Contrairement à son habitude, la prochaine réunion de Kronos aura lieu le lundi 29 août, et non le premier lundi de septembre, à l’Espace Patrimoine d’Albens à 18h.
Si vous souhaitez en profiter pour venir discuter avec nous, n’hésitez pas !
Contrairement à son habitude, la prochaine réunion de Kronos aura lieu le lundi 29 août, et non le premier lundi de septembre, à l’Espace Patrimoine d’Albens à 18h.
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Le 14 juillet dernier a été couronnée Charlène Fleuret en tant que 100ème rosière.
Un petit défilé est parti de la mairie, accompagné par la batterie-fanfare, jusqu’à la salle polyvalente Chantal Mauduit.
Ensuite, Jean-Louis Hebrard a présenté cette institution centenaire, instauré par Benoit Perret, mettant en perspective son évolution historique.
Le 14 juillet 2022 a été couronnée la 100ème rosière d’Albens.
Si l’on se réfère au dictionnaire, le terme de rosière sert à designer une « jeune fille vertueuse à laquelle, dans quelques localités, en vertu d’une coutume ancienne on décerne solennellement une récompense ».
Mais qui était Benoit Perret ?
Au départ de cette tradition à Albens se trouve Benoit Perret, albanais d’origine très modeste mais courageux et ambitieux.
Il est né en 1844, l’aîné d’une famille de cinq enfants.
En 1854, son père Joseph décède à l’âge de 38 ans, les travaux agricoles et la construction de sa maison au Mazet auront eu raison de sa santé. Benoit l’ainé est âgé de 10 ans et le benjamin de la famille a seulement… 5 mois.
Joseph, le père, laisse sa femme Justine âgée de 34 ans dans un grand désarroi face à cette terrible situation. Sans ressource et sans aide financière, Benoit et sa mère assureront tous les deux la subsistance de la famille tant bien que mal.
En 1860, année du rattachement de la Savoie à la France, Benoit à 16 ans. Il part travailler comme manœuvre sur la construction de la voie ferrée Annecy-Aix-les-Bains dans le but toujours de gagner l’argent nécessaire à la survie de sa famille.
Fin 1864, il « monte » à Paris, ce qu’il voulait faire depuis toujours. Il trouve un emploi dans une brasserie près de la bourse et fréquentant le milieu boursier, s’y intéresse et acquiert par lui-même une instruction qui lui avait fait défaut dans sa jeunesse.
Les années passent, Benoit fait même venir son frère à Paris qui peut étudier et devenir plus tard pharmacien. Quant à Benoit, il intègre enfin la bourse et devient coulissier. (On dirait maintenant agent de change).
Ses affaires prospèrent jusqu’en 1917, on pense que la catastrophique opération de l’emprunt russe mettra fin à son activité. Il revient au Mazet avec un bon pécule, agrandira le domaine familial, veillant encore sur toute sa famille devenant pour tous « l’oncle Joseph », le bienfaiteur.
Rappelons que Benoit Perret était célibataire et sans descendance. Il se retirera à Aix-les-Bains, mais avant son décès, fait legs à la commune d’un capital destiné à récompenser une jeune fille méritante… la rosière était née à Albens. Cette dernière désignée pour l’année en cours est chargée de déposer chaque mois, si possible, quelques fleurs sur sa tombe.
À cette époque, le cérémonial de la rosière était courant dans la région parisienne où Benoit Perret a beaucoup vécu. Nul doute qu’après son expérience personnelle où depuis l’âge de dix ans, il a remplacé le père, il a voulu importer à Albens cette manifestation mettant à l’honneur un enfant méritant.
Il faut avoir en mémoire que dans ces années-là, l’espérance de vie était courte et souvent après le ou les décès des parents, l’ainé(e) se substituait à ces derniers pour la survie d’une famille quelque fois très nombreuse.
Ainsi, à Albens, depuis 100 ans, toutes les municipalités successives ont entretenu cette tradition d’honorer la rosière pendant la fête patronale le premier dimanche de juin.
Même pendant la guerre, une rosière était désignée, le maire lui rendait visite pour lui remettre le legs, mais pas de défilé bien sûr, occupation oblige. Quelque fois, dans ces années de guerre, la rosière faisait un don aux prisonniers de guerre.
Benoit Perret, décédé en 1920, est enterré à Albens dans le caveau familial fleuri pendant un an par la rosière et entretenu par la commune et cela depuis cent ans… belle tradition.
Benoit Perret a fait aussi profiter de son aisance financière sa commune. Ainsi, il a financé l’achat de l’horloge de notre clocher, mais aurait aussi participé à la souscription pour la construction du monument aux morts.
Kronos effectue toujours des recherches sur ce personnage, éminent bienfaiteur de la commune que vous connaissez maintenant un peu mieux.
B. Fleuret, d’après un article d’Albert Chiron dans le numéro 12 de notre revue.
Vers 8h30 toute l’équipe de Kronos était en place autour de René Canet pour installer à l’entrée du bassin de Braille un panneau consacré au thème de l’eau.
Nous avions choisi de l’intituler « Quand l’eau courante n’arrivait pas directement aux robinets des habitations ». Pour illustrer le thème, des séances de repérage photographique avaient été réalisées les jours précédents par Bernard G., Robert, Jean-Louis et bien sûr René. Nous en avons tiré quelques clichés illustrant notre affichage, racontant comment et où il fallait aller chercher l’eau, au puits, à la fontaine (privée ou publique) et au bassin et lavoir.
Enfin, une dernière partie était consacrée à la lessive. Un ancien cliché tiré des archives Kronos montrait un lavoir avec la lessive prête au rinçage ; sur une idée d’Annie, les marcheurs de la ronde des fours ont été mis à contribution pour nous aider à localiser ce cliché ancien (probablement à Lépau).
Dès 9h, les marcheurs sont arrivés et sans interruption Annie, Denis B., Bernard G., Robert, René, Gérard, Jean-Louis se sont relayés pour faire des commentaires et répondre aux questions. Dans le même temps nous en avons profité pour distribuer des flyers pour les Journées du patrimoine le samedi 17 septembre (Du Bornio au Paradis).
La presse est venue couvrir notre présence à la ronde des fours avec le passage de l’Hebdo et du Dauphiné (merci à Jacques Thomé pour l’intérêt qu’il porte à notre association).
Nous avons aussi reçu la visite de l’équipe de « La place du village », qui a fait un court reportage et interview de René et Jean-Louis. Au total, beaucoup de contacts ont été pris durant cette matinée qui s’est achevée par un repas au bassin avec plateaux repas offerts par l’organisation de la Ronde des Fours (un grand merci). En fin de circuit, passage de Marius Bonhomme et Bernard Fleuret qui font quelques beaux clichés.
Les quelques clichés d’illustration peuvent être complétés par tous ceux que vous voudrez bien nous envoyer.
Kronos sera présent au forum des associations d’Albens, le samedi 3 septembre 2022.
Venez nombreux !
Samedi 17 septembre de 14h30 à 16h30 venez découvrir le petit patrimoine local d’Albens sous la conduite de Jean-Louis HEBRARD de l’association Kronos. Pendant ce temps, l’Espace Patrimoine sera ouvert.
Au programme :
Inscription latine du IIème siècle.
Lavoir dans l’Albenche (escalier d’accès).
Croix de mission du XIXème siècle.
Fontaine de 1836 appelée aussi « Bornio ».
Colonne romaine à l’ancien cimetière au quartier du Paradis.
Visite commentée de l’Espace patrimoine et ses collections archéologiques et historiques (rue du Mont-Blanc à Albens).
Modalités pratiques :
Groupe de 30 personnes au maximum.
Inscription conseillée, par mail : contact@kronos-albanais.org
Annulation possible si conditions atmosphériques difficiles.
