de chemin de fer Aix-les-Bains/Annecy. Un projet conçu dès 1943 par l’ingénieur Louis Armand. Ce dernier, explique H. Billiez dans un article en ligne, « réunissait quelques spécialistes pour envisager l’électrification des lignes de chemin de fer à réaliser après la guerre. Au cours de cette réunion est évoquée l’utilisation du courant alternatif en fréquence industrielle, celui que produisent les centrales électriques… Il fut décidé d’électrifier selon ce type de courant une ligne française et tout naturellement Louis Armand choisit « sa » ligne, celle d’Aix à Annecy. Les travaux débutèrent fin 1949 ».

Livre scolaire de 1950 : motrice électrique.
Livre scolaire de 1950 : motrice électrique.

Quelques années plus tard les motrices électriques de type BB allaient circuler sur cette voie qui servira ensuite de modèle à toutes les lignes actuelles.
Le chantier du renouveau économique étant lancé, qu’en est-il du renouveau politique qu’implique aussi la Libération ? Dès l’automne 1944, la Résistance va participer très rapidement au pouvoir local. De nouveaux sigles deviennent familiers : CDL et CLL (Comité Départemental et Comité Local de Libération) ou encore FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) sont partout présents dans la presse ou à la radio. En octobre 1944, le Journal du Commerce annonce le grand gala FFI qui se tient à Albens. Il est donné au profit des réfugiés de Maurienne fuyant les atrocités perpétrées par les troupes de l’Allemagne nazie en retraite vers l’Italie. La semaine suivante, le journal ayant relaté le succès remporté par le spectacle rajoute : « La séance se termina par une vibrante Marseillaise et la foule acclama le Général De Gaulle dont l’effigie lui fut présentée pendant l’exécution de l’Hymne National ». Mise en scène qu’il faut sans doute replacer dans la préparation de la venue du Général en Savoie et Haute-Savoie début novembre. Le pouvoir central a du mal à faire entrer dans les rails les instances issues de la résistance locale. Ces dernières ont remplacé les conseils municipaux du temps de Vichy. Fin septembre, la presse locale donne la composition des nouvelles municipalités qui viennent de s’installer à Cessens, La Biolle, Saint-Germain, Saint-Girod, La Motte-Servolex, Ruffieux, Saint-Ours, Épersy, Mognard…
Au même moment le nouveau conseil municipal de Montmélian « décide l’apposition au monument aux morts d’une plaque commémorative à la mémoire des FFI tombés le 23 août 1944 pour la libération de Montmélian ». Une nouvelle page mémorielle est ajoutée au grand livre des morts pour la France. Dans le martyrologue national, le résistant FFI prend la relève du poilu tant célébré auparavant. Bientôt les conseils municipaux élus en avril 1945 vont remplacer ceux installés dans la foulée de la Libération. « Petit à petit dès la fin de 1945 », écrit l’historien Palluel-Guillard, « les signes de rétablissement de l’ordre politique, administratif et économique se multiplient ».
Il reste encore à affronter la joie et la douleur que provoque le retour de tous les libérés des bagnes nazis, déportés, prisonniers de guerre, requis du STO.

Char des prisonniers de guerre (fête de la terre – Albens 1946) archive privée.
Char des prisonniers de guerre (fête de la terre – Albens 1946) archive privée.

Ainsi, en novembre 1945, la Haute-Savoie voit le retour de 4 200 prisonniers de guerre sur les 4 500 retenus en 1940. La moitié des 900 déportés des camps d’extermination ne reverront plus jamais Annecy. Le rapatriement des hommes du STO va se faire plus lentement (760 reviennent rapidement chez eux sur les 1 500 qui furent contraints de partir en Allemagne). Parmi les chars qui défilent en 1946 pour la fête de la terre à Albens, on peut remarquer celui qui commémore le souvenir douloureux de tous ces prisonniers. Entourées de barbelés et dominées par un mirador, on remarque les nombreuses baraques du camp. Une jeune fille, toute de blanc vêtue, ceinturée de tricolore symbolise sûrement la France combattante et victorieuse du nazisme en route vers un monde plein d’espoir en des lendemains nouveaux.

Jean-Louis Hebrard

S’occuper des enfants – 1940/1945

Dès l’automne 1940, les jeunes enfants sont classés par l’administration de Vichy en catégories qui permettent de « gérer » la pénurie alimentaire. Ainsi apparaissent les J1 (3/6ans) suivis des J2 (6/12 ans) auxquels on octroie des « rations adaptées ». À cette pénurie s’ajoutent toutes les peurs qu’engendrent les violences de la guerre. Cette population enfantine n’a pu traverser les épreuves de ces années noires sans l’attention et les soins apportés par les adultes. Des entretiens et des témoignages recueillis dans la région vont « éclairer » ce sujet.

