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Les premiers temps du christianisme dans l’Albanais

Cette inscription fut découverte vers 1860. Il s’agit d’une épitaphe chrétienne d’une plaque de calcaire dont l’avocat L. Pillet, qui l’étudia le premier en 1861 (inscription chrétienne du VIe siècle trouvée à Grésy-sur-Aix – Mémoire de l’Académie de Savoie) donne la traduction suivante :
« Ici repose de bonne mémoire, Aunemundus, qui vécut dans la paix cent ans et 6 mois ; il mourut le 14ème jour avant les Kalendes de juin, après le consulat de Symanque. »

inscriptionlatinegresy

Cette inscription en mauvais état, dont L. Pillet parle fit un calque, est aujourd’hui visible contre le mur extérieur de la tour féodale de Grésy-sur-Aix. Elle permet d’apporter quelques lumières sur les premiers temps du christianisme en Savoie et dans l’Albanais.

Dans les Alpes du Nord, le christianisme pénètre par deux voies :
– les vallées affluentes du Rhône et le réseau des routes qui les bordent,
– les cols qui relient les bords du Léman à l’Italie.

Aux premiers temps du christianisme
Aux premiers temps du christianisme

S’il est impossible en l’état actuel des découvertes et des connaissances de proposer une chronologie, on peut toutefois raisonnablement penser que le christianisme s’étant implanté à Genève, le port de Condate (Seyssel) a dû lui aussi être touché très tôt. En effet, cet actif emporium, animé par une compagnie de transporteurs, les nautes, était en contact quotidien avec les bateliers de Lyon.

On imagine mal alors que des Centres comme Etanna (Yenne), Labisco (Les Échelles), Aquae (Aix-Les-Bains)… n’aient pas vite abrité des groupes de chrétiens, alors que des marchands étrangers fréquentaient régulièrement leurs marchés.

Quant aux cols alpins dont on connaît l’importance dans l’antiquité, ils ont dû voir les adeptes de la nouvelle religion se mêler aux groupes de voyageurs en provenance des villes de la plaine du Pô.

Ainsi, dès le Ve siècle, l’église alpine implante ses diocèses dans les grandes villes. Genève d’abord, où le premier évêque connu officie vers 400. Puis le diocèse de Grenoble, qui intéresse la Savoie puisqu’il s’étend alors jusqu’à Aix-Les-Bains. Enfin, celui de Belley qui contrôle les pays du Rhône.

Il faut attendre le VIe siècle pour voir naître les diocèses de Moutiers et de Saint-Jean-de-Maurienne. À cet époque, le christianisme pénètre peu à peu dans les campagnes. Les premiers chrétiens nous ont laissé quelques inscriptions, qui en dépit de leur rareté, apportent déjà nombres d’informations.

Inscriptions du VIe siècle

  • Date  — Lieux — Personne concernée — Contenus de l’inscription
  • 504 — Jongieux — VALHO : le nom de la défunte a une assonance germanique — Inscription au dos d’une stèle dédié a dieu Sylvain. VALHO est une « femme religieuse » qui a vécu 68 ans.
  • 521 — Yenne  (découverte en 1954 en remploi dans le mur de l’église ; GUNDEFRIDA — femme burgonde morte le 15 novembre 521 — « Dans ce tombeau repose en paix de bonne mémoire, Gundefrida, qui a vécu 34 ans et 2 mois. Elle est morte le 17ème jour avant les Kalendes de décembre, sous le consulat de Valérius. »
  • 523 ? — Grésy-sur-Aix découverte en 1860 — AUNEMUNDUS — un Burgonde converti à la fin du Ve siècle ; voir photo et traduction
  • 527 — Lugrin près d’Évian trouvée en 1855 — BROVACUS : jeune chrétien racheté par Gondemar, roi de Bourgogne de 523 à 532 — « Dans cette tombe repose, de bonne mémoire, qui vécut 13 ans et 4 mois… sous le consulat unique de Brandobricus, ils furent rachetés par le souverain Gondemar

L’inscription de Grésy-sur-Aix apporte de précieux renseignements sur cette période de transition entre le monde antique et le monde médiéval où le christianisme se diffuse lentement dans les campagnes.
Le défunt est un des ces Burgondes établi dans nos contrées et converti au christianisme sur la fin du Ve siècle.