Les gens du pays le savent encore, les nouveaux venus l’ignorent généralement : le Belvédère de La Chambotte a une histoire, et une belle histoire, qui ne laissera personne indifférent et qu’il était peut-être temps de mettre sur pied. Ce rôle ne pouvait mieux convenir à Kronos.
En rassemblant divers documents et renseignements, et surtout en compulsant le livre d’or de la maison Lansard, nous sommes parvenus à reconstituer cette histoire qui vous est ici contée. Elle ne manque pas de piment. Le livre d’or de La Chambotte est membre à part entière du patrimoine albanais, savoyard et français. Sans lui, Bernard Fleuret pour les illustrations et moi-même pour le texte n’aurions pu mener à bien notre travail.
L’examen de ce livre est un véritable travail de chartiste, qu’il aurait été ardu d’exécuter sans les travaux antérieurs de quelques journalistes qui ont bien aidé à cette tâche : Jean Ercé, Stéphane Faugier, Paul Vincent et surtout A. Vuillet.
Cependant, outre les signatures célèbres disparues parce que dérobées par des indélicats, d’autres ont pu échapper à notre investigation en raison de leur illisibilité. De plus, certaines célébrités de l’époque, tombées maintenant dans l’oubli, n’ont pas toujours éveillé en nous l’écho de leur gloire déchue et sont passées au travers de l’enquête… C’est pourquoi nous ne saurions donner ici une liste exhaustive de toutes les personnalités qui ont visité le Belvédère.
Malgré tout, celle que nous vous présentons reste joliment gratinée, comme vous pourrez le constater… Mais ne déflorons pas le sujet dans son introduction et, avant d’entrer dans le vif de ce dernier, nous tenons à remercier l’actuel propriétaire du livre et du restaurant du Belvédère, Jeannot Lansard pour son concours et la confiance dont il a fait montre en nous laissant accès à de bien précieux documents.
Que cet article l’honore.
Gilles Moine
Il est des lieux qui sont appelés par le destin à être non seulement élus des Dieux, mais aussi vénérés des hommes. Ainsi des sites historiques, ainsi de certains sites naturels.
Celui de La Chambotte, honoré des grâces de la Grande Mère Nature, devait inévitablement devenir un jour prisé des hommes. Son point de vue exceptionnel sur le lac du Bourget ne pouvait échapper longtemps à la curiosité des promeneurs de tout crin point trop effrayés par l’ascension du Belvédère. Lieu privilégié, il l’a été de tous temps et l’est encore, entré dans l’Histoire grâce à la visite des grands de ce monde. Si les pierres demeurent là où l’homme passe, on ne peut rejeter dans les limbes de l’oubli la mémoire des personnages illustres que se rendirent là-haut, conférant au lieu un prestige qui ne pouvait qu’ajouter à sa beauté.
Juché au faîte des falaises calcaires qui dominent à l’est le lac d’une impressionnante hauteur (940 m), le Belvédère offre en spectacle toute la longueur des 18 kilomètres du Bourget, délimité au nord par les marais de Chautagne, eux-mêmes dominés par la Colombière et ceinturés par le Rhône, frontière avec la France de l’ancien Duché ; au sud-est, Aix-Les-Bains se niche sur les pentes douces qui descendent du Revard, et Chambéry pointe plein sud derrière la piste du terrain d’aviation du Bourget. À l’ouest, le massif du Chat dresse son infranchissable rempart et protège, blottie à ses pieds, l’abbaye d’Hautecombe des vicissitudes du temps.
Sauf en cas de brouillard, la palette de toutes les couleurs du ciel peinturlure le site d’une grandeur et d’une majesté auxquelles l’homme ne peut rester indifférent.
Sans doute le simple bougre en conçoit-il un élan du cœur vers les cieux, et le puissant la vanité de son pouvoir. Les splendeurs naturelles sont un facteur d’égalité autrement plus radical qu’une révolution.
Le Belvédère de La Chambotte fit ses premiers pas dans l’histoire en 1882. Un banquier d’Albens, C. Favre, décida alors d’y construire un bâtiment destiné à recevoir un cercle dont on ne connaît pas les particularités. Terminé en 1884, l’établissement fit faillite au bout de deux ans, en 1886. La banque Commerciale d’Annecy, principal créancier, confia alors la gérance à Monsieur Louis Lansard et son épouse, Mary Killing Robertson, une écossaise qui s’occupe des fourneaux. Cette dernière était née à Killing, dans le Perthshire (Écosse), et apportait avec elle une spécialité gastronomique dont le secret a été jalousement gardé par les générations suivantes. Il s’agit des scones, sortes de petits pains sucrés qui se mangent chauds avec du beurre, de la confiture de myrtille et du miel, accompagnés de thé ou de cidre. Il existe d’autres formules, comme on verra.
Ces deux fondateurs de la dynastie Lansard à La Chambotte s’étaient connus en travaillant en saison, l’été à Aix-Les-Bains, l’hiver sur la Côte d’Azur.
Séduits par la proposition de la banque annécienne, ils ignoraient sans doute alors qu’ils seraient à l’origine d’une prodigieuse tradition et que leur hôtel-restaurant recevrait les plus importantes personnalités de l’Europe et du Monde. Les époux Lansard tinrent la gérance de l’hôtel jusqu’en 1891, et en devinrent propriétaires en 1892, date à laquelle ils firent construire la route qui conduit du village de La Chambotte jusqu’au Belvédère, dans le même temps qu’était entreprise celle reliant Chaudieu en Chautagne jusqu’au même village.
Auparavant, les clients arrivaient à La Chambotte en voiture à chevaux par La Biolle ou Albens et Saint-Germain. Une écurie, toujours existante (chez Mr Georges Arbarète), accueillait les bêtes. Depuis là, les promeneurs pouvaient gagner le Belvédère à pied, en empruntant les chemins et sentiers muletiers existants.
D’autres moyens plus originaux étaient à leur disposition : de petits ânes ou des chaises à porteurs. L’excursion ne manquait pas de charme, ainsi qu’on peut le constater en relevant dans le livre d’or les commentaires de certains visiteurs : le 14 Août 1887, un certain Will Lovel écrit qu’il « trouve la vue charmante et l’ânesse très belle ». À sa suite, Eugène Bretel « trouve la chaise bonne pour monter, mauvaise pour descendre ; avis aux personnes sujettes au mal de mer ! »
En 1890, le célèbre écrivain, poète et académicien, Jean Richepin (1849-1926) écrit :
Personne ne reste indifférent.
Monsieur Fernand Philippe, dit « Mosse », né en janvier 1904 à La Chambotte, nous a confié quelques aspects du passage des promeneurs, choses vues par lui-même ou qu’il tient de son père.
Les voitures à deux chevaux ou les grands breaks à trois chevaux arrivaient par la route de Saint-Germain. Les enfants guettaient les promeneurs pour leur offrir du muguet ou des marabouts(1) contre deux sous.
Les chaises à porteurs, se souvient Mosse, appartenaient aux gens du pays qui faisaient eux-mêmes office de porteurs. Le père de Mosse et son ami Jean-Jules ont eu porté des passagers dans cet étonnant véhicule. Il se souvient également, lorsqu’il était à l’école, avoir poussé des voitures sur la route qui avaient quelque peine à monter.
Du temps des mulets et de la chaise, il en coûtait trois francs aux touristes pour franchir les dernières centaines de mètres les séparant du Belvédère. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le passage des huiles de ce monde ne provoquait pas d’animation, d’émotion particulière autre que l’activité commerciale. Les personnages les plus prestigieux n’ont pas ameuté les foules, car il faut croire qu’à cette époque ils se déplaçaient incognito, sans suite ni gardes du corps, du moins sans ostentation aucune. N’oublions pas qu’ils se rendaient chez les Lansard pour se délasser, pour la poésie des yeux, du cœur et l’agrément de l’estomac.
