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Les Allemands arrivent, 23/25 juin 1940

Dès le samedi 22 juin, on sait dans l’Albanais que la guerre est là toute proche. En effet, les Allemands ont atteint la rive droite du Rhône qu’ils vont franchir malgré une solide résistance de l’armée des Alpes et la destruction de la plupart des ponts. C’est aux environs de Culoz qu’ils parviennent à franchir le fleuve par le pont de La Loi qui n’a pas pu être détruit. Dimanche 23 juin, les armes parlent le long du lac du Bourget, à Brison et sur les hauteurs de l’Albanais à Cessens, la Chambotte, Saint-Germain puis Villette. Là, les Allemands se heurtent au renfort d’un régiment d’Annecy qui parvient à bloquer leur avance. Vers 19 heures, écrit le comte de Buffières dans son ouvrage « Les Allemands en Dauphiné et dans la Savoie » paru en 1942 : « l’artillerie allemande tire sur le village sur lequel pleuvent les balles. La maison Chenelaz reçoit près de cinquante obus et prend feu ». Aux alentours de 20 heures, le tir cesse mais les Allemands qui dénombrent des pertes ne vont reprendre leur progression que le lendemain, lundi 24 juin. Un journaliste du Petit Dauphinois, dans un article publié trois jours plus tard décrit longuement la lutte sur la route de la Chambotte : « elle se poursuivit toute la nuit de dimanche à lundi. Il était six heures lundi lorsque, venant de Saint-Germain, où la bataille avait été chaude, les ennemis arrivèrent à Albens. Ils tenaient à poursuivre leur avance dans deux directions : celle de Rumilly, où ils arrivèrent le lundi à 10 heures du matin, et celle de Saint-Félix où ils s’installèrent dans l’après-midi. Ainsi venaient-ils de passer de la Savoie à la Haute-Savoie ».

Carte extraite de l'ouvrage de Buffières
Carte extraite de l’ouvrage de Buffières

À l’entrée en vigueur de l’armistice, le mardi 25 juin à 1h35, l’avancée allemande se fixera sur la ligne Aix, Albens, Saint-Félix, Rumilly. Ce secteur de l’Albanais va vivre à l’heure allemande durant trois semaines.
Quand le lundi 24 juin, les habitants d’Albens qui s’étaient réfugiés la veille à Saint-Girod ou plus loin regagnent le village, ils découvrent la réalité de l’occupation allemande. Dans les rues, d’imposantes files de camions stationnent le long de la Grande rue. L’école a été réquisitionnée, soldats et officiers en ont fait leur cantonnement.

Dans la rue centrale d'Albens (archive privée)
Dans la rue centrale d’Albens (archive privée)

Le journaliste du Petit Dauphinois, Maurice Bonnard, décrit une armée allemande qui est partout chez elle : « lorsque nous arrivons à Albens, les cafés retentissent de chants : ce sont les soldats allemands qui chantent en chœur. Chez notre dépositaire l’un d’eux a toutes les peines du monde à faire comprendre ce qu’il est venu chercher : du beurre pour faire une tartine. On n’a que la ressource de l’envoyer chez l’épicier d’en face. Et les habitants d’Albens nous répètent les paroles que leur dirent les ennemis à leur arrivée : à la Chambotte, combat très dur ».
Une mesure monétaire prise par la « Kommandantur » d’Albens préfigure le pillage économique que notre pays connaîtra durant toute la guerre. Le lieutenant Kulman, commandant de la place, fixe par un avis à la population le cours du mark à 20 francs français.

Un mark vaut 20 francs (archive privée)
Un mark vaut 20 francs (archive privée)

Pour le soldat allemand les prix des denrées alimentaires fondent magiquement. Le kilo de beurre à 160 francs ne coutera plus que 8 marks, et pour le kilo de bœuf à 120 francs il ne sortira de sa bourse que 6 petits marks. Comme toujours, c’est le vaincu qui fait les frais de l’opération.
La population va également devoir s’habituer à voir la troupe défiler quotidiennement comme on peut s’en rendre compte sur ce cliché conservé dans des archives familiales.

