Vous pourrez venir à la rencontre de Kronos prochainement :
– au forum des associations de la Biolle, le vendredi 2 septembre de 16h à 18h ;
– au forum des associations d’Albens, le samedi 3 septembre de 10h à 12h.
À bientôt !
Vous pourrez venir à la rencontre de Kronos prochainement :
– au forum des associations de la Biolle, le vendredi 2 septembre de 16h à 18h ;
– au forum des associations d’Albens, le samedi 3 septembre de 10h à 12h.
À bientôt !
Le 11 août dernier, le bureau de l’association d’histoire Kronos visitait l’ancien atelier Blanchet à Alby-sur-Chéran.
Le monde captivant de la fabrication des cierges se découvre tout au long de la visite de cette entreprise artisanale crée vers 1860 par la famille Blanchet. De salle en salle, grâce aux commentaires d’Amandine Gibert, chargée par la mairie du service culturel, le travail très précis de l’artisan reprend vie dans un environnement qui n’a pas changé depuis la fermeture de l’atelier à la fin du XXème siècle.
Cette visite a passionné toute l’équipe de Kronos amenée par Christian Michaud son président.
Depuis ce printemps, l’association Kronos a entrepris la réorganisation de l’Espace patrimoine, rue du Mont-Blanc à Albens à l’office du tourisme, dans sa partie consacrée à l’artisanat, l’industrie et au monde paysan d’autrefois.
Afin de valoriser la présentation des objets prêtés ou remis à Kronos par quelques familles du canton, une grande vitrine a été commandée à l’entreprise de menuiserie Morel-Coudurier d’Albens. Son installation vient de s’achever et pour entamer une réflexion sur la présentation des collections, l’équipe Kronos au côté de leur président Christian Michaud a pu bénéficier mercredi dernier du concours sympathique de la directrice du Musée de Rumilly, Bergamote Hebrard. Elle a donné son avis de professionnelle et répondu aux nombreuses interrogations sur l’accrochage, la disposition des objets et des photographies. L’équipe de Kronos a pu ainsi profiter de ses conseils avisés.
Désormais, Kronos n’a plus qu’à poursuivre et achever son projet, celui d’une vitrine pouvant raconter et faire comprendre l’évolution et les transformations d’un gros bourg et de son territoire entre 1860 et 1960/70.
Nul doute que l’Espace patrimoine pourra ainsi mieux accueillir les scolaires, les associations ou les visiteurs saisonniers curieux d’histoire locale.
À la veille de la Révolution Française, la situation sociale et morale n’est certes pas la même en France et en Savoie. Si le paysan savoyard reste très pauvre, son état s’est néanmoins amélioré à la suite des réformes promulguées sous Victor-Amédée II et Charles-Emmanuel III, « despotes éclairés », s’il en fut.
Trop pauvre cependant pour nourrir tous ses enfants, la Savoie en déverse sur tous les pays d’Europe, la France notamment où nobles et bourgeois viennent y achever leurs études. Les uns et les autres contribuent à introduire dans leur pays d’origine, auquel ils demeurent profondément attachés, « les idées nouvelles » qui ont cours en France ; et lorsque les troupes françaises rentrent en Savoie le 27 Septembre 1792, c’est dans un climat favorable que l’Assemblée Nationale des Allobroges se prononce, à Chambéry, pour le rattachement de la Savoie à la France. La Convention ratifie ce choix par un décret du 27 Novembre 1792 qui fait de la Savoie le 84ième département français sous le nom de département du Mont-Blanc.
Cette nouvelle circonscription dont le chef-lieu est Chambéry, a sensiblement les mêmes limites que l’ancien duché ; elle est divisée, conformément aux lois constitutionnelles en vigueur, en sept districts correspondant aux provinces ou intendances de l’ancien régime.
Dans le cadre de cette répartition qui la rattache au canton de La Biolle, district de Chambéry, la commune de Saint-Girod se dote de l’organisation municipale prévue par les lois de la République.
C’est ainsi que le 31 décembre 1792, les citoyens actifs de la Commune, organisés en Assemblée Générale, élisent le corps municipal ainsi que les notables appelés, dans certains cas, à siéger avec le Corps municipal pour former le Conseil Général de la Commune.
Le premier Corps municipal est composé de :
– Louis Darmand, Maire, 38 ans
– Antoine Gannaz, 1ier officier, 65 ans
– Antoine Morens, 2° officier, 46 ans
– Jacques Bouvier, 3° officier, 52 ans
– François Lansard, 4° officier, 66 ans
– Jean Boissat, Procureur de la Commune, 35 ans
– François Nicolas Pavi, Secrétaire, 30 ans.
Les procès verbaux des délibérations seront établis dans une belle écriture ronde par François Pavi, notaire public, dans une forme laissant apparaître un juriste, qui aura toutefois quelques difficultés à s’adapter aux subtilités du calendrier républicain. Ainsi, les comptes-rendus des délibérations du 1ier semestre de l’année 1793 sont datés de l’an II de « la République une et indivisible », alors que c’est l’an I qui couvre en réalité la période « grégorienne » qui va du 22 Septembre 1792 au 21 Septembre 1793(1). La laïcisation de la commune qui récuse son patron pour s’appeler plus prosaïquement Les Vergers(2) n’apparaîtra qu’ultérieurement dans les délibérations.
Le recensement pratiqué en 1793 fait ressortir une population totale de 358 personnes réparties en 71 familles. La famille comprenait tous les individus vivant sous un même toit, domestiques inclus. Ces laboureurs et moissonneurs sont peu alphabétisés ; la signature est rare alors que l’apposition de la marque est la plus fréquemment utilisée, notamment par trois des officiers municipaux, dans les délibérations ou actes publics.
Il n’y a aucune raison de douter de la sincérité des sentiments républicains exprimés dans les délibérations de la municipalité de Saint-Girod. Cependant, au fil des jours, apparaissent les difficultés liées, bien sûr, à la politique anti-religieuse de la Convention, mais également aux dispositions d’une population rurale, qui dans la situation exceptionnelle née de la Révolution, supporte mal, aussi bien les levées en hommes que les réquisitions de chevaux, de grains ou autres denrées alimentaires.
