Kronos vous convie à son Assemblée Générale qui se déroulera le vendredi 18 avril 2025 à 20h00, à la salle polyvalente Chantal Mauduit à Albens, et qui sera l’occasion de fêter le 40ème numéro de Kronos.
Cette Assemblée Générale sera suivie par une conférence animée par Jean-Louis Hébrard, sur le thème « Cartes postales et photographies pour documenter l’Albanais avant 1914 ».
Le musée de Rumilly vous invite à une conférence de Jean-Louis Hébrard :
La carte postale pour documenter l’histoire locale de l’Albanais avant 1900
À travers une série de 60 cartes postales, la conférence permet de suivre les transformations que connaît alors la Savoie (agriculture, transports, tourisme…) pour terminer sur quelques vues des villes proches
Dans les années 20, les performances de l’aviation comme les exploits des coureurs cyclistes captent de plus en plus l’attention du public. Alors, quand un biplan se pose en catastrophe entre Saint-Félix et Albens ou qu’Antonin Magne et le peloton du tour de France traversent Alby-sur-Chéran, le quotidien se trouve bouleversé, ces faits deviennent évènements et la presse les relate.
« Samedi matin » rapporte le Journal du Commerce dans un article d’octobre 1926, « vers 11h20, un avion biplan […] appartenant à la Compagnie Aérienne Française et se dirigeant vers le terrain d’aviation de Challes, évoluait dans les airs semblant chercher un point d’atterrissage. Le moteur paraissait fonctionner irrégulièrement. Bientôt l’appareil descendit lentement vers le sol et toucha terre sur les champs verdoyants et plats qui s’étendent entre la route de Saint-Félix et celle de Rumilly, tout au long de la voie PLM. Mais, par suite de l’état marécageux de l’endroit, les roues du biplan s’enfoncèrent dans la tourbe et l’appareil piqua de l’avant, se renversant complètement ».
Les avions de l’époque rencontrent souvent des problèmes techniques, des avaries qui les contraignent alors à se poser en catastrophe. Les pilotes sont de ce fait considérés par beaucoup comme des héros. Guillaumet, Mermoz, Saint-Exupéry sont présents dans tous les esprits, eux qui assurent les liaisons de l’Aéropostale en direction de Casablanca, Dakar et Rio. Chacun de leurs vols est une aventure risquée dont Saint-Exupéry fera la matière de « Vol de nuit ».
De telles situations sont également présentées aux jeunes élèves dans leurs livres de lecture courante. L’aéroplane est le titre d’un de ces textes qui témoigne de la fascination qu’exerce l’aviation : « Il va atterrir ! dit quelqu’un. Le pilote cherche dans la campagne un endroit convenable. Il se dirige vers les prés. Ce fut aussitôt une course folle des enfants vers les prairies qui s’étendent dans le creux du val, aux abords du village ».
Gravure extraite de « Histoire de 3 enfants », livre de lecture courante, 1927 (collection privée)
Dans une autre lecture scolaire, l’aviateur qui « casse du bois » ne s’en sort qu’avec l’aide des habitants qui accourent à son secours et l’aident à sortir de son appareil en feu. Un texte qui colle à la réalité, les aviateurs d’Albens étant quant à eux secourus par « les ouvriers maçons de l’entreprise Masoèro ». L’article de presse dresse alors un état de leur fâcheuse situation « M. Lambert, pilote depuis cinq ans à la Compagnie, portait une blessure assez sérieuse à l’œil droit, M. Loup, photographe à bord, souffrait au genou gauche d’une contusion assez grave occasionnée par le choc d’un boulon de la carlingue ». L’entraide qui se met en branle est impressionnante, les aviateurs sont transportés dans les locaux de la tuilerie Poncini toute proche d’où l’on appelle par téléphone le docteur d’Albens ainsi que la gendarmerie. Le médecin « leur prodigua ses soins et fit des piqûres antitétaniques ». L’enquête des gendarmes avance l’hypothèse que « l’appareil a été obligé d’atterrir par suite d’une fracture d’aile ».
Cet article permet d’approcher la « fragilité » relative de ces appareils biplans qui, du fait de la faible puissance du moteur devaient être construits en bois et toile afin d’être plus légers, sans parler du système de haubans et de mâts qui tenait les deux ailes portantes superposées.