Son nom, Aunemond, terminé par le radical MUND (lune) indique bien son origine germanique. C’est comme Edmond, Sigismond…

Le peuple burgonde s’installe dans la région en 443 après une longue migration qui l’a conduit des rives de la mer Baltique à celle du Haut-Main pour aboutir enfin en Savoie.

Ce sont des barbares assagis qui arrivent alors. En contact avec le monde romain depuis deux siècles, ils se sont convertis au christianisme sous sa forme arienne, ont élaboré un droit coutumier (connu sous le nom de la loi Gombette), ont adopté la royauté comme forme de gouvernement. Ils véhiculent donc une civilisation originale où se mêlent d’anciennes traditions et des influences romaines.

Conduits par leur roi Gundioch, ils s’installent en Sapaudia sans heurts, comme le sous-entend la Chronica Gallica : « La vingtième année du règne de Théodore, la Sapaudia est donnée au reste des Burgondes pour être partagée avec les indigènes ».

On s’interroge toujours sur la signification du mot Sapaudia ; on pense qu’il désignerait le pays des sapins et s’appliquerait aux Alpes et au Jura. Près de 50 000 Burgondes se mêlent aux populations gallo-romaines d’un territoire centré sur le Jura, limité au nord par les lacs de Bienne et Neuchâtel, à l’Est par le Rhône et le Chablais.

La présence des Burgondes est attestée dans l’Albanais par quelques découvertes archéologiques. Il s’agit de cimetières et de tombes qui furent mis à jour dans les environs de Grésy-sur-Aix et à Albens.

+ L. Pillet signale la découverte entre 1850 et 1860 devant l’église de Grésy d’une « rangée de tombes symétriquement alignées, formées de dalles de molasse et ne contenant que des squelettes » qu’il date du VIe siècle.
+ À Chevilly, un ensemble de tombes formées de dalles de molasse a été mis à jour dans les années 1970. L’une d’elle a livré une magnifique boucle de ceinture damasquinée et a pu être datée de 710.
+ Des tombes semblables furent exhumées à Albens au XIXe siècle et dans les années 1970 lors des travaux de construction du collège. Toutes orientées Est-Ouest.

Elles abritaient le squelette allongé sur le dos, la tête tournée vers l’Ouest. Elles ne renfermaient qu’un mobilier sommaire (ardillon de ceinture en fer).
De part l’orientation et l’absence de mobilier, on les a attribuées au VIe siècle burgonde.

Dans les deux cas d’Albens et de Grésy-sur-Aix, ces cimetières chrétiens succèdent à des nécropoles romaines attestées par de nombreuses découvertes.

Elles mettent en évidence le passage sans rupture véritable d’un monde antique païen à une civilisation médiévale chrétienne. Lorsque le Sapaudia passe dans le domaine Franc après 534, l’histoire de la région se confond avec celle des pays mérovingiens puis avec le monde carolingien. C’est à cette époque qu’un véritable réseau de paroisses s’implante et que le christianisme pénètre les campagnes. Désormais, églises et villages se blottissent à l’ombre des tours et châteaux à l’image du donjon de Grésy-sur-Aix dominant fièrement les environs.

Grésy-sur-Aix : le donjon du château médiéval
Grésy-sur-Aix : le donjon du château médiéval

Jean-Louis Hebrard
Article initialement paru dans Kronos N° 7, 1992

Tombe burgonde découverte à Albens HJL 1977
Tombe burgonde découverte à Albens
HJL 1977

Notes de l’auteur :
L. Pillet, mémoire de l’Académie de Savoie, 1961
R. Sauter, L. Chaix : une nouvelle tombe du haut moyen-âge à Chevilly (Grésy-sur-Aix, Savoie)
J. Prieur, la Savoie Antique

Boucle de ceinture burgonde - Chevilly - Grésy-sur-Aix
Boucle de ceinture burgonde – Chevilly – Grésy-sur-Aix

En l’honneur de TRAJAN : une inscription latine du IIème siècle désormais visible à l’Escale