Kronos reviendra dans ses prochains numéros sur les délibérations du Corps municipal liées à ces questions particulièrement vitales. Il apparaît plus intéressant, pour l’heure, de livrer à ses lecteurs, au travers de la prose du citoyen Pavi, secrétaire, les arguments de cette municipalité, confrontée, déjà, aux problèmes soulevés par la réunion des communes et des cures :
Égalité, Liberté
Délibération du Conseil Général de la Municipalité de Saint-Girod en réponse aux adresses du Procès Verbal du Directoire de Desmet des 26 Mars et 12 Avril 1793.
L’an mille sept cent nonante trois, second de la République (en fait, l’an I) le vingt et un du mois d’avril, à dix heures du matin à Saint-Girod, dans la maison d’habitation du citoyen Jacques Bouvier, la Municipalité de cette commune convoquée par le citoyen maire s’est assemblée en Conseil Général…
La Municipalité, pour les chefs qui la concernent, et après avoir ouï le Procureur de la Commune, … , a unanimement arrêté qu’il sera répondu que le citoyen Michel Dupessey, curé de cette commune, dans laquelle il n’habite aucun autre prêtre ni religieux, a prêté le serment prescrit aux fonctionnaires du culte, le dix mars dernier. À forme du procès verbal qui en a été consigné dans les registres de la Commune…
Quant aux renseignements à donner concernant les Cures susceptibles de réunion, il est à observer pour celle de Saint-Girod, qu’elle n’est point dans ce cas, soit par rapport à l’étendue de son territoire et à la situation des villages dont elle est composée, soit à cause des obstacles et difficultés physiques qu’elle aurait à communiquer avec les églises situées dans les environs. Elle se trouve séparée de la commune d’Albens, la seule à laquelle elle s’adapterait plus commodément, par la rivière la Daisse (le Deysse) qu’étant très sujette à se déborder par temps pluvieux inonde fréquemment les chemins de communication et les rend impraticables.
Mais s’il est inutile de considérer les raisons pour lesquelles Saint-Girod ne peut être uni, l’on voit au premier coup d’œil qu’il doit servir de point central ; son territoire, moitié en plaine, moitié en collines inclinées vers le couchant, contient quatre villages considérables, quelques hameaux et diverses maisons isolées. Il est confiné au nord par Saint-Félix, au couchant par Albens, au midi par Mognard et au levant par Chainaz et La Frasse, cette dernière commune quoique dépendante du district d’Annecy serait bien susceptible d’être incorporée à Saint-Girod, vu qu’elle en est à une très petite distance et que même cette distance ne s’apercevrait pas, lorsqu’il serait question de venir à l’Église de cette commune où les habitants de ladite Frasse seraient conduits par des chemins en pente et qui sont en bon état.
C’est une observation physique qui n’est pas à négliger. L’expérience prouve qu’il est très dangereux pour les personnes de la campagne un peu éloignées, d’avoir à se rendre aux offices divins par des routes difficiles et escarpées, parce que le son de la cloche les obligeant quelque fois à doubler le pas, elles arrivent alors à l’église, trempées de sueur, sans pouvoir recourir aux secours qui leur seraient nécessaires. De là viennent beaucoup de maladies qui enlèvent malheureusement à la société, les meilleurs de ses membres, nos bons laboureurs.
Le même inconvénient ne peut avoir lieu s’il faut faire un chemin en montée en retournant de l’Église chez soi. Chacun peut, sans se gêner, prendre le pas qui lui convient. La cloche n’a plus d’ordre à lui donner et en supposant encore que la longueur ou la difficulté de la marche causât quelque fatigue, l’on peut en arrivant a la maison satisfaire ses besoins et prévenir les dangers en changeant de linge ou en se chauffant, selon les circonstances de la saison.
La commune de la Frasse ne peut éviter la réunion à cause de son peu d’étendue et du petit nombre de ses habitants ; elle ne forme presque qu’un village. Outre quelques maisons éparses, son église est d’une très médiocre capacité, couverte de chaume et même mal située, au lieu que l’Église de Saint-Girod(3) est en bon état et assez vaste pour contenir les habitants des deux communes. D’ailleurs, la Frasse est dépourvue depuis longtemps de son curé pour ce qui concerne les fonctions ordinaires du culte. L’extrême vieillesse du citoyen Exertier l’ayant mis dans le cas de se faire nommer un suppleteur en la personne du citoyen Perrin vicaire de Saint-Félix qui est actuellement obligé de desservir seul deux communes et d’étendre sa sollicitude à celle qui manquent de pasteurs.
Le curé de Saint-Girod est dans le même cas et dessert aussi habituellement la commune de Mognard, depuis l’expatriation du ci devant curé Dijod.
La municipalité déclare que malgré les fréquentes invitations par elle faites et surtout de la part du citoyen maire, aucun habitant de cette commune ne s’est fait inscrire pour volontaire.
Le 23 Juin 1793, 16 Conseil Général de la Commune, sur les réquisitions du citoyen Vissol commissaire député pour le Directoire du district de Chambéry, rejette à nouveau toute réunion avec Albens au motif supplémentaire que : « cette commune s’accroîtra encore par la réunion de celle d’Ansigny » et maintient son projet de réunion de la Frasse à Saint-Girod en raison notamment « du patriotisme du citoyen Michel Dupessey curé de Saint-Girod… et aux raisons plausibles, détaillées dans la délibération du 21 Avril qui ne paraissent avoir besoin d’autres appuis que leur propre solidité pour déterminer la réunion proposée et conserver à cette commune la qualité de chef-lieu où le curé fera sa résidence ».
Le Conseil Général de la Commune de Saint-Girod va-t-il obtenir satisfaction ?
Le 3 ventôse de l’an second de la république (le 22 Février 1794), il se réunit cette fois dans la Cure, à défaut de maison commune, en présence de louis François Gallay et Jean Dupuis notaire, tous deux Commissaires de l’Administration du Département pour faire appliquer un arrêté pris le 12 Juillet 1793 pour la réunion des Cures.