Biplans et monoplans, dessins extraits d’un livre de lecture (collection privée)
L’Aéropostale a-t-elle fait des émules dans l’Albanais ? C’est ce que l’on pourrait penser à la lecture de cet autre article du Journal du Commerce publié en février 1928 relatant une livraison de courrier pour le moins inhabituelle : « Albens, vendredi 24 courant, vers 15 heures, deux avions du centre de Bron ont survolé notre région. Un jeune soldat, fils de M. Bontron, géomètre, laissa tomber de l’un d’eux, dans un pré désigné par un drapeau, un paquet tricolore contenant des lettres pour ses parents et amis. Après quelques évolutions au-dessus du village, vivement goûtées et applaudies par la population, les deux appareils firent demi-tour et rentrèrent à Lyon ».
Les aérodromes, dont la construction avait débuté avant 1914 pour des raisons militaires, s’étoffent et prennent de l’importance dans les années 20 avec l’essor de l’aviation civile et commerciale. Les jeunes aviateurs qui survolent Albens doivent effectuer une formation militaire à la base de Bron qui possède une école pour les officiers et sous-officiers depuis 1912. Mais ils se trouvent aussi sur un aéroport qui, à partir de 1921, assure des liaisons commerciales avec Paris, Marseille et Genève.
Sur l’aérodrome de Challes dans les années 30 (collection privée)
L’aérodrome de Challes connaît la même évolution. Initialement réservé depuis sa création en 1913 à l’usage des avions militaires, il s’ouvre peu à peu aux civils après la guerre de 14/18 avec la création de l’aéroclub des Alpes françaises. Il faut dire que cette piste au pied des massifs montagneux des Alpes intéresse l’aviation civile et commerciale. Dans les années 30, le terrain s’étend et l’aérodrome organise alors de nombreux meetings où se produisent les plus grands pilotes de l’époque dont les célèbres aviatrices Hélène Boucher et Maryse Hilsz. Ces dernières sont alors des pilotes confirmées qui engrangent les records de vitesse et d’altitude, Hélène Boucher dépasse les 5000 mètres avant que Maryse Hilsz n’atteigne les 10 200 mètres d’altitude en 1932 (record féminin). La première va se tuer lors d’un entraînement en 1934 alors que la seconde s’illustrera dans la résistance dès 1940. Ainsi, tout au long des années 30, héroïnes et héros de la conquête des airs font rêver hommes et femmes des villes et des campagnes qui accourent pour voir ces étonnantes machines volantes. Aujourd’hui, lorsque des dizaines d’avions chargés de skieurs survolent le lac du Bourget, un week-end d’hiver, plus personne ne lève un regard étonné pour les voir se poser sur l’aéroport de Chambéry.
Chaque été, à partir de 1931, c’est le tour de France qui soulève la ferveur du public local. En effet, jusqu’en 1936 les champions vont s’affronter tout au long des 210 kilomètres de l’étape Évian-les-Bains à Aix-les-Bains avec ascension du col des Aravis et de celui de Tamié, descente sur Annecy puis traversée de l’Albanais par Alby-sur-Chéran et Albens pour une arrivée dans la station thermale savoyarde.
Sur ce dessin réalisé à partir d’une photographie prise en 1934 lors du passage du tour de France à Alby-sur-Chéran, les spectateurs massés le long du pont assistent à l’empoignade entre les huit coureurs échappés du peloton à 20 kilomètres de l’arrivée. Il y a ce jour-là du beau monde dont le maillot jaune, le célèbre Antonin Magne avec ses équipiers Vietto le meilleur grimpeur et Speicher portant son tout nouveau maillot de champion du monde. C’est lui qui remportera l’étape à Aix-les-Bains. Ce n’est pas « son jour » pour un autre français, le breton René Le Grevès qui va accumuler les ennuis. Il casse une pédale dans la montée du col des Aravis et doit attendre le secours du camion atelier pour repartir. Sa roue libre l’ayant lâché dans le col de Tamié, il doit à nouveau réparer. Une dernière crevaison, le voilà rétrogradé à la 43ème place du classement général, lui qui avait quitté Évian à la seconde place. Malgré tout, notre équipe nationale va particulièrement briller cette année là puisque ses coureurs remporteront la plupart des étapes. Interprétée par Jean Cyrano, une chanson de l’époque « Les champions de la route » campe ainsi l’engouement que provoque le tour : « On vient d’annoncer dans le patelin que le tour va passer, et dès le petit jour la foule accourt sur le parcours, pour saluer les gars du tour de France d’un encouragement plein d’espérance ». Plus loin, c’est la vaillance des coureurs que l’on évoque : « Et pendant des jours, luttant sans cesse, poussant toujours, ils vont affronter sans hésiter l’adversité, la poussière, les montées, les descentes, les Pyrénées, les Alpes puissantes… ». Interprétée à l’accordéon par Fredo Gardoni, cette chanson devient même la marche officielle du tour dont on peut aujourd’hui écouter une version en ligne. Le cinéma contribue lui aussi à faire revivre les péripéties de la « grande boucle ». C’est le cas fin décembre 1934 au « Foyer Albanais » où l’on projette en plus du grand film et en complément exceptionnel « Le Tour de France cycliste 1934 » édition complète, comme le précise le Journal du Commerce.