À vrai dire, sans le précieux livre d’or qui en a gardé la trace, on aurait oublié beaucoup des heures glorieuses de La Chambotte.
Le présent article n’aurait, répétons-le, qu’une raison d’être mineure sans l’existence de cet incomparable et rare volume, datant de 1886, qui porte le seing de moult personnalités du plus haut rang, essaimées de cette date à nos jours.
Plusieurs articles de presse, au cours du temps, ont mentionné le livre d’or de La Chambotte comme l’un des plus prestigieux existant en France ; ce qui n’est pas une moindre référence. Ceux de La Tour d’Argent ou de Bocuse ne sont que cadets face au droit d’aînesse incontestable de celui des Lansard qui comporte d’innombrables signatures des plus rares au plus obscures, et encore ; malins et judicieux, les Lansard possédaient en fait deux livres d’or : un, celui qui nous sert de source, recevant la main des « quelqu’uns » de ce monde, l’autre recevant celle des quelconques.
À l’origine, le Grand Livre n’était qu’un cahier d’écolier. Dans les années 40, les dédicaces les plus remarquables ont été découpées et regroupées dans un volume adéquat. Sans doute, au passage, quelques-unes d’entre elles ont-elles disparu, au moins celles qui étaient au verso… Cela sans compter que des touristes malveillants, envieux ou collectionneurs ont arraché quelques pages rares et précieuses ; la guerre de 39-45 étant elle aussi passée par là, comme on le montrera. Ces malversations ont obligé les Lansard à retirer le livre de la circulation. Elles ne sont pas les seules. Au fil du temps, la qualité des signatures, commentaires et dédicaces s’appauvrit. À cela deux autres raisons.
La première est que le tourisme de la Haute, celui des privilégiés, disparaît complètement après la Seconde Guerre mondiale, en raison du déclin de la cité thermale d’Aix qui se démocratise, se popularise, se vulgarise depuis que les cures sont remboursées par la Sécurité Sociale et que les grosses fortunes changent de mains ou de centres de loisirs. Lorsque les grands hôtels de la ville ferment les uns après les autres, les illustres personnalités deviennent rares à La Chambotte et ainsi de leurs sceaux dans le Grand Livre. On ne le présente plus au tout venant.
Il est essentiel de savoir que les grandes heures de La Chambotte dépendent de la belle époque du tourisme aixois. Depuis l’avènement du romantisme, au début du XIXe, Aix était à la mode dans la belle société française et européenne. La petite ville et son site exceptionnel attiraient les beaux esprits en mal de vague à l’âme sur les bords sauvages du Bourget. Ils rivalisaient de poésie dans des salons fréquentés par la fine fleur de l’intelligentsia, flambaient des fortunes au casino ou excursionnaient dans les parages : Gorges du Sierroz, Val de Fier, Alby-sur-Chéran, forêt de Corsuet, Mont Revard, Semnoz, Hautecombe, Châtillon et bien entendu, La Chambotte.
N’oublions pas également que les bouleversements politiques de la France du XIXe ont poussé beaucoup de monde en Savoie, qui y a pris des habitudes.
On venait à Aix chercher la détente et l’oubli des soucis. En sus des excursions, la reine des stations thermales des Alpes offrait des spectacles musicaux, dramatiques, chorégraphiques ; tout un cachet de finesse et d’élégance séduisant pour les condottieres de l’art et de la politique.
Jusqu’en août 14, ce fut l’apothéose aixoise. Ensuite, la clientèle étrangère disparut complètement du pays. C’était l’agonie de la Belle Époque. Heureusement, les années 20 et 30 ramenèrent un certain faste ; mais après le second conflit mondial, l’élimination générale des anciennes classes privilégiées, l’avènement de nouvelles modes, de nouvelles valeurs, de nouveaux moyens et façons de vivre, en un mot la nouvelle génération porta le coup de grâce à la cité. De cet éclat perdu, le livre d’or a subi le contrecoup.
À la grande classe succède les fantaisies d’artistes, puis les grivoiseries et l’esprit frondeur des années soixante. Devant certaines inscriptions scatologiques ou pornographiques, les Lansard retirèrent le livre du public. C’est là la seconde raison.
À l’heure qu’il est, l’actuel propriétaire ne le sort plus qu’exceptionnellement de son coffre. Il l’a fait pour Kronos.
… pour des lustres et des lustres, pourrions-nous ajouter ! Toute histoire connaît un jour un déclic. Celui de La Chambotte eut lieu le 16 avril 1887. Louis et Mary tenaient la gérance depuis un an à peine. Ce jour-là, arrive au village un landau traîné par plusieurs chevaux. Qui en descend ? Sa Majesté la Reine Victoria d’Angleterre, maîtresse incontestée du gigantesque Empire Britannique, accompagnée de sa fille, Son Altesse la Princesse Béatrice de Battenberg, et leur suite. Elles utiliseront la chaise à porteurs pour grimper au Belvédère. D’après Mosse, son propre père escortait le royal cortège.
Là-haut, les Lansard leur offriront les scones, « gâteaux nationaux écossais, ronds, de pâte traitée à la levure et qu’on fourre de beurre et de confiture de framboise ».
Leur signature ornera le livre d’or.
Sur le chemin de la Reine (on ignore si c’était à l’aller ou au retour), à la traversée de La Biolle, eut lieu un arrêt de quelques minutes pour recevoir l’hommage d’un très jeune admirateur, Monsieur Laurent(2), qui offrit à Victoria un bouquet. Celle-ci lui donne un louis d’or.
Dix jours plus tard, le 26 avril 1887, Victoria enverra aux Lansard sa photo et celle de sa fille dédicacées, en souvenir de leur visite.
Le Lord Chancelier de la Reine, chargé de l’expédition de la missive, et dont la signature ainsi que les cachets royaux font foi, écrit : « Monsieur, Sa majesté la Reine m’a commandée (sic) de vous envoyer son portrait comme souvenir de sa visite à La Chambotte. Agrééz, Monsieur, mes civilités empressées. »
Victoria, qui d’après Mary Robertson-Lansard n’était guère gracieuse, voulait sans doute signifier par là sa sympathie… Un exploit quand on connait les gracieusetés que s’échangent historiquement Écossais et Anglais ; mais une Reine doit être au-dessus de ces différends.
Ces précieuses photos furent dérobées ultérieurement par un visiteur indélicat.
La chaise à porteur sur laquelle « celle dont l’Empire s’étendait sur le monde entier et dont le soleil ne se couchait jamais sur les États » faillit bien être perdue ! En 1941, lorsque les Allemands arrivèrent au Belvédère, ils découpèrent d’abord un grand nombre de signatures dans le livre. Puis un officier tombe en arrêt devant le siège historique.
Lansard ne perdit pas le nord : « Ça ? dit-il, souvenir de famille. C’était la chaise percée de ma pauvre grand-mère ! » L’Allemand n’insista pas. Sans cela, nous n’aurions pas pu la photographier pour vous la présenter.
Le passage de Victoria à La Chambotte fut donc le coup de tonnerre qui déclencha l’engouement international pour le site par l’incroyable publicité qu’il lui fit.
Dès lors affluèrent régulièrement les « monchus » et dames dont vous retrouverez les noms ci-dessous. C’était le début d’une ère de prospérité pour les Lansard, qui leur permit d’acquérir cinq ans plus tard l’hôtel à leur nom et de le transmettre à leurs descendants que voici : Charles et Sylvie tout d’abord, Marcel et Maryse ensuite et Jeannot et Monique actuellement.
Charles, en bon savoyard matois, sut donner un coup de pouce à la postérité. Toutes les années, une fois l’an, il invitait pour un banquet les tenanciers de tous les hôtels de luxe et restaurants cotés d’Aix. En échange, ceux-ci envoyaient leur clientèle.