Les dits commissaires, indépendamment de la vue et des examens qu’ils ont faits par eux-mêmes des localités, ont demandé au dit Conseil Général quelles sont les communes voisines de la présente, dont la distance n’excède pas une lieu et dont la réunion soit praticable ? Quelle est la population de chacune et quels sont les prêtres et ci-devant religieux et religieuse qui y habitent ? Le Conseil répond que les communes de Chainaz et La Frasse sont toutes les deux à une moindre distante d’une lieu et que, quoiqu’elles aient été inscrites dans le canton d’Alby, district d’Annecy, leur situation à proximité de cette commune (Saint-Girod), parait exiger qu’elles soient réunies à celle-ci ; leur pente naturelle de ce coté en fait la preuve, joint au plus grand éloignement où elles se trouvent de tout autres et à leur peu nombreuse population, laquelle, avec celle de cette commune (Saint-Girod), en composerait une d’un nombre suffisant.
D’ailleurs l’Église en ce lieu est en très bon état, couvertes à tuiles et la plus vaste des trois. La pente par laquelle on arrive en ce lieu favorisant en outre le port des cadavres au cimetière.
Cette réunion, et même celle de Cusy qui est borné du côté d’Annecy par la rivière Le Chéran qui leur cause un chemin excessivement long pour aller au dit Annecy puisqu’ils sont obligés d’aller passer sur le pont d’Alby, au district de Chambéry, dont dépend cette commune de Saint-Girod ; ne diminuerait point notablement le dit canton d‘Alby qui est composé d’un grand nombre de communes.
Il parait aussi que le point central de la réunion des dites communes de Saint-Girod, Chainaz et La Frasse doit être Saint-Girod puisque les hameaux de celle-ci seraient beaucoup éloignés de Chainaz et La Frasse que ne le sont de Saint-Girod les hameaux de ces deux dernières.
La population de la commune de Saint-Girod arrive à trois cent soixante quatre(4), celle de Chainaz à deux cent cinquante environ et celle de La Frasse à environ cent individus.
Il y a dans cette commune le citoyen Michel Dupessey, prêtre, qui est curé institué, à Chainaz ; le citoyen Durhone aussi curé institué et le citoyen Perrin vicaire de Saint-Félix, font quelques fonctions de culte à La Frasse et il n’y a dans les trois communes ni religieux ni religieuse.
Les dits commissaires… ayant ouï sur tous les objets, le Conseil Général unanimement d’accord, ont déclaré provisoirement les dites communes de Chainaz et La Frasse réunies à celle de Saint-Girod.
Dans sa défense des intérêts spirituels et… matériels de la communauté dont elle a charge, la municipalité de Saint-Girod, par des arguments, dans lesquels apparaissent souvent le bon sens et toujours un sens remarquable de l’opportunité du moment, obtient provisoirement gain de cause.
Pour longtemps ?… À Paris, au culte de la « Raison » va succéder celui de « l’Être Suprême »…
À Saint-Girod-Les Vergers, la municipalité se réunit à nouveau le 6 ventôse de l’an II (25 Février 1794), soit trois jours après la délibération qui a vu l’annexion de Chainaz et de La Frasse, pour faire exécuter un arrêté du 7 pluviose an II signé par Albitte, représentant du peuple à Chambéry qui leur enjoint de :
démolir le clocher, briser la cloche subsistante et d’établir un état des tableaux… , costumes, linges, statues et autres machines religieuses contenues dans la ci devant église.
Une délibération du 25 Prairial an II (13 Juin 1794) constatera la réalisation effective de ces destructions. Le 29 prairial, le Conseil Général de Saint-Girod : établit dans la ci-devant cure de la commune le lieu de détention où seront conduits et retenus les délinquants qui auront été déclarés en état d’arrestation ainsi que les bestiaux saisis.
Et malgré son « patriotisme » » et le serment prêté aux nouvelles institutions et à la Constitution civile du clergé, le curé Dupessey sera arrêté comme suspect.
Son Église couverte de tuiles mais privé de son clocher et de la cloche dont l’appel « obligeait quelquefois les fidèles à doubler le pas », sans Curé et sans Cure, les arguments « annexionnistes » de la Municipalité de Saint-Girod s’effondrent sur l’essentiel… Et si la commune de La Frasse n’existe plus de nos jours, c’est qu’en des temps moins troubles, le 17 Novembre 1865, elle a été réunie à la commune de Chainaz.
Félix Levet
NDLR : Les plus vifs remerciements adressés à Monsieur Raymond Porcheron, maire de Saint-Girod qui a eu la gentillesse de mettre les archives de sa commune à la disposition de la Société Kronos.
Notes de l’auteur :
1) Le calendrier républicain a été adopté par la Convention à l’instigation du mathématicien Charles Romme. L’ère nouvelle commence le 22 Septembre 1792, jour de la proclamation de la République. L’année républicaine compte 12 mois de 30 jours plus 5 ou 6 jours (années bissextiles) « surajoutées », nommés poétiquement « sans culotides ». Il fut en vigueur jusqu’au 1ier janvier 1806, date à laquelle Napoléon rétablit le calendrier grégorien.
2) À la même époque, Saint-Germain devient simplement la Chambotte et Saint-Ours, la Forêt d’Ours.
3) Il s’agit, bien entendu, de l’ancienne église dont la situation est rappelée aujourd’hui par le village de « Vieille Église ». L’Église actuelle date du XIXième siècle. Elle abrite notamment deux statues d’apôtres en pierre, attribuées à Brecquessent ou Brescent, sculpteur du XIVième siècle et qui proviennent de la chapelle des princes de l’abbaye d’Hautecombe.
4) Nous avons vu que le recensement d’octobre 1793 donne 358 habitants.

Délibération de la municipalité de Saint-Girod sur l’arrêté pris par Albitte, représentant du peuple, le 7 pluviose de l’an II (démolition du clocher)
(cliquer pour agrandir)
Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987

Les yeux me brûlent d’insomnie,
le jour paraît à la fenêtre ;
mes pensées en déroute
battent encore la chamade
des hantises nocturnes…
Ô mon âme, dépose
angoisses et tourments ;
réjouis-toi, entends tinter,
de-ci de-là les cloches matinales…
Eduard Mörike
Au point du jour
Combien d’entre nous n’attendent-ils pas au-delà des « angoisses et des tourments » alors que « le jour paraît à la fenêtre » que raisonne l’angélus pour commencer une nouvelle journée ? Croyants, indifférents ou athées, chacun tend l’oreille vers cette corne de brume de notre sommeil. Et pourtant, un matin de 1985, les cloches se turent. Les habitants se sentaient orphelins, lancés au milieu de l’océan du temps sans ce guide réconfortant. Mais ce silence ranima la mémoire des anciens qui par la tradition orale savent que contrairement à l’affirmation de Louis-Ferdinand Céline : « L’histoire ne repasse pas les plats », Dame Clio ménage parfois des coïncidences curieuses.