À l’époque, l’engouement pour la bicyclette auprès de la jeunesse peut être comparé à celui que provoque le foot aujourd’hui. Aussi voit-on fleurir partout en France mais aussi dans les grands pays cyclistes (Italie, Belgique, Suisse…) les clubs, les associations cyclistes. La Savoie, la Haute-Savoie, l’Albanais ne font pas exception. Les coureurs du Vélo Club de Chambéry se signalent particulièrement dans les compétitions locales suivis par ceux de l’Association cycliste aixoise, du Club cycliste d’Annecy et des coureurs du club d’Annemasse.
La presse locale se fait l’écho de ces compétitions cyclistes qui aux beaux jours animent les fêtes dominicales. C’est le cas pour la course organisée à l’occasion de la vogue d’Albens le dimanche 6 juin 1937. Trente-huit coureurs se sont inscrits au « Challenge Fontaine » qui se dispute sur un parcours de 60 kilomètres. Une épreuve organisée par l’Association cycliste Aixoise avec l’aide de l’Union sportive albanaise pour laquelle les engagés ont déboursé 5 francs. Après la remise des brassards à 14h, le départ est donné par le maire d’Albens une heure après devant la gare. Le peloton s’élance vers la Biolle , Grésy-sur-Aix et Corsuet. Là, les cyclistes vont se diriger vers la vallée du Chéran via Épersy, Saint-Ours, Cusy jusqu’à traverser la rivière au pont de Banges.
Le réseau routier emprunté par la course (archive privée)
Le retour va s’effectuer par Gruffy, Alby, Marigny, Rumilly et Bloye. L’arrivée est jugée devant les écoles à Albens. Fiesch et Pesenti du club de Chambéry remportent la course en 1h40, suivi à une minute par Savi Dino d’Annemasse. Les prix seront remis vers 17h15 à la mairie. Les dix premiers vont empocher des sommes allant de 150 à 20 francs pour les derniers.
Les belles machines des coureurs font l’admiration de la jeunesse qui rêve de posséder un de ces engins perfectionnés avec dérailleur et vitesses multiples.
Et lorsque le jeune espoir local Louis Coudurier gagne « une superbe bicyclette de course… gros lot de la tombola de l’US Brison », le Journal du Commerce rappelle aussitôt ses « brillants débuts dans le Premier Pas Dunlop » et souhaite « le voir bientôt dans les épreuves régionales ».
Publicité parue en 1924 dans le Journal du Commerce
L’usage quotidien de la bicyclette devient monnaie courante auprès des classes populaires de l’époque. Les congés payés mis en place en 1936 vont amplifier le phénomène. C’est au cours de ces années que la circulation des vélos sur les routes nationales atteint le chiffre record de 1100 par jour. Dans tous les bourgs et villes, associés ou non à un garage automobile, des magasins de cycles voient le jour. Ils offrent un grand choix de marques dont beaucoup sont d’origine française. Ce n’est pas par hasard si la bicyclette est alors surnommée de façon affective la « petite reine ». C’est elle que l’on retrouvera en service durant les années noires qui s’annoncent, dans le flux des populations qui se presseront sur les routes de juin 1940 puis durant toute l’Occupation. Avec les années 50 et l’entrée dans l’ère de la consommation de masse, son usage quotidien régressera. Aujourd’hui, avec assistance électrique ou pas, le vélo semble être à nouveau un mode de déplacement d’avenir.
Nous sommes en 1923 lorsqu’un long article du Journal du Commerce relate le programme de la célébration du 11 novembre à l’Arc de Triomphe. Tout y est précisé, du cortège des drapeaux à l’arrivée du Président de la République en insistant sur la préparation de la commémoration dans toutes les communes de France. Comme l’indique cet article, c’est le corps enseignant qui va être en quelque sorte mobilisé « pour commémorer le 5ème anniversaire de l’armistice » et, « sur le désir de M. Léon Bérard, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, il sera donné le 10 novembre prochain, par les professeurs, instituteurs et institutrices, une brève leçon, dans tous les établissements d’enseignement secondaire et primaire publics ».
