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Ne rien jeter, réutiliser

Au début des années 50, les adultes qui nous entourent, grands-parents et parents, ont traversé les épreuves de la guerre. Tous sortent de la période de restriction liée à l’Occupation. Mentalement, tout le monde connaît la valeur des choses, jusqu’au moindre clou, bout de ficelle, morceau de laine. On sait faire travailler ses mains pour tricoter, coudre, raccommoder. On devient cordonnier quand les chaussures s’usent, menuisier ou soudeur pour effectuer d’innombrables réparations. À la maison, les boites se remplissent de boutons, fermetures Éclair, crochets. Dans l’atelier ou la cabane du jardin, les tiroirs se remplissent de rondelles, vis de tout type, clous mis de côté en raison du : « au cas où, ça peut toujours servir ». C’est le règne des boites.

Pour conserver la semence (petits clous) Collection de l'auteur
Pour conserver la semence (petits clous) (collection de l’auteur)


Dans la France du président Vincent Auriol, les anciens combattants de la Grande Guerre sont encore nombreux. Ils se souviennent de ce conflit qui a pris leur jeunesse, les a marqués à vie, leur donnant entre autre la manie étonnante de la récupération. Une rondelle de métal, un bout de pneu ne doivent pas traîner dans la rue ; hop, dans la poche en vue d’un réemploi. Nous, les petits enfants, les regardions étonnés, ne pouvant savoir l’importance que ces « débris » avaient pu représenter pour eux dans les tranchées. Seules les douilles d’obus trônant sur la cheminée conservaient alors la mémoire d’un artisanat effectué à partir des matériaux disponibles sur le front (fusées, douilles, têtes d’obus…). Pierre Raynal, auteur d’une exposition sur l’artisanat des tranchées, écrit : « ces objets métalliques étaient transformés pour donner des briquets, des coquetiers, des bagues ou des boites à tabac… Les outils pour graver, poinçonner, tailler étaient fabriqués eux aussi à partir de matériaux de récupération ». Quant à la génération des parents, elle venait d’être formatée par quatre années de rationnement et savait récupérer de la laine sur un vieux tricot, réemployer la tôle des boites de conserve.
En Savoie comme dans le reste de la France, on ne roule pas sur l’or. À la campagne, dans le monde ouvrier, être économe s’impose. Ce mode de vie parcimonieux est rapporté par Jean Bertolino dans Madame l’Étoile. Il raconte son séjour, enfant, dans une ferme du côté de Nances : « La vente du lait […], des céréales et du tabac cultivés sur les huit hectares de la propriété à l’aide de deux bœufs sont les seuls revenus des Richard, juste de quoi renouveler ou entretenir l’outillage, payer les petits frais. Pour le reste c’est l’autarcie. Un carré de vigne fournit le vin de l’année… de la volaille donne les œufs et agrémente les repas de fête ».
Dans de telles conditions, on ménage principalement les vêtements et les chaussures. Les hommes possèdent souvent un pied de fer ou enclume de cordonnier. De dimensions réduites (18cm de hauteur sur 16 et 15 cm pour les autres parties) ce petit outil permet le changement des talons mais aussi la fixation de fers pour renforcer le bout de la chaussure et l’arrière.

Enclume de cordonnier (collection de l'auteur)
Enclume de cordonnier (collection de l’auteur)

On se souvient encore du bruit que produisaient ces embouts ferrés ainsi que des glissades qu’ils provoquaient. Pour fixer tout cela, le « cordonnier maison » utilisait de tout petits clous ou semences. Le travail achevé, c’était l’assurance de pouvoir faire durer la chaussure longtemps.

Modes et Travaux (janvier 1952) modèles de tricots (collection de l'auteur)
Modes et Travaux (janvier 1952) modèles de tricots (collection de l’auteur)

Outre la couture et le raccommodage, les mères de famille pratiquaient le tricot. À l’époque, il redevient plus facile de commander des pelotes de laine. Les marques ne manquaient pas, telles Bergère de France, Phildar, Pernelle, Laines du Chat botté. La laine restant encore précieuse, cette dernière marque avançait l’argument qu’avec elle on pouvait « tricoter plus avec moins de pelotes ». Mais avant de faire la commande, on cherchait à récupérer la laine des anciens tricots, cache-nez et autres gilets. Ce travail s’effectuait toujours selon des étapes bien rodées. On détricotait puis on lavait la laine à bonne température avec une lessive adaptée. Le séchage demandait ensuite des soins attentifs pour conserver à la laine ses qualités. Quand tout avait séché, arrivait enfin la mise en écheveau. Enfant, on était heureux de participer à leur confection. Il fallait tendre les bras, bien écartés pour qu’on puisse enrouler le fil de laine. L’écheveau terminé, il ne restait plus qu’à tricoter à nouveaux en mélangeant les pelotes, les couleurs et les motifs. Cela donnait des assortiments improbables portés malgré tout avec bonheur quand le froid revenait. Les revues fourmillent alors de modèles pour tous les âges. Pour équiper bébé, étaient proposés la brassière, la barboteuse, le paletot réversible et le bonnet. Les plus grands avaient le gilet. Pour cela, il fallait puiser dans la boite à boutons. Toutes les familles en possédaient une dans laquelle dormaient tous les systèmes de fermeture et de boutonnage récupérés au fil des ans sur tous les vêtements usagés.

Boutons et fermetures éclair (collection de l'auteur)
Boutons et fermetures éclair (collection de l’auteur)

L’on ne parle pas alors de recyclage, c’est plutôt le binôme récupération et bricolage qui domine les esprits. Dans tous les foyers il y a un bricoleur en action, une personne qui est capable d’étamer les casseroles, de changer les plombs fondus dans les tabatières du tableau électrique ou de confectionner des charnières avec des morceaux de pneumatique. Ce personnage est chanté avec beaucoup d’humour par Patachou sur un texte écrit en 1952 par Georges Brassens. Tout le monde connaît alors le refrain « Mon dieu quel bonheur, mon dieu quel bonheur, d’avoir un mari qui bricole, mon dieu quel bonheur, mon dieu quel bonheur, d’avoir un mari bricoleur » et sa chute « boite à outil, boite à outil ».
Le règne du système D qui dominait dans les années 50 revit peut-être aujourd’hui à travers la multiplication des « tutoriels  » sur internet.

Jean-Louis Hebrard

Des héros à gogo

De nombreux exploits sont accomplis durant les années 50, sur les océans, dans les altitudes extrêmes, dans les profondeurs sous-marines, dans les airs et l’espace. Des hommes et des femmes s’illustrent alors dont les noms sonnent encore à nos mémoires.
La presse, la radio, l’édition nous font connaître leurs exploits. Ils sont suisses, britanniques, français ou norvégiens et tout simplement extraordinaires. À ces héros bien réels se rajoutent tous ceux que la presse enfantine propose : aviateur à la Buck Dany, trappeur à la Davy Crockett, anti-héros sans emploi à la Gaston Lagaffe.
Avec l’apparition du Livre de Poche en février 1953, c’est le monde de l’exploration qui fait irruption dans notre quotidien. Leurs couvertures illustrées, leurs tranches de couleurs vives (petite réclame intégrée au livre) captent l’attention des jeunes et moins jeunes lecteurs. D’un simple coup d’œil, il devient possible de s’embarquer sur un radeau à travers le Pacifique et de tenir la barre avec le norvégien Thor Heyerdahl comme nous y invite la photographie du Poche intitulé « L’expédition du Kon-Tiki ».