« L’an 1885, le jour des Morts, au matin, la vieille cloche reçut le coup de mort. N’est-ce point le marteau de l’horloge qui a frappé la cloche pendant qu’elle tintait ? » Joseph Lemoine, curé de la paroisse d’Albens, consigne de sa fine écriture, sur le registre paroissial, l’évènement de cette fin d’année 1885. L’unique cloche de l’église vient à l’aube de cette journée des défunts de rendre son dernier soupir, privant, déjà, les fidèles d’une compagne très « écoutée ».
Et l’archiprêtre, soucieux d’exactitude, note, non sans un certain amusement que « dans la paroisse, on ne fut pas chagriné » et de préciser les raisons de cette apparente indifférence : « De cet accident, on se permit d’en rire. La rumeur disait : il nous faut une cloche qu’on entende partout, plus grosse que toutes celles de la vallée. » S’égrenant à la respiration de la terre et au souffle du ciel, la vie rurale ne pouvait longtemps se passer du tintement familier. Et puis, cette rumeur un peu perfide, avoue que finalement, l’occasion est belle : « Albens est un chef-lieu. Il nous en faut deux. Plusieurs paroisses en ont deux… » Querelles de clochers !
Ainsi, les autorités civiles et ecclésiastiques, suivant le « vox populi », décidèrent-elles de substituer à la cloche cassée, « deux sœurs Fides et Spes » qui depuis cent ans au fil des heures joyeuses, glorieuses ou ténébreuses, « chantent, pleurent et prient », rappelant à la communauté albanaise, que le 28 juillet prochain, vers 17 heures, elles fêteront leur centenaire.
Une plongée dans notre passé s’imposait.
En empruntant momentanément la « Calypsos » du commandant Cousteau, rebaptisée « Kronos » pour la circonstance, nous nous immergeons dans l’océan des hommes jusqu’au seuil 1869 qui présente un véritable « fossé tectonique » tant pour l’histoire religieuse locale que pour celle de l’Église catholique romaine.
Telle une Louve aux appétits modernes, le xixè siècle allaita deux jumeaux au caractère apparemment opposé, « Positivisme et Libéralisme » » reprenant dans la mythologie contemporaine les rôles de Romulus et Remus, placés l’un et l’autre sous la protection du dieu Rationalisme auquel certains vouèrent un culte… déraisonné.
Cette double émergence dans l’esprit philosophique abreuva de nombreux mouvements « assoiffés » de liberté et d’indépendance, et provoqua de multiples lézardes dans la citadelle construite autour de la personne du Pape, en ouvrant des brèches de plus en plus larges dans l’autorité temporelle du Saint-Père. Les secousses nationalistes italiennes, savamment orchestrées par le comte de Cavour avec la malicieuse complaisance de l’empereur Napoléon III, amplifièrent leur onde de choc jusqu’à réduire les États pontificaux au seul bastion du Vatican. Un ultime bastion que Pie IX installé sur le trône de Saint Pierre de 1846 à 1878, accepta comme une prison de luxe, mais qui eut pour principale conséquence de stigmatiser son énergie et de renforcer son autorité spirituelle, autorité solennellement réaffirmée lors du premier Concile du Vatican qui débuta le 8 décembre 1869.
Ce même 8 décembre, la paroisse d’Albens rassemblait ses fidèles pour la bénédiction officielle de la nouvelle église dont les travaux venaient de s’achever.
Pour bien saisir le moindre battement de « chœur » d’une communauté villageoise, il faut savoir tendre l’oreille en direction de la « ville Éternelle », cette Rome qui tente d’irriguer ses contrées les plus éloignées.
Le procès-verbal de la bénédiction de l’église, rédigé par le Révérend Lucien Pavy, archiprêtre et curé, attire immédiatement notre attention dès les premiers mots : « L’an 1869, le 8 décembre, en la fête de l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, jour à jamais mémorable de l’ouverture du Saint Concile du Vatican, au milieu d’un immense concours de fidèles… »
Une célébration doublement symbolique à une date qui ne doit rien au hasard.
Face à la montée du laïcisme, de l’anticléricalisme et du scientisme qui s’apprêtaient à sacrifier toute religion sur l’autel de la « Sainte Raison » la bénédiction d’une église, quelque fut son importance, s’analysait comme une résistance à l’air du temps et un défi accompagnant la lutte de Pie IX pour faire de l’église le dernier rempart contre les principes, jugés dangereux, de la société contemporaine.
En ce jour de « fête de l’Immaculée Conception », dogme proclamé le 8 décembre 1854, le Concile Vatican I accrut le centralisme romain en soumettant l’Église à la seule autorité de Rome, l’affirmation doctrinale de l’ultramontanisme (1) s’opposant aux aspirations gallicanes (2) des églises nationales. La constitution Pastor Aeternus, clôturant le concile le 18 Juillet 1870, servit de point d’orgue, l’évêque de Rome obtenant la définition de d’infaillibilité pontificale. Un concile qui s’interprétait comme un constat de divorce, aux torts réciproques, entre l’Église et la pensée contemporaine.
C’est dans cette agitation fébrile, tempérée par le bon sens campagnard, que les Albanais accueillaient la construction de leur nouvelle église. La cloche pouvait battre à toute volée pour fêter cette naissance jusqu’à ce matin du jour des Morts 1885 où l’implacable faucheuse lui infligeait une blessure fatale.
La charge de remplacer la cloche cassée incombait à la commune. Le curé Lemoine fit part à monsieur le maire, Félix Canet, du sentiment de la paroisse. Des différents entretiens, auxquels participa le président du conseil de Fabrique, monsieur Jules Rosset, intervint un accord pour une nouvelle cloche de 2000 kilos.