Instruire la jeunesse, transmettre le souvenir de la Grande Guerre, éduquer à la paix, telles sont les orientations que trace alors le ministre Léon Bérard. Élu en 1919 sur la liste d’union des différentes sensibilités républicaines appelée « Concentration républicaine », Léon Bérard est alors proche des deux grandes figures politiques, Louis Barthou et surtout Aristide Briand, ardent partisan d’une politique de paix et de coopération internationale.
Aristide Briand à la tribune de la SDN à Genève (collection privée)
Ministre dans le gouvernement de ce dernier de 1921 à 1924, Léon Bérard est resté célèbre pour l’introduction de l’étude du latin en 6ème et pour l’amélioration des rémunérations des instituteurs et des professeurs. Il a en charge les Beaux-Arts et l’Instruction publique. Instruction et non pas Éducation, l’intitulé de son ministère n’est pas innocent. L’éducation reste dévolue aux familles quand instruire, c’est-à-dire communiquer des connaissances, est la mission première de l’école.
Communiquer des connaissances pour faciliter « le devoir du souvenir… être fidèle à ceux qui tombèrent », pour cela l’école dispose, comme l’indique le ministre, de multiples moyens : les cérémonies, les lectures, les leçons d’histoire ou encore les héros pour édifier la jeunesse.
Élèves, instituteurs et institutrices sont toujours présents lors des inaugurations des monuments aux morts et des célébrations de l’Armistice, à Saint-Félix, Cessens mais aussi à La Biolle comme à Albens. Encore une fois ce sont les articles parus dans le Journal du Commerce qui constituent l’essentiel de nos sources. Nous voici fin septembre 1922 à Saint-Félix où le monument aux morts est inauguré, deux mutilés font l’appel des noms des 32 morts de la commune et « à l’appel de chaque nom, 32 jeunes filles… vinrent déposer au pied du monument une gerbe de fleurs en souvenir des glorieux disparus ». À La Biolle, la même année, c’est la participation du Sporting-club qui retient l’attention, on signale l’excellente tenue de cette « société de jeunes gens et d’enfants, admirablement organisée par M. Joannes Rosset et Bourbon, instituteurs ».
Quand en 1924 Cessens inaugure à son tour le monument aux morts, on félicite « les organisateurs de cette patriotique cérémonie et en particulier notre dévoué instituteur M. Mainier, ceux qui ont décoré le monument, les enfants des écoles… ». On retrouve le même type de participation pour le 11 novembre 1925 à Albens avec un monument « artistement fleuri par les soins des instituteurs et institutrices ».
De retour dans les classes, les maîtres et maîtresses d’école disposent d’ouvrages adaptés à l’âge des enfants, remplis d’histoires édifiantes. Parmi les succès de l’époque on trouve l’histoire du plus jeune poilu de France mais aussi les tribulations du jeune Peau de Pêche.
Livre de lecture (collection privée)
Engagé à quinze ans, Jean Corentin Carré est l’exemple le plus fort que l’on puisse donner aux jeunes classes nées au début de la guerre. Un court texte, agrémenté d’une image couleur présente ainsi son parcours militaire : « Né au Faouët le 9 janvier 1900, engagé au 41ème RI le 27 avril 1915, mort au combat aérien le 18 mars 1918 ». Il est accompagné d’un extrait d’une lettre que le jeune poilu avait envoyée à son instituteur : « Je ne pourrais pas vivre sous le joug de l’ennemi, c’est pourquoi je suis soldat. Eh ! bien, ce sentiment de l’honneur, c’est à l’école que je l’ai appris est c’est vous mon cher maître un de ceux qui me l’ont enseigné ! Je souhaite que tous les petits écoliers comprennent les leçons qui leur sont données de la même manière que je les ai comprises. La vie en elle-même n’est rien si elle n’est bien remplie ». On peut imaginer toutes les leçons de « morale civique » qui furent alors données.
Cette instruction passe aussi par les nombreux livres de lecture courante que proposent les bibliothèques scolaires. Les enseignants des années 20 plébiscitent alors l’ouvrage de Gabriel Maurière, inspecteur de l’Enseignement primaire. Comme l’indique l’avant-propos, c’est l’histoire de Peau de Pêche « jeune enfant de votre âge. Recueilli par un de ses oncles, fermier champenois, il prend peu à peu goût aux travaux des champs. La guerre vient brutalement frapper la maisonnée et la mort du fils désespère les pauvres parents qui reportent sur l’enfant adopté le trop plein de leur affection ». Deux cent trente pages illustrées de gravures permettent d’instiller sans cesse ce « devoir du souvenir ».