Traverser le Pacifique (collection particulière)
Traverser le Pacifique (collection particulière)

Le livre de Poche, dont un exemplaire sort chaque semaine, va très vite se démultiplier en sous-séries spécialisées, notamment celle qui va publier « les récits d’exploration, d’aventures et de voyages les plus originaux et les plus passionnants ». Cette dernière vise à entraîner le lecteur « dans des découvertes surprenantes : fonds sous-marins, ou grottes préhistoriques, sommets enneigés ou volcans, déserts de glace ou de sable ». Les titres annoncés vont contribuer à une connaissance plus exacte du monde et de ses habitants à une époque où l’on commence seulement à partir en vacances au bord de la mer en France ou chez nos voisins européens. Aussi est-ce un véritable dépaysement que de pouvoir devenir « Naufragé volontaire » avec Alain Bompard, de se lancer dans « L’expédition Orénoque-Amazone » à la suite d’Alain Gheerbrant ou de vivre la « Victoire sur l’Everest » aux côtés d’Edmund Hillary et de son compagnon népalais Tensing.

Sur l'Everest (collection particulière)
Sur l’Everest (collection particulière)

Dans la même collection, le livre de Jacques-Yves Cousteau et Frédéric Dumas attire le regard avec sa belle couverture montrant des plongeurs munis de porte-flash, s’enfonçant calmement dans les profondeurs du « Monde du silence ».

Dans les profondeurs marines (collection particulière)
Dans les profondeurs marines (collection particulière)

Après le livre, le commandant Cousteau tourne avec Louis Malle un film qui sort en salle en 1956 et obtient la même année la palme d’or au festival de Cannes. Jacques-Yves Cousteau à bord de son navire océanographique la Calypso devient alors le principal héros de l’aventure des grandes profondeurs. Les magnifiques images qu’il nous livre sur l’univers sous-marin transforment peu à peu les simples baigneurs en plongeurs impatients de partager les mêmes découvertes.
Dans le domaine aérien, c’est une française qui s’illustre dès 1951 en décrochant le record du monde féminin de vitesse en volant à plus de 755 km/h. Belle-fille du président de la république, Jacqueline Auriol va enchaîner les exploits dans son duel avec l’aviatrice américaine Jacqueline Cochran en volant de plus en plus vite jusqu’à atteindre des vitesses supersoniques.

Journal de Spirou (collection particulière)
Journal de Spirou (collection particulière)

Les belles histoires de l’Oncle Paul que publie le journal Spirou, mettent en valeur le courage et l’intrépidité de cette aviatrice. Avant de parler de ses exploits, le conteur rappelle son terrible accident à bord d’un avion amphibie qui l’immobilisa plus d’une année à l’hôpital où elle dut subir près de trente opérations avant de reprendre les commandes d’un avion. Les journaux destinés à la jeunesse proposent surtout des héros de papier dont certains s’inscrivent dans le contexte des guerres récentes, d’autres qui traversent toute l’Histoire du monde et quelques-uns qui préfigurent l’entrée dans la société de consommation et de loisirs.

Timour
Timour

Voici d’abord Timour dont les aventures sortent en 1953 dans le journal de Spirou. Max Mayeu dit Sirius et Xavier Snoeck sont les créateurs de ce héros aux cheveux roux qui va vivre à travers l’histoire de sa famille plus de vingt siècles de l’histoire de l’humanité.
Les jeunes lecteurs sont rapidement conquis par ces « Images de l’Histoire du Monde » remarquablement documentées qui vont les faire passer de la préhistoire à Babylone, à l’Egypte des pharaons puis à Carthage et Rome avec deux épisodes aux titres plein de mystères : Le fils du centurion et Le gladiateur masqué. Le Moyen-âge confronte ensuite Timour aux Vikings, aux Arabes en Espagne et à bien d’autres adversaires. Le héros privilégie l’amitié comme il l’affirme à la fin du premier épisode en gravant sur un talisman « deux mains jointes qui sont le signe de l’amitié et d’autres qui se tendent ». Une pierre, lit-on dans la dernière image, qui « revient au fils de Timour qui la transmettra à ses enfants et aux enfants de ses enfants. Ainsi ils n’oublieront jamais… ».
Un autre héros, aviateur et américain, entraîne le jeune lecteur dans la guerre du Pacifique puis dans les tensions de la Guerre froide. Buck Dany est un pilote moderne, maîtrisant la technologie, la vitesse, défendant le bien face aux forces du mal. Derrière des planches documentées et précises sur les multiples modèles d’avions, de fusées, de navires de guerre, on trouve en filigrane le conflit idéologique qui traverse les années50.
Buck Dany, le facétieux Sonny Tuckson, et le calme Tumbler aux allures de vedettes de cinéma vont être mis sur la touche par un nouveau venu aux espadrilles échancrées, à l’allure trainante et à la philosophie « cool » bientôt promu à une future célébrité : Gaston Lagaffe.
Ce dernier, entré par effraction dans l’univers de la bande dessinée va devenir une vedette emblématique de toute une génération qui se retrouvera parfaitement dans les aventures de ce perturbateur patenté.

Jean-Louis Hebrard

Feuilletons et radio-crochet (la radio des années 50)

La suspension de la cuisine vient d’être allumée, bientôt l’horloge annoncera19h30, l’heure de notre feuilleton préféré approche. Installés autour de la table, tout le monde attend avec plaisir le nouvel épisode de « la famille Duraton ». Ce feuilleton humoristique diffusé par « Radio Luxembourg » depuis 1948 a déjà une belle histoire. La série a commencé en 1936 sur les ondes de « Radio-Cité » avec pour titre original « Autour de la table ». Dix ans plus tard, elle est devenue le divertissement familial du soir par excellence, entraînant les auditeurs dans des histoires simples de français moyens. Les « Duraton » installés eux aussi à la table familiale, s’interpellent, se chamaillent, se disputent gentiment à propos des innombrables péripéties de la vie quotidienne. Ils y commentent aussi avec humour l’actualité. Au-delà du divertissement, l’émission exerce une influence extraordinaire dans des domaines aussi variés que la tenue vestimentaire ou les rapports familiaux. Cette « aura » se mesure à l’importance du courrier que des millions d’auditeurs expédient à la station radio dans lequel on relève ces propos surprenants : « C’est curieux, il m’est arrivé la même aventure qu’à vous ». La très forte audience du feuilleton attire les annonceurs à l’image du « Savon Palmolive » que célèbrent avec le sourire les « Duraton » sur un cliché de 1951. C’est que de célèbres comédiens participent au feuilleton comme Noël-Noël, Jean Carmet ou Ded Rysel auxquelles répondent Yvonne Galli, Jacqueline Cartier ou Jeanne Sourza qui tient ici le rôle de la Tante Gusta et que l’on retrouve aussi dans une autre émission radiophonique très suivie, dans le rôle d’une clocharde.