Le conseil de commune eut donc à délibérer sur la question, le problème essentiel consistant à choisir le fondeur. La maison Paccard, d’Annecy-le-Vieux, qui connaissait déjà une renommée internationale, semblait devoir sans discussion possible recueillir un préjugé favorable auprès des édiles albanais. La procédure suscita quelques… frémissements !
Réuni le 15 novembre 1885, le conseil écouta le rapport du premier magistrat sur les contacts qu’il avait établis avec diverses maisons de fonderie de cloche afin, à la lumière des devis, de « choisir celle de ces maisons qui offrirait les conditions les plus avantageuses tant sous le rapport de la bonne exécution du travail que sous le rapport du prix ».
À l’intention de ses collègues, Félix Canet fit circuler la correspondance échangée afin qu’ils se « forgent » une opinion.
À la lecture du registre des délibérations, cette séance se déroula sans atermoiements, ni émotion.
Les conseillers admirent que la cloche de la commune était cassée et qu’elle ne pouvait plus fonctionner. Ils constatèrent qu’à la suite du « don à titre gracieux qui » avait « été fait récemment… par messieurs les frères Perret, de Paris, d’une horloge », il convenait d’adjoindre une cloche nécessaire au bon fonctionnement de l’horloge, fonctionnement dont les habitants étaient actuellement privé ainsi que des sonneries indispensables au service du culte.
Le choix du fondeur ne donna lieu officiellement à aucun cas de conscience, le secrétaire de séance notant « qu’à la suite du dépouillement de la correspondance, il résulte que la maison Paccard, d’Annecy-le-Vieux offre les conditions les moins onéreuses avec toutes les garanties d’une bonne exécution ».
Curieux raccourci ! Et le bon Père Lemoine nous rappelle à l’ordre et à la vérité historique. Car, si on s’adressa tout naturellement aux « Messieurs Paccard », la maison Debrand de Paris, également consultée, proposa un devis nettement moins élevé. Et comme depuis la pose de l’horloge de la maison Godefroy-Strebet, Albens regardait Paris avec des yeux de Chimène, le choix s’avérait beaucoup plus cornélien. Une bataille de chiffres qui déclencha une petite « guerre de la fonte ».
Le sang savoyard des « Messieurs Paccard » » monta à ébullition et « ceux-ci humiliés qu’on s’adressa à Paris, firent un rabais, de 25 F par 100 kg, le prix se réduisant à 300 F les 100 kg ». Le coup paré, l’honneur était sauf ! Ainsi, le conseil communal décida le 15 novembre « l’acquisition d’une cloche de la maison Paccard d’un poids de 2 000 kg dont la dépense s’élèvera à la somme de 6 170 F ».
À cinq heures, Monseigneur Leuillieux gravit les quelques marches du parvis pour prendre place devant la grande porte de l’église, entouré d’un imposant clergé duquel émergeaient le vicaire général Ramaz, les chanoines Boissat, Savy, Monachon, Quai-Thévenon, les curés Pajeon, Guicher, Déprimoz, Chamousset, le supérieur du collège de Rumilly. Cette assemblée dominait une foule saisie « d’une émotion douce et joyeuse » et installée sur des bancs.
Au grand artisan de la renaissance des cloches, le curé Lemoine, revenait la tâche de prononcer le discours d’usage. Impressionné par ce parterre d’ecclésiastiques et par la solennité de l’instant, « il monta sur le marchepied et adressa la parole à cet auditoire aussi grand que distingué ». La bénédiction se déroulant en quatre cérémonies successives ; le lavement, les onctions, l’encensement et la sonnerie ; il en « interpréta le sens mystique » à l’intention des fidèles.
Fides et Spes baptisées, l’archiprêtre « pria le pontife de bénir la paroisse si généreuse pour la décoration de l’église et l’acquisition de la seconde cloche ». Les péripéties de la naissance de Spes lui revenant en mémoire, « il appela une bénédiction particulière sur les plus généreux donateurs ».
Et de citer en premier lieu, le chanoine de la cathédrale de Chambéry, Jean Boissat, le « généreux parrain » de Fides qui à l’occasion du baptême de sa filleule offrit « un si riche ostensoir en vermeil avec pierres précieuses ».
Puis la famille Canet, en la personne de son plus illustre représentant, Félix, qui en tant que maire, présida à la construction de l’église et au remplacement de la fameuse « cloche cassée », et de « Dame Elize » à qui revint la « charge » de porter Fides sur les fonts baptismaux, au titre de marraine.
Monseigneur associa au premier magistrat « Monsieur Pavy, aujourd’hui curé d’Aix » qui « connut mille difficultés » pour l’érection du prestigieux édifice, et « fit beaucoup pour son embellissement ».
La famille Rosset, comme « la plus généreuse envers l’église et la plus connue des pauvres » reçut sa part d’éloges. Elle avait participé pour 470 F à l’achat de Spes. Jules Rosset, président de la Fabrique, fut investi de la fonction de parrain et « contribua à l’achat d’une pyxide (3) en vermeil pour 160 F ». Léon Rosset, quant à .lui figure sur « l’acte de baptême » de Fides en sa qualité de premier adjoint.
Et enfin, de rappeler les mérites de la famille Perret, « celle à qui on doit l’horloge », « Maman Justine » élevée à la dignité de marraine de Spes. Avec celle de Fides, Elize Canet, elles « donnèrent les dix chandeliers en cuivre semi-doré du maître-autel ».
La bénédiction s’acheva et « on se hâta de faire_monter les cloches ». La foule allait-elle entendre le premier « cri » des deux sœurs ? Non car « elles ne purent sonner que le lendemain à la fin de la consécration de l’église ».
cette première journée se termina par une « magnifique illumination », Monseigneur faisant « une charmante visite dans le bourg ».
Bénite le 8 décembre 1869, l’église d’Albens, au cours d’une cérémonie qualifiée de « grave et imposante », reçut la dignité suprême le 29 juillet 1885 des mains de Monseigneur Leuillieux : la Consécration.