« Comment donc ? Vous ne pouvez quitter Aix sans avoir vu La Chambotte ! » Et de montrer une belle photo du site, habilement offerte par Charles, en en vantant les beautés et les charmes !
Aide-toi, le Ciel t’aidera…
Outre ces signatures grandioses, le livre d’or est égayé de remarques spirituelles, de dessins et de poèmes dont nous vous ferons part des plus intéressants. Ainsi que l’a fait en 1979 A. Vuillet dans sa série de trois articles sur le livre d’or, nous jugeons préférable de procéder à l’examen des signatures en faisant part tout d’abord de celles des responsables politiques et religieux, puis de celles des artistes et des fantaisies humoristiques ou inspirées d’auteurs obscurs ou célèbres. La règle n’est pas stricte bien sûr.
L’une des premières signatures qui ouvrent le livre est celle de Félix Faure, alors ministre, qui devint Président de la République en 1895. Il était accompagné de son épouse, ainsi que de Mr et Mme Jules Ferry, qui ne sont plus à présenter.
C’était en 1886.
En 1887, donc, Victoria signe et ajoute Comtesse de Balmoral. Sa fille Béatrice précise elle Comtesse de Hartenau, s’abstenant d’ajouter Princesse de Battenberg.
Le 13 août 1897 vinrent le Duc de Schoenberg et la Comtesse de Luc. En 1896, le Maharaja de Kapurthala écrit en hindi. Revenu en 1929, il ajoute : « Enchanté encore d’être venu dans cet endroit charmant. Un délicieux déjeuner ».
Il signera encore en 1939.
En 1899, comme on le voit ci-après, se déplace la Banque Morgan de New-York au grand complet. La haute finance américaine vient-elle prêter hommage à la beauté du site ?
Le 12 juillet 1901, Maria Pia, Princesse de Savoie et de Bragance, Reine Mère du Portugal en exil, trace ces quelques mots :
« … En souvenir de la douce et idéale soirée passée loin des bruits de ce triste monde, en ce beau pays de Savoie que j’aime, berceau de ma famille… »
En 1910, Paul Deschanel, point encore Président de la République ni tombé de son train légendaire (il fut retrouvé par un garde-barrière qui se douta que c’était un monsieur à sa robe de chambre et à ses pieds propres !), écrit : « Heures Exquises ».
Le 19 août 1918 apparaît la première signature de l’Aga Khan, sans commentaires. Il reviendra régulièrement avec toute sa suite somptueuse et notera en 1929 : « Vue merveilleuse, excellent lunch ».
Aga Khan est le titre religieux et temporel du chef des musulmans de la secte des Ismaéliens de l’Inde et du Pakistan. Ce titre a été créé en 1850 par Hasan Ali Shah, un descendant du prophète Mahomet, lorsqu’il fut chassé de Perse (Iran) par Fath Ali. Notre Aga Khan de La Chambotte était le troisième de la dynastie. Né en 1887 au Pakistan, à Karachi, il est mort en Suisse Romande, à Versoix, en 1957. Il fonda en 1906 la ligue Pan-musulmane de l’Inde. Il appréciait La Chambotte qui lui était exclusivement réservée lorsqu’il venait avec son cortège de limousines.
En 1921 viennent plusieurs ministres grecs dont le bien connu à l’époque Vénizelos, qui reviendra souvent. C’était le 2 juin.
Le 25 août de la même année, c’est le Prince Christophore de Grèce qui signe avec son épouse Anastasie.
Le 7 septembre 1923, Stanley Baldwin, premier ministre du Royaume d’Angleterre et de l’Empire Britannique, visite pour la première fois le Belvédère. Il reviendra pratiquement toutes les années et laissera aux Lansard sa pipe ainsi qu’un portrait qui existent toujours.
En 1936-37, il signera Baldwin de Bewdley : il venait d’être fait Lord…
En 1928, Carl, Prince de Suède, Comte de Carlsborg, signe aux côtés de son épouse Ingeborg, née Princesse du Danemark. Ainsi que le fait remarquer A. Vuillet, les grands de ce monde affichent curieusement leurs titres comme des parvenus… mais nous rend leur signature aisément identifiable.
En 1929, derrière Arsène de Serbie, un général Crawford note : « A beautiful view ». Sur la même page apparaît Jaime de Bourbon. La même année, ce n’est ni plus ni moins que le Roi Fayçal d’Arabie qui pose sa griffe.
En 1931, après un retour de Vénizeloe (Le Pirée), le fameux sculpteur Alfred Boucher laisse sa carte de visite et ajoute Grand Officier de la Légion d’Honneur. Il reviendra en 1932.
En 1933, Pierre Mendès France ne fait pas de commentaires. Par contre un convive sans doute de la même tablée écrit : « À Aix, j’ai tout perdu, à La Chambotte j’ai tout gagné ». Le casino a encore frappé. Après un « Je reviendrai », Marcelle Mendès France dit : « Moi aussi ».
En 1935, c’est le Prince Achille Murat, Vice-Roi des Indes, qui précède Monseigneur Florent du Bois de la Vilarebel, évêque d’Annecy (1938). La même année Georges Philippar, armateur, voit sa signature suivie de l’étonnent paragraphe que voici :
« Du Georges Philippar (navire appartenant audit sieur et qui brûla en Mer de Chine), je suis un rescapé ; de La Chambotte, je reviens enchanté. »
Signé un gars de la marine, Faky. Suisse !
Le 24 août 36, Son Altesse Marie Louise d’Angleterre apparaît entourée d’une nombreuse compagnie. Suit Son Altesse la Maharani Masahélé, mouchée juste après par un groupe de Seysselans.
« Ni des Indes, ni d’Angleterre,
Ni Maharaja, ni Princesse,
Malgré tout aimant la bonne chère,
De gravir La Chambotte nous n’avons eu de cesse. »
Ce même mois d’août 36, le livre recèle la trace d’un certain Morleux :
« Souvenir d’un très vieux Savoyard, d’une visite à La Chambotte en 1890 ! »
Le 19 août 39, c’est Édouard Herriot, Président, qui écrit :
Il est suivi six jours plus tard par le Maharaja de Tripura.
En 1942, le Général Weygand et sa famille honorent les lieux.
Suit en 1951, l’archevêque de Chambéry Louis-Marie de Bazelaire.
En 48, il avait écrit :
« En souvenir d’une belle matinée ensoleillée où le lac apparaissait dans toute sa splendeur, reflet terrestre de la beauté divine. »
En 1953, Clémentine S. Churchill, l’épouse du célèbre Winston, vient déguster les scones.
En 1955, Georges Riond, qui eut de nombreux titres dont celui de Président de l’Association de la Presse Savoyarde, notait :
« J’ai fait… douze fois le tour du monde,
Il me manquait la révélation d’un des plus beaux panoramas de mon pays,
Et de toute la Terre. »
En août de la même année, Madame Anne Chamberlain, épouse d’Arthur Neville Chamberlain, exprime son « Merci Millefois » qui pèse son poids.
En 1957, vient le Sheik Ali Al Thaml, Roi du Quatar, un émirat du golfe Persique.
En 1961, un professeur d’Athènes rend cet hommage au site :
« Les Dieux de l’Olympe ne changeraient-ils pas leur domicile s’ils connaissaient La Chambotte ? »
Par la suite, les gouvernants de ce monde ne viendront plus guère au Belvédère. On trouve encore cependant l’Évêque Du Bois d’Annecy en 1965, Madame C. Bettencourt, la plus grosse fortune de France qui écrit en 1979 :
« Voilà des années que je viens ici,
Et c’est toujours avec le même plaisir.