Publicité Palmolive (archive privée)
Publicité Palmolive (archive privée)

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Intitulée « Sur le banc », cette émission que diffuse aussi Radio Luxembourg, met en scène Carmen (Jeanne Sourza) et La Hurlette, alias Raymond Souplex. À midi, ce duo comique discute tous les jours, installé sur leur banc des quais de la Seine. En 1949, il renoue avec le succès après la longue interruption de la guerre. Il faut dire que ces « joyeux râleurs » apportent des instants de légèreté dans une France qui en a bien besoin. Carmen qui prend souvent un mot pour un autre est gentiment reprise par son complice La Hurlette qui prend le temps de tout lui expliquer. De toute façon, en bons clochards qu’ils sont, tout se termine par un verre de beaujolais. Dans les moments les plus comiques de ces dialogues, les adultes interdisaient aux enfants de parler et de chahuter. Un silence majestueux régnait alors autour du poste de radio.

Petit modèle de poste de radio (collection privée)
Petit modèle de poste de radio (collection privée)


À une époque où la télévision était encore peu répandue, la radio constituait encore le divertissement familial par excellence. Avec les nouveaux modèles qui arrivent sur le marché et avant la révolution du transistor, le poste à lampe rentre plus facilement dans tous les foyers, y compris les plus modestes. L’habillage en bois cède le pas au plastique moderne comme c’est le cas sur ce modèle « Boy » produit par Schneider Frères en 1959. Fini l’aspect tristounet des vieux modèles, place aux formes élancées et modernes, aux couleurs dynamiques. Avec trois gammes d’ondes, le petit poste Schneider permet d’écouter de nombreuses stations. Parmi les plus suivies, avant la Radio Nationale, on trouve Radio Luxembourg. C’est là que l’on écoute les meilleurs feuilletons et aussi que l’on suit le plus célèbre des jeux, le mémorable « Quitte ou double ». Le candidat pouvait garder son gain et s’en aller ou bien tenter de le doubler en répondant à la question suivante, au risque de tout perdre. En 1952, l’abbé Pierre devient un gagnant célèbre en remportant la somme de 512 000 francs. Sa figure marque les Français qui le retrouveront deux ans plus tard lors de son appel poignant en faveur des sans abris. La publicité tenait une place importante dans tous ces jeux ou ces feuilletons. Bartisol, un apéritif bien connu, offre alors une prime pour chaque capsule détenue par une personne rencontrée au hasard dans la rue et qui a reconnu au préalable « L’homme des vœux Bartisol ». C’est le savon Palmolive qui présente chaque soir « la famille Duraton » et la savonnette Cadum qui accompagne Carmen et La Hurlette « Sur le banc ». À la fin des années 50 de nouveaux feuilletons apparaissent, plus dynamiques, plus rythmés, sponsorisés par de nouveaux annonceurs. « L’Homme à la voiture rouge » mis en onde entre 1961 et 1963 entraîne le jeune public dans des rebondissements infinis.

Steph et Rubis (dessin d’après une publicité d’époque)
Steph et Rubis (dessin d’après une publicité d’époque)

Le héros s’appelle Steph Berrier, adore conduire son bolide à très vive allure, comme le souligne cette publicité : « Où va cet homme ? Dans quelles nouvelles aventures haletantes va-t-il encore se lancer avec Rubis son inséparable voiture ? Pour en savoir plus, écoutez chaque jour (sauf dimanche), l’étonnant « suspense » radiophonique offert par Esso ».
James Bond radiophonique, l’homme à la voiture rouge vit des trucs invraisemblables en dénouant des histoires d’espionnage dans le monde entier. Parmi les 600 épisodes, on le découvre entre autre comme le principal acteur du mystère des cadrans radioactifs BX 13. Une affaire qui le lance, et les auditeurs avec lui, à la poursuite de deux Brésiliens qu’il suit pied au plancher du Havre en Avignon puis à Paris. Le feuilleton, soutenu par une musique agressive, s’inscrit dans le monde de la vitesse qui séduit une jeunesse « yéyé » ne se reconnaissant plus dans l’univers de la « famille Duraton ». L’heure des années 60 vient de sonner.


Jean-Louis Hebrard

Café en grains, « chaussette » et chicorée

Dans la cuisine où trône alors la grande cuisinière (bois et charbon), parmi les casseroles et fait-tout, il y a toujours un coin réservé pour tenir le café au chaud. C’est la boisson que propose la ménagère à tous ceux qui, ami, gendarme, facteur, passeront dans la journée.
En 1950, le temps des ersatz (substitut au café) est heureusement derrière nous. Fini l’orge ou les glands à faire griller pour obtenir un jus infâme à la place du bon café disparu dans les convulsions de la guerre. Désormais, le café en grains est de retour, produit par des torréfacteurs qui commercialisent les marques « café de l’éléphant », « Grand-Mère » ou « Malongo ».
Si les bars et bistrots sont alors équipés de magnifiques percolateurs, à la maison le café demande toute une série de travaux manuels avant de le boire. Il faut tout d’abord sortir le moulin à café pour lequel les enfants se disputent le plaisir de tourner la manivelle. Tout le monde possède cet appareil produit le plus souvent par la maison « Peugeot ». Il se présente sous la forme d’un cube d’une dizaine de centimètres de côté, muni d’un petit tiroir, d’une ouverture supérieure et d’une belle manivelle. Il existe des modèles en bois ou comportant plus d’éléments métalliques, arborant tous le lion, symbole de la marque « Peugeot Frères ». Broyer les grains de café était une tâche qu’on confiait en général aux enfants. « Assis sur un tabouret, la cafetière coincée entre les jambes » se souviennent Marcel ou Lisette, « il fallait tourner la manivelle bien fort et bien longtemps… et ça pinçait la peau des cuisses ». Quand tous les grains que l’on avait introduits dans le haut du moulin étaient moulus, on récupérait la poudre de café dans le petit tiroir prévu à cet effet.

Moulin à café Peugeot (collection particulière)
Moulin à café Peugeot (collection particulière)

La cafetière étant préparée, le filtre rempli, on passait de l’eau très chaude par-dessus jusqu’à la quantité désirée de café. Selon la mouture du café, on employait un filtre métallique ou un autre. Il fallait bien le choisir pour éviter qu’elle ne passe au travers des trous. Pour être plus tranquille, on se servait d’un filtre en tissus appelé de façon ironique « chaussette ».