Bâton de maréchal d’un édifice religieux, cette dédicace ne revêt aucun caractère obligatoire, la plupart des églises et même des cathédrales se « contentant » de la bénédiction.
La rareté de la cérémonie indique combien les autorités ecclésiastiques se montraient reconnaissantes à la paroisse et à la commune d’Albens de leur action « chrétienne ».
À dix-sept ans d’intervalle, la bénédiction et la consécration témoignaient de la ténacité de ce bourg rural à maintenir le culte catholique dans son expression la plus large, et récompensaient l’enthousiasme et la fermeté des clercs et des fidèles à affirmer leur attachement.
L’Archevêque suivit le rite de la consécration, élaboré des siècles avant lui, rite beaucoup plus dépouillé actuellement depuis le concile de Vatican II.
Plusieurs processions autour de l’église permirent au prélat d’asperger et de sanctifier les assises et les murailles extérieures. Gagnant l’intérieur, il opéra de la même façon sur « l’inscription, en forme de croix, des 24 lettres de l’alphabet grec et latin, sur le pavé de l’église ».
Puis il transporta depuis la cure des reliques pour les sceller dans le tombeau de l’autel. Chaque maître-autel est en effet destiné à accueillir le corps ou les reliques d’un saint homme. En l’occurrence, les reliques sont-elles celles de saint Alban ? Nul le sait.
La consécration proprement dite s’acheva par l’onction de l’autel et des douze pierres incrustées dans les murs.
« Un sermon pathétique », « une sainte messe », le TE DEUM eurent sans doute beaucoup de mal à satisfaire, malgré leur foi, les paroissiens, fascinés par une attente légitime : la sonnerie des cloches.
Et comme pour mettre un terme au supplice de leurs « géniteurs », Fides et Spes, d’un commun accord, « entonnèrent charitas » dans une « sonnerie heureuse, grandiose, harmonieuse et joyeuse ».
Et depuis ce jour, les deux sœurs, s’imposant parfois des silences monacaux, effacent de leurs « effluves matinales » les « angoisses et les tourments », ces deux vigies, entre ciel et terre, accompagnant les hommes dans leur reconquête du temps… perdu.
Alain Paget
Les plus vifs remerciements au Père Maurice Hugonnard pour la consultation des registres paroissiaux et ses précieux renseignements, ainsi qu’au secrétariat de mairie pour les archives communales.
1) Ultramontanisme : ensemble des doctrines théologiques favorables au saint-siège.
2) Gallicanisme : doctrine qui a pour objet la défense des franchises ou libertés de l’Église de France (gallicane, de gallicanus = gaulois), à l’égard du saint-siège, tout en restant sincèrement attachée au dogmes catholiques.
3) Pyxide : petite boîte qui servait autrefois à contenir l’eucharistie et qui est à
l’origine du ciboire.
Article initialement paru dans Kronos N° 1, 1986
En 1860, c’est bien connu, la Savoie a été rattachée à La France.
Napoléon III, nouveau maître de notre ancestrale contrée, en fit dresser une carte d’état-major pour et par ses armées, car celles effectuées de 1854 à 1856 par les Italiens laissaient à désirer.
L’orthographe du nom de certaines communes étant restée délicate, M. Louis Pillet, de l’académie des Sciences de Savoie, se proposa de les réorthographier afin de faciliter la tâche aux militaires, aux voyageurs et à l’administration.
Les travaux ont été achevés en 1886. Ainsi la dénomination de nos villages et hameaux, dont l’origine remonte pour la plupart, au XVIIIè siècle, a été en partie modifiée.
Voici quelques exemples de cette opération :
Auparavant, Dressy s’appelait Druissy ; Marline, La Martine ; Lépau, Les peaux ; Orly, Dorlier, et cela en raison d’un sieur François d’0rlier, Seigneur de Montfalcon en 1447 et qui laissa son nom à ses terres.
Futenex qui était « l’un des plus grand hameaux d’Albens » s’appelait, avant 1866, Maison Moliard, et tira son nouveau nom de la présence dans ses parages, d’une « source minérale Ferrugineuse ».
Sur la Biolle, il y eut moins de changements, mais Tarency se nommait Tareusy ; Roasson, Rousson et Longefan, Longefau.
De même à Cessens, les Granges s’appelaient les Gragnats ; à Saint-Girod, Maclin s’appelait Marclens et Épersy s’écrivait avec un « z ».
On ignore encore l’impact que ces transformations ont eu sur les populations : intérêt, indifférence, rejet ?
Toujours est-il que certaines communes ou lieux-dits comme Braille, Saint-Girod, Dominian (1), Piollat (à Cessens), après avoir vu leur orthographe modifiée en haute sphère, n’en ont pas moins gardé aujourd’hui leur ancestrale appellation.
Une preuve que l’homme ne peut pas toujours défaire ce que l’homme a fait.
Gilles Moine
Article initialement paru dans Kronos N° 1, 1986
(1) NDK : Comme indiqué en commentaire de cet article, il faut lire ici « Domian ». Le choix a été fait de garder l’article tel que paru en 1986.
M. Conversy, artisan, habitait au village de Marcellaz à Saint-Girod. Il débuta son activité après la guerre de 1914 et exerça alors son métier jusqu’à la fin de sa vie, en 1949.
M. Conversy a eu le mérite d’apprendre seul ce métier qui lui a demandé beaucoup de patience, d’habileté et de précision.
Il lui a fallu donc, tout d’abord, un certain temps de réflexion dans l’étude de la courbe d’une fourche, des matériaux nécessaires à l’élaboration de son ouvrage. Puis vint le temps de la fabrication des moules et autres matériaux. Tout ceci consistait en une « échelle spéciale » appelée « la forme » et des « coins ». Puis il acquit un four, un grand chaudron, un petit chariot, une scie à ruban, des rabats, des racloirs, des planes et toiles émeri. Son ouvrage était constitué d’un ensemble d’opérations dont la construction en elle-même nécessitait plusieurs jours.
Il lui fallait d’abord aller acheter le bois sur pied. Il parcourait le pays en vélo. Le frêne était choisi comme le matériau le plus adéquat. M. Conversy choisissait de gros frênes, jeunes, le pied bien droit et sans nœuds. Il les reconnaissait à leur écorce presque lisse, et à leurs emplacements, des terrains frais et plutôt humides.
