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1914 – 1918 Et les femmes pendant ce temps…

Novembre 1988 : Anniversaire de la victoire de 1918

N’aurait-on pas oublié quelqu’un ?
Cette ombre omniprésente, cette force de vie, ce combattant silencieux…

La femme !

Samedi 1er août 1914

« Nous sommes rentrées hier soir dans notre maison de campagne. Il nous a fallu quitter en hâte la vallée de Tarentaise où nous nous reposions. En hâte ? Hier la journée était si belle que les montagnes semblaient se prélasser dans la lumière comme des baigneuses dans une eau bienfaisante. Mes filles avaient cueilli des chardons bleus et des edelweiss. Le ciel était si pur et la terre si sereine qu’on ne pouvait croire à la guerre… »

Henry Bordeaux
« Histoire d’une vie »

La presse de l’époque (par exemple « Le Miroir » 1914/15/16/17/18), les nouvelles à la T.S.F., les affiches, les cartes postales sont autant d’hommages rendus au courage de nos « poilus ».

Cependant, les femmes auxquelles, dès la déclaration de la guerre, les responsables politiques lancent un appel pour « que soient terminées les récoltes et préparées celles à venir », ont relevé la tête et su oublier les malheurs du temps. Mieux que la « Wonder-Woman » de la télévision, la Française de 14-18 s’est révélée forte et capable de tout : « La France en guerre découvre sa moitié féminine. »

Monument aux morts de Termignon
Dessin E. Rouzaud

Elle nourrit la France

En Savoie, à Saint-Alban-de-Montbel, commune de Savoie qui a le plus souffert au point de vue victimes de guerre.

Témoignage (ses enfants) :
Madame Grimontet et son mari tiennent un commerce de grains. Le mari fait ses livraisons sur Chambéry en char à bœufs. L’épouse reste seule à la maison une grande partie de la journée : commerce, enfants, ménage. Un domestique engagé la vole ; de nouveau seule pour tout assurer, sans parents ni amis pour l’aider. Elle meurt à la fin de la guerre, épuisée par un travail excessif.

La guerre de 1914-1918 en quelques chiffres
  • Plus de 8 millions d’hommes mobilisés. 1 400 000 hommes tués au combat (soit 17,6% du total des hommes mobilisés). Ce qui veut dire qu’un homme sur 6 n’est pas revenu de ce conflit. Un homme sur 3 avait entre 20 et 27 ans lorsqu’il a été tué.
  • C’est aussi : 900 000 ascendants privés de leur soutien. 600 000 veuves de guerre, femmes devant assumer un drame sentimental et une vie le plus souvent difficile et, seules, être responsables de plus de 700 000 orphelins de père.
  • Allocation accordée en 1914 : 1,25 F par jour et 50 centimes par enfant ; en 1917 : 1,50 F par jour et 1 F par enfant (le kilo de pain coûte 40 centimes, le kilo de viande au moins 1,50 F).
Une famille de Valezan en Tarentaise vers 1914. Fierté de porter l’uniforme des chasseurs alpins.
D’après un cliché « Collection particulière » L’Histoire en Savoie n° 84.
À Betton-Bettonnet

Témoignage :
Après le départ de son mari pour le front, Madame Vouthier prend en main l’exploitation agricole, aidée par son beau-père. Elle abat le travail de deux hommes pour rentrer les foins, s’occuper du bétail, des vignes, du tabac, Ses quatre enfants participent à toutes les activités ; ils n’ont ni faim, ni froid mais les journées sont longues et harassantes.

Cliché « La Voix du Combattant »
Cliché « La Voix du Combattant »

La vie en campagne était rude. Il n’y avait pas le « confort moderne » dans les fermes et rien, pas le moindre robot ménager pour faciliter la vie des femmes ; pas d’eau sur l’évier, il fallait aller la chercher dehors, au puits. Pas d’électricité, uniquement des bougies, des lampes à pétrole. Une cheminée chauffait, si peu, quelques pièces, mais pas les chambres. Pour les femmes, couper, transporter et scier le bois était un travail exténuant. Les lits étaient réchauffés par des briques chaudes ou des bouillottes : « Les enfants allaient se coucher après avoir noué un vieux bas de laine autour de leur brique brûlante. » (Christian Signol : « Les menthes sauvages »).