Groupe d'enfants (dessin de 1942)
Groupe d’enfants (dessin de 1942)

Alors enfants ou jeunes filles, ces témoins sont unanimes à dire « nous sentions bien que nos parents n’étaient pas rassurés », mais rajoutent-elles, « tout cela était diffus ». Dans un ouvrage publié par les anciennes élèves du Lycée de jeunes filles de Chambéry, l’une d’elle raconte : « l’ambiance générale incitait à une grande discrétion et, en tous cas, ce n’était pas des problèmes d’enfants ». Dans l’Albanais, le témoignage d’Henriette nous révèle que l’on pouvait rendre joyeux les jeunes enfants des années 40. Cette jaciste très active avait alors pris en charge une douzaine de « pré-jacistes » âgées de dix à douze ans qu’elle réunissait le dimanche après-midi dans une salle proche du Foyer albanais pour chanter ou organiser des jeux. « Les filles s’amusaient tellement », dit-elle, « qu’une amie venant nous rejoindre fut surprise par les rires et les exclamations qui s’entendaient depuis la place de l’église ».

Carnet de chansons JACF (collection privée)
Carnet de chansons JACF (collection privée)

Quand nous manquions d’idées, on pouvait toujours avoir recours aux carnets édités par la JACF comme ces « Chansons mimées » ou encore « Cent jeux pour veillées ». Des jeux simples et sans prétention tel celui qui demandait un peu d’adresse et de concentration pour arriver à transvaser un liquide dans le noir. On se divertissait en mimant des chants bien connus comme « Au jardin de mon père » ou « La laine des moutons ». Quand le temps le permettait, nous faisions de belles marches sur la route de Rumilly. À l’époque, ce n’était pas le trafic automobile qui pouvait nous déranger. Tout au plus rencontrions-nous deux ou trois voitures et quelques vélos. Réunions, jeux et promenades sont alors autant de d’occasions de rompre avec le « vide » des dimanches après-midi.
Souvent, à partir du milieu de la guerre, des enfants venus des villes voisines ou plus éloignées se retrouvaient hébergés par les familles du canton. Au Mazet, dans la ferme de mes parents, rapporte Henriette, on a reçu des enfants d’Aix-les-Bains, de Saint-Étienne et toute une famille venue de Modane après le bombardement de la ville en 1943. Elle se souvient particulièrement de « Violette qui lisait tout le temps et de son frère Claude qui était toujours dans l’atelier de mon père ». Enfants de réfugiés d’Alsace venus s’installer à Aix-les-Bains, ils souffraient du manque de nourriture.

On exploitait le charbon à Saint-Étienne (collection privée)
On exploitait le charbon à Saint-Étienne (collection privée)

« On a eu aussi des enfants des mineurs de Saint-Etienne » qui ont été hébergés par les familles de la commune. « Le petit Joseph qui est venu chez nous était bien pâlichon », mais bien vite « il a pris des couleurs ». La campagne, malgré les difficultés est alors bien plus nourricière que la ville.
Une ancienne élève du Lycée de jeunes filles de Chambéry se souvient d’un été à la campagne, loin de la ville : « Les possibilités de nourrir les enfants… étaient bien plus faciles à la campagne avec du lait, du fromage de ferme, des œufs, un jardin, les fruits du verger. J’allais regarder la traite des vaches à l’étable de la ferme voisine… Le ramassage des œufs pondus dans des petits paniers de bois garnis de paille me passionnait ; les poules nous jetaient des coups d’œil indignés… ».

Les enfants à la campagne, dessin 1942 (collection privée)
Les enfants à la campagne, dessin 1942 (collection privée)

Il n’y a pas eu que les enfants venus se refaire une santé pendant les mois d’été, raconte Henriette. Lorsque la Savoie a été bombardée, les communes du canton ont été sollicitées pour accueillir des enfants et leur famille. Après le bombardement de Modane se souvient-elle encore, « nous avons hébergé toute une famille, le père, la mère et leurs trois enfants. On les a logés dans l’atelier de mon père. On s’est organisé pour les faire dormir au chaud, bien enveloppés dans des couvertures et on les faisait manger ».

Journal du 12 novembre (archives en ligne).
Journal du 12 novembre (archives en ligne).

En 1944, dans le bulletin paroissial de La Biolle, une demande est adressée aux familles pour les mêmes raisons, écrit Henri Billiez dans le numéro 32 de la revue Kronos. « En mai 1944, il est fait appel aux foyers de La Biolle qui accepteraient d’accueillir des enfants, pour les mettre à l’abri des bombardements qui ravagent nos centres industriels et ferroviaires et nos ports. Un même appel avait été lancé quelques mois auparavant ». C’est que la guerre aérienne touche durement la Savoie depuis un an déjà : Modane est frappée deux fois, le 17 septembre puis le 10 novembre 1943, le 10 mai 1944 c’est Annecy et ses industries qui sont visées et enfin le 26 mai 1944 c’est Chambéry et ses installations ferroviaires sur lesquelles pleuvent les bombes américaines.