Filtres et cafetières (collection particulière)
Filtres et cafetières (collection particulière)

Pour rendre le café plus corsé, mais aussi pour des raisons économiques, on trouvait dans nombre de famille des paquets de chicorée. Cette racine était torréfiée puis réduite en grains par la marque « Leroux » qui dominait alors le marché. Chaque ménagère avait son dosage, allant d’une à deux cuillerées ajoutées après le café moulu avant d’y verser l’eau chaude. Le paquet de chicorée était reconnaissable tant par sa forme cylindrique que par les couleurs de son papier d’emballage brun et rouge. Tout au long des années 50, la chicorée est vantée pour ses vertus bénéfiques auprès des enfants. Les publicités ne manquent pas d’insister sur la qualité des boissons que l’on prépare, à la place du café, pour le petit déjeuner. On retrouve cette idée sur les buvards et protège-cahiers que distribue alors cette marque. Elle lance même des collections d’images sur des thèmes comme l’aviation, les animaux du monde ou les grands monuments.

La chicorée au déjeuner (collection privée)
La chicorée au déjeuner (collection privée)

Au quotidien, on boit souvent le café dans de simples verres. Les plus en usage sont ceux de la marque « Duralex » qui possède la particularité de se briser en une infinité de petits éclats quand on a la maladresse de les faire tomber. Pour les occasions particulières, la maîtresse de maison aime sortir le service à café. Il a été parfois gagné en collectionnant patiemment des vignettes proposées par les marques. Ces services présentent des formes et des couleurs modernes dans les tonalités des meubles en formica que l’on trouve de plus en plus dans les cuisines. Avec leurs anses noires, leurs formes évasées de couleur jaune citron ou bleu vif, ces services tranchent par rapport aux modèles anciens à décor floral sur fond blanc.

Les couleurs des années 50 (collection particulière)

Bien d’autres « cadeaux » sont aussi proposés aux collectionneuses de vignettes comme des petites cuillères ou des serviettes.
Les marques de biscuits ne sont pas en reste dans cette offre de « cadeaux ». Il faut dire que les gâteaux secs sont très souvent sur la table lorsque l’on boit du café entre amis et connaissances. Parmi les plus consommés, figurent le biscuit « Thé Brun ». Il est produit par une entreprise qui a vu le jour à la fin du XIXème siècle en Isère. Installée à Saint-Martin d’Hères, elle connaît un beau succès dans les années 50 avec son produit phare, le « Thé Brun » que l’on utilise dans de nombreuses recettes. Les enfants de cette époque se souviennent sans doute des belles boites métalliques de couleur jaune et bleu renfermant les petits biscuits rectangulaires. On aimait les grignoter doucement, les attaquant par les coins pour réaliser une carte de France savoureuse. Mais le grand succès de ces biscuits résidait dans la confection d’un gâteau dont on trouve encore aujourd’hui la recette en ligne. Facile à réaliser, demandant peu de matières premières si ce n’est 24 biscuits trempés dans un café fort et disposés en couches, le gâteau permettait de régaler environ six convives. Aujourd’hui, ces biscuits et gâteaux « au goût d’enfance » semblent revenir à la mode, comme une bouffée de nostalgie en plein XXIème siècle.


Jean-Louis Hebrard

Comme sur des roulettes

Les jeunes qui avancent avec souplesse sur un skateboard ne se doutent pas qu’à l’époque de leurs grands-parents on dévalait les pentes à bord d’une planche à roulettes. Elle présentait toutefois un aspect bien différent, n’était pas affublée d’un nom anglo-saxon, étant simplement nommée carriole, n’avait pas été achetée dans un magasin spécialisé, mais construite patiemment après une longue recherche des pièces nécessaires à sa mise au point. Il n’était pas bien difficile de trouver une planche et quelques morceaux de bois pour construire la carlingue. Pour les clous, il suffisait de demander aux adultes de pouvoir chercher dans les innombrables boites en métal dans lesquelles on entreposait les clous, vis et autres boulons. Les adultes qui venaient de sortir des restrictions de la guerre avaient l’habitude de récupérer tout ce qui pouvait servir un jour ; aussi les remises, garages et autres appentis regorgeaient-ils d’innombrables trésors.

Modèle à trois roulements
Modèle à trois roulements

Si les clous étaient tordus, il était facile de les redresser, tout le monde sachant réaliser cette opération. Reconstituer les boulons demandait un peu de patience et de pratique pour retrouver l’écrou adapté. La construction de la carriole relevait donc d’une certaine débrouillardise qui confinait à l’exploit pour trouver les trois ou quatre roulements à billes, produits extrêmement précieux. Quand tout était réuni, la réalisation de l’engin pouvait débuter. Le plus difficile était d’installer la petite planche supportant le roulement de l’avant avec le boulon qui permettait de la faire pivoter. En effet, c’était le système qui permettait de diriger plus ou moins bien la carriole. Il pouvait alors se manœuvrer soit avec les mains grâce à une corde, ou pour les plus experts, avec les pieds. Il était indispensable de bien se caler et de s’asseoir sur la planche avant de s’élancer dans la pente. Les roulements à billes faisaient un bruit pas possible, renforçant l’impression d’être à bord d’un véritable bolide. Quand une erreur de pilotage ou un obstacle sur la chaussée survenaient, les chutes étaient terribles. Les genoux du conducteur en gardaient longtemps le souvenir. Les plaies et les bosses n’étaient rien en regard des accrocs et déchirures sur les vêtements. Ces derniers entraînaient souvent de belles réprimandes de la part des parents.
Les descentes un peu prononcées rassemblaient tous les adeptes de sensations fortes. On y organisait des semblants de compétitions permettant aux plus virtuoses de s’illustrer.
Si la planche à roulettes était plus utilisée par les garçons, ce n’était pas le cas pour les patins, pratiqués indifféremment par les filles et les garçons. De même que le vélo, la paire de patins à roulettes faisait l’objet d’un choix étudié. Il faut dire que les marques étaient nombreuses, proposant toutes des modèles à trois ou quatre roues, réglables en longueur que l’on fixait aux chaussures à l’aide de lanières en cuir.

Une des marques de patins en vogue (Collection privée)
Une des marques de patins en vogue (Collection privée)

Sur quoi peut-on appuyer son choix ? Les patins à roulettes Speedy, marque lyonnaise des établissements Masson, misent alors sur le nom à consonance anglo-saxonne, évoquant la vitesse et la virtuosité. De plus, ses modèles sont équipés d’un système de roues fixées par des cliquets. Pour d’autres, c’est la robustesse que met en avant l’appellation Solido.
Quant aux patins Jack, cette marque française promet « l’excellence dans la simplicité » assurant confort de fixation et facilité de réglage.
En dehors d’un achat en magasin, il était possible de gagner une paire de patins en collectionnant des points de fidélité comme le proposaient les magasins Casino.
Bien équipé, il suffisait de sortir dans la rue pour faire du patin à roulettes. À la différence des planches à roulettes tributaires de la pente, on patinait partout en liberté, la circulation automobile étant encore assez réduite. Tout était bon, les trottoirs quand il y en avait, les chaussées qui commençaient à être goudronnées, les cours et les places publiques. Bernard Demory dans son ouvrage « Au temps des cataplasmes – La France d’avant la télé » raconte ainsi ses débuts en patins : « Sur les allées cimentées […] trouées de nids de poules, nous tentions de rouler avec grâce. Les roues métalliques et les courroies qui attachaient nos patins aux pieds et se desserraient toujours ne facilitaient pas les exploits ». Mais quel plaisir de se lancer à toute vitesse avant d’amorcer un large arc de cercle pour tourner et repartir dans l’autre sens ! Patiner en arrière demandait plus de maîtrise, mais avec un peu de persévérance on finissait par y arriver. Pour aller encore plus vite, il était possible de s’accrocher à l’arrière d’un vélo et de se faire remorquer sans effort tout en gardant son équilibre. Les chutes pouvaient être au programme, surtout lorsqu’un gravier ou un petit caillou venait bloquer une roue du patin. Nous étions bien loin de la virtuosité de Charlie Chaplin que nous avions vu au cinéma dans le film « Les Temps Modernes » lorsqu’il tourne et virevolte dans le grand magasin après sa fermeture sous les yeux admiratifs de Paulette Godard. Toutefois, nos patins à roulettes nous ont procuré bien du plaisir, et lorsque l’on voit aujourd’hui les jeunes générations s’entrainant dans des skate-parcs aménagés à leur intention, on se dit que le bonheur « sur roulettes » n’est pas près de disparaître.