Les moyens de communication étaient inexistants : les chevaux étant réquisitionnés pour l’armée, il ne restait que les bœufs pour labourer et tirer les charrettes ainsi que les bicyclettes pour se déplacer.
Les femmes cultivaient les champs avec des instruments rustiques qui n’avaient guère évolué depuis le Moyen-Âge : ni tracteurs, ni engrais chimiques. « On n’avait pas encore « inventé » les doryphores et le café torréfié, apparus seulement à la fin de la guerre. » (Christian Signol).

Elle élève les enfants

N’ayant pour seule compagnie que celle des vieillards, elle se bat pour assurer à ses enfants un minimum.

Carte postale et carte-lettre de F. Dénarié.
Carte postale et carte-lettre de F. Dénarié.

Témoignage : Madame François Dénarié (son fils) Chambéry.
Lorsque son mari est mobilisé, elle reste seule, à 32 ans, pour élever ses cinq enfants âgés de 10 à 1 ans. En ville, la nourriture est chère, les enfants ont faim. Madame Dénarié est repasseuse et travaille jour et nuit pour nourrir ses cinq enfants et la grand-mère. Son mari François est porté disparu en Champagne en 1916. Elle a 34 ans, son mari en avait 38. La veuve espérera toujours le retour du soldat ; même après l’armistice. Son fils se souvient d’elle, courant au-devant du facteur, le guettant, gardant espoir, puis pleurant après son départ. Elle a réussi par son courage à assurer une bonne situation à tous ses enfants dont l’un était agent technique aux Ponts et Chaussés.
Elle ne s’est jamais remariée.

Ces enfants de la guerre, amputés de leur père, obligés de le remplacer, de travailler comme des adultes, privés d’enfance, sont devenus trop tôt des hommes.

Elle fait marcher l’industrie

Chambéry. Ce sont les femmes qui font tourner les industries de la ville (usine d’aluminium). Travail pénible.

« Le plus souvent sans qualification professionnelle, elle sera quand même « mobilisée ». Dans les usines d’armement, c’est le travail des femmes qui permettra la fourniture d’armes indispensables aux combattants. » (La Voix du Combattant – novembre 88). On les appelle les « manitionettes ». On les voit même sur les toits, avec les petits savoyards qui ramonent les cheminées.

Elle soigne les plaies du corps…

L'hôpital Jules Ferry durant la Grande Guerre - D'après les Amis du Vieux Chambéry, tome XIV.
L’hôpital Jules Ferry durant la Grande Guerre – D’après les Amis du Vieux Chambéry, tome XIV.

Témoignage :
Madame P., pupille de la Nation, se souvient de son père, blessé au bras droit en 1914, à qui sa mère refaisait le pansement. Elle, cachée, assistait à ces soins. En 1915, son père était tué en Belgique (l’aumônier de son régiment était le Père Teilhard de Chardin).

Infirmières, bénévoles, les hôpitaux de Chambéry fonctionnent grâce au dévouement de ces femmes. Les jeunes filles de la haute société participent activement aux quêtes de charité et aux œuvres de bienfaisance.

… et celles du cœur

N’oublions pas le rôle joué par les « marraines de guerre » qui ont eu une influence certaine sur le moral des soldats.

Témoignage :
Madame L., pupille de la Nation, dont le père est mort en novembre 1914, épouse à 18 ans un grand mutilé de guerre, décédé en 1935 des suites de ses blessures. Elle a eu sept enfants. De la guerre, elle se souvient des hivers sans charbon, de la courses aux « nouvelles », puis de l’armistice, elle, auprès de sa mère toute de noir vêtue, de ses sœurs, de leurs pleurs.