Dans les rues d'Albens en juin 1940 (archive privée)
Dans les rues d’Albens en juin 1940 (archive privée)

En rang par trois, menée par un sous-officier, toute une section avance dans la Grand rue en direction d’Aix-les-Bains. Sur un autre cliché, c’est une section en tenue de travail qui se dirige vers la cantine. Ce rythme de vie à l’heure allemande va durer jusqu’au 15 juillet, date à laquelle l’armée d’occupation quittera la région qui relève désormais de la Zone libre sous le gouvernement de Vichy.
Il reste alors le poids de l’effondrement qui pèse et pèsera sur tout le pays avec le sentiment qu’il ne faut pas se laisser aller au désespoir.
C’est ce sentiment que retranscrit le journaliste du Petit Dauphinois dans la conclusion de son article « Dans tous les pays que nous traversons, l’attitude des habitants apparaît la même : résignée, mais digne. On se tait, en serrant les poings et l’on regarde en face les éléments d’occupation. Seulement, quand on sent les larmes venir aux yeux, on se détourne ».

Jean-Louis Hebrard

L’ennemi est là : juin/juillet 1940

Durant les trois semaines que va durer la première occupation allemande de l’Albanais, l’ennemi enterre ses morts à Saint-Germain, tente de pavoiser, installe partout sa force mécanique au risque de susciter parfois des réactions énergiques. Toutefois l’occupant fait tout pour accréditer l’image de la plus parfaite correction.
À l’ombre des pommiers, neuf soldats allemands reposent dans un petit cimetière champêtre à Saint-Germain-la-Chambotte. C’est en fin de journée, le 23 juin 1940, que furent enterrés ici ces soldats tués au cours des durs combats qui se déroulèrent entre Saint-Germain et Villette.

Le cimetière allemand à Saint-Germain-la-Chambotte (archive privée)
Le cimetière allemand à Saint-Germain-la-Chambotte (archive privée)

D’abord sommaire, le cimetière allait être organisé durant les trois semaines d’occupation de l’Albanais (24 juin – 15 juillet 1940). Le comte de Buffières, dans son ouvrage publié en 1942, le décrit longuement : « les Allemands ont laissé derrière eux un petit cimetière à Saint-Germain. Neuf de leurs morts y sont couchés. Placé à côté de l’église, dans un pré, sous deux pommiers, entouré d’une barrière de bois, le cimetière se protège sous une grande croix de bois qui porte l’inscription : GEFALLEN FUR GROSS-DEUTSCHLAND (tombés pour la Grande Allemagne). Le sol autour des tombes est semé de gravier blanc. Chacune des neuf tombes est surmontée de la croix. Il y a là un lieutenant, des sous-officiers et des soldats. Ils appartenaient tous à la 11ème compagnie du 93ème d’infanterie de Magdebourg. L’aumônier militaire allemand qui séjourna à Aix-les-Bains, professeur à Magdebourg, y assura le service religieux pendant l’occupation ».
Un cliché photographique non daté complète la description donnée par le comte de Buffières. Il permet d’apercevoir des détails supplémentaires. Les croix sont toutes surmontées d’un casque d’acier typique des forces allemandes. Sur les montants transversaux des croix, on devine une inscription, probablement le nom du soldat qui repose là. Disposée sur deux ou trois rangées, chaque tombe est bordée par un arbre à fleurs. L’entrée du cimetière est fermée par une simple chaîne.
C’est en rentrant d’un hameau au dessus de Saint-Germain après les combats du dimanche 23 juin, que la propriétaire du terrain derrière l’église découvre les tombes fraichement creusées. Dans un article publié dans la revue Kronos en 1990, l’auteur Michel Germain décrit ainsi la surprise de cette paysanne : « Il est plus de 7 heures du soir. Depuis près d’une heure, on n’entend plus de coups de feu. Peut-être sont-ils partis ? En arrivant chez elle, près de l’église de Saint-Germain, elle trouve toute une section attablée à la cuisine. L’officier se lève à son entrée « La porte était ouverte, Madame… ». Remise de sa surprise, elle pense à ses vaches. L’officier l’autorise à se rendre à l’étable… Les Allemands, vautrés sur des chaises, ou assis par terre, sont visiblement fatigués. Sous les pommiers, à côté de la ferme, ils ont enterré, roulés dans des toiles de tentes, huit des leurs, morts pendant les combats de la Chambotte. Quelques jours plus tard, les Allemands feront planter des croix de bois qu’ils surmonteront de casques ».
Le cimetière sera à nouveau remis en état de 1943 jusqu’en août 1945, lorsque les forces allemandes, occupant toute la France, reviendront dans l’Albanais.