Les pieds de frêne étaient ensuite transportés à la scierie où ils étaient sciés en des plateaux de 7 cm d’épaisseur.
Puis s’exécutait le travail de traçage. Les tracés de bois de fourche étaient effectués dans les veines bien droites puis sciés à « la ruban ». Ensuite, il fallait donner 2 coups de scie pour les 3 fourchons de 70 cm. M. Conversy préparait ainsi une quinzaine de bois de fourche.
L’autre partie de son travail se déroulait le lendemain matin de très bonne heure (2 heures du matin). Il commençait à faire cuire les 15 bois de fourche à l’eau bouillante dans un grand chaudron haut pendant 1/2 heure environ suivant la dureté du bois. Puis il sortait un bois à la fois tout en maintenant les autres dans l’eau chaude.
Ensuite, il commençait par courber la partie « fourchon » à l’aide de l’établi pour assouplir 1e bois pendant qu’il était encore très chaud et éventuellement le remettait cuire s’il était encore trop raide. Puis le bois était placé sur la « forme » (échelle spéciale) à même le sol, coincé avec une traverse au niveau de 1a base des fourchons. Deux coins provisoires étaient mis pour écarter les fourchons sans les forcer et puis il fallait donner de la courbe aux 3 fourchons en les maintenant dans le bout par des bois échancrés, les fixant à égale distance les uns des autres. Ce travail fini, ils étaient laissés en attente. Puis M. Conversy recommençait la même opération avec un autre bois en ayant soin de remettre au fur et à mesure des bois à recuire.
Quand les 15 ébauches de fourches étaient prêtes, il faisait chauffer le four préalablement rempli de bois à une température très élevée comme pour un four à pain.
Puis il faisait glisser à l’intérieur sur des rails le paquet de 15 fourches prêt à l’avance sur un charriolet spécial. Puis le four était refermé aussitôt, les fourches y étaient laissées jusqu’à complet refroidissement, c’est à dire jusqu’au lendemain.
Tout ce travail était très pénible et demandait une grande matinée.
Le jour suivant, M. Conversy, enlevait les moules (formes) qui se dégageaient sans effort le bois ayant séché. Il remplaçait les coins provisoires par d’autres plus petits « en verne », bois tendre, et les clouait avec deux grandes pointes rivées aux deux extrémités Arrivait alors le travail de finition. Avec rabots, planes, racloirs, papier de verre, il effilait les fourchons en arrondissant seulement le dessous, le dessus devant rester plat mais sans angles prononcés sur les bords.
Puis il arrondissait le manche. Toute la fourche devant être lisse et douce au toucher, aussi le polissage était perfectionné avec du papier de verre très fin.
La fourche était alors terminée.
M. Conversy faisait également des fourches avec du noyer bien droit, qui était un bois beaucoup plus léger. Les fourches étaient achevées en guise de cadeaux, pour les femmes et les enfants.
Son travail s’effectuait sur les marchés de la région, mais beaucoup de gens venaient acheter les fourches à son domicile. Beaucoup étaient vendus aux habitants des Bauges.
Il se chargeait aussi de la réparation des fourches cassées.
Avec ce même amour du travail, le travail bien fait, M. Conversy fabriquait aussi des skis, selon les mêmes principes de construction que pour les fourches. Les skis étaient vendus jusqu’à des départements très éloignés.
À tout ceci, s’ajoutait la réalisation de tonneaux et de pressoirs.
Maryse Portier
Article initialement paru dans Kronos N° 1, 1986
Il devait faire beau temps ce dimanche 5 avril 1914, jour des Rameaux ; comme à leur habitude les habitants d’Albens se regroupent sur la place centrale où l’on discute par petits groupes.
Nous sommes sortis de l’hiver, les petites filles ont revêtu les robes claires et coiffé les chapeaux de paille qui les protègent si bien des ardeurs du soleil. Quelques femmes en robes longues et sombres circulent entre les groupes d’hommes qui semblent débattre tranquillement.
Parlent-ils des travaux des champs et des longues journées consacrées aux cultures, aux herbages et à la production du lait que l’on apporte quotidiennement dans les fruitières ?
N’abordent-ils pas plutôt les questions politiques ? Dans trois semaines les prochaines élections législatives vont avoir lieu. Le débat est vif, les républicains sont divisés, le parti réactionnaire et clérical encore puissant. Mis en ballottage au premier tour, le député républicain sortant Théodore Reinach sera nettement battu au second par un jeune candidat se définissant comme « nettement catholique et franchement républicain », Paul Proust.
Ce nouveau député, les électeurs du canton n’auront guère eu le temps de le connaître : mobilisé le 4 août 1914, sergent au 97ème de ligne, il tombera au combat le 24 octobre de la même année à Saint-Nicolas-les-Arras.
Avec cette carte postale réalisée quelques années plus tôt par le photographe chambérien Louis Grimal nous disposons d’une sorte de fenêtre ouverte sur les habitants d’un chef lieu de canton qui regroupe alors neuf communes et compte un peu plus de 1600 habitants.
Dans moins de cinq mois la première Guerre mondiale aura éclaté, les hommes seront partis défendre la patrie et sur la porte de la mairie on pourra encore voir l’affiche de la mobilisation générale.
Jean-Louis Hébrard
Article initialement paru dans l’Hebdo des Savoie
Un dossier aimablement prêté à un membre de Kronos par Monsieur le Conservateur du Musée de Chambéry, une vieille brochure de Monsieur le Comte de Loches, une visite au musée d’Aix les Bains, et diverses conversations, ont permis de rassembler un faisceau de renseignements concernant l’activité de la faïencerie de la Forêt, installée sur la commune de Saint Ours, et qui fonctionna de 1730 à 1814.