  • Découverte au XVIIIème siècle dans le village – placée au XIXème siècle dans le mur de la cure, puis à la fin du XXème siècle devant le nouveau centre administratif.
  • L’inscription : plaque de calcaire moulurée, brisée à gauche, dimensions : 62,5 x 130,5 x 22 cm. Texte de 3 lignes en lettres majuscules profondément gravées, bien lisibles dont il manque la moitié.
Inscription latine
Inscription latine
  • Ce qu’elle raconte :
    1ère ligne : indique le nom de l’évergète CERTI et sa filiation.
    2ème ligne : Il offre au villageois VICANIS d’Albens, une construction avec ses ornements (ORNAMENTIS).
    3éme ligne : en l’honneur de l’empereur Trajan (TRAINI) qui vient de remporter en 116 une victoire sur les Parthes (PARTICI).
    Cette indication permet de dater l’inscription entre 117 et 118.

Un dernier terme demeure encore incompréhensible : VANTESICAE.

Cette inscription, complétée par celle conservée à Marigny-Saint-Marcel atteste de l’importance antique d’Albens (temples, thermes, aqueduc, palestre).

Placée désormais à l’Escale elle permettra à tous de prendre conscience d’une très longue permanence humaine.
Merci à la municipalité d’Entrelacs pour la sauvegarde de ce témoin antique bi-millénaire.

Pour en savoir plus : reportez-vous au numéro 8 de la revue Kronos.

Hébrard Jean-Louis

Comment des inscriptions latines de l’Albanais furent sauvées de l’oubli ?

Proche du donjon, sur la colline de Montfalcon à La Biolle, on rencontre couchée au milieu d’un pré une belle inscription latine. Elle fut inventoriée en son temps par les archéologues dont Pierre Broise qui en donne un magnifique relevé après sa découverte vers 1967 dans un mur proche de la tour du château (voir le n°7 de la revue Kronos).

Le bloc de calcaire
Le bloc de calcaire

Le bloc de calcaire sur lequel elle fut gravée il y a 2000 ans est de belle taille (1m x 0,60 x 0,60) et même si l’inscription est fragmentaire, on suppose qu’il a fallu produire bien des efforts pour transporter ces 1700 kg d’Albinum la romaine jusqu’à ce château médiéval.
Quand ce transport a-t-il été effectué ? On l’ignore mais on peut en imaginer une des raisons, s’approvisionner en beaux matériaux prélevés dans les ruines du site romain d’Albens.
Une autre inscription a probablement suivi le même itinéraire, celle gravée en l’honneur de Caius Vibrius Punicus et découverte il y a fort longtemps au pied de la tour « des prisonniers » à Montfalcon. Ce sont les humanistes savoyards qui la font connaître et en offrent les premiers relevés. Ils se nomment E. Philibert de Pingon (1525-1582) et Alphonse Delbene (1558-1608). Le premier est né à Chambéry à l’époque du duc Charles III le Bon. Il fit de solides études classiques d’abord à Chambéry puis à Lyon, Paris et enfin Padoue où il fut reçu docteur en droit civil et en droit canon. Quand il revint à Chambéry vers 1550, ce fut pour s’y installer comme avocat avant de devenir syndic de la ville. C’est à ce moment qu’il réalise son périple épigraphique, relève avec beaucoup d’exactitude nombre d’inscriptions latines locales dont celle de Montfalcon.
Alphonse Delbene, de treize ans son cadet se consacrera aussi à de semblables recherches. Nommé par le duc Emmanuel-Philibert abbé de Hautecombe en janvier 1560, il allait se consacrer à la paléographie, à l’épigraphie mais aussi à l’histoire et à l’archéologie. Lui aussi allait effectuer des relevés d’inscriptions latines locales dont plusieurs à Montfalcon.
Ainsi ces érudits de la Renaissance font entrer l’inscription de Caius Vibrius Punicus dans le champ de la connaissance historique.
Nous perdons sa trace durant près de trois siècles avant que d’autres érudits, ceux du XIXème siècle, ne la portent à nouveau à notre connaissance. Tous travaillent dans le cadre de sociétés savantes, Académie de Savoie, Académie Florimontane, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie et se désolent de la destruction du patrimoine historique. « Comme tous les anciens châteaux abandonnés » écrit l’un d’eux en 1895 à propos de Montfalcon, « il est devenu pour les paysans une carrière à bâtir ; au risque de leur vie, ils ont descellé les pierres angulaires, arraché les poutres… ».