Accueil des réfugiés. Albens ? (archive privée)

« Nous savons aujourd’hui »i, écrit encore Henri Billiez, « que des enfants ont été souvent accueillis à La Biolle durant la guerre, comme dans d’autres communes ». L’Albanais très rural reste à l’écart de la guerre aérienne, il est en retour une zone d’accueil pour les sinistrés. Il a dû exister des centres d’hébergement que les communes ont mis en place dans l’urgence. Une photographie trouvée sur un site de vente en ligne porte au dos la petite note suivante « réfugiés 39/45 – Albens ? ». Il est difficile de localiser cette grande salle où l’on a installé de nombreux petits lits et organisé au centre une sorte de salle à manger. Mais quelque soit l’endroit et le moment, une chose est certaine, aider les enfants a été et reste toujours un impératif fort.

Jean-Louis Hebrard

Notre-Dame du Grand Retour – Albens 1946

Le photographe a saisi le moment où la grande statue de la Vierge à l’Enfant franchit le porche de l’église d’Albens. Nous sommes en 1946.

La statue de Notre Dame de Boulogne (archive Kronos)
La statue de Notre Dame de Boulogne (archive Kronos)

Toute la façade de l’église est décorée de branchages, le fronton barré d’un « Ave-Maria » en lettres majuscules, réalisé avec des fleurs soigneusement disposées. On voit au premier plan la remorque en forme de camionnette sur laquelle sera placée la grande statue blanche qui s’approche. Ce cliché et quelques autres nous plongent dans un évènement religieux appelé le « Grand Retour », c’est-à-dire la pérégrination de « Notre-Dame de Boulogne » à travers toute la France entre 1943 et 1946.

La statue – dessin réalisé à partir d'une photographie.
La statue – dessin réalisé à partir d’une photographie.

Pourquoi une « Vierge nautonière » c’est-à-dire assise sur une barque, très vénérée à Boulogne-sur-Mer, se retrouve-t-elle promenée dans toute la Savoie ? Pour quelle raison parle-t-on aussi à son sujet de « Grand Retour » ?
Tout commence au Moyen-âge lorsqu’une apparition de la Vierge Marie sur les rivages de Boulogne-sur-Mer donne naissance à un pèlerinage qui existe encore aujourd’hui. Une statue de la Vierge était alors vénérée par tous ceux et celles qui espéraient le retour d’un être cher, marin parti au large ou soldat expédié loin de chez lui par la fureur de la guerre. Durant la Seconde Guerre mondiale, quatre reproductions moulées de la Vierge nautonière furent envoyées à Lourdes. En 1943, l’Eglise catholique décida de faire circuler ces reproductions à travers la France selon quatre itinéraires remontant vers Boulogne-sur-Mer. L’un d’eux va parcourir les trois départements de l’Ain, de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Venue du diocèse de Belley, la statue de Notre-Dame du Bon Retour va circuler dans les diocèses de Savoie du mois de mai au 15 août 1946 avant de gagner la Haute-Savoie.

La statue sur son chariot (archive Kronos)
La statue sur son chariot (archive Kronos)

De belle dimension, la statue pèse 160 kg. On la remarque de loin posée sur un chariot tiré d’une paroisse à l’autre par des hommes que suit une bonne partie de la population. La blanche silhouette, posée sur sa remorque, atteint deux mètres de haut. Elle est régulièrement repeinte afin de maintenir son aspect immaculé. Assise sur sa barque, la Vierge porte sur son bras gauche l’Enfant. Leurs couronnes sont dorées tout comme le cœur que tient dans sa main la Vierge et le globe entre les mains de l’Enfant.
L’arrivée de la statue dans la paroisse a été préparée depuis plusieurs semaines par le curé et les familles. Transportée jusqu’à la limite de la paroisse de La Biolle, le chariot portant la Vierge est pris en main par les fidèles d’Albens. Le curé fait chanter le « Salve Regina » et réciter des « Ave ». La foule grossit à mesure que l’on approche de l’église. La procession passe entre les maisons toutes décorées de fleurs, guirlandes, arches, branches de sapins, arbustes et drapeaux.

Le village décoré (archive Kronos)
Le village décoré (archive Kronos)

Arrivé devant l’église, on va déposer la statue sur une estrade fleurie à l’intérieur du chœur. Un immense « SALVE REGINA » inscrit sur une banderole traverse tout le fond de la nef. Des guirlandes tombent de la voute comme autant de vagues majestueuses. Elles entourent une belle étoile à cinq branches. Dans l’entrée, enfin, une autre banderole proclame en lettres majuscules « Chez nous soyez reine ». L’ensemble est à la hauteur de la ferveur mariale, de ce regain de foi que provoque le « Grand Retour ».