Quant aux élèves qui ont alors l’opportunité de poursuivre des études au lycée, les nouveaux programmes d’histoire élaborés en 1920 prévoient d’aborder longuement la Grande Guerre. C’est probablement l’ouvrage d’un célèbre tandem d’historiens, Jules Isaac et Albert Malet, qu’ils utiliseront. Une équipe brisée par la Grande Guerre avec la disparition d’Albert Malet en 1915 sur le front d’Artois. Blessé la même année, Jules Isaac sera toutefois en mesure de rédiger le nouveau manuel qui sortira an 1921 en gardant la double signature « Malet-Isaac ».
Abondamment illustrées, les quarante pages consacrées à la guerre furent rédigées par un historien qui avait fait plus que de l’étudier.
Au début de l’année 1922, on peut lire très souvent dans les pages du Journal du Commerce de courts articles intitulés « Funérailles d’un poilu », « Retour au pays natal » mais aussi « En terre natale » ou encore « Ramené du front ». Le grand « remuement » des corps des soldats morts pour la France est encore en cours.
En effet, si le décès ou la disparition des soldats avaient bien été portés à la connaissance des familles, ces dernières ne savaient pas souvent grand-chose sur les derniers instants ni sur la sépulture de l’être cher. C’est souvent par des courriers expédiés par les camarades de combat que les familles obtiennent plus de précisions. « Une chose qui pourra adoucir quelque peu votre chagrin sera d’apprendre que votre fiancé a eu une très belle sépulture et qu’il repose actuellement dans le cimetière de Badricourt (Haute Alsace). Le service d’observation du régiment a acheté une pierre funéraire qui sera placée incessamment sur la tombe de son regretté chef », tel est le contenu d’une lettre expédiée à la fiancée du sergent Lyard, tué en mars 1917. La famille du sergent a pu connaître le lieu de son inhumation et possiblement organiser son transfert au début des années 20 mais ces conditions « humaines » n’ont pas toujours été possibles.
Dès le début du conflit, les belligérants sont débordés devant la masse monstrueuse des morts. Ils sont contraints d’avoir recours à la pratique des tombes collectives : fosses communes jusqu’à cent corps côté français, par groupe de six pour les Britanniques tandis que la tombe individuelle est immédiatement en vigueur chez les Allemands.
Tombe dans une tranchée vers 1915 (collection particulière)
Toutefois, avec la montée en puissance de l’artillerie, l’intensité et la fréquence des tirs chamboulent totalement la surface du champ de bataille, disloquant ou enfouissant de nombreux corps avant qu’ils n’aient pu être inhumés. Un poilu de Cessens décrit en 1915 les paysages dévastés de la Marne « Ici tout est bouleversé. On voit qu’avant la guerre c’était un bois de pins, mais maintenant plus rien. Pas un arbre qui ne soit coupé, les uns à un mètre de la terre, les autres un peu plus haut ».
Ce qu’il reste d’une forêt (collection particulière)
Dans un tel chaos, il est souvent impossible et dangereux de s’occuper des morts.
La paix revenue, le ministre de la Guerre se pose rapidement la question de « l’exhumation des soldats morts pour la Patrie ». C’est le titre d’un court article du Journal du Commerce de février 1919 où l’on apprend que « le gouvernement se préoccupe d’un projet de loi réglant la question des exhumations et transport des restes mortels de nos soldats tombés au champ d’honneur ». On précise en outre qu’il « est indispensable de procéder au repérage définitif des sépultures… mission dont s’acquitte dès maintenant le service de l’état civil aux armées ».
On comprend que devant l’immensité de la tâche, le retour des corps des premiers poilus ne semble être effectif qu’à partir de 1922. Dès le début de l’année, de courts articles se multiplient dans la presse, informant les populations du retour d’un de leurs fils.
Avec le recul du temps, la description de ces cérémonies nous fait percevoir l’énorme impact émotionnel qui les entoure. À Cessens, Saint-Félix ou Albens c’est une « affluence nombreuse », une « foule énorme » ou encore « une foule nombreuse et recueillie » qui assiste aux funérailles. Le maire, l’instituteur ou encore un ancien combattant prononcent l’éloge du soldat et de l’homme. C’est l’occasion de dresser la figure du brave, du héros, en rappelant sa vaillance au combat, les terribles circonstances de sa mort au front, ses médailles et les citations qui les accompagnent ; s’y ajoute parfois l’évocation de son engagement passé dans la vie de la commune comme on peut le lire en mars 1922 pour le soldat Constant Ginet « Tel vous l’avez connu, alors qu’il dirigeait avec beaucoup de compétences et un dévouement inlassable notre chère fanfare, tel il est resté ; et le plus bel éloge que l’on puisse faire de lui est contenu dans la citation suivante qui accompagne son inscription au tableau de la médaille militaire : très brave au feu, grièvement blessé à la tête dans la nuit du 29 au 30 juillet 1915, n’a quitté son poste qu’à la fin de l’attaque ».