Jean-Louis Hebrard

Grande boucle et petits vélos

Dans les années 50, Bartoli et Louison Bobet sont, plus que les joueurs de football, les héros sportifs des jeunes générations. La télévision n’étant pas encore dans tous les foyers, c’est avec la radio que l’on vibre aux exploits de Koblet le Suisse, du Luxembourgeois Charly Gaul, des Français Darrigade et Bobet et bientôt de Poulidor, vainqueur de l’étape Briançon à Aix-les-Bains en 1962.
Casquettes et visières récoltées au passage de la caravane du Tour de France enchantent les enfants qui revivent à travers le jeu des « petits coureurs » l’excitation qu’a procurée le passage des champions. L’entreprise Picon de Saint-Félix édite à cette époque un jeu de petits cyclistes. Dans une réclame, deux enfants en parlent avec enthousiasme. « Il paraît que c’est comme le Tour de France cycliste » explique l’un d’eux. Sur un protège cahier on peut voir le jeu de la Mère Picon.

Un protège-cahier (archive privée)
Un protège-cahier (archive privée)

Il est conçu selon le même principe que le jeu de l’oie. Les pions sont remplacés par les figurines des coureurs cyclistes. Un texte placé à l’intérieur du protège-cahier invite les futurs joueurs à se placer dans l’ambiance de la Grande boucle. « Oui, c’est un véritable Tour de France cycliste » déclare un garçon qui poursuit : « Il y a des équipes de coureurs de tous les pays, des sprints terribles tu sais, et tu peux diriger une équipe de cinq coureurs ». Et de rajouter : « Oui, tu arranges la course comme tu veux, tu es le directeur sportif de tes coureurs, si tu gagnes une prime, tu peux en faire profiter celui de tes coureurs qui est le plus mal placé. Tu te débrouilles comme tu veux, et si tu es malin, tu peux grouper toute ton équipe pour gagner le Tour ». Une étude très sérieuse publiée en 2020 dans la revue « Sciences sociales et sport, n°16 » sur « Les figurines cyclistes » nous apprend qu’elles deviennent « après 1945 des jouets de sport pour enfants et des objets d’héroïsation… s’en tenant aux codes des champions routiers ». Ces figurines font alors le bonheur des garçons du « baby boom ». Fabriquées principalement par la fonderie Roger à Courtenay dans le Loiret, ces figurines en zamak (alliage de zinc, aluminium, manganèse et cuivre) puis en plastique sont alors produites en grandes quantités (jusqu’à près de 500 000 à l’orée des années 60). Elles présentent les coureurs dans toutes les positions des champions cyclistes, sprinter, coureur sur le plat ou en danseuse pour les ascensions… Petits jouets qui firent la joie des enfants des années 50 comme le rapporte aujourd’hui Martin Péneau sur son site En danseuse : « Toutes les raisons étaient bonnes pour sortir les cyclistes miniatures de leurs boites. Parce que l’on s’ennuyait, parce qu’il pleuvait en plein été, ou au contraire, parce qu’il faisait trop chaud. Jouer avec les petits cyclistes …était une superbe récréation, un moment passionnant, captivant ».

Figurines cyclistes et billes (collection privée)
Figurines cyclistes et billes (collection privée)

Les petits cyclistes ne circulaient pas uniquement sur une piste façon jeu de l’oie. On jouait aussi en extérieur sur tous les terrains, jardin ou balcon, sur du sable ou en terrain plus boueux. Il fallait tracer au préalable le circuit sur lequel on allait s’affronter. Chaque joueur faisait avancer son coureur à l’aide d’une bille propulsée d’une pichenette. Bien évidemment, rien ne pouvait remplacer les sensations éprouvées lors du passage de Tour et de son impressionnante caravane. En complément des champions, c’est elle qui capte l’attention des jeunes générations pour la variété des véhicules et des objets, cadeaux et autres « réclames » distribués. Avec un peu de débrouillardise et pas mal de chance on peut rapporter des chapeaux en papier, des visières ou encore des autocollants et porte-clés célébrant la chicorée Leroux, la moutarde Amora, les stylos Reynolds et Bic, la lessive Bonus, les grands journaux. Quel plaisir de voir arriver le gros Bibendum de Michelin perché sur son fourgon Renault suivi par le « bi bouteille » Butagaz. Dans le défilé des marques, celles qui concernent les boissons semblent dominer avec en tête les apéritifs Cinzano, St-Raphaël, Berger. La marque Byrrh se remarque avec son énorme tonneau installé sur un Renault de 1400 kg de couleur rouge et blanc. La liqueur apéritive Suze bénéficie du prestige d’Yvette Horner, célèbre vedette de l’accordéon.

Yvette Horner sur une Traction Avant
Yvette Horner sur une Traction Avant

Dans la caravane, elle ne passe pas inaperçue, juchée sur le toit d’une Citroën Traction Avant, en robe multicolore et sombrero mexicain. Elle va accompagner à onze reprises la caravane du Tour entre 1952 et 1963 et devenir peu à peu la « reine du musette ». On peut l’entendre plusieurs fois à Aix-les-Bains entre 1954 et 1962 où elle joue à l’arrivée de l’étape ses plus beaux succès comme Domino, Perles de cristal ou Le Dénicheur. Le public se presse pour l’entendre et l’encourage par de sympathiques « Va-y Vevette ». C’est l’époque où les Français, en famille, se passionnent pour tous les spectacles qu’offre la « Grande boucle ». Plusieurs fois, la ville d’Aix-les-Bains est en fête lors de l’arrivée d’une étape du tour de France. Quatre fois, de 1951 à 1960, les coureurs qui se sont lancés au départ de Briançon y achèvent les deux cents kilomètres d’une belle étape de montagne. De prestigieux noms du cyclisme s’y illustrent comme Charly Gaul en 1958. Ce mercredi 16 juillet, le Luxembourgeois a lâché tous ses adversaires et repris plus de douze minutes à Géminiani. Avec quatre cols au programme de la journée dont le Lautaret pour commencer et le col du Granier pour finir, la performance de Charly Gaul est d’autant plus remarquable qu’elle est courue sous une pluie glaciale. Un autre exploit est signé sept ans plus tôt par le Suisse Hugo Koblet lors de l’étape reliant Aix-les-Bains à Genève. Le vendredi 27 juillet, les coureurs s’élancent de la cité thermale pour un contre la montre de 97 kilomètres.