La chaleur de l’accueil,
La vue inoubliable,
Et la fraîcheur de la cuisine en font
Un restaurant délicieux. »
Et le Général de La Chambotte Alexandre Nojon, en 1981, qui résume la Résistance qu’il effectua en 42 au Belvédère. Nous en parlerons plus loin.
Place maintenant aux artistes.
Dès le début de la maison Lansard, les gens de l’Art y vinrent en nombre. On ne compte plus par exemple les artistes de l’Opéra de Paris qui émaillèrent le livre de quelques notes de musique sur quelques paroles sympathiques, cela dès 1886.
En 1890, la même année que Jean Richepin, cité plus haut, le Marquise de Morande écrit qu’elle arrive très fatiguée, n’ayant pas voulu de chaise à porteur, croyant trouver au sommet les bras de son Amédée pour la recevoir… Hélas, il était déjà reparti de l’autre côté !
En 1891, le 15 janvier, Elle et Lui, ont voulu venir passer deux jours à La Chambotte. « Le vent, la neige… » Il y avait 35 centimètres de neige et 10° en dessous de zéro ! Mais l’Amour n’a pas froid aux yeux !
En 1897, nous avons relevé cette perle d’un joueur qui s’est fait plumer à Aix et qui pastiche les imprécations de Camille (Horace de Corneille) pour exprimer sa fureur :
« Aix, l’unique objet de mon ressentiment,
Aix, dont le cercle infâme a raflé mon argent,
Aix où le décavé si tristement chemine.
Aix où le rastaquouère enfle sa haute mine,
Aix que chanterait mal ma bienveillante muse,
Aix enfin que je hais parce qu’on s’y amuse !
Puisse-je de mes yeux y voir tomber la foudre !
Voir tes villas en feu, tes casinos en poudre,
Voir le dernier des Grecs à son dernier soupir
Vomissant ses portées… et mourir de plaisir. »
Il signe Camille D.K.V. Être décavé signifie au jeu avoir perdu jusqu’à son dernier sou. Notre ami, en tout cas, ne semble pas avoir perdu l’inspiration !
Un certain Badeck lui reprend dans la foulée, inspiré lui aussi :
« Et vous, braves bourgeois, que ne laissez-vous pas
À la ville aux tripots ses tramways et ses grues
Pour venir ici même à la belle Chambotte
Où chaque déjeuner chaque convive botte
Et où vous trouverez partout, à chaque pas
Avec le seul Lansard la plus belle des vues ! »
En 1901, la danseuse étoile Loïe Fuller trace un magnifique paraphe. Américaine du music-hall, née en 1862 près de Chicago et morte en 1928 à Paris, elle fut la créatrice d’un type de spectacle chorégraphique très original, par l’usage de projections lumineuses jouant sur les voiles mobiles des danseurs. Ces fééries furent longtemps appréciées. Toulouse-Lautrec l’a représentée.
En 1911, quelqu’un écrit de La Chambotte qu’on s’y croirait en dirigeable. Sans doute un aviateur…
En 1920, le fabricant d’avions parisien Ledord signe sa publicité :
« Avions marque LEDORD
Les ceusses qui gazent le mieux !
Depuis 1909, pas un sou de bois cassé ! »
Sur une montagne colorée, posée,
CHAMBOTTE, au soleil exposée,
Fait la risette au Mont du Chat,
Disant, coquette, « Hé, je suis là »
Mais Minet prenant l’air méchant,
À la pauvrette, montre la dent,
De son tunnel, il se rengorge,
Et, de son col, fait de chaudes gorges.
Tout près, là, le Lac aux eaux sombres,
Vues le soir, dans la pénombre,
Reflétant toujours mêmement
Du monastère, le monument.
Enchanteuse Chambotte,
Avec tes bois, avec tes grottes !
Quel regret de quitter tes lieux
Où l’on se sent si près des Dieux.
R.D.
le 19 octobre 1962
La même année signe la poétesse Rosemonde Gérard, épouse d’Edmond Rostand, suivie par l’écrivain Pierre Loti (Ramuntcho, Pêcheur d’Islande…), Roland Toutain, le Rouletabille de l’écran…
En 1929, c’est La Argentina, grande cantatrice espagnole.
En 1938, à l’occasion du Tour de France, le champion cycliste Charles Pelissier fait un détour par La Chambotte, suivi de Georges Thill de l’Opéra de Paris ;
En 1939, Maurice Chevalier écrit : « Regrets. Pas assez de talent pour décrire La Chambotte. »
Dix ans plus tard, en 49, le joyeux écrivain lyonnais Marcel Grancher(3) s’avouera tenu en respect : « Devant la beauté de ce site je n’ai plus envie de rire ! »
En 1953, à l’occasion du tournage d’un film, signent ensemble Alain Cuny, Marie Sabouret, Yvonne Printemps et le célèbre Pierre Fresnay.
Un peu plus loin la même année, l’écrivain Maurice Druon note :
Lui succèdent les Sœurs Étienne, chanteuses connues dans les années cinquante, qui dédicacent « avec leur cœur ».
Le 19 septembre 55, l’écrivain catholique Daniel Rops, déjà souventes fois venu : « En souvenir de belles heures à La Chambotte, Balcon de l’Irréel. » Il n’ajoute pas sa qualité d’académicien français.
En 1959, quelqu’un de Saint-Innocent trace :
« Dans ce site enchanteur ma panse satisfaite
Rend hommage à Lansard et à la belle Maryse
Et sur ces hauts sommets, malgré le vent, la bise,
Je reviendrai bientôt dans les moments de fête,
Admirer ce beau lac aux reflets argentés
Et goûter la splendeur des dernières clartés. »
En août 59, c’est Danielle Delorme qui apprécie l’accueil et la cuisine.
En 1960, derrière un Vice-Ministre du Commerce Extérieur de la Bulgarie, un chirurgien-dentiste aixois, Paul Couturier, joue du calembour :
« C’est du Bulgare,
Et Bulgarie bien qui bugarira le dernier,
Ou tel qui bulgarie vendredi, dimanche pleurera… »
Jean-Claude Brialy écrit mystérieusement la même année :
« Ma chère Maman, j’ai rencontré ici, très haut, une dame qui avait de très jolis yeux et qui m’a donné beaucoup d’argent. J’ai été très sage, je t’embrasse. »
Plus loin, Georges Grondin rimaille :
« L’immense lac frémit sous les barquettes grises
Et le soir comme un crêpe agité par la brise
Laisse errer sur les flots ses languissants contours
Du haut de La Chambotte où fleurit la myrtille
On éprouve un besoin à ignorer la ville
Et devant un grandiose et beau panorama
On n’a qu’un seul désir, rester là et rêver là ! »
Imparfait, mais sincère !
Juste derrière, l’actrice de cinéma Ginette Leclerc se félicite d’être venue. Sur la page d’en face, le fameux Henry Bordeaux, venu pour ses 90 ans dédicace quelques mots. Né en 1870, trois ans après son passage à La Chambotte en 1960.
Sur les pages suivantes, les chansonniers du Grenier-Montmartre se déchaînent : Gabriello reste sans voix devant la beauté du site, Robert Amiel sans phrase, mais Jean Valton réclame, lui, une ligne directe Paris-La Chambotte.
Ensuite, le niveau baissera dangereusement poussant donc les Lansard à retirer le livre, quitte à le ressortir à bon escient. Ainsi, en 1963, à l’occasion du tournage de « Mort où est ta victoire ? », signent alors Michel Auclair, Pascale Audret (la sœur d’Hugues Aufray) etc… D’autres séquences de films ont été tournées là-haut : « L’auberge rouge », « Julie Charles »…
Viennent encore Jean Valton qui laisse quelques paroles de Léo Férré.