Parfois la cérémonie rassemble au-delà de la commune, comme à Cessens lors du retour de l’instituteur Pierre Jeandet pour lequel « toute la population de la commune, ainsi qu’une grande partie de celle des communes voisines, accompagnait au champ de repos cet enfant du pays. On remarquait dans le cortège les instituteurs du canton et des cantons voisins, la municipalité, la compagnie des sapeurs-pompiers au complet ».
De même à Albens en mai 1922 où « une foule nombreuse et recueillie était venue de toute part pour rendre hommage à ce jeune héros et pour témoigner sa sympathie à la famille ». Ici, le jeune héros n’était personne d’autre qu’Albert Phillipe, le fils du maire.
De nouveaux groupes participent de plus en plus à ces cérémonies, les enfants des écoles et les anciens combattants. Leur présence tout comme l’édification de monuments marquent la mise en place d’un nouveau culte républicain, celui des « Morts pour le France ».
De nombreux jugements déclaratifs y furent rendus (archive privée)
Pour dresser la liste de ces poilus, il a fallu résoudre la question des 300 000 soldats français portés disparus dont le plus grand nombre n’a jamais été retrouvé. Parmi eux, 80 000 se trouvent encore aujourd’hui sur le champ de bataille de Verdun dans une zone de 10 000 hectares de forêts. Un drame immense pour les familles auxquelles une réponse juridique fut donnée. Pour la dizaine de disparus du canton d’Albens c’est le tribunal de Chambéry qui fixera tout au long de l’année 1921 par un jugement déclaratif la date du décès de ces soldats. Ils pourront eux aussi prendre rang dans la longue liste de nos monuments aux morts, au risque de n’être plus peu à peu « qu’un mot d’or sur nos places ».
Presqu’une année après « l’explosion de joie » de l’armistice, partout dans les villes et villages des fêtes et des banquets réunissent tout au long des mois de septembre à décembre 1919 les hommes qui viennent d’être, après une longue attente, démobilisés. Ce moment est très particulier car, venant à peine de quitter la vie militaire, ces hommes vont bientôt renouer avec la vie citoyenne en étant appelés aux urnes pour choisir maires puis députés, élection d’où sortira la célèbre « chambre bleu horizon ».
C’est à ce moment que les « ex-poilus », s’organisant en associations et militant pour l’édification de monuments du souvenir, multiplient les occasions de se retrouver un dimanche lors d’une fête ou dans un banquet afin de célébrer le retour à la vie sans pour autant oublier les frères d’armes disparus.
Dès octobre à Albens, tout au long du mois de novembre à Saint-Ours, Gruffy ou Saint-Félix, fin décembre à Cessens, on fête les démobilisés. Partout, un banquet et au cœur d’une journée bien remplie. Les établissements qui les hébergent sont toujours mentionnés dans de petits articles du Journal du Commerce. Ainsi à Gruffy, en novembre c’est « l’hôtel de la poste, chez M. Guévin » qui sert aux 120 convives un banquet offert par la commune. Parfois les anciens combattants choisissent un établissement tenu par des hôteliers démobilisés. C’est semble-t-il le cas pour le banquet du canton d’Albens qui se tient au restaurant Lansard. À Saint-Ours, c’est le restaurant Brun qui a été choisi tandis que les anciens poilus de Cessens se retrouvent chez Coudurier pour célébrer leur démobilisation.
Un repas de mariage en 1908 (archives privées)
Les menus que l’on propose sont bien éloignés du « rata » des tranchées. Avec un regard actuel ils peuvent nous sembler plus que démesurés, toutefois ils témoignent d’un « art de la table » qui s’était peu à peu imposé à la Belle époque tout en restant réservés aux évènements exceptionnels comme les noces. Sur ce menu de 1908 on découvre un repas en trois temps : hors d’œuvres, plats de résistance, desserts. La partie centrale est la plus nourrissante avec deux volailles, un poisson, une viande rouge et une blanche, deux légumes et quelques quenelles.