Traversée d'Albens (archives B. Fleuret)
Traversée d’Albens (archives B. Fleuret)

Dans le peloton il y a du beau monde dont Coppi, Bartali, Bobet, Robic. Le départ est donné sur la nouvelle avenue Franklin Roosevelt tracée au milieu des zones maraîchères de la ville. Il est 14h32 lorsque le maillot jaune Koblet s’élance en dernier. Par Albens, Bloye et Rumilly, le parcours est d’abord facile pour ce champion qui excelle aussi bien dans la montagne que sur le plat. Puis à partir d’Hauteville jusqu’à La Roche le profil devient plus sinueux, difficile. Cela n’empêche pas Koblet de maintenir une moyenne supérieure à 36km/h, de reprendre les douze minutes qui le séparent de Géminiani et d’entrer dans le stade de Genève à 17h11, bouclant le parcours en 2h39′.
Dix ans plus tard, en juillet 1962, le public aura l’occasion d’applaudir un nouveau champion, Raymond Poulidor vainqueur de l’étape Briançon/ Aix-les-Bains. Désormais c’est la rivalité Anquetil/Poulidor qui animera nos courses de petits cyclistes en plastique.

Jean-Louis Hebrard

Cataplasme et ventouses

Durant le mois de février 1956, la France et la Savoie subissent la plus sévère vague de froid de la décennie. Le 5 février, dans les rues de Chambéry, il fait -16° ; dix jours plus tard, à Belley, les platanes de la ville éclatent sous l’effet du gel. Nos chambres étaient glaciales, se souvient un témoin de Menthonnex qui conserve en mémoire la glace qui recouvrait les vitres au petit matin. Ces conditions polaires (-30° à Megève, -27° à Termignon) persistent jusqu’à la fin du mois entraînant de nombreux dégâts, tuant près de 200 personnes dans tout le pays.

L’hiver, qu’il soit très rigoureux ou supportable, est alors la saison du retour des cataplasmes. Ce remède faisait partie intégrante de la pharmacie familiale. Sa composition la plus classique était à base de farine de lin ou de farine de moutarde et quelquefois d’un mélange des deux. Malaxée avec de l’eau, on faisait chauffer le tout assez longtemps afin d’obtenir un emplâtre bien chaud qui était ensuite étalé dans un tissu de lin soigneusement plié. L’ensemble, posé sur la poitrine, souvent maintenu par une flanelle pour profiter de la chaleur, était gardé 10 à 15 minutes. « Et ça chauffait, dur même ! » écrit Magitte sur son blog (magitte.over-blog.com). « Souvenirs cuisants » poursuit-elle « plus on était rouge, mieux c’était… À rendre jaloux les homards… ce que je supportais en poussant des cris ». Une attitude plus que normale dans une société qui reste encore très doloriste, invitant les enfants à se montrer courageux. Le but de l’opération était de faire venir le sang pour atténuer le plus possible la congestion.

L’Ouataplasme, pansement (collection privée)
L’Ouataplasme, pansement (collection privée)

On soignait bien d’autres affections comme les furoncles, panaris, compère-loriot et autres à l’aide de pansements émollients aseptiques vendus en pharmacie sous le nom d’Ouataplasme. La notice qui accompagne le produit précise « une fois l’Ouataplasme imbibé d’eau tiède, il suffit d’étaler sur la mousseline la quantité nécessaire, selon l’âge du malade, d’une pâte épaisse obtenue en délayant de la farine de moutarde ordinaire dans un peu d’eau. L’Ouataplasme peut être laissé en place tout le temps nécessaire à la révulsion que le médecin veut obtenir. Il ne provoque aucune irritation ». Il n’en reste pas moins que le côté collant et désagréable de la médication est un fait, un ressenti passé dans le langage courant pour qualifier le fâcheux dont on dit « Oh ! Celui là, c’est un vrai cataplasme ». Comme les cataplasmes, la pose des ventouses, autre façon de soigner les refroidissements, est difficile à supporter. Cette façon de soigner à l’aide de petits récipients en verre était pratiquée par tous les foyers de France tant à la campagne qu’à la ville depuis fort longtemps. Dans les années 50, tout le monde possède un lot de ces petits pots en verre, le plus souvent entreposé dans une boite ou une mallette en bois.

Lot de ventouses (collection particulière)
Lot de ventouses (collection particulière)

De petite taille, la ventouse présente une ouverture rétrécie, un fond arrondi et un bord muni d’un bourrelet assez épais. On les appliquait côte à côte sur la peau pour attirer le sang, par révulsion. Leur pose exigeait que l’on ait au préalable chauffé l’air intérieur. Pour cela, une compresse, du coton ou un morceau de papier imbibé d’alcool à brûler était enflammé dans le récipient. La flamme éteinte, la ventouse était placée sur le dos du malade. En refroidissant elle produisait le puissant effet de succion attendu pour soigner les bronchites et autres problèmes respiratoires. Rangé dans la catégorie des « remèdes de bonnes femmes » à partir des années 60, l’usage des ventouses se perd peu à peu.

Pour les maux de gorge, on traitait avec un collutoire au bleu de méthylène. Découvert à la fin du XIXème siècle par un chimiste allemand, cet antiseptique est toujours employé dans les années 50. Enfant, on nous demandait d’ouvrir largement la bouche pour recevoir le badigeonnage. « Fais Ah ! » nous enjoignait-on. On s’y prêtait de bonne grâce, sachant que le collutoire allait calmer l’inflammation.

Boite d’ampoules (collection privée)
Boite d’ampoules (collection privée)

Si l’on avait recours à des produits issus de la chimie comme le mercure au chrome, cicatrisant pour les écorchures, ou les ampoules de teinture d’iode comme désinfectant puissant, c’était encore vers une médication par les plantes que l’on se tournait bien souvent.

Soigner les écorchures  (Manuel classe fin d’études, 1958)
Soigner les écorchures (Manuel classe fin d’études, 1958)

À la pharmacie d’Albens comme dans bien d’autres officines de Savoie, il était possible de trouver la camomille, l’aubépine, la chélidoine, le millepertuis et bien d’autres plantes nécessaires pour les tisanes et autres préparations. Sinon, pour tous ceux qui connaissaient les simples, la collecte dans la campagne et la culture dans le jardin fournissaient l’essentiel. Dans un article de la revue d’ethnologie Le monde alpin et rhodanien, dans le numéro 4 de 1976, on découvre les « Remèdes d’autrefois à Saxel ». Originaire de cette commune de Haute-Savoie, l’institutrice Julie Dupraz livre dans un bel article (consultable en ligne www.persee.fr) le fruit d’un long travail d’enquête sur les ressources médicinales des habitants de la commune dont elle était originaire.