L’attention des chercheurs du passé de l’Albanais sera peut-être éveillée, et on souhaite que les uns et les autres examinent leurs vieilles faïences et porcelaines, fouillent les greniers, questionnent voisins et amis, peut être découvriront-ils plats ou assiettes portant au dos l’inscription : « la Forest »… Peut-être feront-ils quelque trouvaille plus intéressante ? Aussi cet article pourrait n’être que le premier se rapportant à une intéressante industrie de notre canton… Puisse-t-il amener nos amis à se passionner plus encore pour notre belle région…
Noël Bouchard, fils de Jacques Bouchard, quincaillier à Chambéry, fonda, vers 1730, à Saint Ours, au lieu dit « La Forest » une faïencerie dont les frais d’installation s’élevèrent à la coquette somme de 80 000 livres.
Le Roi de Sardaigne lui accorda, par lettres patentées du 23 Janvier 1730, le monopole de vente, l’exemption de nombreux impôts, ainsi que des facilités pour l’achat du sel et du plomb nécessaires aux vernis.
Noël Bouchard adjoignit un magasin de faïence à son commerce de quincaillerie de Chambéry. Après quelques années, son fils Jean Marc lui succéda, et les privilèges accordés par le Roi de Sardaigne furent prorogés en 1749 pour 15 ans, et en 1763 pour 10 ans…
Noël Bouchard n’avait que peu de compétences dans la fabrication des faïences ; aussi est-il probable qu’il utilisa les services de techniciens de Nevers, grand centre de fabrication, mais qui, à l’époque de la fondation de la Forest avait, par suite de la multiplication excessive de ses ateliers, été victime à la fois d’une crise de chômage et de la limitation du nombre des entreprises…
Il ne semble pas que l’on ait retrouvé des pièces attestant un style particulier à la Forest ; la faïencerie imitait des œuvres de provenances diverses (Nevers, Moustiers, faïenceries italiennes, etc…). La plus grande partie de la production était celle d’objets usuels, plats et assiettes, uniquement en faïence jusque vers 1770, parfois en porcelaine à partir de cette date.

Faïence « manganèse » (collection particulière)
En 1797, Pierre-Amédée Bouchard constitua, avec son beau-frère Jo Dimier et Marguerite Dimier, la Société Bouchard et Dimier, aux fins de poursuivre l’exploitation de la faïencerie… Mais cette société fut éphémère : le 21 vendémiaire an VII (13 Octobre 1798), Jo Dimier en réclama la dissolution.
Avait-il accepté de former une société avec son beau-frère pour connaître les « secrets » de fabrication ? Ou bien, les deux beaux-frères ne purent-ils s’entendre ? Toujours est-il que Jo Dimier s’installa à Hautecombe, ancienne abbaye devenue bien national, où il fonda sa propre faïencerie, qui fonctionna de 1799 à 1804, époque à laquelle il fit faillite, ce qui entraîna la disparition de la faïencerie de Hautecombe.
Un procès opposa Pierre-Amédée Bouchard, qui poursuivait l’exploitation de la Forest, et Jo Dimier.
Ce procès entraîna de gros frais, et fut, semble-t-il, une cause importante de la faillite de Bouchard, dont les biens furent saisis, et finalement vendus le 21 Novembre 1812.
Monsieur de Saint-Martin, notaire chambérien, se rendit acquéreur de la faïencerie, pour la somme de 44 425 Francs, tandis que Bouchard allait demander asile à un beau-frère, Monsieur Rosset d’Albens.

Faïence polychrome « Au Brochet » avec trois petits bonshommes pêcheurs (collection particulière)
La faïencerie fut alors dirigée par le notaire, aidé d’un « tourneur » (ouvrier faisant fonctionner le tour du potier) ; mais elle ne put se rétablir, et disparut promptement… Le musée de Chambéry possède en effet une assiette de faïence portant l’inscription « La Forest, 1814 »… Cette pièce constitue la dernière preuve de l’existence de la fabrique. D’autre part, vers 1816, Monsieur de Saint-Martin fit pulvériser les moules en gypse, pour engraisser ses champs de trèfles…
Actuellement, aucune trace de la faïence ne subsiste ; seule, la mémoire de certains habitants du hameau permet de situer l’endroit précis où se trouvaient les bâtiments.
Par contre, des traces de la production existent… Diverses pièces sont exposées dans les musées d‘Aix et de Chambéry.
À Aix, en particulier, on pourra voir quelques plats et assiettes, produits de la Forest. On admirera en particulier une très belle assiette en porcelaine ; toutes les pièces exposées sont soigneusement mises en valeur.
Une brochure, due à Monsieur le Curé de St Ours, et datée de 1980, permet de vérifier que des pièces plus « nobles » étaient produites :
– Une « Pesta » (Pieta) représentant le Christ mort, entre les bras de sa Mère ; le Comte de Loches lui trouve « un peu de gaucherie dans le modelage et l’attitude des personnages, mais les couleurs sont vives, l’émail bon, et l’on retrouve dans l’ensemble de la composition un peu de cette naïveté qui distingue les tableaux de Giotto et du Pérugin ».
– Un curieux petit moutardier, propriété de M. Rosset, notaire à Albens… « Ce moutardier est fait d’un tronc d’arbre, au pied duquel est un berger, dans une attitude peu pastorale, mais assez analogue avec le contenu du récipient » (Comte de Loches).
Enfin, et si l’on écarte provisoirement, dans cette étude, les pièces du musée de Chambéry, il faut ajouter qu’il y avait peut-être, suite à une campagne de fouilles menée il y a assez longtemps, des tessons provenant de la Forest, entreposés en musée d’Aix…

Plat à barbe en faïence (collection particulière)
Amis de Kronos et de notre belle région, n’entreprendrez-vous pas, avec nous, un travail de recherche, pour apporter votre contribution à la connaissance de pièces, plus ou moins belles, plus ou moins nobles, qui survivent vraisemblablement encore, peut-être dans les greniers, peut-être soigneusement suspendues ou précieusement posées sur quelque vieux meuble…
J. Caillet
Article initialement paru dans Kronos N° 2, 1987
Mardi 19 avril 2016, au centre culturel des Trois-Bouleaux de la Biolle, se tiendra à 20h30 une conférence sur l’église de la Biolle, son architecture et son histoire, donnée par Véronique Dohr, architecte urbaniste, et Henri Billiez, membre de Kronos.
Ce sera également l’occasion de découvrir le dernier numéro de Kronos, pour ceux qui ne l’ont pas encore découvert.
Venez nombreux !