Elle donne sa vie

Dans les territoires occupés (6% de notre pays) des « héroïnes », des vraies, pas celles de cinéma, ont souffert ou sont mortes… et ces milliers de jeunes femmes condamnées au célibat et qui ne connaîtront pas les joies de la maternité. Des vies manquées, des embryons de vie…

Témoignage :
Madame Duport, jeune mariée. Son mari part pour le front, est tué en 1914 dans les Vosges et ne connaîtra jamais sa fille. La jeune veuve de 20 ans retourne à la ferme de ses parents. Situation privilégiée car la nourriture ne manque pas mais le travail non plus. Ne s’est jamais remariée.

Affectée par le deuil et la solitude, épuisée, la femme, à la fin de la guerre, retrouvera d’autres difficultés : en ville, elle cède la place aux hommes qui reviennent de la guerre, dans les campagnes : exode rural, chute des prix du lait, du blé, dévalorisation de la terre.
Ces années de privation n’auront même pas servi à améliorer leur sort.

Carte postale d'un soldat de 14-18, d'après Paul Vincent.
Carte postale d’un soldat de 14-18, d’après Paul Vincent.

Témoignage : Madame Palmier (sa fille), Bramans.
Madame Palmier, veuve de guerre, assurait le fonctionnement d’une petite exploitation. Malgré le travail acharné, la pauvreté régnait dans cette famille où il y avait deux jeunes enfants. « On achetait uniquement du café et du sucre. On cuisait le pain une fois par mois et on le conservait dans un grenier. Il était dur comme du bois. »

Cliché « La Voix du Combattant ».
Cliché « La Voix du Combattant ».

Ces femmes-là, n’ont, pendant quatre ans, pas trouvé le temps de sourire. Pourtant l’amitié, la gentillesse des voisins et amis les ont souvent réconfortées. Tout le village « s’aidait », comme on dit chez nous, pour le bois, les foins. L’entraide et la solidarité sont les points communs à tous ces témoignages (excepté Madame Grimontet).
L’esprit de fraternité qui animait les habitants de nos villages a redonné du courage aux femmes abandonnées.

Carte postale d'un soldat de 14-18, d'après Paul Vincent.
Carte postale d’un soldat de 14-18, d’après Paul Vincent.

On parlait déjà de l’émancipation féminine, pour s’en moquer souvent. On oubliait que la femme avait quelques raisons de réclamer la reconnaissance de ses droits. Ceux-ci avaient été acquis par son courage, son patriotisme ou simplement par l’accomplissement du devoir quotidien.
Si « elle » n’avait pas été là…
Puisqu’il faut conclure, et qu’après tout je ne suis pas sûre de ce que sera la conclusion (je veux dire par là que les historiens me mettent dans l’embarras avec leur manie des chiffres. La 1re, la 2e guerre… quel est le numéro de la dernière ? Est-ce vraiment la dernière ?).
L’histoire est une longue guerre et elle est bien triste, les hommes ont tant souffert…

Je m’en tirerai donc par une pirouette et donne la parole à de plus sages que moi ;

« Les belles actions cachées sont les plus estimables. » B. Pascal.

« Quelquefois les plus petits ressorts font mouvoir les plus grandes machines. » J.P. Marat.

Odile Portier
Article initialement paru dans Kronos N° 4, 1989

Bibliographie sommaire

– Notre siècle – René Rémond – Éditions Fayard
– La Voix du Combattant
– Les Menthes Sauvages – Christian Signol
– L’Histoire en Savoie n° 84, « La Savoie 1914-1918 »
– Mémé Santerre – Serge Grafteaux
– Cartes postales d’un soldat de 14-18 de Paul Vincent – Éd. JP Gissero
– Chambéry à l’heure de la grande guerre – Société des Amis du Vieux Chambéry – Tome 14

Témoignage de Madame Clochet, Grésy sur Aix

Née en 1900, « Mémé » Clochet avait quatorze ans au moment où éclatait la Guerre.
En effet, en 1913, « Mémé » Clochet, munie de son Certificat quitte « l’ouvroir », où en compagnie d’autres jeunes filles, elle a appris la cuisine, la couture, la broderie, en fait tout ce qui peut servir à la tenue d’une maison ; ceci, sous l’œil vigilant des sœurs Saint-Joseph de La Providence.