La chélidoine contre les verrues (collection privée)
La chélidoine contre les verrues (collection privée)

Mises à macérer dans de l’alcool ou de l’huile, préparées en tisane c’est-à-dire en infusion comme en décoction, les plantes permettent de calmer, cicatriser, désinfecter, aider à guérir de la grippe, de la jaunisse ou de problèmes de peau. C’est l’usage que l’on fait alors de la chélidoine qui « fait passer » les verrues. La camomille en infusion est souveraine en cas de digestion difficile mais on l’utilise aussi pour le lavage des yeux.

L’eau de vie, désinfectant habituel dans les fermes, sert pour la macération du chèvrefeuille que l’on emploie pour faire mûrir panaris et mal blanc. L’aubépine comme le tilleul sont employés en infusion pour calmer les enfants auxquels on propose alors la célèbre « eau sucrée », un placébo très efficace. Melle Dupraz parle aussi de l’extraction des dents de lait à l’aide d’un bout de fil à coudre et aussi de l’importance du « rhabilleurs », le rebouteux qui soigne les foulures et remet en place vertèbres et articulations.

Les séniors d’aujourd’hui qui ont connu le temps où les antibiotiques étaient rares voient avec étonnement revenir au goût du jour l’usage des ventouses, des cataplasmes et des « médecines d’autrefois ».

Jean-Louis Hebrard

Fontaines qui coulent et trains qui se croisent

Dans tous les livres scolaires, on trouvait alors des exercices de bassins qui se remplissent, de fontaines qui coulent, de champs à clôturer ou de récoltes à vendre. Ce type de problème correspond alors à une France encore très rurale dans laquelle les paysans constituent une part importante de la population active. Aussi, le certificat d’études a-t-il pour fonction d’assurer à la majorité des jeunes qui le passent de solides bases de calcul ainsi qu’une bonne connaissance des unités de mesure dont ils auront un usage quotidien au village comme à la ferme.

Albens, la fontaine rue de la poste (collection particulière)
Albens, la fontaine rue de la poste (collection particulière)

De tous les exercices de calcul proposés, ceux qui concernent l’eau qui coule des fontaines, remplit les bassins, sont les plus courants. Ils sont en prise avec la vie des villages dans lesquels plus de 80% des logements ne possèdent pas l’eau courante, nécessitant de se rendre quotidiennement à la fontaine publique. Installée à l’entrée de la rue de la Poste, celle d’Albens a été réalisée en 1836 sous le règne du roi de Piémont-Sardaigne Charles Albert. Dans les années 50, son modeste débit peut faire écho au problème suivant : « Une fontaine donne 25 litres d’eau en 14 minutes. Une autre donne 41 litres en 21 minutes. Quelle fontaine débite le plus d’eau dans le même temps ? Au bout de combien de temps, la fontaine qui coule le plus vite aura-t-elle donné 100 litres de plus que l’autre ? ». Dans le village de Braille c’est le magnifique bassin qui peut entrer en résonnance avec cet énoncé : « Un bassin mesure 1m75 de large, 4m50 de long, et 1m80 de profondeur. On le remplit grâce à un robinet qui débite 82 litres par minute. Combien de temps faudra-t-il pour remplir ce bassin ? ».

Le bassin de Braille
Le bassin de Braille

Pour réussir tous ces problèmes et bien d’autres, il faut être capable de jongler avec les litres, hectolitres, ares et hectares, mètres et kilomètres, bien savoir que soixante secondes font une minute et soixante d’entre elles s’écoulent durant une heure. Le protège-cahier, avec ses illustrations, est là pour nous aider à mémoriser toutes ces unités. On y trouve par exemple la représentation des diverses mesures pour les liquides, en étain pour le vin, en fer blanc pour le lait ou pour l’huile.

Pour le vin, le lait et l’huile (collection particulière)
Pour le vin, le lait et l’huile (collection particulière)

Leurs formes sont alors familières aux enfants des régions céréalières comme de celles tournées vers la viticulture ou l’élevage laitier. De cette façon, on ne doit pas être surpris d’avoir à résoudre pour un éleveur le problème suivant : « Un cultivateur possède 5 vaches qui lui procurent en moyenne chacune 8 litres de lait par jour. De 2 litres de lait, on retire 20 centilitres de crème et 1 litre de crème donne 250 grammes de beurre. Si le beurre vaut 56 francs le kilo, calculez quelle somme rapporte au cultivateur en une semaine, ses 5 vaches ».

La rédaction de ces exercices demandait aux jeunes élèves d’effectuer une lecture très attentive. Avant de se lancer dans les calculs, il fallait bien avoir compris l’histoire racontée, bien identifier les différentes unités que l’on allait utiliser. Ensuite, il était temps de se lancer dans la résolution du problème en prenant bien soin d’écrire de façon lisible toutes les opérations avant, au final, de rédiger la réponse. Un exercice qui pouvait en perdre plus d’un.

Le système métrique illustré (dictionnaire)
Le système métrique illustré (dictionnaire)

Les histoires qui habillaient ces exercices se rapportaient le plus souvent au monde agricole. Tantôt il fallait calculer un volume de bois, d’autre fois clôturer un champ dont on devait calculer le périmètre, prévoir le nombre de piquets nécessaire, sans oublier l’installation d’une porte. Mais le plus souvent il était question des récoltes : « Un cultivateur a récolté 126 hectolitres de blé dont il a vendu la moitié au prix de 750 francs le quintal (100 kilos). Combien cette vente lui a-t-elle rapporté, si l’hectolitre de blé pèse 81kilogrammes ? ». Après avoir jonglé avec les hectolitres et les quintaux, un autre exercice vous plongeait dans des calculs de rendement et la valse des hectares, kilos, ares et quintaux. Dans celui-ci, il est question de récolte de pommes de terre : « Un cultivateur a planté en pommes de terre un champ de 2 hectares et demi. Le rendement moyen est de 180 kg l’are. Évaluer en quintaux le poids de la récolte. Cette récolte est vendue en trois fois : un tiers à l’arrachage à 12,50 F le quintal ; la moitié du reste au début de l’hiver à 150 F la tonne. Le reste des pommes de terre n’est vendu qu’au mois de mars à 17,40 F le quintal, mais le cultivateur constate un déchet de 10%. Quelle somme retirera-t-il de sa récolte ».

Géographie du cours moyen (collection privée)
Géographie du cours moyen (collection privée)

Tous les exercices ne tournaient pas autour des réalités agricoles. Avec les sujets portant sur la circulation des trains, le calcul nous faisait entrer dans le monde plus moderne des transports, la voie ferrée étant alors le moyen de transport le plus populaire.