La nef de l'église d'Albens (archive Kronos)
La nef de l’église d’Albens (archive Kronos)

Louis Pérouas, dans un article intitulé « Le grand retour de Notre-Dame de Boulogne à travers la France (1943-1948) », décrit ce qui se passe alors : « À 21 heures débute le veillée mariale. L’église se remplit de plus en plus ; il y avait longtemps qu’on n’avait vu pareille foule venue aussi des paroisses voisines… Un prédicateur dirige la prière, faisant alterner les dizaines de chapelets, les cantiques, les invocations… À minuit commence la messe. Au moment de la communion, les assistants lisent à haute voix le texte de la consécration à Marie sur le feuillet distribué et le signent ; ils viendront le déposer dans la barque… y joignant une offrande ou un simple billet intime. Après la messe les missionnaires vont dormir. Mais la garde continue toute la nuit… À 8 heures, nouvelle messe… puis c’est l’adieu. Un cortège, plus nombreux que la veille, escorte la madone jusqu’aux limites de la commune où la statue est prise en charge par une autre paroisse ». Venue de La Biolle jusqu’à Albens, la statue reprendra sa route vers Saint-Félix puis vers d’autres paroisses du diocèse de Chambéry.

Départ de la statue accompagnée par un missionnaire (archive Kronos)
Départ de la statue accompagnée par un missionnaire (archive Kronos)

Après Chambéry, la statue parcourt le diocèse de Maurienne. La Chambre accueille le cortège le 4 et 5 juillet 1946. Puis c’est le tour de Saint-Jean-de-Maurienne pour atteindre enfin Modane en ruine le 15 juillet. Le passage dans la cité meurtrie est ainsi rapporté dans un article de la « Semaine Religieuse » du moment : « Dans ce tragique décor de ruines lamentables qui commencent à peine à se relever, cette visite prend un sens nouveau et poignant pour les trois milles sinistrés revenus s’installer dans les décombres ». Comme l’écrit l’historien Louis Perouas : « On peut dire qu’après 1945, le Grand Retour reste encore favorisé par le drame de la guerre ». Souvent, rajoute-t-il, « les anciens prisonniers, déportés, requis du STO se relaient, soit pour traîner le char, soit pour monter la garde d’honneur durant la nuit ». Quant aux familles dont un homme n’est pas encore rentré, demande peut être faite à Notre-Dame du Grand retour.

Carte d'après article de L. Perouas
Carte d’après article de L. Perouas

La statue passe ensuite en Tarentaise par le Perron-des-Encombres, un véritable tour de force car on emprunte un chemin muletier. La vallée des Belleville la reçoit ensuite avant qu’elle ne parvienne dans la cité d’Albertville. La jonction avec le diocèse voisin d’Annecy se fera le 15 août à Ugine où les évêques des deux diocèses assurent la passation. La vierge nautonière entame alors un long parcours en Haute-Savoie. Une histoire qui fera l’objet d’un autre article.

Jean-Louis Hebrard

La vierge blanche sillonne la Haute-Savoie – 1946

C’est le 15 août 1946 que Notre-Dame de Boulogne arrive dans le diocèse d’Annecy après avoir soulevé la ferveur des fidèles des diocèses de Tarentaise, Maurienne et Chambéry. Posée sur un char, tiré souvent par quelques hommes, la « Madone » va parcourir des centaines de kilomètres et visiter plus de cent-quatre-vingts paroisses avec célébration d’une messe de minuit pour les unes et d’une messe de jour pour les autres. Durant près de cent jours, elle circulera sur des routes richement décorées de guirlandes faites de verdures et de fleurs, passera sous d’innombrables arcs de triomphe, recevra l’hommage des fanfares locales, sera installée au cœur d’églises richement ornées.

Source, Archives départementales de la Haute-Savoie.
Source, Archives départementales de la Haute-Savoie.

De la mi-août jusqu’au début du mois de septembre, la statue partie d’Ugine atteint Taninges après avoir visité Chamonix, Assy, le Reposoir… La statue ne peut effectuer des parcours de plus de 15 kilomètres par jour, avançant à une vitesse moyenne de 3 kilomètres à l’heure, bien moins lorsque le profil du chemin se fait plus difficile.

La vierge nautonière en route (archive Kronos)
La vierge nautonière en route (archive Kronos)

La « Semaine religieuse » rapporte les nombreuses marques de ferveur dont la statue fait l’objet. À Saint-Nicolas-la-Chapelle le cortège est reçu par le maire et son conseil municipal au complet. Durant le mois de septembre, le cortège parti des Gets avance pas à pas jusqu’à Annecy. L’entrée dans Faverges s’effectue en passant sous un magnifique arc « surmonté d’un globe où est plantée une croix pour souligner l’idée missionnaire ». Déjà Châtel avait réalisé un surprenant arc de triomphe fait de « deux grandes luges ornées d’outils agricoles ». Quittant Annecy, la vierge gagne ensuite les rives du Léman jusqu’à Saint-Gingolph. Traversant Cruseilles, ce sont deux barques, pleines d’enfants aux bras chargés de fleurs, reliées entre elles par l’inscription « AVE MARIS STELLA » sous lesquelles passe la vierge nautonière.