Inscription en l'honneur de Caius Vibrius Punicus
Inscription en l’honneur de Caius Vibrius Punicus

Ils se nomment Jules Philippe, le vicomte Lepic, le docteur Davat ou encore François Rabut. Ce dernier donne en 1861 dans les « Mémoires de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie » une des premières études de cette inscription. « C’est un monument funéraire élevé par Caius Vibrius Punicus Octavianus à son père, affranchi d’Auguste, qui a été général de cavalerie, tribun militaire et chef des troupes romaines en Corse. Tout permet d’attribuer cette inscription au 1er siècle de notre ère : forme des lettres, style et détails ».
Dans le même article, il mentionne que l’inscription est visible dans le musée archéologique du docteur Davat à Aix-les-Bains. Ce dernier, au même titre que le vicomte Lepic est collectionneur d’antiquités et cette passion va le conduire à sauver cette inscription de sa triste situation. Lorsqu’il la découvre dans une ferme de La Biolle en réemploi dans la fosse à fumier, il l’achète et l’installe au sein de ses collections. Comme celles du vicomte Lepic, ses collections vont en partie se retrouver dans le musée lapidaire d’Aix-les-Bains. C’est là que Caius Vibrius Punicus coule aujourd’hui des jours heureux, dans le silence profond du musée, ne reprenant vie qu’au moment des visites intitulées « Aix à l’époque romaine ».
Terminons notre périple épigraphique en revenant sur Albens pour conter les tribulations d’une dernière inscription de belles dimensions (1,30m x 0,62 x 0,22) gravée sur un calcaire mouluré. Réalisée en l’honneur de l’empereur Trajan, cette plaque de calcaire fut découverte au XVIIIème siècle à Albens lors de la démolition d’une tour mal localisée aujourd’hui. Encore une fois le site antique d’Albens a dû servir de « carrière » aux bâtisseurs médiévaux lors de l’essor de la ville neuve d’Albens peu après 1300.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle on retrouve sa trace au moment de la construction de la cure en 1874. L’épigraphiste allemand Otto Hirschfeld la publie alors dans le Corpus des Inscriptions Latines (CIL), sorte de collection générale des inscriptions latines anciennes rédigée en latin. Le curé d’Albens Joseph Lemoine la fait sceller dans un des murs de la cure donnant sur le jardin.

L'ancienne cure d'Albens
L’ancienne cure d’Albens

Il fait aussi installer une autre inscription moins lisible qui avait été trouvée dans un mur de l’ancienne église au quartier du Paradis (elle est actuellement visible à l’Espace Patrimoine d’Albens). Ces inscriptions vont rester là, bien protégées jusqu’à la démolition de la cure à la fin du XXème siècle.
Comme on le voit, les curés du XIXème siècle furent au même titre que les nobles et plus tard les instituteurs les seules personnes se préoccupant de la préservation du patrimoine ancien, aidés le plus souvent par le fait qu’ils lisaient le latin. C’est sans doute le cas du curé Lemoine, né à Saint-Pierre-d’Albigny, qui arrive à Albens après 1871 au moment de l’édification de la cure et reste à la tête de la paroisse jusqu’en 1891.
Bernard Rémy, professeur à l’université, allait réaliser une nouvelle étude de cette inscription qu’il publie dans différentes revues dont Kronos (n°8 – 1993). Aujourd’hui visible devant le centre administratif d’Albens, elle sera bientôt incorporée dans le circuit découverte du patrimoine de la commune. Les visiteurs pourront alors, grâce à une application, faire connaissance avec ce généreux donateur (le fils de Certus) qui offre vers 116/117 aux habitants du vicus d’Albens un temple en l’honneur de l’empereur Trajan.
Ainsi en ce début de XXIème siècle, la longue chaîne des amoureux des choses antiques a permis qu’elles parviennent jusqu’à nous. Pour en savoir encore plus, voyez l’article de Daniel Davier paru dans le dernier numéro de la revue Kronos.

Jean-Louis Hébrard