Anne-Marie Carrière « qui dit parfois du mal des hommes mais jamais – et pour cause de satisfaction – des cuisiniers ! » Raymond Souplex : « Point ne suis en ribotte mais Dieux ! Que me botte La Chambotte. »
Jacques Provins leur cloue le bec de la manière suivante :
« Derrière Souplex
Je reste perplexe
Derrière Valton
Je reste… lion
Derrière Carrière
J’en fais mon affaire
Et derrière moi
Je reste coi ! »
Par la suite, on compte encore un champion de l’harmonica, Jean de Nîmes et Lou Nissarté, le groupe « Il était une fois », quelques animateurs de radios, Sophie Darel en 1982.
Bien sûr, quelques visiteurs restent spirituels, ainsi cette certaine Odette de Matour en 1964 :
« L’ânesse antique s’est vengée. Christine est montée, mais non Mercèdès : D.S., elle fut doublement. Vive l’automobile française et haro sur le mauvais baudet germanique. Et vive La Chambotte. »
D’autres gardent l’esprit à la hauteur des lieux… et de leur rang pourrait-on ajouter :
« À Maryse, notre inoubliable « cousine »
Dont le sourire charmant embellira nos soirées hivernales avec l’esprit de retrouver bientôt
Ce merveilleux ermitage. »
Comtesse de Montdidier
Juillet 1965
Une bien gentille attention pour Madame Lansard.
Curieusement on trouve cette même année 1965 le sentiment d’une certaine comtesse Marina de Meylan, ou Meyden, « ancienne demoiselle d’horreur des deux dernières tzarines russes ». Comme il n’y a pas à douter de la véracité de ce témoignage, cette comtesse est sans doute le dernier grand personnage de l’histoire à signer dans le livre.
Pour le reste des signatures, on pourrait reprendre le sentiment de deux visiteurs en 1945. Le premier avait feuilleté le livre populaire et s’exclamait :
« Devant un tel édifice d’âneries, on n’est pas très fier d’appartenir au peuple le plus spirituel de la Terre. »
À quoi, il lui est répondu philosophiquement :
« Consolons-nous en contemplant un des plus beaux coins de France… »
Avant de clore cet article, nous voudrions mentionner l’épisode guerrier qui marqua La Chambotte en 1939-45.
Du 23 septembre 39 au 17 octobre 39, un poste de guet de la D.C.A. fut installé à La Chambotte.
En juin 40, une section du général de La Chambotte, Alexandre Nojon, soit les 240 hommes de la 2e compagnie du 440e régiment de pionniers, sous les ordres du sous-lieutenant Chauvy et de l’adjudant Deniaux, repousse victorieusement les attaques allemandes, le 23 juin, lors des ultimes combats en terre savoyarde.
Ils résistèrent une journée et tuèrent huit soldats allemands qui sont d’ailleurs enterrés à Saint-Germain, empêchant l’ennemi d’envahir Annecy. La section s’est ensuite repliée en bon ordre et sans perte jusqu’à Annecy, puis Gex, d’où elle revint à Annecy pour être démobilisée.
Ce matin du dimanche 23 juin, vers 6h30, toute la compagnie occupait les positions installées pendant la nuit : barrage de la route et du tunnel, emplacement de fusils mitrailleurs, etc…
Ses défenseurs avaient comme armes leurs fusils, quatre fusils mitrailleurs et une caisse de 24 grenades.
L’adversaire attaqua à 7h45 avec détachement d’infanterie, mortiers et artillerie de 105. Le combat fut sérieux et la canonade et les rafales de mitraillettes durèrent presque continuellement jusqu’à 13h30, où les effectifs allemands engagés se retirèrent après avoir subi des pertes et se rendant compte de l’impossibilité de franchir le passage.
Les Pionniers reçurent l’ordre de se retirer, les Allemands ayant exécuté un mouvement d’encerclement par Cessens. Leur compagnie était comprise de Chablaisiens, de Bressens et de Lyonnais…
Un officier allemand a même écrit :
« Une jolie vue, mais une difficile bataille. »
De tout temps, à La Chambotte, les visiteurs ont pu apprécier la qualité gastronomique de la nourriture servie par les générations successives de Lansard. Depuis 1856, les éloges ne manquent pas, en voici le plus significatif et le plus honorable. En août 36, Paul Gauthier de l’Institut du Club des Cent, Secrétaire Général de l’Académie des Gastronomes écrit :
« Bon déjeuner, à la mode de La Chambotte. »
Un brevet flatteur ! Outre les scones et les poissons frais du lac, les Lansard ont la spécialité du Poulet Chambotte, que nous vous laissons le soin d’aller découvrir, après tant de gloires nationales et internationales. L’accueil et le site y sont toujours aussi charmants, même si les célébrités ne viennent plus guère…
Comme on peut le constater, le Belvédère de La Chambotte a véritablement connu des heures de gloire dont cet article n’est que le reflet, s’il en est le témoin.
Comme il n’était pas possible de tout retranscrire, nous avons choisi de reproduire entre ces pages quelques-uns des poèmes du livre d’or qu’a inspiré le site, qui, n’en doutons pas, taquinera bien d’autres muses encore… Ce clin d’œil à Lamartine permettra de quitter le sujet sans trop de regrets.
Gilles Moine et Bernard Fleuret
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989
À Lamartine
DÉFI
On dédaigne ta grotte ? On ignore ta stèle ?
Ton noble corps drapé, du roc de Châtillon ?
Parmi tous les ingrats, Je te reste fidèle |
Vols, Ô chantre divin, mon exaltation
Je voudrais dans mes bras enserrer ton image
Qui domine le Lac pour les temps à venir ;
Reposant sur la pierre un franc que décourage
La froide indifférence, hostile au souvenir,
Je pleurerais sans fin sur l’ère disparue,
sur l’ère de Génie où tu régnais jadis
Et puis je t’offrirais une ferveur accrue
Un amour plus intense, et des élans grandis.
Jeanne Harter
Société des Poètes Français
1er août 1959
La formule du titre est de Daniel Rops.
1) Marabout : plante appelée en patois « plumache », poussant sur les rochers escarpés de La Chambotte et que les habitants récoltent à la mi-mai, pour la vogue du village. Apparemment banales, les tiges vertes de la « plumache » se transforment en séchant en un somptueux panache duveteux dont les volutes sont très décoratives.
2) Né au Montcel en 1869, élevé à La Biolle, Laurent devint instituteur à Paris. Il y mourut en 1971, à 102 ans. Un âge royal !
3) Il a fondé l’Académie Rabelais avec Paul Vincent.
Le 31 juillet 2022, vous pourrez retrouver Kronos lors de la 16ème ronde des fours à Albens.
Nous serons juste après le four de Braille, au niveau du bassin.
N’hésitez pas à venir discuter patrimoine local avec nous !
Le temps n’est pas si éloigné que ça où (une lettre de mort), on l’appelle aujourd’hui avis de décès, se terminait presque toujours par ces quelques mots : « Départ du domicile mortuaire », dans nos communes rurales bien sûr !
Cette lettre de mort annonçant le décès d’une personne était la plupart du temps le seul moyen utilisé par la famille du défunt pour faire part à la population voisine de la mort d’un des leurs. La famille proche la recevait par le courrier. Elle était affichée dans tous les lieux de rencontre : les cafés, la boulangerie et surtout les postes à lait et les fruitières, hauts lieux s’il en était de la communication (comme on dirait de nos jours) dans nos campagnes. Un avis de décès était parfois publié dans Le Dauphiné et L’Agriculteur Savoyard, si la date de parution le permettait.
C’est ainsi qu’au début des années 50 nous apprenions le décès d’un cousin âgé « Fanfoué » comme on l’appelait, habitant une commune proche de Haute-Savoie.
Encore enfant à cette époque mais le connaissant, j’accompagnais mon père à son enterrement. Il faisait très beau ce matin-là ; c’était les premiers jours de mai.