Sanctuaire de La Bénite-Fontaine (collection privée)
Sanctuaire de La Bénite-Fontaine (collection privée)

C’est au sanctuaire marial de La Bénite Fontaine près de la Roche-sur-Foron que la ferveur est à son sommet. « La cérémonie du 11 octobre 1946 », écrit l’historienne E. Deloche dans son ouvrage sur le diocèse d’Annecy, « semble véritablement marquer les dix mille pèlerins présents ». Et de préciser que la « Revue du diocèse d’Annecy » estime qu’il s’agit là d’une « journée historique qui mérite de prendre place dans les annales ».

Dans bien d’autres paroisses, rapporte l’historienne, « les cérémonies réunissent des foules très importantes, tel est le cas dans la vallée de Thones, où les églises – pourtant d’une grande capacité – ne peuvent accueillir tous les fidèles qui se massent pour venir saluer et remercier Notre-Dame ».
Fin octobre, la statue entre dans Saint-Julien-en-Genevois avant de poursuivre son périple vers le sud du diocèse. Comme ailleurs, la traversée de l’Albanais mobilise les mêmes foules de fidèles solidement encadrées par le clergé en grande pompe. De nombreux clichés pris à Rumilly donnent à voir l’importance de ces cortèges. Les fidèles passent en rangs serrés devant le photographe qui s’est installé sur le pont enjambant la Néphaz. Il a saisi le moment où des religieuses en cornette passent devant l’appareil, suivies d’un grand nombre de femmes et d’hommes en chapeau. Tous défilent en ouvrant les bras. On peut imaginer qu’ils chantent ou récitent des prières. Ainsi cadré, le cliché permet aussi d’apprécier l’importance du cortège qui s’étire sans discontinuer jusqu’au fond de la rue. La procession est photographiée tout au long de son parcours, Grande rue, place Croisollet, rue de Montpelaz jusqu’à l’église Sainte-Agathe où un important clergé règle la cérémonie au milieu des familles et des enfants.
La vierge à la barque quittera le diocèse d’Annecy par Collonges pour à nouveau parcourir celui de Belley fin novembre. Au cours des trois mois durant lesquels la « Vierge blanche » sillonne les paroisses de Haute-Savoie, bien d’autres évènements agitent le France et le monde. Pour la seconde fois depuis 1945, une assemblée nationale constituante est élue en France en juin 1946. Son travail soutenu va déboucher sur l’adoption d’une constitution fin septembre 1946. Le mois suivant, par référendum, les électeurs l’approuvent : la IVe République vient de naître. Au même moment, un évènement culturel anime la Côte d’Azur, appelé à devenir bientôt un moment essentiel pour le « planète cinéma ». Le 20 septembre 1946 s’ouvre le premier festival de Cannes. En Allemagne, le verdict du Tribunal de Nuremberg tombe le 1er octobre. Les principaux dignitaires nazis viennent d’être condamnés à la peine capitale pour crime contre la paix, crime de guerre et crime contre l’humanité. Notre-Dame de Boulogne traverse encore le diocèse de Belley quand en décembre l’Unicef est créé et qu’en Indochine débute une des deux guerres coloniales qui va affecter notre pays.

Patrouille en Indochine (archive privée)
Patrouille en Indochine (archive privée)

Ce regain du culte marial que provoque le passage de la vierge nautonière ne doit pas faire illusion en donnant à penser qu’une « relative réconciliation des Français s’amorce ». Si « au nom de la solidarité, née pendant la Résistance, les conflits semblent s’apaiser un temps », écrit l’historienne E. Deloche dans son ouvrage « Le diocèse d’Annecy de la Séparation à Vatican II » (consultable en ligne), « rapidement l’installation du monde dans un système bipolaire avec la Guerre froide fait renaître les rancœurs ». L’illusion d’un retour à la « ferveur d’antan » doit aussi être levée. Le périple de la vierge blanche ferme une époque pour une société qui entre dans la modernité avec le désenchantement du monde qui l’accompagne.

Jean-Louis Hebrard

Entrer en résistance

Les itinéraires qui ont conduit les jeunes gens sur les voies de la Résistance sont multiples. Deux engagements, l’un féminin, l’autre masculin nous montrent que si le point de départ est individuel, il devient forcément collectif pour pouvoir mener la lutte le plus longtemps possible.
Enregistré il y a quelques années par l’association Kronos, Roger, un agriculteur d’Entrelacs, raconte comment et dans quelles circonstances il est entré dans « le refus et la désobéissance ». Appartenant à la classe 42, il est convoqué avec toute sa génération aux Chantiers de jeunesse mis en place par le gouvernement de Vichy. Il a vingt ans et doit rejoindre groupement n°9 à Monestier-de-Clermont en Isère pour une durée de huit mois. C’est un Chantier de jeunesse installé à proximité du Mont aiguille dont il va tirer son nom « Le Roc » et sa devise « Sans faille ». Cet environnement montagnard et forestier se lit parfaitement sur l’écusson du chantier.