La BB 9004, image album Kohler (collection privée)
La BB 9004, image album Kohler (collection privée)

C’est le temps où la SNCF se lance avec succès dans la modernité avec l’électrification de la traction et du réseau. Ces réussites sont célébrées par la presse enfantine : « Avec les CC 7107 et BB 9004 qui ont roulé à 330 km/h, la France détient le record du monde sur rail. Ce record absolu a permis d’améliorer la vitesse commerciale sur les lignes électrifiées, si bien que nous possédons les trains les plus rapides du monde sur des distances de plus de 500 km, notamment avec le « Mistral », qui relie Paris à Marseille ».

Dans nos livres de calcul, les trains ne roulaient pas aussi vite, jugez-en plutôt : « Un train quitte Grenoble à 6h. Il roule à 72km/h. Un autre train quitte Annecy à 8h. Il roule à 69 km/h. À quelle heure et à quelle distance de Grenoble vont-ils se rencontrer ? Grenoble et Annecy sont distantes de 87 kilomètres ».

À vos calculettes ou cahiers de brouillon pour trouver maintenant les résultats de tous ces exercices.

Jean-Louis Hebrard

Collectionner et connaître le monde

Collectionner timbres et images est un véritable plaisir pour les enfants de la IVème république. Les marques de chocolat, Kholer, Menier, Poulain proposent de belles images que l’on est invité à coller dans un album. Tout comme les timbres, elles sont pour les enfants d’alors des fenêtres sur le monde, une occasion de voyager, de faire autrement qu’en classe de la géographie. Elles sont aussi, mine de rien, un moyen de se cultiver, dans un temps où l’image n’est pas aussi omniprésente qu’aujourd’hui.

Album d'images (collection privée)
Album d’images (collection privée)

Édité par Nestlé et Kholer, l’album « Les Merveilles du Monde » nécessite pour être complètement illustré de collecter dix images pour chacun des 21 chapitres qu’il comporte. Le dépaysement dans le temps et dans l’espace est garanti, faisant successivement découvrir les « Enfants de la Terre verte » (le Groënland) mais aussi ceux du « Mystérieux Orénoque » avant d’inviter le jeune collectionneur à participer à « L’épopée saharienne du pétrole ». Dans la France de 1956 qui est encore présente en Algérie et au Sahara, la mise en exploitation de ces nouveaux gisements pétroliers est un évènement d’importance.

Vignette Kholer et timbre de 1959 (collection privée)
Vignette Kholer et timbre de 1959 (collection privée)

Les dix images de ce chapitre héroïsent l’action des hommes travaillant dans le désert à la recherche des hydrocarbures. La vignette placée en tête est ainsi légendée « Un targui sur son méhari. À l’arrière-plan, une exploitation de pétrole au Sahara ». Un bleu intense colore la majeure partie de cette image rectangulaire (8cm de haut pour 5,5cm de large) tandis que le jaune évoque très conventionnellement le sable du désert. La modernité regarde avec bienveillance la tradition représentée par un « homme bleu » sur son dromadaire. Un pétrolier, casque de protection sur la tête, discute avec l’homme du désert. Derrière, ses compagnons s’activent énergiquement. Ces images sont conçues pour nous faire apprendre tout un vocabulaire spécifique : la torchère pour brûler les gaz, le derrick pour forer à l’aide d’un trépan jusqu’à l’oléoduc appelé aussi « pipe-line ». Ce n’est pas un hasard si l’action de ces hommes est mise en avant. En effet, le monde entre alors dans l’ère du pétrole, de l’or noir. C’est ce que célèbre aussi la poste française avec ce timbre édité en 1959. Tous les jeunes philatélistes d’alors sont à la recherche de ces images dentelées. Celui-ci met en évidence l’importance du gisement d’Hassi Messaoud d’une part et d’autre part le tracé du pipe-line qui a été construit pour acheminer le pétrole jusqu’au port de Bougie sur la côte algérienne. De discrets dromadaires rappellent que nous sommes en plein désert. La présence française en Algérie semble toujours assurée.
Collectionner les timbres était une passion largement partagées par les garçons.

Vignette Cémoi (collection privée)
Vignette Cémoi (collection privée)

Il fallait posséder le matériel de base : la pince, la loupe et l’album. Le chocolat Cémoi, une marque grenobloise, avait lancé une opération. Sa publicité expliquait que « Les établissements Cémoi insèrent désormais dans chaque tablette de chocolat un timbre de collection car ils connaissent l’engouement des jeunes pour la philatélie ». La marque mettait en avant tout le sérieux de l’opération, la collection étant « établie en collaboration avec Yvert et Tellier ». Elle assurait avoir l’assentiment des parents mais aussi du monde scolaire, n’hésitant pas à affirmer « Ce n’est pas par hasard si les élèves qui ont l’esprit ouvert collectionnent les timbres-postes ». Pour la somme modeste de cinq timbres à 0,25 francs, on pouvait recevoir un album de 2 000 cases, 800 clichés au beau format (23x27cm) intitulé « le Monde entier ». À l’ouverture de chaque tablette, c’était le suspens. Quel timbre allait-on trouver ? En provenance de quel pays ? L’avait-on déjà ? Par un ingénieux système de « points échange » on pouvait se débarrasser du doublon, faire évoluer sa collection.

Les timbres du chocolat Cémoi (collection privée)
Les timbres du chocolat Cémoi (collection privée)

Depuis la fin de la guerre, le monde est en plein bouleversement politique. Grâce à notre collection, nous devenons de véritables détectives pour parvenir à identifier certains états dont le nom n’est pas immédiatement compréhensible. À force, nous savons que Eire est le nom de l’Irlande, CCCP correspond à l’Union soviétique et Magyar Posta est l’appellation de la poste hongroise. Ces petites images recèlent de précieuses informations sur l’organisation du monde. Ouvriers métallurgistes, chimistes, ouvrières du textile ou paysannes sont les principales figures mise à l’honneur par les pays de l’Europe de l’Est satellites de l’Union soviétique. À l’opposé, l’Amérique s’affirme comme la patrie de la liberté en mettant en avant le portrait de Georges Washington ou la statue de Bartoldi éclairant le monde. Nous ignorons alors le terme de « guerre froide » mais identifions Mao Tse Toung le dirigeant de la Chine communiste. On connaît aussi le visage de la jeune reine d’Angleterre et découvrons qu’elle est aussi souveraine à l’autre bout du monde en Nouvelle-Zélande et en Australie. La carte de l’Inde n’a plus de mystère, un petit timbre nous en montre ses frontières du moment, bien avant que le Bangladesh ne s’en sépare.

Le cahier de géographie (collection privée)
Le cahier de géographie (collection privée)

À l’école, nos instituteurs recevaient des timbres oblitérés des nouvelles émissions de la Poste. Ils s’en servaient dans les cours d’histoire et de géographie pour faire passer de multiples connaissances. Nous étions invités à rapporter les timbres récupérés à la maison. Cela donnait lieu à un travail minutieux pour décoller le timbre de la carte postale ou de l’enveloppe. On utilisait la vapeur d’eau pour faire fondre la colle sans abimer la vignette. Ensuite venait le temps délicat du séchage à l’aide d’un buvard.
Ce temps des collections d’images ou de timbres semble aujourd’hui bien éloigné de notre société hyper connectée.

Jean-Louis Hebrard