La Guerre va faucher ses espoirs de joie et de liberté, lui voler son adolescence. Son père est mobilisé. Par chance, il est envoyé dans un service auxiliaire, ayant eu la main écrasée dans un broyeur à pommes ; pour cette raison, il ne participera pas directement aux combats et reviendra sain et sauf après l’Armistice.

Malgré tout, durant les quatre années de cette guerre, il n’obtient que deux ou trois permissions. Il laisse donc femme, enfants (quatre dont « Mémé » Clochet est l’aînée), et domestiques. Dès cet instant, les journées ne suffisent plus à abattre l’énorme quantité de travail. À 5 heures, il faut se lever, avaler son lait et ses tartines, puis, munie de sa lampe tempête, aller traire à l’écurie, porter le lait à la fruitière. À 8 heures, un bol de soupe redonne quelques forces pour continuer. La journée ne fait que commencer : le bétail, les volailles, les lapins, le jardin, les deux petits derniers, le ménage, et surtout les travaux des champs « sur-occupent » (utiliser le verbe occuper serait leur faire une injure, et donnerait l’idée fausse de personnes oisives qui s’occupent pour ne pas s’ennuyer), sur-occupent donc les deux femmes du foyer. Car il faut, non seulement nourrir la famille, mais encore fournir à l’armée : lait, œufs, farine, pommes de terre…
Ces provisions sont régulièrement portées en un lieu de ramassage (peut-être la Mairie).
Les travaux des champs sont pénibles, l’unique cheval a été réquisitionné par l’armée. La Famille Clochet cultive des céréales : blé, orge, avoine ; les récoltes sont maigres ; les bœufs sont lents, les domestiques sont des vieillards et les enfants ont de bien petits bras…

Cependant, puisque l’on cultive du blé, on porte le blé au meunier qui donne la farine, on donne cette farine au boulanger qui donne le pain et fait payer la façon. La famille de « Mémé » Clochet n’utilise pas le four communal car cela n’est pas facile pour elle : il faut transporter le bois, allumer le feu, surveiller la cuisson (c’était le travail des hommes).

À l’énumération de toutes ces activités, « Mémé » Clochet en ressent encore toute la fatigue ; se cachant les yeux, elle nous dit : « c’était si long, si dur, il ne semble pas que cela soit vrai… »

Plus le temps passe et plus la vie est dure. Tout est rationné : une carte d’alimentation donne droit à (cela paraît ridicule de nos jours) 1 kg de sucre, 500 g de beurre par mois.
Un bon permet également d’obtenir une paire de chaussures par an. « Mémé » Clochet porte des sabots qu’elle achète chez le sabotier au village des Couduriers.

Les lessives durent de longues heures. À notre grand étonnement, « Mémé » Clochet nous avoue : « C’était facile ! Il y avait une pompe à l’écurie, un évier dans la cuisine l’hiver, un bassin dans la cour l’été ; nous transportions des seaux d’eau » ; très simple en effet…

Le savon de Marseille étant rationné, on s’en passe la recette de famille en famille, afin d’en fabriquer. Une plante, la saponaire, sert à « laver » (cela rendait l’eau gluante) les lainages, le marc de café à laver les vêtements noirs. Comme les lessives sont peu fréquentes, leur volume est important. Le linge est soigneusement raccommodé.

Quant aux repas, ils sont rapides et simples : rarement de la viande (« si on mangeait les poules, il n’y avait plus d’œufs ; on n’avait pas le droit de tuer nos bêtes »), pas de dessert, à part quelques fruits, pas de gâteau d’anniversaire, pas de fête, même lorsque le père est en permission (« nous n’avions pas de raison de nous réjouir »).
Le café est rare et à la fin, pratiquement introuvable ; on le fait « maison » : en faisant griller blé, orge, glands dans un grilloir.