L'écusson du groupement « Le Roc ».
L’écusson du groupement « Le Roc ».

Après une demande de sursis liée à un problème de santé, il reçoit une convocation pour partir en Allemagne pour le STO et refuse. Commence alors en mars 1943 la vie au maquis qui va durer près d’un an et demi. L’historien A. Palluel-Guillard dans « La Savoie de la Révolution à nos jours » retrace le contexte général de ce refus : « La relève décidée par Laval revenu au pouvoir en juin 1942, puis le Service du Travail Obligatoire officialisé en février 1943 multiplient les réfractaires savoyards ou non, tous heureux de trouver dans les montagnes et les forêts un abri contre l’administration et la police ». L’historien précise ensuite que « Pour le seul département de la Savoie… en juin 1943 lors de la convocation de la classe 42 pour le S.T.O sur 4800 jeunes recensés en un mois, seuls 269 partent ».
Notre résistant fait part des difficultés de son choix : « Il y avait tellement de sortes de maquis qu’il fallait aller au bon endroit. J’étais pour la France mais pas pour les partis ». Il gagne avec un ami la haute Tarentaise où il rejoint un groupe installé du côté des Chapieux.

Vue des Chapieux
Vue des Chapieux

Le danger est partout raconte-t-il : « il était difficile de circuler, il y avait des barrages, il ne fallait pas se faire prendre ; triste période, on n’était jamais tranquille, il fallait ne pas trop parler, se méfier de tous ceux que l’on ne connaissait pas ». La question des moyens se pose tout le temps, on manquait d’armes. Il se souvient d’un parachutage vers Grésy-sur-Aix en 1944 mais en Tarentaise où il se trouve, son groupe reste assez démuni. Il aborde aussi la menace qui pesait alors sur la population en cas de sabotage en racontant l’anecdote suivante : « Il y avait une ligne électrique aérienne le long du Sierroz, les Allemands avaient imposé à toutes les communes la désignation d’un gars pour la surveiller. On n’a jamais rien fait ». La fin de la guerre le trouve du côté d’Albertville où il participe à la libération de la Savoie avant de s’engager à Lyon dans l’armée régulière. Cette dernière l’expédie à Aix-les-Bains où il servira de brancardiers dans les hôpitaux de la ville.
Ceux qui appartiennent à « l’armée des ombres » se rencontrent aussi en dehors des maquis dans les réseaux de résistance. C’est le cas d’une jeune femme native de Grésy-sur-Aix, Paulette Besson qui dans le cadre de son travail sort de la préfecture de Chambéry de quoi produire de vrais-faux passeports et cartes d’identité bien utiles pour tous ceux qui résistent à l’occupant. Son attitude héroïque a fait l’objet de nombreux articles dans la presse dès la fin du conflit mondial quand on connaît son décès à l’âge de 23 ans au camp de Beendorf, contrainte à travailler dans les mines de sel. En septembre 1945, on peut lire dans la presse chambérienne sous le titre « Une Jeune Fille au grand cœur » un texte de Jean Devienne qui débute ainsi « Paulette Besson est morte. Elle est morte en Allemagne. Elle a succombé à l’horrible maladie qui suit les guerres pour ajouter à l’horreur qu’elles engendrent : elle est morte du typhus ».

Paulette Besson (Photographie publiée dans la presse)
Paulette Besson (Photographie publiée dans la presse)

Début 1943, elle est une employée de préfecture « modeste et gaie » à propos de laquelle une de ses amies déclare qu’elle « était si effacée, si discrète ». Impossible au début de se douter que cette jeune fille au grand cœur travaille pour la résistance. Affectée au bureau de placement, elle fabrique de faux certificats de travail qui permettent à de nombreux jeunes d’échapper au STO. Jean Devienne, dans son article de 1945 le dit en ces termes vibrants : « Employant toute sa finesse à déjouer les traquenards, profitant avec habileté de sa situation dans des bureaux fermés, la petite dactylo procurait les alibis, favorisait les fuites, régularisait la position illégale des insoumis ». Assez vite, cet engagement ne lui suffit plus, elle passe à un degré supérieur en entrant dans le réseau de renseignements Coty. Comme l’écrit Charles Rickard dans son ouvrage sur la résistance, la Savoie se trouve « au cœur des réseaux ». Émanation du réseau belge Sabot, le réseau Coty dirigé par le lieutenant-colonel Georges Orrel a établi son poste de commandement à Chambéry, chemin de Mérande. De là, le réseau envoie à Londres les renseignements recueillis par ses agents. Paulette Besson en est une cheville performante par sa capacité à rapporter des renseignements précieux. Le réseau est décapité par les Allemands le 30 mai 1944, la plupart de ses membres sont exécutés par l’occupant. Un monument à leur mémoire est aujourd’hui visible au bord de la RN6, sur la commune d’Arbin. Paulette Besson va être conduite au siège de la Gestapo de Chambéry où elle sera torturée avant d’être internée à la caserne Curial puis dans les cellules du fort Montluc à Lyon d’où elle partira vers la déportation à Ravensbruck puis vers les mines de sel du camp de Beendorf.