Perché sur un grand vélo, je suivais mon père sur un chemin familier. En effet, nous l’empruntions souvent pour aller faire les foins, ou « mener » les vaches au pré. Mais le décor m’apparaissait différent des autres jours ; il est vrai que j’avais mes habits du dimanche et puis l’anxiété d’aller à un enterrement devait provoquer ce trouble.
Pourtant en passant à côté de l’étang, les canards et les poules d’eau étaient bien là. Les grenouilles répétaient déjà leur chant, préparant ainsi leur grand concert du prochain accouplement.
Le chemin se confondait parfois avec le pré qu’il traversait. Seules les ornières creusées par le passage des chevaux et des roues de chariot, et élargies depuis quelques années par celles des tracteurs, le traçaient encore. Elles nécessitaient la plus grande attention à la conduite du vélo, surtout en habits du dimanche.
Les pissenlits finissaient de jaunir les prés.
Sur un tronçon plus caillouteux, un garde-boue et un porte bagage durement secoués, dénichaient en passant quelques merles occupés à couver dans les buissons.
Je retrouvais le petit pont de dalles en pierre qui, parfois, provoquait chez moi la plus grande inquiétude lorsqu’il fallait le franchir avec le grand râteau à cheval, tant ce passage était étroit.
Plus loin, le chemin se perdait dans la cour d’une ferme. Une route prenait le relais. Les vélos appréciaient la différence. Un dernier petit bois traversé et nous arrivions au domicile mortuaire.
Il y avait déjà du monde. Les « bonvos e’ va tout ? » (les « Bonjour, est-ce que ça va ? ») fusaient de toute part. Des gens reconnaissaient mon père et du même coup je fis ma première tournée de poignées de mains.
Il n’était pas facile d’arriver à la maison du défunt, en raison d’arrêts fréquents auprès des nombreux rassemblements. À l’approche de cette dernière, les dialogues se faisaient avec retenue. Selon la coutume, la cour avait été balayée.
Craquant sous les pas de chaque visiteur, un vieil escalier en bois conduisait à l’habitation.
Sur le palier, deux neveux du mort, puisqu’il n’avait pas d’enfant, accueillaient les gens et les conduisaient dans la cuisine, là où reposait Fanfoé.
Le cercueil était posé sur deux chaises ; une gerbe de fleurs le recouvrait. De chaque côté un cierge allumé l’entourait, un crucifix et quelques plaques souvenir garnissaient une table, en léger retrait. Sur une autre, plus petite, un verre rempli d’eau bénite où trempait un rameau de buis servait de bénitier. Chacun, à sa façon !… signait le cercueil.
Le temps d’un recueillement et l’on se rendait dans la pièce voisine, le péle ou pèle (séjour) pour réconforter la veuve. Ici, les volets mi-clos, il fallait un peu de temps aux yeux pour s’habituer à cette quasi obscurité. Une vieille dame que j’avais toujours vue dans cette maison, mais je n’aurai su dire qui elle était, lui tenait compagnie. Toutes deux pleuraient.
Cette visite terminée, les gens se retrouvaient dehors, attendant l’arrivée de l’écroâ (le curé) et du corbillard.
Le chaud soleil de mai facilitait les conversations. Perché sur un muret du jardin et observant les allées et venues, j’écoutais ça et là les propos échangés en patois. Cette atmosphère de retrouvailles presque joyeuses me fit découvrir du même coup une ambiance toute différente de celle que je m’étais fabriquée à coups de ce qui se faisait, ou plutôt de ce qui ne se faisait pas quand la mort frappait une maison.
De plus en plus nombreux, venus des environs, hommes et femmes se saluaient. Vêtus de sombre, le noir dominait nettement. Certaines femmes avaient un voile à leur chapeau, laissant supposer qu’elles étaient de la famille ou bien qu’un deuil récent les avait frappées. Les hommes, pour la plupart, avaient sorti leur chapeau de feutre, quelques-uns avaient un béret ou une casquette. Je reconnus l’Djian (Jean) et l’Guste (Auguste) ; c’étaient nos voisins de terre. D’autres têtes me dirent quelque chose mais j’étais incapable de leur mettre un nom.
De l’écurie, un bruit de frottement de collier de vache sur la rêche (la crèche) en bois se fit entendre ; beaucoup durent le reconnaître tant il était coutumier des fermes de l’époque. Trois vaches formaient le troupeau de cette exploitation. Une poule qui venait de pondre chantait à tue-tête dans l’écurie, un coin avait été aménagé en poulailler.
Dans la région, l’étable a toujours été appelée « écurie » ou bôeu pour les bœufs, bové ou bova pour les vaches ; mais l’appellation « écurie » était la plus courante. Son origine devait puiser ses racines dans la cohabitation largement répandue à l’époque du cheval et des vaches.
Près du tas de fumier, un coq appelait ses polailles tout en égrabottant (gratter avec ses pattes) leur laissant croire qu’il avait trouvé un festin extraordinaire. Nombreux étaient les hommes qui allaient pchi ona gotte dans l’écurie, en attendant !
À deux pas de moi, un groupe échangeait sur le travail.
« On a pianta les tartiffie et les bondances » disait l’un d’entre eux.
« Nos tô parî la sman-n passâ » lui répondait l’autre.
« On a planté les pommes de terre et les betteraves » disait l’un. « Nous de même, la semaine passée », lui répondait l’autre.
Un beau cheval roux, tirant le corbillard arrivait à l’entrée de la cour. « L’écroâ » et un enfant de chœur avaient pris place sur la banquette à côté du cocher. Les gens se retiraient pour leur laisser le passage libre tout en les saluant.
Tandis que le prêtre et l’enfant de chœur se rendaient au domicile, le cocher manœuvrait son cheval pour placer son attelage dans le sens du départ. Une dizaine d’hommes s’approchèrent de ce dernier, pendant que le cocher finissait de serrer « le mécanique », le frein, à l’aide d’une roulette fixée au bout du siège.
Visiblement habitués au corbillard, quatre d’entre eux, les porteurs, prenaient dans un petit coffre une lingerie blanche. Sorte de large ceinture qu’ils nouèrent autour de leur taille. Puis, enfilèrent des gants blancs. Quatre autres, plus âgés, en firent autant : les teneurs de coins. La tradition voulait que ces derniers fussent des conscrits et de surcroît des proches du défunt. Leur choix s’avérait parfois délicat car certaines familles se vexaient si l’un des leurs n’était pas demandé pour tenir un coin.
Le cocher tendait une croix en bois, crêpée de noir, au plus jeune qui lui aussi ganté de blanc, s’était approché avec les autres. Quand le prêtre et son servant réapparurent sur le palier, les porteurs montérent à leur tour. Peu après, ils revenaient en portant le cercueil. L’escalier craquait de plus belle. Le silence régnait, chapeau à la main, la foule attendait que le cercueil soit hissé sur le corbillard. Lorsque tout fut prêt, le porteur de la croix ouvrit la marche, les femmes lui emboîtèrent le pas. Puis, le prêtre et l’enfant de chœur ainsi que deux chantres qui les avaient rejoints précédaient le corbillard. Ce dernier avait une certaine allure. Quatre plumeaux noirs ornaient le toit. La route trop étroite, par moment, ne permettait pas aux quatre teneurs de coins de prendre leur place. C’est en compagnie des porteurs qu’ils cheminèrent derrière l’attelage, juste devant la famille. La veuve et la vieille dame étaient restées à la maison, âgées, le parcours aurait été au-dessus de leurs forces.
