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Mercuriale, marché et coût de la vie avant 1914

Comme chaque semaine les étals ont été montés tout autour de la place centrale d’Albens. Rien ne perturbe alors le déroulement du marché, clients et clientes traversent en toute quiétude l’espace qui va de la fontaine publique au café Bouvier. Deux tréteaux, une planche et l’on écoule les denrées agricoles comme les produits de mercerie ou de quincaillerie.

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Carte postale de la place d’Albens

Mais quel était le prix des choses dans les « années 10 » du XXème siècle ?
Pour le savoir il suffit de lire le Journal du commerce et de l’agriculture, hebdomadaire rumillien publiant les très précieuses mercuriales. Souvenir des temps antiques où Mercure était le dieu de l’éloquence et du commerce, les mercuriales traduisent sous forme de tableau l’état des prix courants des denrées vendues sur un marché public.

Mercuriales
Mercuriales, Journal du commerce -1913

Ainsi apprenons-nous le prix du pain, du beurre, des œufs comme celui de la viande, porc ou bœuf. Au printemps 1913 il en coûtera 30 à 40 centimes pour acheter un kilo de pain de 1ère qualité mais 2 francs pour un kilo de viande de bœuf, 3,60 francs pour une belle portion de beurre de même poids ou encore 1,45 francs pour une douzaine d’œufs.
Les prix exprimés en francs peuvent paraître modestes, peu élevés pour des consommateurs du XXIème siècle mais il est bon de rappeler qu’à la « Belle Époque » ces prix étaient exprimés en franc or. Le Franc français est alors une monnaie très solide. Les billets émis par la Banque de France restent convertibles à tout instant c’est-à-dire qu’il est possible de se rendre à la banque pour changer la monnaie papier en belles pièces d’or. Ainsi un billet de cent francs « payable en espèce, à vue, au porteur » peut être converti en cinq pièces de 20 francs or soit un poids de 32,25 grammes de métal précieux.

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C’est l’âge d’or des rentiers car il n’y a aucune inflation et le produit de la rente n’est pas imposé. En 1911 sur une population totale de 1599 habitants, Albens compte six personnes qui vivent sans travailler, c’est-à-dire qui vivent de leurs rentes. Il s’agit de cinq hommes et d’une femme qui tirent leurs revenus du foncier et de l’immobilier. S’il est difficile d’évaluer l’importance de leur fortune, on sait toutefois qu’ils vivent dans un département qui détient quand même 1% de la fortune privée estimée en France et se place en position médiane dans le classement national. Ces rentiers n’ont bien sûr aucune peine à disposer de tout le nécessaire qui fait le confort de la vie. Mais qu’en est-il d’un ouvrier de campagne, journalier qui se loue pour 3 ou 4 francs au moment des gros travaux et risque lorsque le mauvais temps domine, comme en juillet 1913, de ne pas trouver à se placer ? Il lui sera difficile alors de mettre à son menu de la viande, du beurre ou des œufs. Il devra se rabattre sur le pain de moindre qualité, plus abordable, à 20 centimes le kilo.
Logés chez leur employeur, les domestiques qui représentent près de 4% de la population d’Albens sont mieux lotis car intégrés à la cellule familiale qui les emploie.
De fait, le gros bourg rural qu’est Albens reflète l’image de la société de son temps, un temps où pour ceux qui ont une fortune, aussi modeste soit-elle, ce début du XXème siècle est bien la « Belle Époque », en ce sens que l’argent y produit toujours plus d’argent.
C’est la Grande Guerre qui bouleversera ce contexte économique et social.

Jean-Louis Hébrard
Article initialement par dans l’Hebdo des Savoie