Le repas servi par le restaurant Lansard le dimanche 5 octobre est construit sur le même modèle. Son menu, imprimé par la maison Ducret de Rumilly, a été publié par Kronos en 2014 dans le livre « Se souvenir ensemble ». Les desserts servis furent plus que copieux avec pièces montées, fromages, corbeille de fruits sans parler des boissons avec café, liqueurs et vins à volonté. Autant « d’ingrédients » qui contribuèrent, rapporte la presse « au succès de cette réunion » dont on note qu’elle se déroula dans la « gaieté la plus franche » avec les incontournables chants et la prise de parole au moment du dessert. C’est « le capitaine Charles Magnin, un glorieux poilu d’Orient » qui « remercia ses compatriotes d’être venus nombreux, puis après avoir évoqué quelques souvenirs de la grande guerre leva son verre et but à la France victorieuse et à l’union de tous ses enfants. Le toast fut couvert d’applaudissements ».
Image illustrant les cartes postales de guerre (archives privées)
Dix mois après la fin des combats, place est ainsi donnée à la gaieté à travers bals et chansons. « Ce fut le tour des chanteurs qui obtinrent un joli succès » indique-t-on pour Albens comme pour Cessens où « la parole est donnée aux chanteurs ». Ils captent très certainement les applaudissements en entonnant « la chanson du Pinard » et bien sûr « La Madelon », autant d’hymnes au gros vin rouge qui avaient servi à chasser le cafard.
Enfin ces banquets ne se terminent pas sans qu’un bal soit prévu, « très animé » à Saint-Ours, « avec orchestre » à Saint-Félix, où « le meilleur accueil est réservé aux jeunes filles de la commune et des environs » pour Cessens.
Mais si partout la gaieté, l’entrain accompagnent cette journée, si tous ces hommes retrouvent un instant encore la fraternité des tranchées, la fête terminée, ils vont être accaparés par les soucis du quotidien. Devant renouer avec un milieu qui les a oubliés ou se battre pour obtenir des pensions bien modestes, beaucoup s’enfermeront alors dans le silence.
Le vendredi 21 décembre prochain, l’association Kronos vous proposera une conférence animée par Rodolphe Guilhot (professeur d’Histoire-Géographie et membre de Kronos), qui vous emmènera dans « Une plongée dans l’Albanais de l’An Mil avec Gautier, seigneur de Montfalcon ».
L’acte de fondation du prieuré de Saint-Innocent (1084) sera le point de départ permettant d’évoquer les origines de la seigneurie de Montfalcon, dont les ruines du château se trouve sur la commune de La Biolle. La famille de Montfalcon sera aussi replacée dans son contexte féodal entre un royaume de Bourgogne finissant, la suzeraineté des comtes de Genève et la cohabitation avec les comtes de Savoie.
En effet, si la châtellenie de Montfalcon des XIVème et XVème siècle est bien connue grâce aux travaux menés par l’Université Savoie-Mont-Blanc, les origines de cette seigneurie étaient restées jusqu’ici peu étudiées.
À 20h, à l’Espace Patrimoine, 177 rue du Mont-Blanc, à Albens (73410 Entrelacs). Entrée libre et gratuite.
L’aggravation de la tension qui règne en Europe depuis l’attentat de Sarajevo (28 juin 1914) aurait dû alerter l’opinion publique d’Aix-les-Bains, Rumilly ou Annecy dès la fin du mois de juillet. Mais comme pour le monde rural, la mobilisation constitue pour la population des villes une surprise totale.
Jusqu’au dernier moment, les paysans occupés aux travaux de la moisson refusent d’envisager l’hypothèse de la guerre. À Saint-Félix beaucoup comptaient « que les choses s’arrangeraient ». Comment les hommes et les femmes de 1914 étaient-ils informés de la « rumeur du monde » ?
La presse et les cafés jouent un grand rôle mais on ne doit pas négliger les lieux de rassemblement et d’échanges que constituent la messe dominicale, les marchés, les fruitières ni un tout nouveau média, le cinématographe. Ce dernier semble faire son apparition à Albens en 1911 puisque l’on sait par le registre de délibération du conseil municipal que ce dernier répond positivement à une demande de « location de la grande salle de la mairie pour représentation de cinématographie, deux fois par semaine pendant la période hivernale ».
Si le cinéma ouvre sur le monde, n’imaginons pas qu’il soit déjà un vecteur d’information puissant. On doit plus sûrement se tourner vers la presse et les cafés.