Cousin éloigné, mais très lié au défunt, mon père s’était joint à la famille. L’Guste et l’Djian, aperçus tout à l’heure, étaient mêlés aux hommes qui formaient la queue du cortège. Je me plaçais à côté d’eux. L’Guste en imposait autant par son regard que par sa taille, chaque mot prononcé avec lenteur portait comme un emporte-pièce. L’Djian, petit et agité, était un bartavé, il avait toujours quelque chose à dire.
– L’Fanfoé va bien manquâ diè l’carre. A poé sa fène va étre obligea d’vèvre les vasses, elle porra pas y’arvâ solette, disait l’Djian.
– Oua é l’Albert qu’va tôt yu fére, é, travaillive déjo les terres à métia, fit remarquer l’Guste.
– Le François va bien manquer dans le coin, et puis sa femme va être obligée de vendre les vaches. Elle ne pourra pas y arriver seule, disait Jean.
– Oui, c’est Albert qui va tout y faire, il travaillait déjà les terres à moitié, fit remarquer Auguste.
Le cortège se dirigeait vers l’église sur une route empierrée. Une forte montée permettait aux derniers d’apercevoir les premiers. Parvenus à la hauteur d’un champ du Fanfoé, l’Guste et l’Djian reprirent leur dialogue.
– é m’éton-nrai bin qu’l’Albert gardisse tôt r’lo pommis pè trvailli avoé l’tracteû diè chos grand fan ? dit l’Guste.
– Oua ! t’a bin vîu Joset l’éfan du Mil, stron vsin, la vartoya qu’alla fôtu bas cf’ivé | l’Mil était pas trop d’acco, mé alla bin éta obligea diu passâ, atramè le Joset volè modâ. E Mil qu’mia dé saqui jo, affirmait l’Djian.
– Oua ! tot los mémes r’los joénes ! … fau toltin alla pè vite, s’écriait l’Guste. Faut pas démanda si los pommis les ginnent pê saï, à poé, p’labora ; é la mêma chuse ! tote la vôrnâ a fon trin l’cul sur l’tracteû à pinne cé déchaident pè pich onna gotte.
– Pè vite ! pè fêre qu’a ? p’alla à la corrate é z’on rèque la corrate diè l’vêtre, interrogeait l’Djian.
– Ça m’étonnerait bien qu’Albert garde tous ces pommiers pour travailler avec le tracteur dans ce grand champ, dit Auguste.
– Oui ! T’as bien vu Joseph, le fils d’Émile notre voisin, la quantité qu’il a mis par terre cet hiver. Émile n’était pas trop d’accord, mais il a été obligé d’y passer, autrement Joseph voulait partir. C’est Émile qui me l’a dit un de ces jours, affirmait Jean.
– Oui ! Tous les mêmes ces jeunes, il faut toujours aller plus vite, s’écriait Auguste. Il ne faut pas demander si les pommiers les gênent pour faucher, et pour labourer. C’est la même chose ! Toute la journée à fond, le cul sur le tracteur ; à peine s’ils descendent pisser une goutte.
– Plus vite ! pour quoi faire ? Ils ont rien que la « courrate » dans le ventre, interrogeait Jean.
– Fais attéchon à tos pis, criait l’Guste.
– Fais attention à tes pieds, criait Auguste, à celui qui le précédait. Trop tard : les chaussures noires écrasaient un peu plus le crottin abandonné plus haut par le cheval qui tirait le corbillard. Compliquant ainsi la tâche des moineaux, qui très friands de ce festin offert à si bon port, attendaient impatiemment sur un arbre, les derniers marcheurs.
La fin de la montée coïncidait avec un virage très prononcé à gauche, ce qui permettait aux derniers d’avoir un coup d’œil sur l’ensemble du cortège. J’étais de ceux-là.
Plusieurs groupes attendaient sur les entrées de champs longeant le parcours. Les femmes étaient les premières à s’intercaler parmi toutes celles qui formaient la tête du cortège. Les hommes se découvraient sur le passage du corbillard, certains se signaient. Pêle-mêle, les femmes et les hommes membres de la famille s’intégraient à leur place, derrière ce dernier.
Ceux qui restaient au bord de la route vinrent gonfler les derniers rangs. Les salutations allaient bon train.
L’Guste, voyant arriver un gros bonhomme qui balançait ses bras sur son ventre en marchant, interrogea l’Djian.
– Quouié chos Grou qu’fa é vagné ?
– T’sé pas ! rétorque l’autre.
– Qui est ce gros qui fait en semant ?
– Je ne sais pas, rétorque l’autre.
La remarque était excellente car, à chaque pas, il ramenait ses bras sur son ventre, ce qui, effectivement, rappelait le geste du semeur.
Nous arrivions dans le hameau que la route traversait. Un rideau à demi tiré laissait apercevoir le visage d’une personne figée qui regardait derrière les carreaux.
– La Phine é pas alla à l’intèrament avoué ses rhumatismes ! observait l’Djian.
– Oua ! … R’guéta vi r’la mate d’faimé celle biè n’arrindjia, dit l’Guste, plus intéressé par l’alignement du tas de fumier d’à côté que par la Phine derrière sa fenêtre.
À la sortie du village, une descente assez prononcée avait accéléré la vitesse du cortège. Au bout de cette ligne droite, l’église s’offrait à notre vue.
Un petit air de bise ramenait une odeur de porcherie ; en effet, nous apercevions la fruitière en bas.
Tout à coup, les chapeaux de feutre se levaient avec délicatesse (avec plus de gognes) de manières que de coutume, visiblement un Monchu était présent dans le groupe qui attendait sur le côté. La présence de ce Monchu fut remarquée et même appréciée par la foule à en croire les commentaires qu’elle suscitait.
Arrivé à l’église, le cortège s’immobilisa, la demie de dix heures sonnait.
Une fois de plus chacun se découvrait. Le cercueil fut descendu du corbillard, les teneurs de coins occupèrent leur place et si les femmes et la famille rentraient en totalité dans l’église, il n’en fut pas de même pour les hommes. Nombreux étaient ceux qui se dirigeaient vers le café qui longeait la grande route.
Je perdais du même coup mes deux compagnons de marche.
La cérémonie religieuse terminée, tout le monde se retrouve à la sortie de l’église pour reconstituer le cortège, en direction du cimetière. Celui-ci, peu éloigné, fut très vite noir de monde. Le prêtre récitait les dernières prières qui étaient couvertes par le glas.
Le Fanfoé fut descendu en terre par les porteurs. Chaque participant ne voulait manquer un dernier adieu à celui qu’il venait d’accompagner. Défilant devant la tombe, se signant ou jetant une poignée de terre, c’était l’ultime moment d’une émotion vraie. Puis, ce fut les condoléances auprès de la famille.
Arvi ! disaient les uns et les autres en se séparant tout en souhaitant se revoir bientôt.
Nous étions quelques-uns à emprunter le même parcours pour retrouver nos vélos. Les propos échangés devenaient plus familiers, chacun invitait l’autre et sa famille à venir à la maison.
Chemin faisant ce groupe s’amincissait à vue d’œil. Nous fûmes peu nombreux à revenir jusqu’à la maison mortuaire. Une dernière visite s’imposait.
Il se faisait tard, il fallait penser à rentrer, après avoir salué l’Djian et l’Guste, nous grimpions sur nos vélos.
Le soleil dans les yeux, nous arrivions bien vite au tronçon caillouteux où, une fois de plus dérangés, les merles s’envolèrent en sifflant rageusement.
Midi et demi sonnait derrière nous, à Marigny.
René Canet
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989
Le vendredi 24 juin après-midi, Jean-Louis Hebrard fera une présentation aux écoliers sur le thème « D’aujourd’hui à 1880, l’école en remontant le temps », avec support numérique et présentation d’objets anciens (encrier, plumes , buvards, cahier d’écriture, cahier de rédaction).
Cette présentation sera suivie le soir par une causerie avec les anciens, sur le thème « L’école d’antan », à partir de 20h30.