Des enfants des villes voisines viennent à pied, à vélo, demander quelques légumes, des pommes de terre surtout ; mais la plupart se font arrêter par les gendarmes qui surveillent les routes et qui confisquent les provisions.

Entrer en résistance

Les itinéraires qui ont conduit les jeunes gens sur les voies de la Résistance sont multiples. Deux engagements, l’un féminin, l’autre masculin nous montrent que si le point de départ est individuel, il devient forcément collectif pour pouvoir mener la lutte le plus longtemps possible.
Enregistré il y a quelques années par l’association Kronos, Roger, un agriculteur d’Entrelacs, raconte comment et dans quelles circonstances il est entré dans « le refus et la désobéissance ». Appartenant à la classe 42, il est convoqué avec toute sa génération aux Chantiers de jeunesse mis en place par le gouvernement de Vichy. Il a vingt ans et doit rejoindre groupement n°9 à Monestier-de-Clermont en Isère pour une durée de huit mois. C’est un Chantier de jeunesse installé à proximité du Mont aiguille dont il va tirer son nom « Le Roc » et sa devise « Sans faille ». Cet environnement montagnard et forestier se lit parfaitement sur l’écusson du chantier.

L'écusson du groupement « Le Roc ».
L’écusson du groupement « Le Roc ».

Après une demande de sursis liée à un problème de santé, il reçoit une convocation pour partir en Allemagne pour le STO et refuse. Commence alors en mars 1943 la vie au maquis qui va durer près d’un an et demi. L’historien A. Palluel-Guillard dans « La Savoie de la Révolution à nos jours » retrace le contexte général de ce refus : « La relève décidée par Laval revenu au pouvoir en juin 1942, puis le Service du Travail Obligatoire officialisé en février 1943 multiplient les réfractaires savoyards ou non, tous heureux de trouver dans les montagnes et les forêts un abri contre l’administration et la police ». L’historien précise ensuite que « Pour le seul département de la Savoie… en juin 1943 lors de la convocation de la classe 42 pour le S.T.O sur 4800 jeunes recensés en un mois, seuls 269 partent ».
Notre résistant fait part des difficultés de son choix : « Il y avait tellement de sortes de maquis qu’il fallait aller au bon endroit. J’étais pour la France mais pas pour les partis ». Il gagne avec un ami la haute Tarentaise où il rejoint un groupe installé du côté des Chapieux.

Vue des Chapieux
Vue des Chapieux

Le danger est partout raconte-t-il : « il était difficile de circuler, il y avait des barrages, il ne fallait pas se faire prendre ; triste période, on n’était jamais tranquille, il fallait ne pas trop parler, se méfier de tous ceux que l’on ne connaissait pas ». La question des moyens se pose tout le temps, on manquait d’armes. Il se souvient d’un parachutage vers Grésy-sur-Aix en 1944 mais en Tarentaise où il se trouve, son groupe reste assez démuni. Il aborde aussi la menace qui pesait alors sur la population en cas de sabotage en racontant l’anecdote suivante : « Il y avait une ligne électrique aérienne le long du Sierroz, les Allemands avaient imposé à toutes les communes la désignation d’un gars pour la surveiller. On n’a jamais rien fait ». La fin de la guerre le trouve du côté d’Albertville où il participe à la libération de la Savoie avant de s’engager à Lyon dans l’armée régulière. Cette dernière l’expédie à Aix-les-Bains où il servira de brancardiers dans les hôpitaux de la ville.
Ceux qui appartiennent à « l’armée des ombres » se rencontrent aussi en dehors des maquis dans les réseaux de résistance. C’est le cas d’une jeune femme native de Grésy-sur-Aix, Paulette Besson qui dans le cadre de son travail sort de la préfecture de Chambéry de quoi produire de vrais-faux passeports et cartes d’identité bien utiles pour tous ceux qui résistent à l’occupant. Son attitude héroïque a fait l’objet de nombreux articles dans la presse dès la fin du conflit mondial quand on connaît son décès à l’âge de 23 ans au camp de Beendorf, contrainte à travailler dans les mines de sel. En septembre 1945, on peut lire dans la presse chambérienne sous le titre « Une Jeune Fille au grand cœur » un texte de Jean Devienne qui débute ainsi « Paulette Besson est morte. Elle est morte en Allemagne. Elle a succombé à l’horrible maladie qui suit les guerres pour ajouter à l’horreur qu’elles engendrent : elle est morte du typhus ».