Hebdomadaire de grand format (42 x 62 cm), imprimé sur huit pages, le « Journal du commerce » est alors bien lu dans tout l’Albanais. Comme beaucoup d’autres titres publiés dans les Savoie il s’intéresse en priorité aux questions d’ordre économique et d’intérêt général. L’organisation de sa première page, sans grand titre ni illustration, ne facilite pas la mise en relief des évènements. Les affaires internationales doivent être recherchées en page deux car ce journal privilégie les « nouvelles savoisiennes », la vulgarisation agricole et les informations pratiques : mercuriales, annonces commerciales et judiciaires, horaires du chemin de fer.
La presse aixoise tout comme le « Journal du commerce » ne semble pas avoir perçu l’imminence de la guerre. L’éditorialiste de « l’Avenir d’Aix-les-Bains » écrit encore le 1er août que « malgré la précipitation avec laquelle les bruits plus ou moins alarmants se sont succédés depuis samedi dernier, la saison continue à être de plus en plus suivie ». On le voit, si l’idée de guerre est présente dans les journaux, tout est fait pour en faire une hypothèse lointaine. Les nombreux autres titres de la presse aixoise sont à l’unisson ; ils s’intéressent en priorité à la vie de la station, à la venue des têtes couronnées, aux plaisirs du lac (régates, promenades en bateau, excursions diverses…).
Diffusé largement de Saint-Gingolph à Albens et de Seyssel à Bonneville, le « Journal du commerce » tire à 3000 exemplaires environ qu’un bon nombre de ses abonnés reçoivent chaque semaine par la poste. Son influence ne se limite pas à son seul tirage quand on sait le pouvoir de relais d’opinion que constituent alors les cafés et les bistrots. Il en existe une quarantaine dans le canton d’Albens en 1914 pouvant fournir potentiellement 1300 à 1800 lecteurs à l’image de ceux qui fréquentent le « café du chemin de fer » à Albens ou ceux du « café de la poste » à Saint-Félix.
Les fruitières sont aussi des lieux d’échanges dont on peut repérer l’importance à travers quelques faits divers. Ainsi ces automobilistes qui se plaignent dans les colonnes du « Journal du commerce » du comportement des cultivateurs qui « chaque soir à l’intersection des routes de Rumilly, Saint-Félix et la Chambotte… venant livrer le lait, tiennent des conciliabules, obstruant complètement la chaussée ».
On parle des affaires locales, du prix des denrées et peut-être du résultat des dernières élections législatives qui ont eu lieu ce printemps mais il ne semble pas que l’imminence du conflit soit bien perçue de tous.
Ce n’est pas étonnant quand on sait que « La croix de Savoie » ne voyait dans l’assassinat de Sarajevo qu’un drame familial (numéro du 5 juillet 1914) et que le 1er août « le Démocrate savoisien » écrivait encore « tous espèrent que la raison triomphera ».
On peut y voir l’influence des autorités ne voulant pas affoler les populations mais également une sorte d’aveuglement en symbiose avec le manque d’intérêt des populations pour les questions extérieures.
Comme à pu l’écrire Antoine Borrel : « personne n’y croyait ».
Avenir d’Aix-les-Bains, du 4 janvier 1908
Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie
Vendredi dernier, dans la salle Chantal Mauduit à Albens, Kronos recevait Louis Mermin pour une conférence consacrée à l’histoire de la poste en Savoie.
Président des Amis du vieux Rumilly , membre de l’Amicale philatéliste d’Annecy, ce marcophile passionné a puisé largement dans ses riches collections pour nous faire voyager avec les services des postes d’autrefois. Des services qui se mettent en place avec la création des Etats, se structurent tout au long des XVIIIème et XIXème siècles.
Louis Mermin a mis tout son talent d’historien pour nous faire suivre les tribulations d’une missive entre La Roche-sur-Foron et Chambéry pour un retour complexe en Haute-Savoie. Avec lui, on apprend la signification des oblitérations, du port dû et du port payé, à différencier un bureau communal d’un bureau de mandement (canton aujourd’hui), à suivre le parcours du pédon (facteur à pied).
À grands traits Louis Mermin nous a fait traverser le XIXème siècle qui voit l’apparition des premiers timbres (1851), l’arrivée du chemin de fer, l’installation des bureaux de poste (1834 à Albens) avant de toucher au XXème siècle et à la mise en place du circuit postal. En 1931 celui d’Albens faisait passer la voiture postale par Saint-Germain, Mognard, Épersy, La Biolle, Cessens, Ansigny, une voiture postale qui, se souviennent les anciens, était conduite d’une main de maître par Madame Nicolas. La conférence s’est terminée par une présentation de quelques objets remarquables amenés par Louis Mermin avant de profiter du pot offert par l’association. Une bien belle soirée.