Une plaque en préfecture de Chambéry…
Une plaque en préfecture de Chambéry…

Le docteur Rohmer, médecin déporté dans le même camp raconte dans un témoignage écrit en février 1945 la fin de la résistante : « J’ai bien connu Mademoiselle Besson… Elle fut la première Française que nous avons perdue à Beendorf, venue de Ravensbruck chez nous en juillet 1944. Je l’ai vue quotidiennement à l’infirmerie en août et septembre. Nous parlions souvent, dans la limite où la surveillance nous le permettait. Elle m’avait parlé de son activité à Chambéry, de sa maman… Tant que je venais à l’infirmerie, Paulette Besson était gaie et très courageuse. Début octobre… son état s’était aggravé. Elle est morte vers le 10 octobre… Je me souviens très bien qu’à la grande fureur du commandant, ses camarades Françaises ont trouvé moyen de placer quelques fleurs sur ce qui servait de cercueil ».

Grésy-sur-Aix, stèle à la mémoire de Paulette Besson
Grésy-sur-Aix, stèle à la mémoire de Paulette Besson

Aujourd’hui, sa mémoire est rappelée dans sa commune de naissance. À Grésy-sur-Aix, une place porte son nom, on y trouve une belle stèle et à proximité un panneau avec sa photographie accompagnée d’un texte sur son parcours de résistante. Chambéry a donné son nom à une de ses rues et à la préfecture, dans le nouveau bâtiment du service d’identité une plaque rappelle sa mémoire. « Paulette Besson vit dans le souvenir de tous les chambériens » écrivait dans le « travailleur alpin » le journaliste Marc Foray. Près de quatre-vingts ans plus tard, nom de rue et stèle ont pris le relais plaçant sous les yeux des passants les lointaines lueurs d’un temps où résister se payait souvent du prix ultime.

Jean-Louis Hebrard

Chaussures en raphia, chaussures Lux-Alba

« Fabrique de chaussures à semelle bois, Cathiard Lux-Alba », c’est ainsi qu’est annoncée dans l’Annuaire officiel de la Savoie, édition 1942, l’existence de cette entreprise installée à Albens. Cette dernière va connaître une intense activité durant la guerre comme on peut l’apprendre par les quelques lignes que lui consacre Josette Reynaud dans un article publié par la « Revue de géographie alpine » en 1944, intitulé « L’Albanais (Savoie), étude économique ». Avant de présenter l’entreprise, l’auteur campe le contexte économique du moment : « il faut signaler l’extension de la production des galoches, ces deux dernières années, extension due au manque de cuir ». Elle dresse ensuite ce court tableau de la fabrique Lux-Alba : «  Dans le même genre de travail, il existe à Albens une entreprise qui fait travailler, depuis 1941, quarante à cinquante femmes des Bauges, pour la fabrication des dessus de semelles de bois, exécutés en crochetant du raphia. Ces chaussures sont expédiées à Chambéry, Annecy, Grenoble, Lyon, Saint-Etienne et même Paris ».

Annuaire 1942 (archive Kronos)
Annuaire 1942 (archive Kronos)

L’entreprise est installée au cœur du village, dans le carrefour central, en face de l’hôtel de France et à proximité du « bornio » (fontaine édifiée en 1836) et du magasin Montillet. Elle figure sur de nombreux clichés photographiques et cartes postales réalisés dans les années 40 et début 50.

L'entreprise est bien située (collection privée)
L’entreprise est bien située (collection privée)

Sur ce cliché des éditions « La Cigogne », on distingue bien la devanture du magasin et l’enseigne qui surmonte la vitrine. L’intérêt de l’emplacement est évident, à proximité de tous les commerces de l’époque, en bordure de la place où se tient le marché hebdomadaire. Un autre cliché réalisé sans doute lors du passage de « Notre Dame de Boulogne » en 1946 permet de voir l’importance du bâtiment entièrement décoré et pavoisé pour l’occasion.

Façade et devanture du magasin (archive Kronos)
Façade et devanture du magasin (archive Kronos)

Sur l’enseigne on peut parfaitement lire « Chaussures Lux-Alba gros détail ». C’est une jeune femme d’environ vingt-cinq ans en 1941 qui est à l’origine de cette entreprise si caractéristique des années de guerre et de pénurie. Lucienne Cathiard, née au Noyer, a vécu par la suite à Paris avec des parents qui travaillaient dans le cuir pour son père et dans la couture pour sa mère. On peut supposer qu’elle a dû quitter la capitale au moment de la défaite de mai/juin 40 pour venir se réfugier en Savoie, probablement au Noyer. Forte des compétences acquises au contact du monde parisien de la mode, elle se lance dans la création et la confection de chaussures, basant son entreprise à Albens en 1941.
Cette année-là précipite la France et sa population dans l’univers de la pénurie. Une pénurie orchestrée par l’Allemagne nazie qui met durement en application les conditions de l’armistice de juin 1940.