Paulette Besson (Photographie publiée dans la presse)
Paulette Besson (Photographie publiée dans la presse)

Début 1943, elle est une employée de préfecture « modeste et gaie » à propos de laquelle une de ses amies déclare qu’elle « était si effacée, si discrète ». Impossible au début de se douter que cette jeune fille au grand cœur travaille pour la résistance. Affectée au bureau de placement, elle fabrique de faux certificats de travail qui permettent à de nombreux jeunes d’échapper au STO. Jean Devienne, dans son article de 1945 le dit en ces termes vibrants : « Employant toute sa finesse à déjouer les traquenards, profitant avec habileté de sa situation dans des bureaux fermés, la petite dactylo procurait les alibis, favorisait les fuites, régularisait la position illégale des insoumis ». Assez vite, cet engagement ne lui suffit plus, elle passe à un degré supérieur en entrant dans le réseau de renseignements Coty. Comme l’écrit Charles Rickard dans son ouvrage sur la résistance, la Savoie se trouve « au cœur des réseaux ». Émanation du réseau belge Sabot, le réseau Coty dirigé par le lieutenant-colonel Georges Orrel a établi son poste de commandement à Chambéry, chemin de Mérande. De là, le réseau envoie à Londres les renseignements recueillis par ses agents. Paulette Besson en est une cheville performante par sa capacité à rapporter des renseignements précieux. Le réseau est décapité par les Allemands le 30 mai 1944, la plupart de ses membres sont exécutés par l’occupant. Un monument à leur mémoire est aujourd’hui visible au bord de la RN6, sur la commune d’Arbin. Paulette Besson va être conduite au siège de la Gestapo de Chambéry où elle sera torturée avant d’être internée à la caserne Curial puis dans les cellules du fort Montluc à Lyon d’où elle partira vers la déportation à Ravensbruck puis vers les mines de sel du camp de Beendorf.

Une plaque en préfecture de Chambéry…
Une plaque en préfecture de Chambéry…

Le docteur Rohmer, médecin déporté dans le même camp raconte dans un témoignage écrit en février 1945 la fin de la résistante : « J’ai bien connu Mademoiselle Besson… Elle fut la première Française que nous avons perdue à Beendorf, venue de Ravensbruck chez nous en juillet 1944. Je l’ai vue quotidiennement à l’infirmerie en août et septembre. Nous parlions souvent, dans la limite où la surveillance nous le permettait. Elle m’avait parlé de son activité à Chambéry, de sa maman… Tant que je venais à l’infirmerie, Paulette Besson était gaie et très courageuse. Début octobre… son état s’était aggravé. Elle est morte vers le 10 octobre… Je me souviens très bien qu’à la grande fureur du commandant, ses camarades Françaises ont trouvé moyen de placer quelques fleurs sur ce qui servait de cercueil ».

Grésy-sur-Aix, stèle à la mémoire de Paulette Besson
Grésy-sur-Aix, stèle à la mémoire de Paulette Besson

Aujourd’hui, sa mémoire est rappelée dans sa commune de naissance. À Grésy-sur-Aix, une place porte son nom, on y trouve une belle stèle et à proximité un panneau avec sa photographie accompagnée d’un texte sur son parcours de résistante. Chambéry a donné son nom à une de ses rues et à la préfecture, dans le nouveau bâtiment du service d’identité une plaque rappelle sa mémoire. « Paulette Besson vit dans le souvenir de tous les chambériens » écrivait dans le « travailleur alpin » le journaliste Marc Foray. Près de quatre-vingts ans plus tard, nom de rue et stèle ont pris le relais plaçant sous les yeux des passants les lointaines lueurs d’un temps où résister se payait souvent du prix ultime.

Jean-Louis Hebrard