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Regarde la tête que j’ai ou l’histoire contée d’une monnaie romaine

Il existe dans les collections archéologiques de l’Espace patrimoine à Albens une toute petite pièce de monnaie à laquelle le visiteur peut ne prêter qu’une attention fugace. Toutefois elle mérite que l’on s’y attarde un peu plus. En effet c’est la seule qui présente le profil d’une femme entourée par l’inscription bien lisible « JULIA AUGUSTA ».

Il s’agit de l’impératrice Julia Domna, épouse de l’empereur Septime Sévère, une femme qui allait « régner » en l’an 211 à la mort de son époux.

Sur cette monnaie trouvée à Albens (au lieu-dit Bacuz), l’impératrice arbore une coiffure compliquée dans laquelle son abondante chevelure est disposée en deux bandeaux séparés par une raie pour se terminer en chignon sur la nuque.

Pièce de monnaie qui présente le profil de l'impératrice Julia Domna
Pièce de monnaie qui présente le profil de l’impératrice Julia Domna

Julia Domna, originaire de Syrie (elle était native d’Emèse, actuellement Homs) avait introduit à Rome les nouvelles modes venues d’Orient, dont ces lourdes coiffures avec des postiches et des perruques. Désormais, la coiffure devient une opération complexe, c’est pourquoi les femmes sont aidées par des servantes appelées ornatrix. Elles avaient bien d’autres missions et disposaient pour cela d’un nécessaire de toilette bien fourni comprenant pots de parfum, miroir de bronze, pinces à friser, à épiler, peignes sans oublier les applicateurs de maquillage. Ainsi, ce beau profil d’impératrice nous fait-il entrer quelque peu dans le monde esthétique d’une romaine au tournant du IIème siècle. On peut imaginer que cette mode a pu être suivie par quelques riches romaines de l’Albanais comme pourrait le laisser penser ce miroir en bronze trouvé il y a longtemps à Albens.

Il fait partie aujourd’hui des collections du musée Savoisien à Chambéry.

Miroir en bronze
Miroir en bronze

La monnaie ne joue pas seulement un rôle économique elle a également une fonction politique. À partir de 211, à la mort de son époux, Julia Domna règne avec son fils Caracalla. Par cette frappe monétaire, l’impératrice se fait connaître de ses « sujets » et affirme son pouvoir en indiquant son titre d’Auguste (AUGUSTA sur l’inscription de la monnaie). Tout au long de son passage au pouvoir elle connaîtra drame sur drame, voyant son fils Caracalla éliminer son frère (Géta) et interdire à sa mère de porter le deuil.

Le règne avec Caracalla allait être marqué aussi par de terribles rumeurs à l’encontre de Julia Domna. Le fils et la mère se partageant efficacement le pouvoir, on fit rapidement courir le bruit qu’elle était une mère incestueuse.

Mais le tandem politique assure à l’empire une administration efficace. Tandis que Caracalla s’occupe de questions militaires, d’embellissement de Rome (les fameux thermes de Caracalla), d’accorder la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’empire, Julia Domna gère les affaires courantes, fait une réforme monétaire et augmente les impôts.

Toutefois c’est une fin tragique qui attend l’impératrice. Lorsque Caracalla est poignardé en 217 par un des officiers de sa garde, le nouvel empereur Macrin pousse Julia Domna au suicide, la laissant mourir d’inanition.

L’autre face de cette monnaie (avers) apporte elles aussi d’intéressantes informations en nous faisant entrapercevoir les bouleversements religieux du moment. L’allégorie que l’on y découvre fait référence au culte d’Isis et à son introduction à Rome.

Avers de la pièce romaine
Avers de la pièce romaine

La déesse Félicité ou Isis pose le pied sur la proue d’un vaisseau tout en allaitant un enfant (Horus). Le gouvernail fait référence au destin(Fortuna) qui gouverne le monde. Julia Domna aime se comparer à Isis, protectrice des mères et de leurs enfants (allusion aux deux fils de l’impératrice). Ce revers de monnaie est le seul qui fasse spécifiquement référence au culte d’Isis dans le monnayage romain du IIème siècle durant lequel les cultes orientaux vont être très en vogue (Julia Domna appartient à une famille de prêtres d’Ephèse en Syrie).

Cette pièce de monnaie présente en plus un aspect insolite, celui d’être percée sur le côté. Cette belle perforation, bien visible, donne à penser que la pièce a pu être transformée en une sorte de médaille. Mais de récentes découvertes de ce type, effectuées sur des sites méridionaux de Rhône-Alpes, ont soulevé de nouvelles interrogations sur la signification de ces perforations volontaires. N’aurait-on pas affaire, par exemple, à des cas d’offrandes de monnaies percées ? Si tel était le cas, une interrogation supplémentaire vient à l’esprit en ce qui concerne la monnaie d’Albens. A-t-elle été choisie par hasard quand on sait que l’allégorie fait référence à Isis ?

L’archéologie ouvre encore sur bien des mystères.

N’hésitez pas, en attendant, à venir découvrir les collections archéologiques de l’Espace patrimoine, résidence le Berlioz, 177 rue du Mt Blanc à Albens ou à vous connecter sur le site www.kronos-albanais.org.

Jean-Louis Hébrard