Un pillage méthodique (collection privée)
Un pillage méthodique (collection privée)

Très vite, le ravitaillement de la population en chaussures fait l’objet d’une loi établissant un système de bons d’achat par la mairie, qui donnent droit, à partir du 5 janvier 1941, à l’attribution d’une paire par personne, sans périodicité précise. Sans rire, la propagande de l’époque annonce, par voie de presse, que « Le Maréchal a fait la demande d’un bon de chaussure ». Elle pousse le cynisme jusqu’à reproduire la fiche réglementaire. La population va devoir s’adapter à l’usage de chaussures dans lesquelles les matières nobles comme le cuir vont désormais être de plus en plus absentes. L’exposition « La chaussure 1941 » qui se tient au début de l’été voit l’explosion des modèles à semelle de bois, les seuls qui peuvent être achetés sans tickets (voir cet article). C’est dans cet environnement économique que les chaussures Lux-Alba voient le jour.
La production nécessite de savoir travailler matières végétales, bois pour la semelle et raphia pour le dessus de la chaussure. Il faut trouver et former des personnes qui vont ensuite travailler à façon chez elles.

Talon bois, raphia et semelles tressées (cliché Kronos)
Talon bois, raphia et semelles tressées (cliché Kronos)

Dans l’article de la Revue de géographie alpine publié, l’auteur précise que l’entreprise fait alors travailler de nombreuses femmes des Bauges, ce qui n’est pas pour surprendre puisque la fondatrice de l’entreprise en est originaire. Il devait y avoir aussi un certain savoir-faire local dans ce domaine. En effet, dans un ouvrage de Françoise Dantzer consacré à Bellecombe-en-Bauges, l’auteur rapporte que « pendant la dernière guerre, les femmes travaillaient le raphia ». Une photographie permet de voir un modèle de chausson produit par ces travailleuses.

« Les femmes travaillaient le raphia », F. Dantzer - Bellecombe-en-Bauges
« Les femmes travaillaient le raphia », F. Dantzer – Bellecombe-en-Bauges

Tout autour d’Albens, la fabrique Lux-Alba employait aussi une quarantaine de personnes du canton. « On se formait chez Albert Viviand à Pouilly » rapporte Roger Emonet. Avec le raphia fourni par l’entreprise nous apprenions à fabriquer la semelle « constituée par une tresse enroulée et cousue dans laquelle était incorporé un talon en bois ». Nous utilisions alors « des aiguilles fabriquées à partir de baleines de parapluies sciées ». Le dessus de la chaussure était aussi réalisé en raphia travaillé au crochet. On fabriquait aussi des lacets, des pompons, des bordures tout comme des renforts pour les semelles.

Modèle à semelle bois (cliché Kronos)
Modèle à semelle bois (cliché Kronos)

Les modèles produits par Lux-Alba étaient très variés. Nous connaissons pour le moment trois sortes de chaussures fabriquées à Albens : un modèle de type galoche, des mocassins et enfin des bottines fourrées. La paire de mocassins est présentée dans une des vitrines de l’Espace patrimoine à Albens. De pointure 38, elle offre un chaussant très confortable qui surprend encore aujourd’hui. Les bottines sont également magnifiques avec une doublure fourrée en peau de lapin. Il est facile de comprendre que Lux-Alba ait pu vendre sa production dans de nombreuses villes de la zone sud et même jusqu’à Paris.

Belle allure de ces bottines (cliché Kronos)
Belle allure de ces bottines (cliché Kronos)

En dehors de ces modèles, l’entreprise a pu produire des sandales pour l’été ainsi que de petits sacs à main en raphia.
Après la Libération, la pénurie de matières premières ne disparaît pas immédiatement. De ce fait, l’entreprise continue à fonctionner pendant quelques années. En 1946, Lucienne Cathiard figure bien dans le recensement de la commune avec la profession de « fabricant de chaussures ». On retrouve encore mention de l’entreprise en 1950 dans l’Annuaire officiel de la Savoie. Par la suite, avec l’entrée dans la société de consommation et l’arrivée d’une forme « d’abondance », la production de chaussures en bois et raphia décline, entraînant la disparition de l’entreprise. Aujourd’hui, même son souvenir s’est effacé des mémoires. Toutefois, dans le contexte écologique contemporain, ces chaussures entièrement naturelles ne pourraient-elles pas rencontrer un nouveau public ?

Jean-Louis Hebrard