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Comme sur des roulettes

Les jeunes qui avancent avec souplesse sur un skateboard ne se doutent pas qu’à l’époque de leurs grands-parents on dévalait les pentes à bord d’une planche à roulettes. Elle présentait toutefois un aspect bien différent, n’était pas affublée d’un nom anglo-saxon, étant simplement nommée carriole, n’avait pas été achetée dans un magasin spécialisé, mais construite patiemment après une longue recherche des pièces nécessaires à sa mise au point. Il n’était pas bien difficile de trouver une planche et quelques morceaux de bois pour construire la carlingue. Pour les clous, il suffisait de demander aux adultes de pouvoir chercher dans les innombrables boites en métal dans lesquelles on entreposait les clous, vis et autres boulons. Les adultes qui venaient de sortir des restrictions de la guerre avaient l’habitude de récupérer tout ce qui pouvait servir un jour ; aussi les remises, garages et autres appentis regorgeaient-ils d’innombrables trésors.

Modèle à trois roulements
Modèle à trois roulements

Si les clous étaient tordus, il était facile de les redresser, tout le monde sachant réaliser cette opération. Reconstituer les boulons demandait un peu de patience et de pratique pour retrouver l’écrou adapté. La construction de la carriole relevait donc d’une certaine débrouillardise qui confinait à l’exploit pour trouver les trois ou quatre roulements à billes, produits extrêmement précieux. Quand tout était réuni, la réalisation de l’engin pouvait débuter. Le plus difficile était d’installer la petite planche supportant le roulement de l’avant avec le boulon qui permettait de la faire pivoter. En effet, c’était le système qui permettait de diriger plus ou moins bien la carriole. Il pouvait alors se manœuvrer soit avec les mains grâce à une corde, ou pour les plus experts, avec les pieds. Il était indispensable de bien se caler et de s’asseoir sur la planche avant de s’élancer dans la pente. Les roulements à billes faisaient un bruit pas possible, renforçant l’impression d’être à bord d’un véritable bolide. Quand une erreur de pilotage ou un obstacle sur la chaussée survenaient, les chutes étaient terribles. Les genoux du conducteur en gardaient longtemps le souvenir. Les plaies et les bosses n’étaient rien en regard des accrocs et déchirures sur les vêtements. Ces derniers entraînaient souvent de belles réprimandes de la part des parents.
Les descentes un peu prononcées rassemblaient tous les adeptes de sensations fortes. On y organisait des semblants de compétitions permettant aux plus virtuoses de s’illustrer.
Si la planche à roulettes était plus utilisée par les garçons, ce n’était pas le cas pour les patins, pratiqués indifféremment par les filles et les garçons. De même que le vélo, la paire de patins à roulettes faisait l’objet d’un choix étudié. Il faut dire que les marques étaient nombreuses, proposant toutes des modèles à trois ou quatre roues, réglables en longueur que l’on fixait aux chaussures à l’aide de lanières en cuir.

Une des marques de patins en vogue (Collection privée)
Une des marques de patins en vogue (Collection privée)

Sur quoi peut-on appuyer son choix ? Les patins à roulettes Speedy, marque lyonnaise des établissements Masson, misent alors sur le nom à consonance anglo-saxonne, évoquant la vitesse et la virtuosité. De plus, ses modèles sont équipés d’un système de roues fixées par des cliquets. Pour d’autres, c’est la robustesse que met en avant l’appellation Solido.
Quant aux patins Jack, cette marque française promet « l’excellence dans la simplicité » assurant confort de fixation et facilité de réglage.
En dehors d’un achat en magasin, il était possible de gagner une paire de patins en collectionnant des points de fidélité comme le proposaient les magasins Casino.
Bien équipé, il suffisait de sortir dans la rue pour faire du patin à roulettes. À la différence des planches à roulettes tributaires de la pente, on patinait partout en liberté, la circulation automobile étant encore assez réduite. Tout était bon, les trottoirs quand il y en avait, les chaussées qui commençaient à être goudronnées, les cours et les places publiques. Bernard Demory dans son ouvrage « Au temps des cataplasmes – La France d’avant la télé » raconte ainsi ses débuts en patins : « Sur les allées cimentées […] trouées de nids de poules, nous tentions de rouler avec grâce. Les roues métalliques et les courroies qui attachaient nos patins aux pieds et se desserraient toujours ne facilitaient pas les exploits ». Mais quel plaisir de se lancer à toute vitesse avant d’amorcer un large arc de cercle pour tourner et repartir dans l’autre sens ! Patiner en arrière demandait plus de maîtrise, mais avec un peu de persévérance on finissait par y arriver. Pour aller encore plus vite, il était possible de s’accrocher à l’arrière d’un vélo et de se faire remorquer sans effort tout en gardant son équilibre. Les chutes pouvaient être au programme, surtout lorsqu’un gravier ou un petit caillou venait bloquer une roue du patin. Nous étions bien loin de la virtuosité de Charlie Chaplin que nous avions vu au cinéma dans le film « Les Temps Modernes » lorsqu’il tourne et virevolte dans le grand magasin après sa fermeture sous les yeux admiratifs de Paulette Godard. Toutefois, nos patins à roulettes nous ont procuré bien du plaisir, et lorsque l’on voit aujourd’hui les jeunes générations s’entrainant dans des skate-parcs aménagés à leur intention, on se dit que le bonheur « sur roulettes » n’est pas près de disparaître.


Jean-Louis Hebrard