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Caius Sennius Sabinus, bienfaiteur d’Albens : la romanisation de l’Albanais

Dans le mur de l’église de Marigny-Saint-Marcel se trouve encastrée une belle inscription romaine du Ier siècle ap. J.-C., sur laquelle on peut lire (en latin) sur quatre lignes :
inscription_marigny
Elle peut se traduire ainsi : « Caius Sennius Sabinus, fils de Caius, (de la tribu) Voltinia, préfet des ouvriers, a offert à ses frais aux habitants d’Albens des bains, un terrain de sport, des portiques, l’adduction des eaux ; ainsi que le droit d’amener l’eau par une canalisation suivant un parcours en droite ligne.» ( trad. de Bernard Rémy).

Cet éminent personnage local, Caius Sennius Sabinus, aurait vécu dans la première moitié du Ier siècle ap.J-C. Peut-être originaire d’Albens, en tout cas de l’actuel Albanais, Sennius Sabinus accomplit sa carrière politique (le cursus honorum) au sein de la cité de Vienne, cité du peuple gaulois Allobroge, dont faisait alors partie Albens (à l’époque appelée vicus Albinnum), un vicus étant une petite bourgade rurale. La conquête des territoires allobroges par Rome était déjà ancienne (IIème siècle av. J-C), mais seuls les grands centres urbains avaient déjà adopté des modes de vie « à la romaine ». Dans les campagnes comme celles de l’Albanais, malgré la domination romaine, subsistaient encore des modes de vie et des cultes religieux gaulois. La carrière politique de Sennius Sabinus, bien que modeste au regard de celles d’autres contemporains, devait localement changer cet état de fait.

D’origine allobroge, Caius Sennius Sabinus n’en était pas moins un citoyen romain. Il portait donc les trois noms (tria nomina) caractéristiques de la citoyennté romaine : prénom + nom + surnom. Sans doute se trouvait-il à la tête d’une petite fortune provenant de plusieurs domaines agricoles (les villae) disséminés dans la campagne albanaise. Il réussit à accéder à la charge de praefectus fabrum (préfet des « ouvriers »). À travers cette charge, un magistrat lui avait confié des fonctions militaires et administratives, faisant de lui son aide de camp chargé du génie militaire. Sennius Sabinus accédait ainsi à l’ordre équestre (catégorie inférieure à l’ordre sénatorial).

Ayant ainsi atteint le sommet de sa carrière, Sennius Sabinus voulut faire bénéficier Albens et ses compatriotes Albanais de sa réussite sociale. Il s’agissait d’ailleurs pour les riches de l’époque d’une sorte d’obligation morale envers leurs compatriotes moins aisés. Albens, le vicus Albinnum, devait être doté de bains à la romaine : les thermes. Le captage des eaux pour alimenter les thermes fut réalisé sur l’actuelle commune de Marigny-Saint-Marcel, au lieu-dit La Bourbaz où devait se trouver une source consacrée à Borvo, dieu gaulois des sources. Sur les murs du captage se trouvait l’inscription évoquée plus haut, rappelant l’action bienfaisante de Sennius Sabinus. Une canalisation de tegulae (tuiles) ou aqueduc, acheminait l’eau de La Bourbaz à travers les marais de jusqu’aux thermes d’Albens où se trouvait une copie de l’inscription (aujourd’hui disparue). Ces thermes étaient agrémentées d’un terrain de sport ou palestre entouré de portiques. Cette habitude des bains, typiquement romaine, se répandait ainsi au sein d’une population d’origine allobroge qui dorénavant s’y rendrait pour se laver, se faire masser, nager et pratiquer des activités sportives à la palestre. Ces thermes étaient aussi un lieu de sociabilité, où les gens simples pouvaient rencontrer les magistrats du vicus, où pouvaient se conclure les affaires.

Ces thermes offert par Caius Sennius Sabinus à Albinnum participaient ainsi à la diffusion du mode de vie « à la romaine » au sein d’une population gauloise. Toute proportion gardée, ce processus de romanisation pourrait être comparé à la mondialisation de nos modes de vie actuels, qui nous voient par exemple conduire une voiture de marque française construite en Roumanie, nous rendre de temps à autre dans un fast-food américain, avant d’aller au cinéma visionner un blockbuster farçi d’effets spéciaux numériques, et enfin rentrer chez nous dans une maison ou un appartement meublés chez une grande enseigne suédoise…

Pour tous ceux qui souhaiteraient en savoir plus Albens à l’époque romaine, rendez-vous à l’Espace patrimoine pour admirer les collections archéologiques, aux heures d’ouverture de l’Office de tourisme d’Entrelacs (résidence le Berlioz, 177 rue du Mont-Blanc, Albens, 73410 Entrelacs). Vous pouvez également suivre les activités de l’association Kronos sur le site web.

Rodolphe Guilhot