À la sortie d’Albens, sur les hauteurs, à la limite de La Biolle, se trouve le lieu-dit « La Paroy », un hameau fortement marqué par son passé romain (colonnes, bassins, puits, aqueduc, tegula, bague, céramiques, …). Nous nous attarderons aujourd’hui sur les colonnes romaines que nous pouvons admirer en arrivant à l’entrée du village. Ces cinq colonnes de calcaire dur sont composées ainsi : deux bases attiques et trois fûts de colonnes.
Elles proviendraient de la zone « La Paroy/Bacuz » – et ont été exhumées par Pierre MARTIN, ecclésiastique, missionnaire du Sacré Cœur d’Issoudun et habitant du village entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Originaire du lieu-dit « Les Bois » à Albens, lui et sa famille s’installent à « La Paroy » (selon l’orthographe de l’époque) vers 1880 alors qu’il a une dizaine d’années. Cet ecclésiastique, enfant du pays, aura un parcours atypique : il ira étudier à Anvers en Belgique, se rendra en mission aux Amériques, en Angleterre (à St Albans et Harpenden dans l’Hertfordshire, Glastonbury dans le Somerset).
Cette époque voit naître un engouement pour le passé, c’est ainsi que de nombreuses découvertes archéologiques ont été faites sur cette période de la fin du XIXème/début XXème siècle. Lorsqu’un objet ou une pierre semble intéressante, on se tourne généralement vers les personnes instruites (les ecclésiastiques, les instituteurs, les nobles) et la découverte des colonnes romaines par Pierre MARTIN est tout sauf un hasard. Son parcours l’a conduit à voyager à travers le monde dans des villes aux nombreux vestiges antiques. De plus, peut-être a-t-il été influencé par les écrits de l’officier savoyard et historien régional, François DE MOUXY DE LOCHE, qui évoquent l’aqueduc romain situé sur ses terres, mais également par la pierre romaine trônant dans le mur de la maison familiale (recouverte de ciment aujourd’hui).
Au XVIIIème/XIXème siècle, il n’était pas rare d’utiliser des vestiges antiques comme matériaux de constructions. Nous évoquions ci-dessus la pierre romaine utilisée dans le mur de la maison familiale construite vers 1750. Dans un article précédent, nous parlions de l’inscription romaine figurant dans le mur de l’église de Marigny-Saint-Marcel.
Pierre MARTIN était un érudit, il connaissait l’existence du passé romain du secteur de « La Paroy » et c’est tout naturellement qu’il a rapatrié les colonnes qu’il a découvertes dans les champs alentours et qu’il les a installées à l’entrée de son village. Plusieurs hypothèses concernant l’origine de ces colonnes : vestiges d’une riche villa du vicus d’Albinum, éléments d’architecture d’un temple. Deux autres colonnes en provenance de Bacuz se trouvaient chez M. ROSSET à la ville, dans les années 1960.
Mais revenons à la colonne romaine qui aujourd’hui sert de base à une croix en marbre avec la date « 1916 ». Que signifie cette date ? Pierre MARTIN, issu d’une modeste famille paysanne de douze enfants, dont la majeure partie d’entre eux n’atteindra pas dix ans, devient « Père-Révérend »,professeur ecclésiastique ; il installe même une chapelle au sein de la maison familiale pour des messes où il officie. Du fait de son statut de missionnaire, il part régulièrement à l’étranger et s’enrichit culturellement au contact d’autres réalités que celles albanaises. En Angleterre, à Harpenden, dans le district de Saint Albans, il reste même encore aujourd’hui dans l’histoire locale comme le prêtre ayant célébré la première messe publique depuis plus de 300 ans en janvier 1905 ! Après quelques mois de travail actif de sa part, l’église d’Harpenden ouvre ses portes. Lors de la construction de la nouvelle église dans les années 1930, un vitrail de Saint Pierre est installé, en mémoire de « Father Peter MARTIN » (Père Pierre MARTIN), premier prêtre de la paroisse ! De grandes manifestations ont eu lieu pour fêter son centenaire en 2005.
Si son petit frère Antoine décède en 1914, à quarante ans, et repose au cimetière national militaire de « La Doua » à Villeurbanne, au milieu des autres soldats morts pour la France, Pierre MARTIN s’éteint lui en novembre 1916, à l’hôpital de Rumilly. Selon une ancienne habitante du secteur, en apprenant la mort de son fils, sa mère décida de faire installer une croix au sommet d’une des colonnes érigées par son fils et d’y faire inscrire l’année de son décès, soit 1916. Pour l’anecdote, quelques années plus tard, la petite sœur de Pierre MARTIN, Marie, épousera François VINCENT, le cocher au tilbury bien connu à Albens dans les années 50.
Le secteur de « La Paroy » est une zone riche au passé romain avéré même s’il n’a jamais été sondé pour effectuer des recherches comme pouvait le regretter dans une lettre Pierre BROISE, architecte de profession et reconnu par le milieu archéologue. Les colonnes à l’entrée du lieu-dit font partie de son histoire et de son identité. Pierre MARTIN, issu d’une famille modeste, n’en demeure pas moins l’un des premiers ambassadeurs d’Albens à l’étranger et l’un des défenseurs du patrimoine albanais. D’autres colonnes, en provenance du lieu-dit « Les Grandes Reisses », signe de l’importance du vicus d’Albinum, sont visibles à l’Espace Patrimoine d’Albens, aux heures d’ouverture de l’Office de Tourisme (Résidence Le Berlioz, 177 rue du Mont-Blanc). Suivez également les activités de l’Association KRONOS sur le site internet.
Benjamin Berthod
Pour info, « Rev. Peter Louis MARTIN, M.S.C. », ça signifie :
« Révérend Pierre Louis MARTIN, Missionnaire du Sacré Coeur ».
Bravo pour la réactivité sur le site.