L'église de Saint-Germain (collection privée)
L’église de Saint-Germain (collection privée)

Durant ces journées de juin 1940, dès qu’elles occupent une ville ou un village, les forces allemandes déploient leurs immenses oriflammes à croix gammée. À Saint-Germain-la Chambotte, cette « pratique » va entraîner la vive réaction du curé de la paroisse, l’abbé Bérenger. Le comte de Buffières rapporte l’attitude énergique et digne de l’ecclésiastique : « Les allemands avaient arboré sur le clocher un immense drapeau à croix gammée. Le curé fait remarquer aux amateurs de pavoisement « pour cause de victoire » que le drapeau empêche de sonner les offices. Le drapeau fut enlevé et le capitaine allemand tint à expliquer au prêtre que ce drapeau n’avait pas été mis pour l’ennuyer mais pour fêter l’armistice ». Lorsque la cessation des combats devint effective, le matin du 25 juin, les Allemands demandèrent de faire sonner les cloches à Saint-Germain, le curé s’oppose encore, écrit le comte de Buffières « déclarant qu’il n’était pas le maître de ses cloches et que, hormis pour les cérémonies du culte, il ne pouvait les laisser sonner « sans ordre de l’autorité supérieure ». Et toujours disciplinés, les Allemands s’inclinèrent ».
Dès 1942, le même auteur note la force du refus de l’abbé Bérenger. Il rapporte l’attitude des Allemands qui « lorsqu’ils partirent, avaient acquis une véritable estime pour ce vieillard de 67 ans aux cheveux blancs, énergique et alerte qui n’avait pas craint de leur tenir tête ». Ce prêtre, ancien brancardier de la guerre de 14-18, pourrait, par son attitude ferme face à un occupant énergique, être considéré comme une figure précoce de résistance dans l’Albanais. Déjà en 1990 dans la revue Kronos, Michel Germain écrivait à son sujet : « on n’a pas sonné les cloches pour les Allemands le jour de l’armistice à la Chambotte. Ce pourrait être le premier acte de résistance ».
Pour éviter toutefois des oppositions plus violentes, l’occupant s’efforce d’être d’une grande « correction » avec la population locale. « Il faut le dire : d’une façon générale » écrit Maurice Bonnard, journaliste au Petit Dauphinois, « la population ne se plaint pas outre mesure des rigueurs de l’occupation qu’elle subit. Si on signale de ci de là quelques excès, on ajoute presque toujours que lorsque ces excès sont signalés aux officiers allemands, ceux-ci s’empressent de punir les coupables et de faire rendre justice aux habitants qui ont été lésés ».
Lorsque les forces du Reich occuperont à nouveau la Savoie en 1943 dans un contexte militaire plus tendu, « l’attitude correcte » de 1940 ne sera plus de mise et laissera la place à la souffrance et à l’horreur.

Jean-Louis Hebrard